vendredi 22 février 2013

Vacheries




Tête de vache en fonte de fer sur le portail d'une ancienne vacherie. Cour du 15, rue de la Présentation, XIe ardt.


Où l'on énumère les différentes manières de filouter le buveur de lait, où l'on déplore les tristes conditions de vie des vaches et des enfants du peuple, où l'hygiène s'impose difficilement, et où la crémière est jolie, fraîche et honnête, lorsqu'elle est en céramique... 






FALSIFICATIONS DU LAIT

Depuis la première édition de ce travail, dans laquelle nous avions tenu compte des falsifications du lait par l'eau, par la farine, par l'oxide de zinc, par le sous-carbonate de potasse, M. Barruel a publié des Considérations hygiéniques sur le lait vendu à Paris comme substance alimentaire dans lesquelles il pose en fait que l'extension considérable de l'usage du café au lait, a depuis dix-huit à vingt ans, doublé le nombre des laitières qui se placent au coin des rues ; que, dans les campagnes voisines de la capitale, le nombre des vaches laitières n'a pas augmenté dans la même proportion; que, conséquemment, les laitières puisent leur lait ailleurs que dans le pis des vaches. M. Barruel a surpris quelques falsifications que nous joindrons à celles qui étaient déjà connues.

1°. Écrémage du lait. — Une première et constante tromperie des débitants est de vendre leur lait écrémé, non dans le sens qu'on l'entend ordinairement, c'est-à dire privé d'une crème consistante, séparée, par plusieurs jours de repos, du caséum et du sérum, mais, seulement privé de la portion de matière crémeuse qui, par un repos de quelques heures après la traite, a pu monter dans les trois à quatre pouces supérieurs du vase. Ces trois à quatre pouces de lait riche sont enlevés avec précaution et vendus séparément dans de petits vases de grès d'une capacité arbitraire, à un prix plus élevé, sous le nom de crème. On peut reconnaître le lait écrèmé par l'excédant de caséum qu'il présente comparativement au bon lait : 300 grammes de celui-ci donnent constamment de 29 à 30 de caséum.

2°. Falsification avec l'eau. — Quand le lait est falsifié avec une trop grande quantité d'eau, sa saveur est aqueuse, sa couleur est affaiblie et présente un léger reflet bleuâtre.
(…) les laitiers ne sont pas assez simples pour se borner à ce seul mélange qui prive le lait de saveur. C'est aussi pour lui rendre celle-ci, qu'ils lui font subir les falsifications suivantes, qui augmentent précisément sa densité et mettent le galactomètre en défaut.

3°. Falsification avec la cassonade. —- Les laitières ajoutent donc au lait coupé avec l'eau, une certaine quantité de cassonade; et c'est pour faciliter la dissolution de cette substance qu'elles remuent si souvent leurs vases. On s'aperçoit de cette fraude, par le dépôt que fait la cassonade au fond du vase.
(…)

4°. Falsification avec l'eau dans laquelle a été délayée de la farine. — Elle se reconnaît en versant dans le liquide quelques gouttes de teinture alcoolique d'iode. Le mélange devient d'un bleu gris.
(…)

5°. Falsification par l'émulsion d'amandes douces ou de graines de chenevis, a laquelle on ajoute une petite quantité de cassonade.—M. Barruel prétend que, par cette fraude, on peut, sans qu'il en coûte plus d'un franc, colorer en blanc de lait trente pintes d'eau.
(…)

6°. Falsification par le sous-carbonate de potasse ou de soude, pour empêcher, pendant les chaleurs de l'été, le lait de se cailler ; pour saturer l'acide acétique, au fur et à mesure qu'il se forme dans le lait ; s'opposer à la combinaison de cet acide avec la matière caséeuse. — On doit supposer cette falsification chez les laitières qui se donnent la réputation de vendre du lait qui ne tourne pas.(...)
7°. Falsification du lait avec l'oxyde de zinc. —Elle n'est plus usitée sans doute, puisque, bien qu'elle ait été indiquée dans la Médecine légale de M Orfila, MM. Barruel et Devergie n'ont pas cru devoir la mentionner. Elle a pour but d'épaissir le lait ; elle peut avoir des effets funestes.
(…)

Falsifications du beurre. — Lorsque de la «fécule de pommes de terre a été incorporée au beurre, la fraude se reconnaît de deux manières. Premier moyen : On triture le beurre dans un mortier, avec une petite quantité d'iode ; le mélange devient bleu s'il y a de la fécule, jaune orangé s'il n'en contient pas.
(…)
Lorsque le beurre a été falsifié par de la craie ou autres matières analogues, il craque sous les dents. Si on le fait bouillir avec dix parties d'eau, les matières terreuses se déposent au fond du vase.

Falsification du fromage. — Celle qui résulte de la farine ou de la fécule de pommes de terre se découvre par l'iode, comme celle du beurre.

Nouveaux éléments d'hygiène / Charles Londe,1838



 

Tête de vache. Entrée du Passage Delanos, où se tenait une vacherie. 148, rue du Faubourg-Saint-Denis, Xe ardt.




MENUS PROPOS

Malgré l'annexion les arrondissements excentriques de Paris ont conservé de nombreuses vacheries qui sont renommées pour l'excellence et l'abondance du lait qu'elles débitent ; aussi les gens qui veulent du lait pur et frais, et non pas le liquide blanchâtre échauffé et frelaté que les départements nous expédient par les chemins de fer, ont-ils soin de se fournir, non pas dans une laiterie, mais dans une vacherie de Passy, Vaugirard, La Chapelle, etc. Or voici ce qui nous est arrivé il y a quelques jours : nous passions dans le 16e arrondissement, quartier des Bassins, s'il faut être exact, devant une vacherie renommée nous remarquions à la porte, outre trois vaches superbes peintes sur un des battants, une réunion de femmes et d'enfants tous très animés et parlant à la fois. Curieux comme tout Parisien pur sang, nous nous sommes informé des causes de l'émeute qui troublait ce séjour bucolique, et on nous dit que la vachère refusait du lait à toutes ses pratiques ; même les plus anciennes que, pressée de questions, une grosse maritorne qui la remplaçait (car elle avait fui devant la sédition) tentait d'excuser sa maîtresse en invectivant les gens du chemin de fer de l'Ouest (Normandie-Bretagne), qui étaient de quatre heures en retard ; et en promettant que Madame leur ferait un procès. D'éclaircissement en éclaircissement, on avait fini par comprendre que les seules vaches de l'établissement étaient celles peintes sur la porte, que dans Paris, de laiterie à vacherie, il n'y avait de différence que l'enseigne, et que la province, comme une vaste mamelle, allaitait seule la capitale.

Le Petit Journal, 8 mars1863



 


Emplacement d'une vacherie. 139, avenue Jean Jaurès, XIXe ardt.



Le lait est l'objet d'une surveillance toujours active. On a répandu bien des fables sur la façon dont les crémiers sophistiquaient leur marchandise ; on a parlé de plâtre, de cervelles de chevaux et de je ne sais quels autres mélanges dignes de la marmite des sorcières de Macbeth; tout cela est singulièrement exagéré. En pareille matière, la calomnie dépasse le but, la vérité suffit. Le lait est allongé d'eau dans des proportions considérables après qu'on l'a préalablement écrémé et mêlé à du bicarbonate de soude, pour l'empêcher de tourner. Ainsi préparé, il n'offre aucun danger au consommateur, mais il perd une bonne partie de ses qualités nutritives, ce qui ne peut que porter préjudice aux enfants et aux vieillards, dont le lait est l'aliment par excellence. Le lait vendu à Paris contient en moyenne 18 pour 100 d'eau ; le lait tout préparé, j'allais dire tout baptisé, est expédié par les producteurs aux crémiers détaillants qui ne se font pas faute de le mouiller de nouveau. Non-seulement les débitants sont surveillés, mais dans les gares mêmes des chemins de fer, à l'arrivée des trains qui apportent le lait à Paris, les inspecteurs vont examiner les boîtes et s'assurer de ce qu'elles contiennent. Les contraventions ne sont pas rares, car les gens de campagne excellent aujourd'hui à ce genre de commerce dont le puits leur fournit l'élément principal. Ce ne sont pas seulement les petits cultivateurs, les pauvres fermiers qui allongent le lait, ce sont aussi les gros propriétaires, qui ne reculent pas devant une fraude coupable pour augmenter leurs bénéfices. Il y a peu d'années, un personnage fort important par sa situation politique est intervenu pour affaiblir les conséquences auxquelles un de ses parents s'était exposé par des altérations semblables et réitérées. On peut regretter qu'on ait fait remise au coupable de la peine de l'emprisonnement et de l'amende de 20,000 francs qui l'avaient frappé, car, surtout en pareil cas, plus l'exemple atteint haut, plus il est salutaire.

Paris, ses organes, ses fonctions, T. 2./ Maxime du Camp, 1875


 


Décoration d'une crèmerie, dépôt de lait de la ferme "Domaine de Faronville". Les pots sont scellés. Céramique Ebel et Cazet, fin du 19e siècle. 13, rue Rougemont, IXe ardt.



Quand on a fait toutes ces réflexions avec le Dr Ollivier, on ne peut s'empêcher d'avoir le cœur serré en trouvant sur son chemin une affiche blanche placardée à la porte d'un crémier, mentionnant sa condamnation à quelques francs d'amende pour le rachat de tous les infanticides qu'il peut avoir sur la conscience.

Après avoir lu de telles affiches, beaucoup de mères se mettent en quête d'un nourrisseur pour avoir un lait pur et sain. Certaines, rendues défiantes, se rendent elles-mêmes à la vacherie sans jamais surprendre ce petit tour de passe qui consiste, pour le nourrisseur, à traire sous les yeux du client dans un vase d'étroite encolure, lesté préalablement avec une convenable quantité d'eau.



 

Enseigne d'un nourrisseur. 1, impasse Franchemont, XIe ardt.


On compte aujourd'hui dans Paris en chiffres ronds 500 vacheries, formant-un troupeau de près 7,000 vaches. Sur ce nombre 100 vacheries avaient moins de 10 vaches en 1887, 300 autres possédaient de 10 à 20 vaches, 100 enfin dépassaient ce chiffre de 20 ; dans le total, il y en avait 3 ayant 40, 51 et 57 vaches, sans parler du Jardin d'Acclimatation qui en élève plus de 80.

La stabulation des vaches à Paris a lieu le plus souvent dans de mauvaises, conditions. Une fois entrées dans leurs étables, elle n'en sortent que pour aller à l'abattoir, restant attachées au même râtelier pendant un an, 18 mois même, sans être jamais mises, non pas au pâturage, mais à l'air dans une cour.

Pendant la belle saison, les nourrisseurs cultivent des terrains aux environs de Paris et ils donnent des aliments verts à leurs vaches, mais durant l'hiver, ils les nourrissent de betteraves et de drèche, ce résidu des brasseries composé de seigle, de maïs et d'orge malice. Il faut que la vache donne beaucoup de lait ; voilà l'essentiel ; au reste, peu importe qu'elle ait une pneumonie, qu'elle soit phtisique ou aphteuse.

L'enfant à Paris :Paris Vivant / A. Coffignon,1889



 

Décoration d'une crèmerie. Céramique Ebel et Cazet, fin du XIXe siècle. 147, rue Saint-Martin, Ier ardt.



Décoration d'une crèmerie, dépôt de lait de la ferme "Domaine de Faronville".
Céramique Ebel et Cazet, fin du 19e siècle. 13, rue Rougemont, IXe ardt.




LE BON LAIT

C'est une justice à rendre au Conseil municipal de Paris qu'il n'a pas perdu son temps lorsqu'il a abordé la grosse question de l'alimentation par le lait. Elle est vitale pour Paris comme pour la France entière, où l'usage du lait a pris une extension inouïe depuis dix ans. Les mères nourrices diminuent dans des proportions considérables un peu partout, mais principalement dans les grandes villes et dans les agglomérations industrielles. Raison de plus pour veiller à ce que le lait soit pur ou tout au moins stérilisé, car il a sur l'enfant une influence capitale, il le fait vivre, il l'étiole ou il le tue. Au surplus, suivant qu'il est sain ou nocif, il exerce une action salutaire ou pernicieuse sur tous les âges, sur l'adulte comme sur le vieillard, principalement dans les milieux peu fortunés, où l'anémie exerce ses ravages, décimant à la fois les intelligences et les corps. Ces réalités sont aujourd'hui acquises à la science, elles ne sont plus à démontrer.

Les Parisiens ne consomment pas moins de 200 millions de litres de lait par an. On estime à 28 millions de francs le produit qui en résulte pour l'agriculture, et à 26 millions et demi le bénéfice des intermédiaires dans le transport et le débit. La dépense eu lait de Paris est donc de 54 millions et demi de francs. Le prix du litre varie entre 20 centimes et 1 franc. Passe encore si on lui laissait toute la crème qu'il contient ! Mais la crème est vendue à part.

Tout ce lait provient de vaches entretenues dans Paris même qui ont donné 21,535,000 litres en 1895 par les vacheries de la banlieue qui en ont fourni 53,228,000 litres et par les vacheries plus éloignées qui en ont expédié 135,111,000 litres. On ne peut faire appel qu'à des étables situées dans un rayon assez rapproché parce que le lait, pour être livré frais, ne doit pas supporter un long voyage si on veut éviter qu'il s'échauffe en wagon et que le beurre ballotté se change en grumeaux. On demande aux chemins de fer d'abaisser leurs tarifs pour empêcher les tentations de fraude et favoriser l'approvisionnement urbain.



 

Tête de vache. Entrée d'une ancienne vacherie. 15, rue de la Présentation, XIe ardt.


(…)

Cette enquête a été poussée si loin. avec un scrupule si méticuleux, que chaque arrondissement a été étudié dans le lait qu'il boit. On a pu s'assurer que l'Assistance publique, grâce aux prix qu'elle y met et à la surveillance qu'elle exerce, est pourvue de bon lait. Il en est de même des riches qui ne regardent pas à cette dépense essentielle. Mais que vaut le lait qui alimente la masse des consommateurs?

La Commission a pu se convaincre qu'il laissait fort à désirer dans les vingt arrondissements de Paris. Dans six seulement, le lait contenait plus de 30 grammes de beurre. Dans quatorze autres, il y avait moins de grammes, et cette dose tombait jusqu'à 19, 17 et même 15 grammes. Tous ces laits avaient été écrémés. Dans celui qui l'avait été le moins, on avait enlevé 10 0/0 de matières grasses le maximum de l'écrémage avait été de 59 0/0 de la crème, beaucoup plus de la moitié. Certains avaient été naturellement additionnés d'eau. Je ne fais que reproduire, sans y rien changer, les constatations officielles. Elles sont peu édifiantes, mais fort instructives.

Une expérience faite après la présentation d'enfants pales et malingres à une consultation gratuite a permis d'établir que le lait le moins mauvais qui leur était distribué ne renfermait pas 27 grammes de beurre et que le pire n'en recelait pas 15. Aussi les enfants dépérissants étaient-ils condamnés à trépasser, bien que le lait dont ils étaient nourris eût coûté 20, 25 et même 30 centimes le litre. Ici, je laisse la parole au rapporteur général de l'Hôtel de Ville.

« On est effrayé quand on pense aux résultats déplorables que peut fournir de semblable lait pour l'alimentation des enfants et pour celle des malades. Avec du lait ne contenant que 19, 17, 16 et 15 grammes de beurre, les enfants, pour absorber la même quantité de matières grasses que si le lait avait été pur, seraient obligée de boire deux fois et même trois fois plus de liquide, ce qui offre de graves inconvénients, ce qui leur fait courir de grands dangers. Et certaines mères, pensant avoir acheté du bon lait, croient devoir encore le couper d'eau ! »



 

Lait pasteurisé, décor champêtre. Décoration extérieure d'une crèmerie. 1er quart du XXe siècle. 2, rue Royer-Collard, Ve ardt.



Nous connaissons le mal, son étendue, sa gravité. Voyons-en maintenant les origines. La première est la vache elle-même. Elle peut être atteinte d'une affection contagieuse, de tuberculose, de fièvre aphteuse, etc. Il y a aussi la traite, les doigts qui la font, l'eau qui sert au lavage des vases, et aussi l'eau ajoutée par la fraude. Autant de causes de production et de transmission de microbes, de millions d’ « infiniment petits » qui pénètrent dans le tube digestif, se multiplient avec une rapidité effrayante et peuvent engendrer des affections chroniques comme la pulmonie, des diarrhées infectieuses, le choléra infantile et toutes sortes d'accidents graves, surtout pendant tes chaleurs de l'été.

(...)

Pour ta stérilisation, qui semble plus que jamais s'imposer au lendemain de cette enquête approfondie, il faut rejeter tous les ingrédients chimiques. On peut refroidir le lait ou le pasteuriser pour le conserver, mais le mieux est encore de le faire bouillir ou de le chauffer en flacons clos à 100 degrés pendant trois quarts d'heure. La Commission voudrait qu'on affichât dans chaque école cet avertissement: « Ne buvez pas de lait sans l'avoir fait bouillir. » Elle veut aussi qu'on distribue gratuitement du lait stérilisé aux mères nécessiteuses. Elle convie tous les médecins de Paris et des départements à collaborer à cette œuvre de l'alimentation hygiénique par le lait, qui est une œuvre d'honnêteté et d'humanité.

Valensol

Le Petit Journal, 4 septembre1897



Monument à Pasteur. Alexandre Falguière, env. 1900. Place de Breteuil, VIIe ardt.





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