Décoration au dessus de la porte d'entrée du 117 rue d'Avron, XXe ardt. Elle a certainement été inspirée par la voie ferrée de petite ceinture passant à proximité. XIXe siècle. |
Où la rencontre d'une pimpante locomotive XIXe siècle accompagnée d'un visage mystérieux, le tout d'une fraicheur naïve, nous amène à découvrir un usage inédit de la célèbre Petite Ceinture, la promenade du prisonnier.
PROMENADE AU CHEMIN DE CEINTURE
Comme des écureuils condamnés à arpenter les barreaux de leur cage, nous étions réduits, quand la soif du grand air et des champs nous jetait dans les tentations d'un simulacre de voyage, à faire le tour des fortifications par le chemin de ceinture. Perchés sur l'impériale d'un wagon, les touristes captifs entrevoyaient là, par deux on trois échappées, les collines vertes où la Prusse faisait fumer ses bivouacs et nos villas. Les premiers plans étaient hérissés dé défenses gardées par des sentinelles, improvisées par nos architectes incorporés dans le génie, et qui, même dans ces austères travaux, laissaient involontairement transpercer la grâce ingénieuse de l'art français : les casemates, les baraquements nombreux imaginés par Viollet-Leduc et ses confrères, faisaient penser au siècle où un Michel-Ange dirigeait les fortifications de Florence.
De la terre excavée des remparts sortaient des soldats troglodytes errant autour des cantines improvisées dans des cabanes ; des canons, çà et là, contemplaient sur leurs affûts la plaine menacée. Triste spectacle, que de regarder, sous le ciel de Paris, la terre étrangère à l'horizon de nos banlieues ! Du côté de la ville et dans les villages de la zone, on planait sur des logis abandonnés, sur des rues désertes, sur des maisons de plaisance envahies, démeublées, crénelées, aux fenêtres sans vitres où pendaient des défroques de soldats ; l’œil, au loin, n'évaluait que des ruines, il ne voyait que les moyens de les accroitre ; le génie de la destruction avait tout écrasé de sa terrible estampille.
A chaque station montaient ou descendaient quelques voyageurs : ils examinaient sans rien dire et finissaient par engager la conversation avec les voisins, pour échapper peut-être au sentiment de solitude et de mort qui pesait sur les campagnes. Je remarquai que le personnel changeait de physionomie et d'opinions selon les quartiers. Aux approches de Belleville, les gardes nationaux, fort nombreux sur tout le parcours, affichaient les violences communistes en étudiant sur les visages suspects l'effet de leurs discours. « Bordeaux, Toulouse, Marseille, disaient-ils, ont écrasé la réaction ; cela fait honte à notre lâcheté ! -A Lyon, dit un autre tu sais ce qu'ils ont fait ? Ils ont guillotiné l'ancien préfet, ce scélérat de Sencier ! »
Quand on apprend avec cette brusquerie qu'un ancien ami a eu un pareil sort, on ne s'avise pas tout d'abord que la nouvelle est probablement fausse. Il parait que je ne sus pas composer mon visage car un de ces hommes, en me toisant d'un air sinistre ajouta « Tant que nous n'en ferons pas autant ici à toute la clique, nous ne tiendrons rien ! »
( … / … )
Au delà des buttes Chaumont, de leur lac desséché, de leurs jardins déserts, on parcourt bientôt, entre deux talus assez hauts, des masures juchées sur des jardinets en terrasses, qui représentent la villégiature urbaine dans sa plus indigente parodie. Des monceaux d'ordure où grouillaient des chiens et des enfants en guenilles, rendent étrange ce tableau de misère égayé de pampres et de fleurs. Plus loin s'étend en perspective la large avenue de Vincennes, coupée de barricades ; vraies redoutes que contournent les charrois pour entrer ou sortir. Entre les remparts et le coteau de Bicètre se continuent des potagers en pleine culture, et le regard, en gravissant la colline, voit se succéder des groupes de maisons abandonnées, ainsi que des ruines toutes neuves où il ne reste que les murs.
Loin de se distraire à ces aspects, la pensée s'en détourne ; pour les dépeindre en détail, le courage manquerait : aussi, quand les tunnels et les encaissements surviennent, vers Montrouge et Vaugirard, on sent quelque allégeance à ne plus rien voir et à se replier en soi-même.
Il suit de là que les plus beaux sites sont les plus poignants. Meudon, Sèvres, Bellevue ; le parc mutilé de Saint-Cloud, le dessin de ses cascades, les murs informes et noircis de son château, l'entrée reconnue du vallon de Ville-d'Avray, et des bois de Verrières où la horde du Nord a fustigé tant de souvenirs, ne représentent plus que des regrets. En traversant la Seine sur le viaduc du Point-du-Jour, vous reconnaissez à peine sur votre droite, à travers les encombrements de la rivière et les ouvrages défensifs qui en ont enlaidi les rives, le théâtre de nos splendeurs dernières : les fêtes de l'exposition universelle. Auteuil déserté ménage une scène de désolation sur les tronçons du bois de Boulogne, où chaque arbre semble remplacé par un cippe funèbre. Rien n'empêche plus de contempler les débris des villas où le bonheur se cachait naguère dans la feuillée, chanté par la fauvette et les rossignols qui, cet hiver fini, - reverra-t-on un printemps ? - ne retrouveront pas, eux non plus, leur asile des beaux jours. Le bruit de la cognée et le canon retentissaient sur toute cette nature frappée de mort.
A mesure que le train marchait, les voyageurs se renouvelaient et les opinions aussi, ce qu'on n'appréciait qu'en les écoutant parler, car toutes les classes étaient confondues sous la tunique du garde national. Aux stations du faubourg Saint-Germain, il survint des professeurs qui s'entretinrent de la réouverture de l'École des chartes le 15 novembre, de la rentrée de l'École de droit fixée au 28 et de la prochaine admission du public à la bibliothèque du Louvre.
Aux abords de Passy, la vie de la cité se rallume, par des hôtels réquisitionnés, d'abord, puis par le mélange de la population native aux pauvres garnisaires installés plus richement. Je vis monter auprès de moi un savant, jeune encore et très-distingué, dont j'eus quelque peine à reconnaître les traits amaigris sous les touffes de barbe que, comme nombre de gens depuis le siège, il avait laissé pousser. Je l'avais laissé six semaines auparavant plein d'ardeur, furieux de l'envahissement. de sa patrie, la Lorraine, et bouillant d'entrain pour la reconquérir. I1 m'offrait à cette heure le plus saisissant exemple du découragement que j'ai signalé plus haut. Se consumant seul, dans un veuvage forcé, il ignorait ce qu'étaient devenues sa femme, sa fille, qu'il avait contraintes de s'éloigner et dont il n'avait reçu aucune nouvelle. « Elles n'avaient guère d'argent, disait-il; le froid est venu; les vêtements d'hiver sont restés ici : que vont-elles devenir ! »
( …/... )
Rentré Paris, je trouvai la ville plus sombre : c'était -la prison. Cette promenade désolante m'avait montré des arbres, des horizons, et le fantôme de la liberté s'envolant par delà sous la forme des nuages. Je songeai à me réchauffer le cœur au foyer de quelque ami ; mais entre chaque nom évoqué et mes dispositions présentes, j'entrevoyais je ne sais, quels obstacles. Depuis nombre de jours, chacun appréhendait de décourager les uns, ou d'avoir à se heurter contre les irritantes illusions des autres; ces discordances intimes, maintenant qu'on ne les prenait plus à la légère, tendaient à rendre la plupart des familles recluses et taciturnes.
Comme je me sentais sans force pour le travail, pour la lecture même, je me mis à errer dans les rues tandis que la soirée grisonnait, cherchant celles qui ne me rappelaient aucun absent regretté, aucune intimité heureuse qui peut-être ne renaîtra pas. L'ensemble de Paris, dans ses brumes d'où surgissaient des campaniles, des coupoles dorées par le soleil, tableau qui risque d'être brûlé demain, restait gravé dans ma mémoire.
A l'angle d'une rue au-dessous de Montmartre, où ne passait personne, je vis s'avancer au-devant de moi deux aveugles qui chantaient à tue-tête, se tenant enlacés et conduits par un guide qui faisait pleurer un accordéon. Leurs voix, s'accompagnant à la tierce, étaient justes ; le moins grand des deux, qui portait sur son cou le bras de l'autre, élevait au ciel de grands yeux blancs comme ceux des statues. Leur complainte, d'un à-propos sinistre, je ne l'avais pas entendue depuis les premiers jours de la Restauration c'était la Chanson de Waterloo. Quelque temps je suivis ces homérides, qui s'éloignaient en reprenant le refrain de notre avant-dernier malheur :
« 0 mont Saint-Jean ! nouvelles Thermopyles... »
Chronique du siège de Paris, 1870–1871,Francis Wey, 1871, Hachette.
Pour tout savoir sur la Petite Ceinture ferroviaire de Paris, grâce à l'excellent site de l'ASPCRF, dont la photo ci dessus est extraite.
Le site de Bruno Bretelle : Transports Ferroviaires en Région Parisienne au début du XXe siècle.
Une station de la petite ceinture rue d'Avron sur Paris-bise-art.
Comme des écureuils condamnés à arpenter les barreaux de leur cage, nous étions réduits, quand la soif du grand air et des champs nous jetait dans les tentations d'un simulacre de voyage, à faire le tour des fortifications par le chemin de ceinture. Perchés sur l'impériale d'un wagon, les touristes captifs entrevoyaient là, par deux on trois échappées, les collines vertes où la Prusse faisait fumer ses bivouacs et nos villas. Les premiers plans étaient hérissés dé défenses gardées par des sentinelles, improvisées par nos architectes incorporés dans le génie, et qui, même dans ces austères travaux, laissaient involontairement transpercer la grâce ingénieuse de l'art français : les casemates, les baraquements nombreux imaginés par Viollet-Leduc et ses confrères, faisaient penser au siècle où un Michel-Ange dirigeait les fortifications de Florence.
De la terre excavée des remparts sortaient des soldats troglodytes errant autour des cantines improvisées dans des cabanes ; des canons, çà et là, contemplaient sur leurs affûts la plaine menacée. Triste spectacle, que de regarder, sous le ciel de Paris, la terre étrangère à l'horizon de nos banlieues ! Du côté de la ville et dans les villages de la zone, on planait sur des logis abandonnés, sur des rues désertes, sur des maisons de plaisance envahies, démeublées, crénelées, aux fenêtres sans vitres où pendaient des défroques de soldats ; l’œil, au loin, n'évaluait que des ruines, il ne voyait que les moyens de les accroitre ; le génie de la destruction avait tout écrasé de sa terrible estampille.
A chaque station montaient ou descendaient quelques voyageurs : ils examinaient sans rien dire et finissaient par engager la conversation avec les voisins, pour échapper peut-être au sentiment de solitude et de mort qui pesait sur les campagnes. Je remarquai que le personnel changeait de physionomie et d'opinions selon les quartiers. Aux approches de Belleville, les gardes nationaux, fort nombreux sur tout le parcours, affichaient les violences communistes en étudiant sur les visages suspects l'effet de leurs discours. « Bordeaux, Toulouse, Marseille, disaient-ils, ont écrasé la réaction ; cela fait honte à notre lâcheté ! -A Lyon, dit un autre tu sais ce qu'ils ont fait ? Ils ont guillotiné l'ancien préfet, ce scélérat de Sencier ! »
Quand on apprend avec cette brusquerie qu'un ancien ami a eu un pareil sort, on ne s'avise pas tout d'abord que la nouvelle est probablement fausse. Il parait que je ne sus pas composer mon visage car un de ces hommes, en me toisant d'un air sinistre ajouta « Tant que nous n'en ferons pas autant ici à toute la clique, nous ne tiendrons rien ! »
( … / … )
Au delà des buttes Chaumont, de leur lac desséché, de leurs jardins déserts, on parcourt bientôt, entre deux talus assez hauts, des masures juchées sur des jardinets en terrasses, qui représentent la villégiature urbaine dans sa plus indigente parodie. Des monceaux d'ordure où grouillaient des chiens et des enfants en guenilles, rendent étrange ce tableau de misère égayé de pampres et de fleurs. Plus loin s'étend en perspective la large avenue de Vincennes, coupée de barricades ; vraies redoutes que contournent les charrois pour entrer ou sortir. Entre les remparts et le coteau de Bicètre se continuent des potagers en pleine culture, et le regard, en gravissant la colline, voit se succéder des groupes de maisons abandonnées, ainsi que des ruines toutes neuves où il ne reste que les murs.
La gare de Montrouge avenue du Général Leclerc, XIVe ardt, en janvier 2012. Il y a une réhabilitation de cette gare de la petite ceinture en cours, au sein d'un projet immobilier. |
Loin de se distraire à ces aspects, la pensée s'en détourne ; pour les dépeindre en détail, le courage manquerait : aussi, quand les tunnels et les encaissements surviennent, vers Montrouge et Vaugirard, on sent quelque allégeance à ne plus rien voir et à se replier en soi-même.
Le château de Saint Cloud en flammes, lithographie de 1874, Source Wikimedia Commons. |
Il suit de là que les plus beaux sites sont les plus poignants. Meudon, Sèvres, Bellevue ; le parc mutilé de Saint-Cloud, le dessin de ses cascades, les murs informes et noircis de son château, l'entrée reconnue du vallon de Ville-d'Avray, et des bois de Verrières où la horde du Nord a fustigé tant de souvenirs, ne représentent plus que des regrets. En traversant la Seine sur le viaduc du Point-du-Jour, vous reconnaissez à peine sur votre droite, à travers les encombrements de la rivière et les ouvrages défensifs qui en ont enlaidi les rives, le théâtre de nos splendeurs dernières : les fêtes de l'exposition universelle. Auteuil déserté ménage une scène de désolation sur les tronçons du bois de Boulogne, où chaque arbre semble remplacé par un cippe funèbre. Rien n'empêche plus de contempler les débris des villas où le bonheur se cachait naguère dans la feuillée, chanté par la fauvette et les rossignols qui, cet hiver fini, - reverra-t-on un printemps ? - ne retrouveront pas, eux non plus, leur asile des beaux jours. Le bruit de la cognée et le canon retentissaient sur toute cette nature frappée de mort.
A mesure que le train marchait, les voyageurs se renouvelaient et les opinions aussi, ce qu'on n'appréciait qu'en les écoutant parler, car toutes les classes étaient confondues sous la tunique du garde national. Aux stations du faubourg Saint-Germain, il survint des professeurs qui s'entretinrent de la réouverture de l'École des chartes le 15 novembre, de la rentrée de l'École de droit fixée au 28 et de la prochaine admission du public à la bibliothèque du Louvre.
Aux abords de Passy, la vie de la cité se rallume, par des hôtels réquisitionnés, d'abord, puis par le mélange de la population native aux pauvres garnisaires installés plus richement. Je vis monter auprès de moi un savant, jeune encore et très-distingué, dont j'eus quelque peine à reconnaître les traits amaigris sous les touffes de barbe que, comme nombre de gens depuis le siège, il avait laissé pousser. Je l'avais laissé six semaines auparavant plein d'ardeur, furieux de l'envahissement. de sa patrie, la Lorraine, et bouillant d'entrain pour la reconquérir. I1 m'offrait à cette heure le plus saisissant exemple du découragement que j'ai signalé plus haut. Se consumant seul, dans un veuvage forcé, il ignorait ce qu'étaient devenues sa femme, sa fille, qu'il avait contraintes de s'éloigner et dont il n'avait reçu aucune nouvelle. « Elles n'avaient guère d'argent, disait-il; le froid est venu; les vêtements d'hiver sont restés ici : que vont-elles devenir ! »
( …/... )
Rentré Paris, je trouvai la ville plus sombre : c'était -la prison. Cette promenade désolante m'avait montré des arbres, des horizons, et le fantôme de la liberté s'envolant par delà sous la forme des nuages. Je songeai à me réchauffer le cœur au foyer de quelque ami ; mais entre chaque nom évoqué et mes dispositions présentes, j'entrevoyais je ne sais, quels obstacles. Depuis nombre de jours, chacun appréhendait de décourager les uns, ou d'avoir à se heurter contre les irritantes illusions des autres; ces discordances intimes, maintenant qu'on ne les prenait plus à la légère, tendaient à rendre la plupart des familles recluses et taciturnes.
Comme je me sentais sans force pour le travail, pour la lecture même, je me mis à errer dans les rues tandis que la soirée grisonnait, cherchant celles qui ne me rappelaient aucun absent regretté, aucune intimité heureuse qui peut-être ne renaîtra pas. L'ensemble de Paris, dans ses brumes d'où surgissaient des campaniles, des coupoles dorées par le soleil, tableau qui risque d'être brûlé demain, restait gravé dans ma mémoire.
A l'angle d'une rue au-dessous de Montmartre, où ne passait personne, je vis s'avancer au-devant de moi deux aveugles qui chantaient à tue-tête, se tenant enlacés et conduits par un guide qui faisait pleurer un accordéon. Leurs voix, s'accompagnant à la tierce, étaient justes ; le moins grand des deux, qui portait sur son cou le bras de l'autre, élevait au ciel de grands yeux blancs comme ceux des statues. Leur complainte, d'un à-propos sinistre, je ne l'avais pas entendue depuis les premiers jours de la Restauration c'était la Chanson de Waterloo. Quelque temps je suivis ces homérides, qui s'éloignaient en reprenant le refrain de notre avant-dernier malheur :
« 0 mont Saint-Jean ! nouvelles Thermopyles... »
Chronique du siège de Paris, 1870–1871,Francis Wey, 1871, Hachette.
Tableaux de Siège :
Paris, 1870-1871 , par Théophile Gautier, texte suggéré par
Bruno Bretelle :
LE CHEMIN DE FER DE CEINTURE
Octobre 1870,
La station de la Maison-Blanche est au niveau de la route d'Italie, et l'on descend au chemin de fer, qui se trouve au fond d'une tranchée, par des escaliers couverts d'un toit en tôle que soutiennent des colonnettes de fonte. Nous avions pris des billets d'impériale pour jouir d'une perspective plus vaste, et cette idée était venue à beaucoup d'autres, car les wagons ne renfermaient que de rares voyageurs. Sur les banquettes aériennes, il y avait des mobiles, des gardes nationaux, des bourgeois, des flâneurs, des enfants et même des femmes que n'avait pas effrayées l'ascension ; la curiosité rend les filles d'Eve intrépides : où ne les ferait pas grimper l'espérance de voir quelque chose ?
Toute cette portion du chemin de ceinture est construite avec le soin le plus parfait. Les murs qui soutiennent les terres sont bâtis à la façon des murs cyclopéens, en pierre ajustées d'après le hasard de leurs angles, et cette irrégularité contrastant avec la symétrie des pierres de taille qui encadrent ces pans de mosaïque produit sur l'œil une impression agréable. Les escaliers, les rampes de descente, les pavillons des embarcadères présentent des lignes simples, mais non sans élégance. L'art n'est pas si inconciliable qu'on le croit avec l'industrie.
Sur beaucoup de points de son parcours, le chemin de ceinture est assez profondément encaissé et forme en dedans de la ville un fossé qui pourrait arrêter l'ennemi, si jamais il devait pénétrer jusque-là. C'est l'ébauche d'une troisième ligne de défense qu'il s'agit de compléter, et l'on y travaille activement. De notre impériale nous voyions au-dessus de la tranchée du chemin de fer rouler les brouettes, se baisser et se relever les pelles, aller et venir les hommes en bras de chemise et s'exhausser des épaulements de plusieurs mètres d'épaisseur. Le précepte du général Totleben « remuer de la terre » est mis en pratique avec un zèle qui charmerait l'illustre défenseur de Sébastopol.
Du côté extérieur, au delà du rempart, on apercevait, dans une brume de poussière lumineuse, la silhouette du château de Bicêtre et le profil sévère du fort, qui tirait en ce moment et se couronnait de longs jets de fumée roussâtre traversée par le soleil. En jetant les yeux vers la ville, on découvrait les maigres peupliers qui indiquent le cours de la Bièvre, des terrains vagues, des enclos de planches, des pans, de murs lépreux, des hangars de tannerie, des linges se balançant sur des cordes, de petits jardins avec quelques fleurs d'automne, dalhias et tournesols, piquant le paysage de point rouges et jaunes, des cultures de maraîchers étalant leurs carrés de choux, leurs plates-bandes de salade, leurs lignes de cloches diamantées par le soleil et leurs vitres de couches, lançant des éclairs subits.
Plus loin miroitaient les flaques d'eau de la Glacière, fréquentées autrefois des patineurs, dans un temps où le bois de Boulogne n'avait pas de lac. À l'horizon, le Val-de-Grâce arrondissait sa coupole un peu engoncée et bossue, comme tous les édifices de style Louis XIII, et le Panthéon, plus élégant, plus hardi, élevait son dôme posé sur un diadème de colonnes. Au sommet d'une butte ou plutôt d'un renflement de terrain se dessinait, d'une façon assez pittoresque, une carcasse de moulin aux ailes brisées. Cela eût donné à Hoguet, le peintre des moulins à vent, des pierres de taille et des arbres coupés, le motif d'une jolie aquarelle .
Par moment, l'obscurité brusque d'un tunnel que nécessitait le
passage d'une voie supérieure ou de trop fortes différences de
niveau éteignait le paysage, comme un
décor de théâtre quand on baisse le
gaz pour faire la nuit, puis la perspective se
rouvrait dans un éblouissement de lumière.
Gentilly est bientôt dépassé, et l'on traverse souterrainement le parc de Montsouris, qui, avant que les limites de la ville fussent reculées jusqu'aux fortifications, se trouvant en pleine banlieue, n'avait pas l'honneur d'être un parc et fournissait à Louis Cabat le sujet d'un de ses plus jolis tableaux, le Cabaret de Montsouris, digne de faire pendant à une toile du même peintre, l'Ancien jardin Beaujon, souvenir d'un site parisien qui n'existe plus et ne se retrouve que dans ce petit cadre. Que d'aspects charmants ont ainsi disparu, depuis notre enfance !
Lire la suite de ce beau texte de Théophile Gautier sur Gallica.
LE CHEMIN DE FER DE CEINTURE
Octobre 1870,
La station de la Maison-Blanche est au niveau de la route d'Italie, et l'on descend au chemin de fer, qui se trouve au fond d'une tranchée, par des escaliers couverts d'un toit en tôle que soutiennent des colonnettes de fonte. Nous avions pris des billets d'impériale pour jouir d'une perspective plus vaste, et cette idée était venue à beaucoup d'autres, car les wagons ne renfermaient que de rares voyageurs. Sur les banquettes aériennes, il y avait des mobiles, des gardes nationaux, des bourgeois, des flâneurs, des enfants et même des femmes que n'avait pas effrayées l'ascension ; la curiosité rend les filles d'Eve intrépides : où ne les ferait pas grimper l'espérance de voir quelque chose ?
Toute cette portion du chemin de ceinture est construite avec le soin le plus parfait. Les murs qui soutiennent les terres sont bâtis à la façon des murs cyclopéens, en pierre ajustées d'après le hasard de leurs angles, et cette irrégularité contrastant avec la symétrie des pierres de taille qui encadrent ces pans de mosaïque produit sur l'œil une impression agréable. Les escaliers, les rampes de descente, les pavillons des embarcadères présentent des lignes simples, mais non sans élégance. L'art n'est pas si inconciliable qu'on le croit avec l'industrie.
Sur beaucoup de points de son parcours, le chemin de ceinture est assez profondément encaissé et forme en dedans de la ville un fossé qui pourrait arrêter l'ennemi, si jamais il devait pénétrer jusque-là. C'est l'ébauche d'une troisième ligne de défense qu'il s'agit de compléter, et l'on y travaille activement. De notre impériale nous voyions au-dessus de la tranchée du chemin de fer rouler les brouettes, se baisser et se relever les pelles, aller et venir les hommes en bras de chemise et s'exhausser des épaulements de plusieurs mètres d'épaisseur. Le précepte du général Totleben « remuer de la terre » est mis en pratique avec un zèle qui charmerait l'illustre défenseur de Sébastopol.
Du côté extérieur, au delà du rempart, on apercevait, dans une brume de poussière lumineuse, la silhouette du château de Bicêtre et le profil sévère du fort, qui tirait en ce moment et se couronnait de longs jets de fumée roussâtre traversée par le soleil. En jetant les yeux vers la ville, on découvrait les maigres peupliers qui indiquent le cours de la Bièvre, des terrains vagues, des enclos de planches, des pans, de murs lépreux, des hangars de tannerie, des linges se balançant sur des cordes, de petits jardins avec quelques fleurs d'automne, dalhias et tournesols, piquant le paysage de point rouges et jaunes, des cultures de maraîchers étalant leurs carrés de choux, leurs plates-bandes de salade, leurs lignes de cloches diamantées par le soleil et leurs vitres de couches, lançant des éclairs subits.
Plus loin miroitaient les flaques d'eau de la Glacière, fréquentées autrefois des patineurs, dans un temps où le bois de Boulogne n'avait pas de lac. À l'horizon, le Val-de-Grâce arrondissait sa coupole un peu engoncée et bossue, comme tous les édifices de style Louis XIII, et le Panthéon, plus élégant, plus hardi, élevait son dôme posé sur un diadème de colonnes. Au sommet d'une butte ou plutôt d'un renflement de terrain se dessinait, d'une façon assez pittoresque, une carcasse de moulin aux ailes brisées. Cela eût donné à Hoguet, le peintre des moulins à vent, des pierres de taille et des arbres coupés, le motif d'une jolie aquarelle .
Mégisserie dans le parc Montsouris, Observatoire Santé entre les stations de Sceaux ceinture et la Glacière-Gentilly, dessin de Jules Adolphe Chauvet, 1883, source Gallica. |
Gentilly est bientôt dépassé, et l'on traverse souterrainement le parc de Montsouris, qui, avant que les limites de la ville fussent reculées jusqu'aux fortifications, se trouvant en pleine banlieue, n'avait pas l'honneur d'être un parc et fournissait à Louis Cabat le sujet d'un de ses plus jolis tableaux, le Cabaret de Montsouris, digne de faire pendant à une toile du même peintre, l'Ancien jardin Beaujon, souvenir d'un site parisien qui n'existe plus et ne se retrouve que dans ce petit cadre. Que d'aspects charmants ont ainsi disparu, depuis notre enfance !
Lire la suite de ce beau texte de Théophile Gautier sur Gallica.
Décoration
au dessus de la porte d'entrée du 117 rue d'Avron, XXe ardt. Elle a
certainement été inspirée par la voie ferrée de petite ceinture passant à
proximité. XIXe siècle. |
Pour tout savoir sur la Petite Ceinture ferroviaire de Paris, grâce à l'excellent site de l'ASPCRF, dont la photo ci dessus est extraite.
Le site de Bruno Bretelle : Transports Ferroviaires en Région Parisienne au début du XXe siècle.
Une station de la petite ceinture rue d'Avron sur Paris-bise-art.
Bonjour,
RépondreSupprimerMerci pour cette découverte. Connaissez-vous l'ouvrage "Tableaux de siège " de Théophile Gautier , Il comporte un chapitre intitulé "Le chemin de fer de Ceinture" écrit en octobre 1870, pendant le siège de Paris par les armées prussiennes et leurs alliés :
« Nous avions pris des billets d’impériale pour jouir d’une perspective plus vaste, et cette idée était venue à beaucoup d’autres, car les wagons ne renfermaient que de rares voyageurs. Sur les banquettes aériennes, il y avait des mobiles, des gardes nationaux, des bourgeois, des flâneurs, des enfants et même des femmes que n’avait pas effrayée l’ascension ; la curiosité rend les filles d’Ève intrépides : où ne les ferait pas grimper l’espérance de voir quelque chose ? »
Cet ouvrage est disponible sur le site gallica.bnf.fr de la Bibliothèque Nationale de France.
Bien cordialement,
Bruno Bretelle.
Bonjour Mr Bretelle,
RépondreSupprimerMerci de cette indication. J'avoue que je ne connaissais pas ce livre de Théophile Gautier. Je vais le consulter et envisager de l'ajouter à ce post.
J'ai vu que vous avez créé un site sur les " Transports ferroviaires
en Région Parisienne au début du XXe siècle " qui complète bien mon petit billet. Je vais donc ajouter un lien à mon post pour s'y rendre directement. Pensez-vous que cette petite locomotive du 117 rue d'Avron représente un modèle précis de machine en service sur la Petite ceinture ? Il est possible que ce soit un modèle de fantaisie, librement inspiré des machines en circulation à cette époque.
Merci pour ce commentaire.
Bien cordialement
André Fantelin