vendredi 24 août 2012

L'Institution Savouré



Buste d'homme, livres, Bible, branches d'olivier. La sentence latine : "Scribendi recte, sapere est et principium, et fons" (Horace, Art poétique) était une devise de l'Institution Savouré, située au 25 rue de la Clef et au 95 rue Monge jusque vers 1860. Immeuble construit en 1891, le propriétaire se nommant Savouré. 97, rue Monge, Ve ardt.



Où la décoration inhabituelle d'un immeuble, piquant notre curiosité, nous fait découvrir l'hommage qu'un Savouré, alors directeur des Écoles libres de Charonne, rendait à l'œuvre de ses ancêtres




Rue de la Clef, il y avait naguère une geôle plus bénigne, une célèbre institution qui remontait à 1729, et dont les derniers élèves sont de jeunes contemporains. M. Céard a raconté quelque part ses excursions quotidiennes de la rue de la Clef au lycée Henri IV, le chemin du collège, comme on disait, sous la conduite des maîtres de l'institution Savouré ; le romancier moderniste en avait conservé des impressions très originales.
Il y a dix ans, je n'avais jamais entendu parler de l'Institution Savouré, j'avoue mon ignorance ; mais j'avais été frappé par la façade qui donne sur le jardin. La rue Monge venait de la mettre au jour en éventrant ses terrains, et la surprise en était délicieuse. Un grand catalpa dépassait le mur refait à neuf; derrière la grille on apercevait le toit coiffé de lucarnes vieillottes, une aile à angle droit, un seul étage de fenêtres hautes et larges ; au rez-de-chaussée, les cuisines basses, le vestibule spacieux au vitrage baroque ; sur la façade, des bustes de héros antiques qui se répètent sur un mur latéral treillagé d'élégants compartiments à la mode du siècle dernier.


Le 95 rue Monge en 1917. Noter sur les murs les bustes des bons dieux.

La bonne mine du logis était un singulier attrait à la curiosité : j'avais découvert la pension Savouré comme La Fontaine découvrit Baruch, à cela près que tout le monde la connaissait, une vraie maison historique.
C'est en 1729 qu'elle fut fondée dans la rue Copeau (Lacépède), sous les auspices du grand éducateur Rollin, par J.-B. Savouré, dont la dynastie n'est pas éteinte ; son fils l'installa en 1779 dans l'hôtel actuel qui avait appartenu à Pierre Danès, savant illustre et grand personnage du seizième siècle.
Le grand portail de la rue de la Clef avait été déjà remanié quand y entra J.-B.-Louis Savouré ; car il ne remonte pas au delà du dix-septième siècle, à l'époque de Louis XIII, ainsi que les belles fenêtres à balustres.
La noblesse extérieure des choses n'est pas indifférente : les Savouré l'avaient si bien compris que, dans leur imposante demeure, ils conservèrent longtemps eux-mêmes la tradition de l'habit à la française, manchettes et jabot de dentelles, et donnèrent toujours à leurs élèves l'exemple d'une tenue parfaite.
On ne reconstitue pas aisément, sous l'impression des mœurs actuelles, la physionomie d'une telle institution, où la religion dominait tous les enseignements, religion sincère et intime, avec une élévation morale qui forma d'illustres élèves. Ce n'est pas assurément à une pareille discipline que nous devons les bandits du Panama ; les boîtes, comme on appelle aujourd'hui au quartier des Écoles, les institutions modernes, nous donnent bien l'idée de celle génération nouvelle de potaches sans lettres et sans convictions.
Sur le chapitre des mœurs on ne badinait pas dans la pension Savouré.
En 1796, le général Bonaparte partait pour l'armée d'Italie : il voulut, pendant son absence, assurer l'éducation de son frère Jérôme, âgé de douze ans, et le confia à M. Savouré, fort étonné de celle faveur. Le correspondant du jeune homme était Barras ; il l'abandonnait à ses aides de camp qui n'étaient pas précisément des auxiliaires pour l'instituteur. Après des sorties prolongées en si bonne compagnie, la santé de l'élève déclina rapidement. M. Savouré n'hésita pas à écrire une lettre sage et ferme au tout-puissant Barras, qui se contenta de retirer Jérôme ; et, à son retour, le général en chef de l'armée d'Italie retrouva son frère dans une pension de Saint-Germain-en-Laye (1).
Une autre anecdote qui fait honneur à l'ingénieuse prudence de Mme Savouré elle-même. En 1793, l'institution avait un terrible voisin, Henriot, qui la déclara suspecte. Voyez le prétexte : les bustes de la façade, les statues qui ornent encore le grand escalier, c'étaient des bons dieux. Il n'en fallait plus; peut-être aussi savait-on que la messe se célébrait tous les dimanches dans le réfectoire. L'affaire pourtant s'arrangea, grâce à la promesse d'un repas civique : la table des élèves serait dressée en pleine rue. Civisme et probité n'étant pas toujours synonymes, l'argenterie allait courir de terribles risques ; la bonne ménagère imagina un menu qui supprimerait cuillers et fourchettes : du fromage, des artichauts, que sais-je ? Et l'argenterie fut sauve.
La maison de la rue de la Clef, charmante en sa vétusté, valait bien cette digression. N'est-ce pas une. joie de se retremper dans ces bonnes vieilles mœurs, évanouies ?
(1) Jérôme Bonaparte fonda plus tard une bourse dans l'établissement de la rue de la Clef.

De l'or, de la boue, du sang : du Panama à l'anarchie / Edouard Drumont ; cent dessins de Gaston Coindre,...  Paris, 1896


La façade du 25 rue de la clef, peu avant sa démolition en 1969. (Commission du Vieux Paris)

Scribendi recte, sapere est et principium, et fons.
Rem tibi Socraticæ poterunt ostendere chartæ ;
Verbaque provisam rem non invita sequentur.
Qui didicit patriæ quid debeat, et quid amicis ; (etc)

Horace, Art poétique, vers 309-312

Le bon sens des beaux vers est la source première.
Poêtes, de Socrate apprenez à penser,
Vous parviendrez sans peine à vous bien énoncer.
L'écrivain qui connait les sentiments d'un frère,
Les droits de l'amitié. la tendresse d'un père, etc.

(Traduction de Fénelon)



Les horaires de travail des élèves dans une autre institution, internat lié au Lycée Charlemagne. L'institution Massin, rue des Minimes (IIIe ardt) en 1839.

Ils étaient soumis à une rude discipline, et s’en accommodaient parfaitement, eux et leurs mères. Ils ne se plaignaient pas à cette époque d’être surmenés. A cinq heures du matin, été comme hiver, le tambour les réveillait. Ils sautaient à bas du lit, entraient à la chapelle, de là à l’étude, où ils restaient jusqu’à sept heures et demie. Après ces deux heures de travail, ils avalaient une assiettée de soupe et se rendaient en rang, deux par deux, à Charlemagne. Ils devaient être en classe à huit heures. A dix heures, ils en sortaient, retournaient à l’institution et, sans aucun répit, on les bouclait à nouveau dans une étude qui durait trois heures d’affilée, de dix heures un quart à une heure un quart.
A ce moment, on déjeunait. Enfin !... Vous pensez si ces jeunes estomacs devaient être affamés ! Mais on leur accordait en tout une demi-heure pour le repas et la récréation. Car il fallait être à deux heures précises à Charlemagne. A quatre heures, retour, goûter, et récréation de vingt minutes ; enfin la grande étude, qui durait de quatre heures trois quarts jusqu’à dix heures du soir (pour les grands) avec interruption d’un quart d’heure, à huit heures et demie, pour le souper.
Journal de jeunesse de Francisque Sarcey (1839-1857) / recueilli et annoté par Adolphe Brisson. et suivi d'un choix de chroniques (Fagots, Notes de la semaine, Grains de bon sens) / préface par O. Gréard,...


A l'emplacement de l'Institution, splendide bâtiment de style Pompidou. Env. 1970. 95, rue Monge, Ve ardt.


L'institution Savouré est créée rue Copeau (Lacépède) en 1729. Elle s'installe au 25 rue de la Clef en 1779. Après le percement de la rue Monge, elle ferme et la famille crée une nouvelle école au 81 rue de Ménilmontant vers 1875.
Directeurs :
Jean-Louis Savouré : 1729-1770
Jean-Baptiste-Louis Savouré : 1770-1803
Jean-Louis-Marie Savouré : 1803-1829
Jean-Henri (dit Achille) Savouré : 1829-1866
Alfred Savouré : 1866-1871



Notice historique sur l'Institution Savouré / Louis Lacroix. Paris, 1853



Les anciennes maisons de Paris sous Napoléon III : T. IV / Charles Lefeuve. Bruxelles, 1858-1864


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