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23, Boulevard Bonne Nouvelle, IIe ardt. Symbole du travail et de l'industrie la ruche figure fréquemment sur les façades du XIXe siècle. |
Où l'abeille, symbole du labeur et de l'industrie, se révèle immorale et chapardeuse
Les ruches d'abeilles et les raffineries de sucre.
Qui se serait jamais douté qu'une aussi grande, aussi riche industrie que celle du raffinage du sucre aurait à porter plainte contre un être aussi petit, aussi infime que l'abeille ? C'est pourtant ce qui est arrivé. M. Constant Say, le grand raffineur parisien, MM. Prévost et Jeanti, ses confrères, qui dirigent deux immenses fabriques, ont réclamé une enquête, fait mouvoir la police et saisi le Conseil d'hygiène publique, pour se plaindre, de quoi ? de ce que les abeilles du voisinage venaient picorer leur sucre !
C'est pour son étrangeté que nous ouvrons les pages de l'Année scientifique à l'enregistrement de ce fait mémorable. Sachez donc, chers lecteurs, que, sur les réclamations des raffineurs susnommés, le Préfet de police avait soumis à l'examen du Conseil d.'hygiène publique et de salubrité la question de savoir si les ruches d'abeilles existant dans Paris ne méritaient pas d'être classées parmi les établissements incommodes, insalubres et dangereux.
Le Dr Delpech fut chargé par le Conseil d'hygiène de faire une enquête sur cette question.
Voici d'abord les principales réclamations qui ont motivé l'enquête.
(...)
Galerie Vivienne, IIe ardt. 1823 |
On ne pouvait manquer de faire droit à de si justes plaintes contre les homicides insectes. M. Delpech a condamné dans son rapport les piqueuses d'enfants. Son rapport se termine par les conclusions suivantes
« Les dépôts de ruches d’abeilles dans l'intérieur des villes constituent pour le voisinage : 1° un préjudice matériel, en enlevant aux fabriques et en particulier aux raffineries des quantités importantes de matière sucrée ; en entraînant, pour s'en préserver, ces usines à des dépenses très réelles : ouvriers employés à huiler les vitres, à entretenir et vider les cages à mouches, à secourir ceux qui sont piqués ; en faisant abandonner par les ouvriers les ateliers que les abeilles envahissent en grand nombre ; en chassant des maisons de location du voisinage les locataires dont les jardins ou les logements en sont infestés ; 2° une incommodité très gênante en raison de l'inquiétude continuelle dans laquelle sont tenus les ouvriers et les voisins, soit pour eux-mêmes, soit pour leurs enfants, par le vol incessant des abeilles par leur bourdonnement, par la crainte de leurs piqûres, par la nécessité de s'enfermer, d'éviter de s'approcher de certains lieux qu'elles préfèrent ; 3° un danger très réel, puisque ces insectes peuvent, par leurs piqûres, déterminer des accidents très douloureux, le plus ordinairement bénins, il est vrai, quant à leur terminaison, mais qui peuvent amener des incapacités assez longues de travail, des symptômes inquiétants, et même dans quelques cas, heureusement plus rares, la mort. De plus, pour les dépôts de ruches établis dans les villes, les abeilles doivent forcément vivre aux dépens des voisins. »
D'après ce rapport au Conseil d'hygiène, il faut s'attendre à voir les dépôts de ruches d'abeilles inscrits parmi les établissements " insalubres, dangereux ou incommodes " et, par conséquent, devant être tenus éloignés des habitations particulières.
(...)
L'Année scientifique et industrielle : ou Exposé annuel des travaux scientifiques, des inventions et des principales applications de la science à l'industrie et aux arts, qui ont attiré l'attention publique en France et à l'étranger / par Louis Figuier, 1880
Sur une tombe du Père-Lachaise la ruche trône entre de nombreux symboles du travail. |
20 février 1880
Conseil d'hygiène publique
Élevage
des abeilles
L'élevage
des abeilles dans Paris était devenu pour certains particuliers une
source de revenus prélevés au détriment des raffineurs de sucre.
Sans parler de ce que cette manière de faire a de malhonnête, il en
résultait des inconvénients sérieux et même des dangers pour les
ouvriers employés dans les raffineries. Aussi longtemps que les
plaintes restèrent rares et isolées, l'Administration désarmée se
borna à renvoyer les plaignants devant les tribunaux civils. Mais,
lorsqu'il devint notoire que l'élevage des abeilles à Paris
constituait une industrie nouvelle, l'Administration consulta le
Conseil d'hygiène sur l'opportunité de la réglementer.
Voici
le rapport que M, Delpech présenta sur la question :
Monsieur
le Préfet,
(...)
Les 14 mai et 4 juin 1860, M, M..., demeurant rue des Rigoles, n° 74, XXe arrondissement, quartier de Belleville, réclamait l'éloignement des ruches d'abeilles exploitées par son voisin, M. C..., demeurant même rue, n° 72.
Il
fondait sa demande sur l'impossibilité où il était de sortir dans
son jardin, d'ouvrir les fenêtres de son appartement ou de
s'approcher du robinet du réservoir ou du puits, pour tirer de
l'eau, sans être assailli et piqué par les abeilles.
(…)
Parmi
les signataires de la plainte, on remarque M. C.S..., membre de la
Chambre de commerce, raffineur de sucre, boulevard de la Gare, n°
93. Cet important industriel n'évalue pas à moins de vingt à
vingt-cinq mille francs par an le préjudice que lui causent les abeilles en venant manger des quantités énormes de sucre dans sa
raffinerie.
Une
grande partie de ses ouvriers est constamment piquée, et il sera
obligé d’intenter une action judiciaire aux propriétaires de
ruches dans les environs,
(…)
Dire
de MM. T... et R..., raffineurs
de sucre, 43, rue de Tanger, établissement contigu comme le
précédent au terrain occupé par les ruches.
Leur
fabrique est un grand hangar bien fermé. Malgré cela un assez grand
nombre d'abeilles finissent
par y pénétrer. Jamais il n'y a eu dans cette usine d'accidents
graves ; mais assez souvent, lorsqu'un ouvrier prend un outil,
il est piqué par une abeille qui s'y est posée. Ils
sont disposés à croire que ces insectes leur occasionnent un
certain déficit, mais ils ne peuvent s'en rendre un compte exact.
Ils sont pour eux la cause d'une notable incommodité.
Dire
de MM. P... et J..., raffineurs
de sucre, 33, rue de Tanger.
Cette
usine très importante est gravement incommodée par les abeilles. En
été, le nombre de celles-ci est si considérable, que les cours en
sont jonchées. On les ramasse, dit le directeur de la fabrique, par
hectolitres dans des sacs. On les met sous une cloche à vapeur et on
en extrait des quantités importantes de matière sucrée. On est
obligé d'enduire extérieurement d'huile à brûler les vitres des
ateliers. Un homme est constamment employé à ce service.
Les
abeilles s'abattent sur les vitres huilées et tombent mortes et
noires.
Malgré
toutes les précautions prises, les insectes pénètrent dans les
ateliers où les ouvriers travaillent à peu près nus à une
température très élevée (32° environ). Ils se jettent sur ces
hommes, toujours plus ou moins enduits de sucre, et les piquent.
Lorsque
ceux-ci veulent prendre des outils ou des formes, les ateliers étant
un peu sombres, ils pressent souvent de la main, sans la voir, une
abeille occupée à butiner et se sentent piqués. L'année dernière,
un jeune homme de seize ans, piqué par plusieurs abeilles, a donné
des inquiétudes réelles. Sa tête a contracté une enflure énorme.
Les piqûres sont d'ailleurs assez fréquentes pour qu'un homme
parcoure constamment les ateliers avec une fiole d'ammoniaque pour
soigner les ouvriers qui sont dans l'usine au nombre de quatre cents.
(…)
Dire
de M. L...., raffineur de sucre,
19, rue de Flandre, à La Villette. [nos lecteurs attentifs auront reconnu la Raffinerie Lebaudy]
Depuis
deux ans très incommodé par les abeilles sans savoir d'où elles
viennent. Les ouvriers sont très fréquemment piqués et s'en
effraient. Il n'y a pas eu d'accidents graves, mais la gêne qui
résulte de la présence des abeilles est assez grande pour qu'il
faille occuper constamment deux ouvriers à huiler la face extérieure
des vitres, ce qui constitue une dépense notable. On
ne s'est pas rendu compte de la perte de sucre qu'elles peuvent faire
subir à la maison.
(…)
Dire
de M. S..., raffineur de sucre,
145, rue de Flandre, à la Villette.[Il s'agit du raffineur Sommier, propriétaire du château de Vaux-Le-Vicomte]
La
fabrique est envahie, pendant l'été, par de si grandes quantités
d'abeilles qu'on les ramasse par sacs. Elles consomment d'énormes
proportions de sucre, laissant de côté les produits secondaires
pour se jeter avidement sur les sirops les plus purs. La perte qui en
résulte est importante, sans qu'on ait essayé de l'évaluer d'une
manière précise. On a cherché plusieurs fois à s'en rendre
compte approximativement en laissant sur de larges plaques des
épaisseurs de sirops clairs. Au bout de quelques heures, tout avait
disparu.
Aucune
précaution spéciale n'est prise d'une façon continue pour se
préserver de cette grave incommodité. On se contente d'huiler de
temps en temps les vitres des ateliers.
Les
piqûres sont fréquentes, et l'on emploie l'ammoniaque pour en
arrêter les suites qui n'ont jamais été graves.
M.
S. réclame vivement la suppression des dépôts de ruches établis
dans son voisinage.
Dire
de Mme F. P..., 101, boulevard de Sébastopol, usine à La
Villette, rue de l'Ourcq, 75, 77, 79 (Lettre.)
« Comme
vous l'avez appris ; Monsieur, nous avons nous aussi, beaucoup à
nous plaindre du voisinage des abeilles ; chaque année, de
véritables légions de ces mouches visites notre usine et cela
pendant toute la saison des fruits, c'est à dire de mai à
septembre.
« Certains
ateliers, la confiserie principalement, sont parfois obligés
d'abandonner momentanément le travail. Dans un très court espace de
temps, des terrines de sirop sont complètement absorbées, et
les fruits desséchés restent couverts d'insectes morts (car il se
perd aussi beaucoup d'abeilles au milieu du dégât qu'elles font).
(…)
Dire
de MM. Les Directeurs de la raffinerie C.S..., boulevard de la Gare,
n° 123.
(…)
On
les détruit en les prenant sur des pièges ou cages à mouches en
toile métallique placés près des fenêtres. Ces cages sont au
nombre de soixante environ. La masse de mouches prises ainsi
représente environ un hectolitre par jour. On les porte sous les
cloches à vapeur et on les asphyxie, mais on ne reprend pas la
matière sucrée dont elles sont chargées et qui est considérée
comme perdue. Ce qui augmente le préjudice, c'est que les abeilles
s'attaquent à peu près exclusivement aux plus beaux produits et
dédaignent les sirops colorés. En deux heures, tant est grande la
quantité de mouches, un verre rempli de belle clairce est
complètement vidé,
(…)
Dire
de M. F..., directeur de l'école de la rue de Tanger. (Lettre).
(…)
« De
ce voisinage, sont résulté de graves inconvénients. Les mouches
s'introduisaient en nombre infini dans l'école, distrayaient les
élèves par leur bourdonnement et, à la fin, jonchaient
littéralement le sol ; alors, il n'était plus possible de
poser le pied sans écraser quatre ou cinq de ces insectes ;
c'est par pelletées qu'on pouvait les ramasser. Chez les petites
filles l'inconvénient était d'autant plus grand qu'à plusieurs
reprises les abeilles se sont introduites sous les robes.
(…)
Lorsqu'on
élève dans un but industriel dans les campagnes un semblable nombre
d'abeilles, on leur prépare, par des cultures spéciales et
échelonnées, des quantités de fleurs suffisantes pour leur
nourriture et leur travail. Paris ne leur offre point, surtout dans
ces quartiers industriels où nous voyons s'établir les grands
dépôts de ruches, de semblables ressources, et ce serait une folie
de les y installer, si les abeilles ne trouvaient dans le voisinage
d'autres moyens d'existence. C'est évidement pour cela que les
apiculteurs industriels viennent se placer dans le voisinage des
grandes raffineries ou des établissements similaires, parasites
vivants aux dépens de l'industrie du voisin.
(…)
En Alsace, les abeilles butinent le sucre des poubelles faute de fleurs
Publié le 14 octobre 2013 sur le site du National Geographic
Normalement, les abeilles ont les pattes couvertes de grains de pollen jaune. À l’automne dernier, à Ribeauvillé, en Alsace, elles sont rentrées à la ruche maculées de sirop bleu, vert et rouge – après avoir butiné autour d’une usine qui retraite des résidus de M&M’s.
Les apiculteurs n’ont pas pu vendre les rayons de miel aux couleurs des bonbons, ce qui a porté un coup à la production annuelle de la région, qui s’élève à 1 000 t. La législation de la plupart des pays oblige le miel à n’avoir qu’un seul ingrédient : le nectar transformé par les abeilles.
Mais, en cas de sécheresse ou de pénurie de fleurs, ces insectes peuvent changer de régime. « Si l’approvisionnement en nectar est interrompu, les abeilles récoltent n’importe quel sucre disponible », explique Tim Tucker, de la Fédération américaine d’apiculture.
Les poubelles extérieures des petits commerces sont très prisées, qui regorgent de canettes de sodas usagées et d’emballages de friandises. « Nous croisons les doigts pour que les abeilles ne trouvent pas ces endroits », reconnaît Tucker.
Johnna Rizzo
L'évolution de la Morale, par Monsieur Charles Letourneau
(...)
Mais c'est dans les sociétés animales complexes, dans celles des abeilles et des fourmis, que sont surtout développés le sentiment du devoir, le souci de l’intérêt public, l'abnégation, etc. Chaque fourmi est prête à risquer sa vie pour ta communauté. Dans les ruches d'abeilles, on peut même constater l'existence d'une moralité fluctuante, fort analogue à la moralité humaine. En général, l'abeille domestique est aussi sobre que laborieuse ; jamais les ouvrières ne touchent aux magasins d'hiver, aux alvéoles closes ; bien plus, même dans tes alvéoles ouvertes pour l'alimentation courante, chaque abeille ne puise que strictement la ration nécessaire à ses besoins. Mais il y a des abeilles immorales, des voleuses, qui s’introduisent furtivement dans les ruches pour leur gloutonnerie. Enfin, hors de ta communauté, quand elles pillent nos confiseries par exemple, la plupart des abeilles s'abandonnent à une grossière intempérance. On peut même à volonté dépraver une abeille en l'atimentant avec du miel mélangé d'eau-de-vie. Bien vite alors, elle s'abandonne à l'ivrognerie et devient du même coup paresseuse et voleuse.
(...)
Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris / Société d'anthropologie de Paris, Paris. Séance du 8 mai 1884
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31, rue Boissonade, XIVe ardt. |
Bon appétit ! |
-Une enquête récente sur le "miel de déchetterie", les abeilles se faisant cette fois biffins.
-Toute connaissance de l'apiculture parisienne passe par le rucher école du Jardin du Luxembourg.
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