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L'eau arrive dans les étages. Loge du concierge d'une cité-jardin de Suresnes, 12 avenue Alexandre Maistrasse, Hauts-de-Seine. 1932 |
Où, après un siècle de travaux, l'eau arrive enfin dans les étages, et où, après avoir tant incité à sa consommation, l'administration peine à la fournir en quantité suffisante
Nous avons constaté le peu de succès de l’entreprise des frères Périer qui proposait de livrer l’eau à domicile et jusque dans les étages. Il est vrai que l’eau de Seine était alors vantée pour ses vertus et que les gens du peuple pouvaient s’approvisionner gratuitement aux fontaines tandis que les plus fortunés se faisaient livrer à domicile par les porteurs d’eau. (Les eaux de Paris. 1 : Le temps des pompes)
Nous avons constaté le peu de succès de l’entreprise des frères Périer qui proposait de livrer l’eau à domicile et jusque dans les étages. Il est vrai que l’eau de Seine était alors vantée pour ses vertus et que les gens du peuple pouvaient s’approvisionner gratuitement aux fontaines tandis que les plus fortunés se faisaient livrer à domicile par les porteurs d’eau. (Les eaux de Paris. 1 : Le temps des pompes)
La Restauration et surtout la Monarchie de juillet augmentent
considérablement la quantité d’eau disponible grâce à
l’achèvement du Canal de l’Ourcq. On commence alors de réformer
les égouts et de multiplier les fontaines publiques. Ces régimes
pêchent cependant par la timidité de leurs réalisations, corsetés
qu’ils sont par des contraintes financières qui empêchent tous
travaux de grande ampleur. Mais qui s’imaginait, vers 1835, que les
parisiens manquaient d’eau, sinon quelques historiens admirateurs
de la Rome antique et quelques voyageurs jaloux des réalisations londoniennes ? (Les eaux de Paris. 2 : avant Haussmann)
Enfin Haussmann vint. Il impose l’eau de source et crée les
égouts modernes. Des sources lointaines sont détournées et leurs
eaux amenées par viaducs, des réservoirs sont bâtis en hauteur
pour assurer la pression, et un réseau d’égouts gigantesque
expulse les déchets, même « solides », toujours dans la Seine,
mais dorénavant en aval de la capitale. (Les eaux de Paris. 3 : Belgrand)
Bien que les frais engagés soient considérables, les prix demeurent
faibles pour inciter le plus grand nombre à s’abonner, car c’est
le seul moyen d’équilibrer les comptes en attendant de futurs
bénéfices. « Ce n’est pas l’eau qui manque, ce sont les abonnés »
déclarait-on encore en 1865.
Les évènements de 1881, qui se répéteront les années suivantes,
montrent le changement total de mentalité opéré en quarante ans.
Les chaleurs de l’été font craindre un manque d’eau de
source et de l’eau de Seine (filtrée) lui est substituée sans que
l’administration le reconnaisse. Hélas, les microbes ont été
découverts et les statistiques sur la fièvre typhoïde sont
implacables.
C’est maintenant pressées par l’opinion publique que les autorités
doivent trouver suffisamment d’eau de source pour apaiser une soif devenue illimitée. Les hygiénistes ont remporté la partie haut
la main. Reste à rendre l’abonnement obligatoire et à substituer
aux systèmes de jauge, de citernes et d’obturateurs qui favorisent
le gaspillage des compteurs fiables qui incitent le consommateur à
contrôler sa dépense.
Dernière opération : supprimer les bornes-fontaines. Plus moyen dorénavant de
se procurer de l’eau gratuitement à Paris. Les scènes décrites en 1873 par Maxime du Camp se renouvellent alors : les plus
pauvres, ceux qui logent dehors ou dans des logements insalubres en
sont réduits à l’eau des caniveaux.
L’insuffisance des Eaux de Paris.
L'importante communication suivante a été adressée aux journaux, et affichée
dans tout Paris :
MESURES
CONTRE L'INSUFFISANCE DES EAUX
La persistance extraordinaire des chaleurs commence à rendre alarmante
la situation de Paris au point de vue de alimentation d'eau.
Déjà le lavage et l'arrosage des rues sont presque suspendus ; la
consommation des particuliers est tellement considérable que le
produit des dérivations et de toutes les machines élévatoires
marchant simultanément et donnant chaque jour 380,000 mètres cubes,
y suffit à peine, et les sources commencent à baisser.
Il importe que le public soit éclairé sur cette situation, à laquelle
on ne peut remédier qu'en restreignant l'usage de l'eau dans les
habitations au strict nécessaire. Or, il se produit, en ce moment,
un véritable gaspillage de l'eau, qu'il faut absolument ménager
sous peine d'en être complètement privé avant peu.
Ainsi, on laisse les robinets ouverts dans les cours ; on fait couler dans
les cuisines dix litres d'eau inutilement pour avoir une carafe d'eau
fraîche, sans se douter que le maintien de ce régime, pendant
quarante-huit heures de plus, amènerait la disette.
Il y a encore, dans ce moment, de l'eau pour la consommation ; mais il
est temps que tout le monde sache qu'il n'y a plus à en faire des
abus.
L'Administration municipale espère que cet avertissement suffira pour les arrêter, et qu'elle ne sera pas obligée de prendre des mesures restrictives
de l'usage de l'eau dans les habitations.
Paris, le 15 juillet 1881.
Pour le Sénateur, Préfet de la Seine, et par autorisation, Le Directeur
des travaux : ALPHAND.
Le Service des Eaux à Paris.
La Préfecture de la Seine a encore adressé aux journaux la
communication suivante : Plusieurs abonnés des eaux de la Ville,
habitant les quartiers élevés ou les étages supérieurs, se
plaignent de manquer d'eau.
Le fait est malheureusement exact dans un certain nombre de cas, et
l'Administration est impuissante à y remédier, tant que le
gaspillage de l'eau continuera dans les quartiers bas et les étages
inférieurs. En effet dans les quartiers bas, l'eau distribuée par
la Ville a une énorme pression. Si les robinets restent ouverts jour
et nuit, toute l'eau de la canalisation s'écoule sous l'action des
fortes pressions, et il n'arrive plus rien pour l'alimentation des
quartiers élevés. De même, dans une même maison, si les robinets
de la cour ou ceux des étages inférieurs restent constamment
ouverts, l'eau ne peut plus arriver aux étages supérieurs.
Les gaspillages d'eau commis par certains abonnés sont donc
préjudiciables à un grand nombre d’autres abonnés aussi bien
qu'à la salubrité de la cité. Il y a abus chez les uns et
privation du nécessaire chez les autres par suite même de l'abus.
La population parisienne possède trop bien le sentiment de l'équité
pour ne pas comprendre la nécessité d'un rationnement volontaire,
afin de laisser à chacun sa part proportionnelle dans le volume
d'eau qui existe à Paris.
(…)
Aux termes de la police d'abonnement, tout abonné à robinet libre dans
les étages doit avoir un obturateur, de manière que ce robinet ne
fonctionne que lorsqu'il est ouvert à la main. On commet donc une
contravention lorsqu'on supprime l'obturateur pour laisser couler
librement le robinet.
De même, l'abonné à robinet libre pour l'arrosage des cours paye un abonnement pour un volume d'eau calculé à raison de trois litres par mètre superficiel de cour, ce qui suffit pour un arrosage répété deux ou trois fois par jour. Si l'abonné laisse ce robinet ouvert jour et nuit, la consommation, au lieu d'être de trois litres, s'élève à plus de cent litres, et l'Administration, qui règle son service sur un abonnement de trois litres, ne peut en donner instantanément cent, suivant le caprice de l'abonné.
On ne saurait trop insister pour que chacun comprenne a nécessité
d'éviter le gaspillage de l'eau pendant la période critique que
nous traversons.
L'eau commence à manquer à peu près partout, dans les villes et dans les
campagnes. Chacun est obligé de se rationner. Paris ne peut échapper
à la loi commune.
A la mort de Belgrand, en 1878, le volume d’eau mis chaque jour à
la disposition des Parisiens était de 370 000 mètres cubes, dont
122 000 mètres cubes d'eau de la Dhuis et de la Vanne, 105 000
mètres cubes d'eau de l'Ourcq, 88 000 mètres cubes d'eau de la
Marne et 7000 mètres cubes d'eau d'Arcueil et des puits artésiens.
Il avait réussi, en vingt ans, à accroître le volume quotidien
disponible de 300 000 mètres cubes et à substituer, pour les trois
quarts des distributions, l'eau de source aux eaux de rivière. Mais
son œuvre gigantesque était inachevée. Dès 1881, l'insuffisance
du volume disponible en eau de source se manifestait l'été par
suite d'une augmentation considérable de la consommation privée,
due à l'emploi de l'eau de source comme réfrigérant. L'épidémie
de choléra de 1884 attirait à nouveau l'attention du public et des
élus sur les graves dangers que peut entraîner la distribution de
l'eau de Seine mélangée à l'eau de source pour les usages
domestiques ; et, sur la proposition de Couche, le disciple et le
successeur de Belgrand, le Conseil municipal décidait l'adduction de
nouvelles sources de la région ouest l’Avre, le Loing, le Lunain,
le Durteint et la Voulzie, chantée par Hégésippe Moreau.
En même temps, en vue d'enrayer le gaspillage, on imposa à tous les
abonnés l'emploi du compteur pour la distribution.
(...)
L’œuvre de Belgrand a eu pour conséquence directe un abaissement notable de
la mortalité générale à Paris et plus spécialement de la
mortalité zymotique. Si une ou deux sources primitivement captées
risquaient d'être contaminées par des infiltrations superficielles,
les précautions sont maintenant prises pour empêcher toute
souillure, et une inspection incessante des travaux, une surveillance
du territoire des sources, aux points de vue hygiénique et médical,
permettent d'éviter dorénavant toute contamination. Les campagnes
de presse ont obtenu, cette fois, ces excellents résultats. Il n'y a
plus le moindre prétexte pour renier l'idée géniale de Belgrand et
pour revenir en arrière.
Gaston Cadoux
L'EAU A PARIS
M. Alphand, ingénieur des travaux de Paris se moque-t-il de nous ?
Il ne lui a pas suffi de faire signifier aux Parisiens, par une dépêche
de l'agence Havas communiquée aux journaux, qu'il fallait économiser
l'eau ; il a fait afficher sa circulaire sur les murs de la capitale.
Voilà que, maintenant, il ne nous sera plus permis de boire frais, --sous
peine de manquer absolument d'eau dans quarante-huit heures. On nous
parle d'une disette complète.
L'affichage d’une telle menace dans un moment pareil a tous les caractères
d'une provocation voulue.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
La population parisienne est fort irritée. La foule stationne devant les affiches de la préfecture, et les commente avec vivacité. Hier, dans le faubourg du Temple, on les arrachait de colère.
Comment, dans une ville traversée par la Seine et qui touche à la Marne, on
pourrait manquer d'eau ! Il suffirait de douze jours de chaleur pour que tous les réservoirs cessassent de fonctionner ! A quoi servent donc les travaux de dérivation de la Dhuys et de la Vanne payés si cher! Qui empêche d’ailleurs d'établir des pompes à vapeur, de multiplier les machines élévatoires ?
Nous étouffons. Ce n’est pas quelques gouttes de pluie qui peuvent remplacer l’arrosage quotidien.
M. Alphand nous dit « Économisez l'eau, sous peine d'un manquer complètement dans quarante-huit heures. »
Nous disons à M. Alphand : « Donnez-nous de l'eau, sous peine de voir une épidémie épouvantable fondre sur Paris. »
On nous parle d'attendre l'achèvement de certains travaux. Est.ce qu'on
attend quand le péril est imminent ?
Il faut de l'eau.
Il en faut en quantité, – pas dans trois jours, pas dans deux jours,
– tout de suite!
(...)
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Pompe. 27, rue du Mail, IIe ardt. |
C'est en 1860 que la séparation des eaux de rivière et de source a été décidée, en 1865 que l'eau de la Dhuys est arrivée à Paris. Après de Second Empire, il est devenu intolérable de boire de l'eau de rivière.
HYGIÈNE PUBLIQUE : LA FIÈVRE TYPHOÏDE ET L'EAU DE SEINE A PARIS
On a, plus d'une fois, mis en évidence ce fait, significatif, que la
fièvre typhoïde éclate immédiatement dans les quartiers de Paris
où l'on distribue accidentellement l'eau de Seine pour remplacer les
eaux de source, qui sont venues à manquer. Mais jamais cette
coïncidence remarquable, entre la maladie typhique et l'usage des
eaux contaminées de la Seine, ne s'est montrée avec autant de
netteté que dans les faits communiqués dans la séance du 8
novembre 1889, à la Société médicale des hôpitaux, par le
Dr Chantemesse, et dans la discussion qui a suivi la communication de
ce praticien.
Le Dr Chantemesse rappelle qu'il a signalé, en 1887, le rapport
constant qui existe entre l'augmentation de ia morbidité par fièvre
typhoïde, à Paris, et la distribution d'eau de Seine. Il apporte
aujourd'hui une note pleinement confirmative de cette remarque pour
l’année 1889. En 1887, les arrondissements pourvus d'eau de Seine
ont eu une mortalité par fièvre typhoïde trois à quatre fois plus
grande que la mortalité du reste de la ville, qui recevait de l'eau
de source. Au contraire, en 1888, l'année étant pluvieuse, l'eau de
Seine ne fut pas substituée à l'eau de source ; aussi depuis trente
ans la fièvre typhoïde n'avait jamais été aussi rare qu'en 1888.
Des tableaux fournis par M. Chantemesse il résulte, en ce qui concerne
l'année 1889, que trois à quatre semaines après la substitution
d'eau de Seine à l'eau de source, le nombre des entrées dans les
hôpitaux, pour fièvre typhoïde, s'éleva peu à peu. Chaque fois
qu'un arrondissement nouveau recevait l'eau de Seine, la morbidité
typhoïde y augmentait.
Rien n'est plus blâmable, au point de vue de l'hygiène générale, que
la pratique qui consiste à distribuer l'eau de Seine successivement
à tous les quartiers de Paris ; c'est le meilleur moyen de
disséminer la fièvre typhoïde.
L'eau de Seine est incontestablement une des causes principales de cette
affection à Paris. Mais elle n'est pas aussi nuisible dans tout son
parcours, c'est-à-dire clans les parties où elle n'est point
souillée de matières étrangères. A Fontainebleau, où la Seine
arrive sans avoir été souillée dans un long trajet, la fièvre
typhoïde est rare ; mais, en arrivant à Paris, le fleuve ayant reçu
les égouts de Choisy-le-Roi, Corbeil, Ivry, où la fièvre typhoïde
est endémique, devient une cause de développement de celte
affection.
(...)
Le Dr Juhel-Rénoy a soigné, en 1889, huit à neuf typhiques venus
d'Aubervilliers, où on ne boit que de l'eau de Seine. Ils sont tous
morts très rapidement ; ils avaient été soumis évidemment à une
infection d'une intensité exceptionnelle.
On ne saurait désormais mettre en doute, après les cas si frappants
signalés à la Société médicale des hôpitaux, la
production directe de la fièvre typhoïde dans la population
parisienne par l'usage en boisson des eaux de la Seine, souillées
par les immondices de la ville, les résidus des fabriques et les
eaux des égouts. On s'étonne, avec raison, qu'après des faits si
bien établis, l'administration municipale autorise si fréquemment
la distribution de l'eau de la Seine dans divers quartiers de Paris.
Il y a là une mesure à prendre, mesure radicale et qui s'impose
tous les jours davantage : c'est la création d'une canalisation
séparée pour l'eau de Seine et pour l'eau de source, l'une ne
pouvant jamais être substituée à l'autre.
Louis
Figuier.
Nous retrouvons l'oncle Sarcey dans sa croisade pour le bon sens. Il tiendra nombre de chroniques sur le problème de l'eau comme il en avait tenu sur le problème des odeurs.
Les Compteurs de la Compagnie des eaux
Le mieux pour vous, je vous l'ai dit hier, c'est, quand vous êtes dans
les conditions de la loi, quand vous habitez bourgeoisement, soit un
appartement en location, soit un immeuble à vous appartenant,
d'exiger l'abonnement à robinet libre: vous en avez le droit ; ne
vous laissez, sous aucun prétexte, entortiller par les agents de la
Compagnie ; ayez toujours sur vous et le texte du contrat que je vous
ai donné hier et les chiffres qui sont consignés en ce contrat.
C'est votre charte ; tenez-vous y mordicus.
Mais il y a des cas où vous êtes forcés de subir l'abonnement au
compteur.
Peut-être même des convenances tout à fait particulières vous ont-elles
engagés à choisir ce mode d'abonnement.
Eh bien, sachez alors quelle est à cet égard l'étendue de vos droits.
Rappelez vous qu'il y a dans le traité de 1880, traité passé entre
la ville de Paris et la Compagnie des eaux, un article ainsi conçu :
Les compteurs seront à là charge des abonnés, qui auront la faculté
de les acheter directement parmi les systèmes acceptés et
autorisés.
Vous avez donc le droit de choisir vous-mêmes votre compteur parmi les
systèmes approuvés par l'administration. Je crois que ces systèmes
sont au nombre de trois.
Les compteurs que vous pourrez acheter vous-mêmes, en vertu de cet
article de loi, sont meilleurs, m'a-t-on assuré, que ceux qui sont
fournis par l'administration de la Compagnie des eaux.
Je n'oserais pourtant pas vous donner le conseil de choisir un autre
modèle que celui qu'elle a poinçonné et qu'elle vous - offre. -
C'est comme un fait exprès. Les meilleurs compteurs, les mieux faits et
les plus réguliers, ne marchent jamais entre les mains des agents de
la Compagnie qui sont naturellement, après que la pose en a été
faite, chargés de les surveiller ou de les régler.
(...)
Règle générale : un compteur ne marche que lorsque c'est le compteur de
la Compagnie.
C'est donc à la Compagnie qu'il faut vous adresser.
Il y a deux systèmes en présence : Dans l'un, vous achetez le compteur
à la Compagnie ; il vous appartient et vous êtes par cela même
responsable de tous les accidents qui peuvent survenir dans le
fonctionnement de cet engin.
Dans l'autre, vous louez le compteur à l'administration et vous lui payez
tant par an pour cette location.
De ces deux systèmes, quel est le meilleur ?
Réponse :
Ils sont exécrables tous les deux et il n'y en a pas d'autre.
(...)
Au lieu de cela, quand vous avez payé vos vingt francs, huit ou dix
mois après on ajoute négligemment à votre police 6 francs pour
entretien du compteur ; vous vous récriez d'abord :
— Six
francs! Pourquoi six francs?
Vous pestez de tout votre cœur, mais vous finissez par payer, car l'agent
ne manque pas de vous laisser entendre que si vous refusez de payer
la Compagnie vous supprimera l'eau de son autorité privée.
Vous les envoyez à tous les diables, mais vous lâchez les six francs !
Francisque Sarcey
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L'arrivée tardive du compteur d'eau s'explique par des problèmes techniques. Ils ont longtemps été trop imprécis pour qu'on ne puisse les tromper en laissant couler l'eau très doucement, d'où de très nombreuses fraudes. Ill. Gallica.bnf.fr |
![]() |
Les compteurs devaient être homologués par les laboratoires de la ville pour être acceptés.
Compteur Eyquem, annuaire Sageret, 1903
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LA QUESTION DES EAUX
Elle est revenue, cette année, plus aiguë que jamais à Paris. Les
chaleurs exceptionnelles dont nous avons été accablés durant toute
la première partie de juillet ont naturellement exaspéré chez la
population le besoin d'eau fraîche et en ont décuplé la
consommation, en même temps qu'elles diminuaient le volume d'eau
débité par les sources qui alimentent les réservoirs de la Ville.
Les Parisiens demandaient plus d'eau ; on en avait moins à leur
donner.
Il est même arrivé un jour où l'administration a déclaré qu'elle se
voyait, dans certains quartiers, forcée de délivrer aux abonnés,
en dépit des stipulations portées sur les polices, de l'eau de
Seine ou de canal, en place d'eau vive de source. Il y avait cas de
force majeure ; l'eau de source manquait.
Ajoutez que cette année précisément la perspective de cette pénurie d'eau
était plus inquiétante pour les Parisiens qu'elle n'a jamais été.
Tout le monde sait que, malgré les oracles allemands de M. Koch,
l'eau est le grand agent de la salubrité publique. Il faut
absolument, si l'on veut ne pas tomber malade, se laver et se laver
beaucoup ; l'essentiel est d'avoir de l'eau propre pour se laver.
Allait-on manquer d'eau?
Les récriminations ont recommencé de plus belle contre le conseil
municipal. On s'imagine qu'il n'aurait qu'à lever sa baguette
magique, et que, tout aussitôt, des torrents d'eau couleraient dans
les réservoirs. On ne se doute pas que si même aujourd'hui le
conseil municipal se décidait à prescrire les travaux qui doivent
amener à Paris de nouvelles eaux, ces travaux ne pourraient être
achevés que dans trois ou quatre années.
Il vaudrait mieux, cela est certain, que le conseil municipal se
résignât dès aujourd'hui à voter des dépenses qu'il sera
contraint de faire un jour, car, en fait d'eau, le trop n'est pas
encore assez !
Mais on ne saurait trop le redire à la population parisienne. Même en
l'état, il y aurait suffisamment d'eau à Paris pour tous les
besoins, si on la ménageait mieux, si on ne la gaspillait pas.
Je sais bien que ce mot de gaspillage sonne désagréablement aux
oreilles de nos Parisiens. Ils en ont fait, il y a trois ou quatre
ans, tant de plaisanteries et de gorges chaudes, que le préfet de la
Seine n'a pas osé y revenir cette fois. Et pourtant, c'est là le
nœud de la question. Si l'eau manque aux Parisiens, c'est qu'ils la
gaspillent ; si leurs rues ne sont pas assez abondamment arrosées,
si des bouches d'égout mal lavées s'échappent des odeurs
pestilentielles, c'est que les éviers des petits ménages font
baisser l'eau des réservoirs et risquent de les tarir.
On avait cru remédier à cet inconvénient en proscrivant le robinet
libre et en le remplaçant par le compteur (j'ai déjà sur ce sujet
écrit tant d'articles que je ne crois pas utile d'expliquer encore
une fois en quoi consistent le système du robinet libre et celui du
compteur. Au reste, tous les Parisiens sont au courant de la
question, dont ils ont appris les éléments par une expérience
personnelle, qui leur a été fort douloureuse).
L'administration s'était dit :
— Pourquoi gaspille-t-on l'eau de la Ville avec tant de désinvolture? C'est
qu'avec le système du robinet libre on paie toujours la même somme,
quelle que soit la quantité que l'on en dépense. Le monsieur qui
paie à l'année tant par robinet ne veille pas à verser plus ou
moins d'eau ; il va sans prendre garde, du moment qu'il ne lui en
coûte pas plus cher.
On avait bien inventé des robinets qui se fermaient d'eux-mêmes
aussitôt que la main qui les avait ouverts se retirait et ne les
pressait plus :
Mais il n'y avait rien de plus facile que d'attacher ces robinets et de
les tenir ouverts à l'aide d'un engin fixe.
Cette opération a même eu les honneurs d'un vocable particulier dans
l'argot des ménagères parisiennes. Cela s'appelle : caler un
robinet. Il n'y eut bientôt plus à Paris possesseur de robinet qui
ne sût la façon de le caler. Les robinets avaient beau être à
fermeture automatique, on pouvait les tenir artificiellement ouverts
tout le jour et toute la nuit, et l'on ne s'en faisait pas faute.
L'expérience ayant donc si peu réussi, l'administration et, derrière elle, la
Compagnie des eaux, s'étaient rabattues sur le système du compteur
qui, dans leur pensée, devait remédier à ces inconvénients.
Mais le système du compteur n'apporta aucun allègement à cette
situation. Au contraire ! Bien au contraire !
Pour comprendre cet au contraire qui vous rappelle l'au contraire du
monsieur près de qui l'on s'excuse de lui avoir tait mal en lui
marchant sur le pied, il faut être au courant des mœurs
parisiennes.
Vous savez que, dans les maisons de Paris qui ont un abonnement avec la
Compagnie des eaux, il n'y a qu'un compteur, qui donne en bloc le
chiffre des mètres cubes d'eau dépensés pour tous les locataires
de la maison, depuis le rez-de-chaussée jusqu'au sixième étage.
On ne peut pas mettre un compteur à l'entrée de chaque ménage ; ce
serait une dépense beaucoup trop forte.
Le compteur général marque donc la quantité d'eau débitée pour la
maison, sans s'inquiéter de savoir si l'eau qu'il enregistre a été
dépensée au premier ou au cinquième.
C'est naturellement le propriétaire qui traite avec la Compagnie des eaux,
et qui répond de l'eau enregistrée par le compteur.
On calcule qu'en moyenne chaque maison dépense 45 litres par tête, par
tête de locataire, par jour et par robinet (à moins que ce ne
soient des robinets particuliers, comme ceux d'une salle de bains par
exemple). C'est sur ces chiffres que table le propriétaire pour
établir le minimum d'eau dont il demande la concession à la
Compagnie, s'engageant, bien entendu, à payer les suppléments, s'il
s'en trouve, au prix du tarif.
C'est également sur ces chiffres que ce même propriétaire compte à ses
locataires le prix de l'eau. Vous n'ignorez pas que sur la plupart
des baux de location, en dehors du prix trimestriel de location, on
mentionne tant pour l'impôt des portes et fenêtres, tant pour
l'eau.?.
Le propriétaire se récupère ainsi en détail sur chacun de ses
locataires, au prorata et de l'importance du ménage et du nombre des
robinets, de la somme qu'il est obligé de payer, de par sa police, à
la Compagnie des eaux.
Voilà qui est bien compris, n'est-ce pas ? ...
Le propriétaire traite en bloc avec la Compagnie des eaux qui, grâce
au compteur, vient lui dire tous les trois mois :
— Vous m'avez pris tant de ma marchandise ; c'est tant.
Il sous-traite en quelque sorte avec ses locataires ; mais il n'a point
à son service de compteur qui le renseigne sur, la quantité d'eau
que ses locataires dépensent. Il l'estime à vue de pays, selon le
nombre de têtes et de robinets à 45 litres à peu près par robinet
et par tête.
Qu'arrive-t-il ?
Mais cet article serait trop long si je ne l'arrêtais ici. Car j'ai à
présenter quelques considérations morales, dont se complique cette
petite question économique.
Francisque Sarcey
Le précédent article de l'Oncle, bien que frappé au coin du gros bon sens, ne pouvait qu'irriter des esprits moins conservateurs. En effet, en période de disette, est-il bien raisonnable d'interdire aux gesn modestes d'arroser leur jardin alors que nulle contrainte n'est imposée aux exploitants de golf ? En langage de l'époque : doit on accuser les petits ménages de caler leur robinet quand les nantis dépensent l'eau sans compter ?
LA QUESTION DES EAUX
Je me doutais bien qu'en pariant aux Parisiens du gaspillage qu'ils font
de l'eau qui leur est délivrée par la Ville j'exciterais leur
colère et soulèverais toutes sortes de récriminations.
J'avais dit, si vous vous en souvenez, que nombre de petits ménages, pourvus
d'un robinet libre, ne se faisaient pas faute, quelquefois pour faire
niche au propriétaire, le plus souvent pour donner en été un peu
de fraîcheur à leur appartement, de laisser toute la nuit couler
l'eau, en prenant soin de caler le robinet.
J'avais lâché d'expliquer très clairement tout ce mécanisme, et je
croyais avoir été bien compris.
Voici la lettre que je reçois. Je la donne tout entière, sans en
retrancher, sans y ajouter un seul mot. Je ne supprime que le nom de
l'expéditeur, comme je fais toujours. Elle me paraît marquer, d'une
façon très significative, l'état d'esprit où se trouve une partie
de la population parisienne.
Voici donc cette lettre :
Monsieur,
Depuis deux jours, au sujet de la question des eaux, vous tombez à bras
raccourcis sur les petits ménages, qui, selon vous, sont la cause
principale de la pénurie d'eau à laquelle nous sommes sujets chaque
année.
Les choses les plus simples embarrassent souvent les plus grands esprits
et c'est là, monsieur, la seule circonstance atténuante que je
puisse invoquer en votre faveur.
Tout ce que contient votre article est faux ; ce ne sont que cancans de
portiers.
Vous déclarez être tout à la fois votre propriétaire et votre
locataire; vous avez oublié de dire que vous étiez aussi votre
concierge.
C'est mal, monsieur, lorsque, possédant votre expérience, votre talent
d'écrivain, on en est réduit, pour faire de la copie, à injurier
des malheureux qui ne méritent certes pas vos récriminations.
Je ne discuterai pas ce gaspillage décrit par vous dans le seul but de
faire une « niche » à son propriétaire par le pauvre diable de
locataire, car, cela serait supposer qu'une pareille niaiserie
mériterait la discussion.
La vraie question est ailleurs et vous avez bien garde d'en parler. On
dirait même, eu essayant de lire entre les lignes, que vous avez
intérêt à égarer la discussion.
Lorsque vous voudrez, monsieur, avec votre bonne foi ordinaire, vous rendre
compte de la situation, faites un tour au boulevard Haussmann et
autres rues environnantes et vous verrez dans la cour d'une seule
maison gaspiller dans une seule journée la quantité d'eau
suffisante à l'entretien de tout un quartier d'ouvriers.
De là vous irez au bois de Boulogne et vous serez obligé de
reconnaître que la quantité d'eau employée à l'arrosage des voies
que doivent sillonner les voitures de MM. ** suffirait à
l'alimentation suffisante pour entretenir pas mal de nos rues où
l'eau fait complètement défaut.
Vous me paraissez ignorer ce qui se passe dans ces petits ménages où du
reste vous n'avez jamais vécu. Ce que vous ne savez pas, je vais
essayer de vous le dire.
Malheureusement il y a encore dans Paris, et dans les quartiers populeux
principalement, quantité d'habitations où l'eau fait défaut. Il
faut descendre quatre, cinq, six étages pour avoir une eau presque
toujours mauvaise. Là il n'y a pas de gaspillage possible.
Quant aux maisons construites depuis quelques années et dans lesquelles on
a l'eau dans son logement ; il y a là une population d'ouvriers,
d'employés qui, du matin au soir, sont au dehors, livrés à leurs
occupations, et là non plus n'est point le gaspillage, car dans la
majeure partie de ces maisons, on ferme le robinet des eaux pendant
une grande partie de la journée.
C'est donc chez vous, messieurs les propriétaires, que l'eau est répandue
à profusion, il n'est certes pas difficile de s'en convaincre avec
un peu de bonne foi.
J'espère, monsieur, que vous reviendrez de votre mauvaise appréciation ; les
petits ménages attendent une réparation.
Recevez, monsieur, mes sincères salutations.
Il va sans dire que je ne prendrais pas la peine de répondre à cette
lettre si elle n'était que l'expression isolée du mécontentement
d'un esprit chagrin, qui est ravi de dauber sur le bourgeois.
Mais il me paraît certain que mon correspondant est l'interprète
inconscient d'une foule de braves gens qui pensent tout comme lui,
parce qu'ils ne prennent pas plus que lui la peine de raisonner.
Ainsi, voilà un homme qui me dit sérieusement :
— Comment voulez-vous que nous gaspillions l'eau de l'administration ? nous n'avons pas de robinet ; nous sommes forcés de descendre quatre, cinq et parfois même six étages pour prendre de l'eau à la fontaine de la cour.
— Mais, mon ami, si vous n'avez pas de robinet chez vous, il est trop clair
que ce n'est pas de vous que j'entendais parler. Je ne peux pas vous accuser de gaspiller l'eau, puisque vous n'en avez pas à votre disposition. Vous me croyez décidément plus bête que je ne suis Je suis encore assez intelligent pour savoir que la première condition pour gaspiller de l'eau, c'est d'en avoir.
Je ne visais donc, dans mon article, que ceux qui ont dans leur petit ménage un robinet d'évier. Ceux-là sont déjà fort nombreux à Paris.
Eh bien ! mon correspondant aura beau s'insurger contre mon assertion,
c'est un fait incontestable, c'est un fait dont les preuves abondent, et des preuves officielles, des preuves irrécusables ; aussitôt que les grandes chaleurs arrivent, tous les locataires (mettons presque tous, pour ne désobliger personne) calent leur robinet et laissent l'eau couler librement durant des six heures de suite.
Et ce ne sont pas seulement les très petits ménages qui agissent de la sorte.
Je puis affirmer à mon correspondant que des personnes dont les locations sont très importantes ne font aucune difficulté de laisser leurs domestiques dépenser trois ou quatre cents litres d'eau courante pour rafraîchir une bouteille de vin.
Mon correspondant trouve bon, à ce propos, de crier contre ces gueux de
propriétaires! « C'est chez eux, dit-il, que l'eau est répandue avec profusion, et il n'est certes pas difficile de s'en convaincre avec un peu de bonne foi.»
Je lui ferai observer que ces gueux de propriétaires n'ont pas tant qu'il le croit envie de gaspiller l'eau. Ils l'économisent au contraire ; car ils sont obligés de payer tout ce qu'ils en consomment.
J'avais pris soin d'expliquer comment le propriétaire est astreint au compteur, qui enregistre tout ce qu'il a consommé d'eau, tandis que ses locataires usent du robinet libre. L'un a intérêt à la ménager ; pourquoi les autres se modéreraient-ils?
Mon correspondant a l'air de me reprocher aigrement l'eau que j'emploie.
Il faut me rendre cette justice que tout au moins je ne la vole à personne. Car jamais je ne dépense la totalité de l'eau qui est marquée sur ma police d'abonnement et que je paie régulièrement tous les six mois.
Il fait remarquer encore qu'avec la quantité d'eau que l'on verse sur la chaussée du boulevard Haussmann ou dans les allées du bois de Boulogne on alimenterait des milliers de petits ménages. Je lui répondrai que l'on arrose la rue Mouffetard tout aussi bien que le boulevard Haussmann, et le bois de Vincennes tout comme le bois de Boulogne. Et ne pousserait-il pas, lui tout le premier, de beaux cris
d'indignation, si l'administration supprimait un jour l'arrosage des voies publiques, des jardins, des parcs et des squares ?
Tout ce que j'avais dit et la vérité pure. Il est certain que le Parisien a une tendance fâcheuse à gaspiller l'eau qu'il ne paie pas. Il est certain aussi que ce gaspillage effréné tarit les réservoirs, et que si l'arrosage public est parfois suspendu, c'est la faute des particuliers qui ont inutilement versé droit à l'égout
une eau pure et fraîche.
Mon correspondant, au lieu de récriminer contre un homme qui a eu le courage de dire ses vérités à la population parisienne, ferait bien mieux de répandre ces articles dans le monde où il vit, et de m'aider à réformer des mœurs qui sont évidemment mauvaises.
Francisque Sarcey
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Mathurin Moreau a produit une cinquantaine de modèles pour les Fonderies du Val d'Osne. Cette grande fontaine d'applique (165 kg !) présentée dans le catalogue de 1881 est la reprise ... |
![]() |
... d'un bas relief qu'il avait réalisé en 1878 pour l'aile de Marsan du Louvre. |
COMMENT ON LIVRE L'EAU
Le mode de délivrance de l'eau n'est pas uniforme. Originairement, à la suite du traité de 1860 passé entre la Ville et la Compagnie des eaux la distribution était réglée :
Par
un robinet de jauge ;
Par estimation ;
Par compteurs ;
et, pour les délivrances temporaires comme les constructions, par exemple, par attachement.
Dans
le premier système, l'eau est livrée par un écoulement continu,
que l'abonné peut interrompre, ou qui est suspendu par la fermeture
automatique du robinet de prise, mais qui est réglé de manière à
fournir en vingt quatre heures le volume fixé par la police
d'abonnement. Cette eau est emmagasinée dans un réservoir et
consommée par l'abonné aux heures et dans le temps qu'il veut, mais
le total dont il dispose par jour est rigoureusement limité.
L'estimation
était de 45 litres par tête quand on n'avait qu'un seul robinet, et
de 33 litres par robinet supplémentaire s'il y en avait plusieurs.
Le
mode de livraison aux compteurs ne fut tout d'abord qu'employé de
manière exceptionnelle, en raison du prix de ces instruments et
surtout de l'imperfection de leur fabrication, qui ne permettait pas
d'en faire des enregistreurs exacts.
Mais
lorsque l'eau de source fut distribuée et que son emploi se fut
généralisé, on reconnut bientôt que le volume dont on disposait
serait bientôt insuffisant, si l'on n'arrêtait pas le gaspillage
qui se trouvait facilité surtout par le système de l'estimation.
L'administration
chercha donc à imposer presque partout le compteur. Elle y a réussi
comme on va le constater par le tableau suivant des abonnements en
1878 et en 1889
1878
1889
Abonnements
à la jauge 16,858 13,340
— à
l'estimation (robinet libre) 26,217 2,590
— au
compteur 511 51,670
I
(...)
On
peut dire que, parmi les capitales, Paris est une de celles où l'eau
de consommation domestique est relativement bon marché, en même
temps qu'elle est excellente. Malheureusement, le volume d'eau de
source est encore insuffisant l'été et il faudra attendre quatre
années avant qu'il soit augmenté.
Afin
de réserver l'eau de source à l'alimentation, la Ville a arrêté
pour les eaux de rivière, destinées plus particulièrement aux
usages industriels, un tarif de 60 francs par mètre cube de
consommation journalière, soit moitié du prix de l'eau de source à
plein tarif.
Actuellement,
dans tous les quartiers indistinctement, l'eau qui fait le service
public dans la rue, que ce soit de l'eau d'Ourcq, de l'eau de Seine
ou de l'eau de Marne, est livrée aux riverains de cette rue au prix
de 60 francs le mètre pour tous les usages industriels et
commerciaux et, par extension, pour les arrosages des cours et
jardins et le service des écuries et remises.
La
nécessité de se procurer de l'argent pour les dépenses énormes
des nouvelles adductions a amené l'administration à étudier la
question de savoir si, à Paris, on ne pourrait obliger tout
propriétaire d'immeuble à avoir un abonnement aux eaux de la Ville.
Malgré
les facilités données aux propriétaires pour introduire l'eau dans
leurs maisons, la moitié des immeubles de Paris reste encore privée
d'abonnements aux eaux de la Ville. On ne peut voir, dans cette
résistance au progrès, que l'intérêt des propriétaires qui
reculent devant des dépenses d'installation, et surtout devant le
prix que leur coûte l'eau à enlever dans les fosses d'aisance.
L'administration
s'est donc demandé si, dans l'intérêt supérieur de la salubrité,
il n'y aurait pas lieu de contraindre tout propriétaire d'un
immeuble habité à y livrer l'eau nécessaire aux usages domestiques
des locataires.
Il
est probable que, bientôt, soit à l'aide d'un décret, soit en
vertu d'une loi, l'abonnement obligatoire fonctionnera et cela sera
d'autant plus juste que les eaux coûtent à la Ville annuellement un
million en plus de ce qu'elles rapportent.
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Avant l'adoption du compteur, de nombreux systèmes alternatifs ont été proposés, dont les systèmes intermittents dans lesquels un ressort limitait le temps d'ouverture. Quelque ingéniosité qu'on déployât, l'abonné parvenait toujours à "caler" le système pour obtenir un écoulement continu.
"Jusqu'à ce jour, tous les systèmes adoptés, à vis, à clef, à repoussoir, etc, peuvent être calés à volonté; nos ménagères sont là pour l'attester; or là Ville de Paris n'a guère que 450.000 mètres cubes d'eau à dépenser par jour ; chaque robinet, calculé pour fournir 45 litres par personne, peut en débiter 50.000 par le calage ; ces chiffres suffisent à donner une idée de la dépense énorme d'eau qui peut se faire chaque jour en pure perle à Paris.
Le robinet intermittent automatique pouvait seul obvier à ces graves inconvénients; c'est là l'intérêt tout particulier que présente le système Chameroy." Gallica.bnf.fr |
Moyens employés pour diminuer les abus.
Lorsque, malgré les prescriptions réglementaires, les abonnés en
sont venus à un usage abusif de l'eau, et que la seule perspective
d'une amende ou d'une pénalité quelconque est impuissante à
combattre une habitude prise, on peut employer utilement, pour
restreindre la consommation sans causer de gêne appréciable,
certains appareils, qui se prêtent à l'usage normal de l'eau, mais,
sont disposés de manière à limiter les dépenses inutiles.
En
première ligne il convient de mentionner l'emploi de robinets de
calibre réduit. La plupart des robinets ordinaires sont plus gros
qu'il n'est strictement nécessaire, et souvent il est possible d'en
diminuer le débit de moitié ou des deux tiers sans qu'ils cessent
de remplir suffisamment vite les vases de capacité ordinaire. De la
sorte, en admettant qu'on laisse les robinets ouverts, les pertes
d'eau sont déjà moindres.
Viennent
ensuite les robinets à repoussoir qui ne laissent passer
l'eau que lorsqu'on les maintient ouverts a la main. Une pareille
obligation, sans être trop gênante pour les usages courants, est de
nature à limiter singulièrement les abus ; et l'emploi de ces
appareils fournirait une excellente solution, s'ils étaient sûrement
efficaces. Mais, quelque ingénieuses que soient les dispositions
imaginées pour déterminer la fermeture du robinet dès que la main
l'abandonne, l'ingéniosité de certains consommateurs en a presque
toujours raison ; et il est peu de robinets à ressort, même parmi
les plus perfectionnés, qu'on ne parvienne à caler, c'est-à-dire à
maintenir ouverts aussi longtemps qu'on le veut, en paralysant
l'action du ressort au moyen d'un bout de bois, d'une ficelle, etc.
Néanmoins, ce type d'appareils rend d'incontestables services.
On
a proposé aussi d'autres robinets qui produisent le même effet
d'une manière plus sure. Ce sont les robinets intermittents.
Lorsqu'on a fait la manœuvre d'ouverture, ils laissent passer une
quantité d'eau déterminée par un réglage préalable, sans qu'il y
ait besoin de les maintenir avec la main, puis, ce volume d'eau
écoulé, ils se referment spontanément par l'effet d'un mécanisme
intérieur sur lequel l'usager n'a point d'action et dont il ne peut
empêcher le fonctionnement ; il faut renouveler la manœuvre pour
obtenir une nouvelle quantité d'eau. Le plus souvent, c'est la
pression même de l'eau qui détermine la fermeture du robinet :
dans le robinet Chameroy qui a été expérimenté à Paris,
le temps de l'ouverture était limité par une sorte de cataracte,
c'est à-dire par un très petit écoulement à travers un orifice
capillaire qui finit par ramener l'obturateur dans sa position
primitive. Le principe de ces appareils est excellent ; et
quelques-uns méritent de se répandre, bien que le réglage en soit
toujours un peu délicat et ne se maintienne généralement pas très
longtemps sans modification.

Devant la pénurie d'eau, on ne se contente pas de lutter contre gaspillage. De nouvelles sources sont mises à contribution : le Loing arrivera en 1900, accompagné du Lunain et de la Voulzie. D'autres projets ont été étudiés, comme un canal depuis la Loire ou ce projet de dérivation du Lac Léman pour alimenter Paris. Gallica.bnf.fr

Maintenant que le public demande de l'eau de source, quitte à la payer, l'administration municipale et la Cie Générale des eaux peuvent imposer leur loi et réclamer leur dû. On fait pression sur les propriétaires pour leur imposer l'installation de colonnes montantes jusqu'à rendre cette installation obligatoire (janvier 1892), et l'on supprime peu à peu tous les points d'eau gratuits.
Le génie Civil, n° 1001, 17 février 1906
LA LIMITATION AUTOMATIQUE DU DÉBIT
dans les bornes-fontaines et robinets.
La lutte contre le gaspillage de l'eau potable, dans les distributions
publiques, ne fait guère que commencer, et il ne paraît pas douteux
qu'elle n'aille en s'accentuant avec le temps. D'un côté, en effet,
la consommation ne peut que croître ; d'autre part, les services
publics d'hygiène, dont l'action se précise de plus en plus,
tendent à réduire les quantités distribuables, en exigeant une
potabilité complète et garantie. Or, les sources donnant de l'eau
toujours potable sont relativement rares et, en tout cas, de débits
très modestes. Quant aux systèmes d'épuration et de filtration,
ils ne fournissent des quantités importantes qu'au prix de frais
considérables, rédhibitoires pour la plupart des municipalités. Il
y a bien encore les filtres naturels, le long des fleuves et des
rivières, les nappes souterraines et les grands lacs d'eau pure,
mais combien sont rares les agglomérations à même d'en tirer
parti! Heureuses celles qui peuvent y puiser.
C'est ce que prouvera un jour, bientôt peut-être, l'exemple de Paris et
l'imprudence commise par ses représentants en sanctionnant les
combinaisons de plus en plus extraordinaires échafaudées pour
l'alimentation de leur cité ; combinaisons qui depuis tant d'années
leur coûtent cher et qui continueront à leur coûter cher, sans
espérance d'atténuation ou de compensation sous aucune forme.
Contre le gaspillage, une école d'Ingénieurs préconise le compteur,
solution apparente, inefficace dans les périodes de l'année où
l'abus est vraiment dangereux. Le compteur constitue un impôt de
consommation dont le taux, souvent, dépasse la valeur du produit
frappé, et qui atteint injustement une foule de consommateurs :
c'est une solution de financier. Les bons payent pour les mauvais, ou
plutôt tout le monde paye. De là vient, peut-être, que les
compteurs sont si énergiquement défendus dans certains milieux.
Il nous semble que la solution équitable doive être cherchée de
préférence dans le perfectionnement des appareils à débit limité
automatiquement, question qui offre un vaste champ à l'ingéniosité
des inventeurs. En principe, ils résolvent le problème d'une façon
complète, et parmi les nombreux modèles mis au jour, il ne paraît
pas impossible d'en rendre quelques-uns tout à fait pratiques.
(…)
D'ailleurs, un courant d'opinion marqué se manifeste aujourd'hui pour la
suppression de toute borne-fontaine. Beaucoup de grandes villes, en
France ou à l'étranger, paraissent entrer dans cette voie, qui
n'est ni généreuse ni démocratique, et qui n'est peut-être pas
juste.
Ce sont des considérations financières plus que toutes autres qui
conduisent à de semblables mesures. C'est qu'en effet, une borne
publique est une cause de limitation des installations d'eau dans les
immeubles, là où ces installations ne sont pas obligatoires, et une
cause de limitation de leur usage, là où elles sont obligatoires et
où les locataires subissent naturellement la répercussion des
frais.
La vente de l'eau s'en ressent, et les vendeurs qui sont tout puissants
contre le public en cette matière, étant en effet, ou
l'Administration elle-même, ou un entrepreneur concessionnaire avec
un solide cahier des charges, se plaignent et s'attaquent à tout ce
qui les gêne.
C'est pour cela que les bornes-fontaines sont menacées, et elles doivent
se faire très modestes pour se défendre utilement. Leur vraie
formule serait de ressembler à une pompe, c'est-à-dire d'obliger le
puiseur à comparer la peine qu'il se donne et le petit profit qu'il
en retire ; on ne verrait pas alors, peut-être, se commettre cette
injustice envers les plus pauvres que constitue, en définitive, la
suppression de tout moyen de se procurer gratuitement de l'eau
potable dans une cité, c'est-à-dire la suppression des bornes.
P. Aristide BERGÈS, Ancien Directeur du Service des Eaux de Lyon.
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La maison salubre est définie à la fin du XIXe siècle, mais il reste beaucoup à faire pour imposer partout le tout à l'égout et l'eau dans les appartements.
Principes d'hygiène, 1895. Gallica.bnf.fr
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16, rue Gauthey, XVIIe ardt. L'arrivée de l'eau distingue maintenant un immeuble qui arbore sa plaque comme une décoration. |
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268, rue de Belleville, XXe ardt. Autorisé sous certaines conditions en 1886, le tout à l'égout devient obligatoire au niveau national en 1894. |
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Juillet 1921. Agence Rol. Ill. Gallica.bnf.fr. Le nombre des bornes-fontaines décroït rapidement avec l'arrivée de l'eau dans les immeubles. Cette disparition de l'eau gratuite va d'ailleurs brouiller l'idée du progrès que représente l'eau à domicile chez les habitants des immeubles insalubres dont les propriétaires tarderont à en payer l'installation. |
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Ce modèle impose à l'utilisateur de tourner la manivelle avec une main pour obtenir de d'eau. Impossible alors de "caler" le robinet pour s'abandonner à un coupable gaspillage. |
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Le robinet à poussoir était aussi utilisé. Mais les petits malins trouvaient toujours une technique pour le "caler". |
Brève histoire des compteurs d'eau, par Konstantinos Chatzis, 2006
La maison salubre et la maison insalubre à l'Exposition universelle de 1889 : étude sur l'exposition du service de l'assainissement / par Louis Havard, 1890
Pour en savoir plus sur l'enjeu des compteurs d'eau : Le compteur d'eau : enjeux passés et actuels / Bernard Barraqué
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