P Seguin sculpteur, 1904, LP Marquet architecte, 4 avenue des Gobelins, Ve ardt |
Où l'on apprend quelle est la bonne éducation des enfants dans la bonne société de la fin du XIXe siècle, par exemple le danger de les laisser entièrement entre les mains des bonnes. Enfin on envisage une forme de famille sans parents.
NOTES D'UNE MÈRE, Cours d' Éducation Maternelle, 1883
La fureur, maintenant, est de gâter les enfants, de les laisser indépendants. « Ça viendra tout seul, » « il a le temps ! » « Jamais on ne m'a rien dit, et je ne suis pas plus mal pour cela. » Ah ! voilà, la grande phrase! le grand dada. C'est l'orgueil, la personnalité qui domine! Quelques parents ont le bon sens de dire : « J'ai été mal élevé, je ne veux pas que mes enfants soient comme moi. » Beaucoup d'autres pensent qu'il suffit qu'on leur ressemble.
Cela me rappelle une Américaine que je rencontrai à une table d'hôte, pendant la guerre de 1870, à Bruxelles ; elle était phtisique au dernier degré, sa figure était recouverte d'une épaisse couche de blanc et de rouge, afin de lui enlever l'aspect cadavérique naturel et que l'on pouvait apercevoir sur son long cou décharné. Elle mélangeait à tous ses aliments du poivre rouge, du gingembre, du vinaigre et autres assaisonnements pimentés à l'excès ; elle ne se couchait jamais avant deux heures du matin ; elle engageait ses voisines à l'imiter, et comme nous répondions que ce régime abîmait la santé, elle nous répondit:
-C'est une erreur ; voyez, moi !
En même temps, une forte quinte la secouait, ses yeux fiévreux et bistrés s'enfonçaient, sa frêle taille s'ébranlait. Il était difficile de se retenir de lui répondre: « Je serais bien fâchée de vous ressembler ! »
Que de parents disent: « Voyez, moi ! J'ai toujours été mauvaise tête comme mon fils ; je n'ai jamais voulu rien apprendre !… Eh bien, je m'en suis sorti tout de même !
-Moi, je n'ai jamais aimé le ménage ; ma fille me ressemble ! Il m'a été impossible de tout temps de coudre un point, et de rester un jour sans sortir
-Elle est un peu moqueuse, c'est vrai, reprend une autre, c'est un défaut qu'elle tient de famille ; nous avons trop d'esprit. Elle ne fait pas grand mal ! »
Que dire ? que répondre ? sinon s'incliner bien bas en parodiant la chanson de Nadaud : … Vous avez raison !
L'erreur greffée sur l'orgueil humain est indéracinable, et voilà pourquoi le mal fait sans cesse des progrès.
Il est donc résolu de laisser les enfants s'élever eux-mêmes ; à eux de choisir la religion qu'ils veulent suivre, la carrière, les sentiments ! Aussi, dans toutes les classes, chez le millionnaire comme chez l'ouvrier, l'enfance se gangrène ; l'enfance n'existe plus ; il n'y a que de petits hommes, de petites femmes, sauf la raison que donne l'expérience des années.
Voyez le gamin de la rue, non pas le voyou seulement dont le défaut d'éducation pourrait servir d'excuse, mais l'enfant des commerçants, dès le plus bas âge: il est hardi et insolent ; il ne connaît pas le respect qu'il doit aux gens âgés et qui sont ses supérieurs ! il est impossible de lui en imposer, s'il lui plaît de vous insulter. Il se sait soutenu par ses parents. Que sera sa hardiesse à vingt ans. Et la fillette qu'un équipage fringant va promener, sa morgue, son impertinence n'ont pas de limites ; elle parle argot et affecte les allures de l'actrice… Sa mère, son père même, l'adorent ainsi ! Les parents sont beaucoup trop aveugles, mais c'est l'amour-propre et non l'amour paternel qui leur met un bandeau sur les yeux. Cet enfant, qui est à eux, fait à leur image, ne peut être, ne doit être qu'une perfection !
Certes, il y a des exceptions, beaucoup d'exceptions ; si, autour de moi, je connais bon nombre d'enfants mal élevés, je pourrais prendre modèle sur d'autres bien charmants ; je n'aurais qu'à jeter les yeux sur telle ou telle famille que je connais, dans le commerce, dans la bourgeoisie, où une mère sensée, industrieuse et active a su élever ses filles à son côté, les accoutumer au travail, à la docilité, leur faire conserver la simplicité, la douceur, la modestie de la jeunesse, et leur a appris à respecter la vieillesse, à écouter ceux qui en savent plus qu'elles.
Oui ! il y a encore des pères qui savent dresser leurs fils, quoiqu'il puisse leur en coûter à rester sévères, sans cesser d'être tendres ; qui élèvent leurs enfants en vue du bonheur de ces enfants et non du leur ; et ces fils, enseignés à aimer le foyer domestique, à être prudents dans leurs amitiés et dans leurs affaires, se laissent guider par une main expérimentée et arrivent aux meilleures positions.
(…)
LES BONNES.
Que d'abus, que de victimes les illusions, la légèreté, l'ignorance, peuvent occasionner, mais non excuser ! Malheureusement tout concourt souvent à entretenir et à confirmer ces illusions et ces ignorances. Une voix s'élève-t-elle de temps à autre pour combattre les erreurs, elle est étouffée ou oubliée bientôt.
Le docteur Brochard a dit et répété combien les nourrices et les bonnes maltraitaient ou pervertissaient les pauvres petits enfants qui leur étaient confiés ; pour moi, je voudrais pouvoir inculquer cette méfiance dans le cœur de toutes les mères ; au risque de me répéter encore, je veux faire une nouvelle campagne à ce sujet.
Existe-t-il une cause plus intéressante que celle de ces pauvres bébés ? Oh ! je ne viens pas, mesdames, vous parler des malheureux petits Chinois, que leurs parents jettent à la voirie, ni des enfants orphelins à recueillir par la charité et si dignes de pitié ; je veux seulement attirer votre attention sur vos propres enfants, ceux qui sont nés de votre chair et de votre sang, ceux qui sont là tout auprès de vous, tendant leurs petites lèvres roses toutes gonflées, et leurs petits bras blancs potelés vers vous, et qui voudraient vous dire s'ils le pouvaient : -Maman ! donne de l'argent pour sauver les petits Chinois, tant mieux ! Que le bon Dieu me le rende, mais donne ton temps à la surveillance de ton bébé… et n'accorde pas ta confiance illimitée en la nourrice ou en la bonne.
(…)
Citer des exemples entraînerait trop loin, mais l'imagination ne pourra jamais exagérer ce qui se passe entre les bonnes et les enfants. J'aurais presque crainte, sinon horreur, de raconter certains faits, de peur d'en suggérer l'idée ! On a vu des bonnes adorant les enfants qui leur étaient confiés, leur donner l'habitude de boire des liqueurs pour les satisfaire…! Une, qui buvait de l'eau-de-vie en cachette de sa maîtresse, en frottait légèrement les lèvres de l'enfant, qui y prenait grand plaisir et lui fit ainsi contracter le vice de l'alcoolisme !
Il serait à désirer que les maris et les mères n'appréhendassent pas autant de dévoiler aux jeunes femmes certains vices, afin de les éclairer sur les dangers à éviter. Mais j'entends ici maintes voix s'élever : -Oh ! j'ai une excellente vieille bonne! je puis avoir la plus grande confiance en elle!
-La mienne est une fille douce et honnête, qui n'a aucun vice.
-Celle-ci a élevé des enfants dans les meilleures maisons !…
Les jeunes femmes ont facilement confiance, d'abord parce qu'elles n'ont pas l'expérience du mal, triste expérience, hélas ! qu'on acquiert avec les ans et toujours trop tard ! ensuite, elles ont le caractère indécis et faible ; quittant la tutelle paternelle pour entrer sous le joug conjugal, l'obéissance, la douceur sont de leurs principales qualités ; leur bonne, leur nourrice sont plus âgées qu'elles, en savent plus qu'elles sur bien des points: elles cèdent et se laissent dominer. Ensuite encore, la confiance s'accorde d'autant plus facilement que c'est un soulagement pour les caractères légers qui aiment bien à se décharger des corvées ennuyeuses.
La jeune femme donne un coup d'œil de temps à autre à la nursery ; elle aperçoit tout bien en règle. Plus une bonne est une maîtresse femme, plus elle a d'aptitude pour réglementer seule, sans surveillance, plus elle est à craindre pour l'enfant.
Comment une mère peut-elle souffrir qu'on morigène, qu'on caresse son enfant à sa place ? Comment peut-elle renoncer pour… pour qui ? Grand Dieu ! pour un monde… indifférent ! à essuyer ces grosses larmes que les gronderies font couler, à entendre cette petite voix implorer son pardon ; à donner une petite correction même, toujours mesurée par l'amour maternel, puis à voir ces ris faire des fossettes aux joues roses, à démêler ces fins cheveux encore si faibles, à chausser ces pieds si mignons et si vifs !
Petite fille, cette femme a aimé à habiller sa poupée, à la bercer, et aujourd'hui que Dieu met entre ses mains une poupée vivante bien autrement intéressante que celle aux yeux d'émail, où il y a plus qu'un corps à soigner, mais une âme à former, elle s'empresse de confier ce précieux trésor à une femme à laquelle elle n'aurait certainement pas voulu confier sa poupée de bois !
Pour se rendre compte du peu de confiance qu'il faut mettre dans les domestiques même les plus éprouvés, il n'y a qu'à parcourir les jardins publics, et on s'étonnera que là où il y a des gardiens pour empêcher de maltraiter les chevaux, on ne songe pas à en mettre pour empêcher de maltraiter les enfants !
(…)
PUNITIONS ET RÉCOMPENSES
La privation de récréation est la meilleure punition sans contredit ; je ne dis pas la privation de sortie, mais celle de jouer. La mère qui laissera son enfant seule, pour la punir, pendant qu'elle-même sortira, fera naître dans ce petit cœur de l'aigreur et de l'envie ; lorsqu'elle rentrera, l'enfant n'aura rien fait, se sera peut-être, au contraire, amusée. La priver de jouer est une vraie punition.
-« Mais il y a des enfants qui n'aiment point le jeu. »—C'est un malheur. Un enfant n'aimant point à jouer m'a toujours semblé une anomalie ; c'est un cas fort rare, sinon nul, provenant de la nature ; mais la mauvaise éducation actuelle le fait naître souvent. Ces petites filles dont on fait de véritables poupées, qu'on pare comme de petites cocodettes, qui savent, au sortir du berceau, endurer des chaussures étroites, et se priver de sauter à la corde pour ne point faire craquer leurs corsages, préfèrent ne point jouer et se pavaner comme des dames. C'est, je le crains bien, perdre son temps, que de dire: « Habillez vos enfants simplement, laissez-les jeunes, candides, tant que vous pourrez », car ces mauvaises habitudes sont invétérées partout maintenant.
(…)
On doit aviser que les récompenses aient toujours un côté utile. Ainsi on promettra à l'enfant de lui laisser lire une histoire qu'on aura choisie instructive, de lui laisser faire une robe pour sa poupée ; la mère qui aura su inspirer à sa fille de regarder ses leçons de piano et de dessin comme des récompenses, et l'en privera en punition, aura obtenu un excellent résultat
(...)
RÈGLEMENT DE LA JOURNÉE D'UN ENFANT A L'ÉPOQUE DE SON INSTRUCTION.
Les jeunes femmes à Paris ne deviennent si coureuses, c'est le mot, que parce que leurs mères ont cru obligatoire de les faire promener des heures entières avec leurs gouvernantes. Elles ne peuvent plus se passer des promenades sempiternelles. Jouer, c'est encore s'occuper ; se promener, arpenter dix fois les Champs-Élysées, les bras ballants, c'est être oisif ; de plus, c'est éreintant, les promenades étant rarement plates. Il ne faut pas qu'une enfant regarde la promenade comme indispensable à sa santé, autrement elle se croira perdue dès qu'elle ne pourra pas sortir.
Je connais une jeune femme qui a été tellement habituée à sortir tous les jours quelque temps qu'il fasse, pendant qu'elle était enfant, qu'une fois jeune fille elle a cru cette promenade indispensable à sa santé ; le médecin avait répété tant de fois devant elle qu'il fallait qu'elle fît un exercice quotidien au grand air, qu'elle s'est persuadée qu'elle était très malade quand elle ne le faisait pas et que sa vie était en péril. Elle fourbissait, s'il est possible de s'exprimer ainsi, toutes les institutrices, gouvernantes, femmes de chambre qu'on mettait pour l'accompagner, car sa mère avait dû renoncer à cette tâche.
Maintenant qu'elle est mariée, précisément avec un homme peu marcheur, du matin au soir elle est dehors, par tous les temps, seule, sous le prétexte de faire de l'exercice. Mais, chose étrange, ces jeunes femmes si sorteuses, si marcheuses, ne le sont plus, ou du moins ne sont pas disposées à l'être lorsqu'il s'agit de promener leurs enfants ! Elles courent de côté et d'autre, à tous les points de la ville, toute la journée, pendant qu'à une étrangère sont confiés ces précieux trésors !
(…)
ESSAIS SUR L'ÉDUCATION DES GARÇONS
Il est donc deux choses qu'une mère doit s'appliquer à développer en son fils : le cœur et l'estime de la femme. Au lieu de lui en montrer la perversité, en croyant l'en dégoûter, elle doit lui faire considérer les êtres méprisables qui déshonorent notre sexe, comme des exceptions, trop hideuses pour s'y arrêter longtemps, et diriger sans cesse ses regards sur celles qui sont chastes et vertueuses comme étant les seules dignes d'attention.
NOTES D'UNE MÈRE, Cours d' Éducation Maternelle, 1883
La fureur, maintenant, est de gâter les enfants, de les laisser indépendants. « Ça viendra tout seul, » « il a le temps ! » « Jamais on ne m'a rien dit, et je ne suis pas plus mal pour cela. » Ah ! voilà, la grande phrase! le grand dada. C'est l'orgueil, la personnalité qui domine! Quelques parents ont le bon sens de dire : « J'ai été mal élevé, je ne veux pas que mes enfants soient comme moi. » Beaucoup d'autres pensent qu'il suffit qu'on leur ressemble.
Cela me rappelle une Américaine que je rencontrai à une table d'hôte, pendant la guerre de 1870, à Bruxelles ; elle était phtisique au dernier degré, sa figure était recouverte d'une épaisse couche de blanc et de rouge, afin de lui enlever l'aspect cadavérique naturel et que l'on pouvait apercevoir sur son long cou décharné. Elle mélangeait à tous ses aliments du poivre rouge, du gingembre, du vinaigre et autres assaisonnements pimentés à l'excès ; elle ne se couchait jamais avant deux heures du matin ; elle engageait ses voisines à l'imiter, et comme nous répondions que ce régime abîmait la santé, elle nous répondit:
-C'est une erreur ; voyez, moi !
En même temps, une forte quinte la secouait, ses yeux fiévreux et bistrés s'enfonçaient, sa frêle taille s'ébranlait. Il était difficile de se retenir de lui répondre: « Je serais bien fâchée de vous ressembler ! »
Que de parents disent: « Voyez, moi ! J'ai toujours été mauvaise tête comme mon fils ; je n'ai jamais voulu rien apprendre !… Eh bien, je m'en suis sorti tout de même !
-Moi, je n'ai jamais aimé le ménage ; ma fille me ressemble ! Il m'a été impossible de tout temps de coudre un point, et de rester un jour sans sortir
-Elle est un peu moqueuse, c'est vrai, reprend une autre, c'est un défaut qu'elle tient de famille ; nous avons trop d'esprit. Elle ne fait pas grand mal ! »
Que dire ? que répondre ? sinon s'incliner bien bas en parodiant la chanson de Nadaud : … Vous avez raison !
L'erreur greffée sur l'orgueil humain est indéracinable, et voilà pourquoi le mal fait sans cesse des progrès.
Il est donc résolu de laisser les enfants s'élever eux-mêmes ; à eux de choisir la religion qu'ils veulent suivre, la carrière, les sentiments ! Aussi, dans toutes les classes, chez le millionnaire comme chez l'ouvrier, l'enfance se gangrène ; l'enfance n'existe plus ; il n'y a que de petits hommes, de petites femmes, sauf la raison que donne l'expérience des années.
Voyez le gamin de la rue, non pas le voyou seulement dont le défaut d'éducation pourrait servir d'excuse, mais l'enfant des commerçants, dès le plus bas âge: il est hardi et insolent ; il ne connaît pas le respect qu'il doit aux gens âgés et qui sont ses supérieurs ! il est impossible de lui en imposer, s'il lui plaît de vous insulter. Il se sait soutenu par ses parents. Que sera sa hardiesse à vingt ans. Et la fillette qu'un équipage fringant va promener, sa morgue, son impertinence n'ont pas de limites ; elle parle argot et affecte les allures de l'actrice… Sa mère, son père même, l'adorent ainsi ! Les parents sont beaucoup trop aveugles, mais c'est l'amour-propre et non l'amour paternel qui leur met un bandeau sur les yeux. Cet enfant, qui est à eux, fait à leur image, ne peut être, ne doit être qu'une perfection !
"L'éducation maternelle", Marbre de Eugène Delaplanche, 1875, Square Samuel Rousseau, VIIe ardt |
Certes, il y a des exceptions, beaucoup d'exceptions ; si, autour de moi, je connais bon nombre d'enfants mal élevés, je pourrais prendre modèle sur d'autres bien charmants ; je n'aurais qu'à jeter les yeux sur telle ou telle famille que je connais, dans le commerce, dans la bourgeoisie, où une mère sensée, industrieuse et active a su élever ses filles à son côté, les accoutumer au travail, à la docilité, leur faire conserver la simplicité, la douceur, la modestie de la jeunesse, et leur a appris à respecter la vieillesse, à écouter ceux qui en savent plus qu'elles.
Oui ! il y a encore des pères qui savent dresser leurs fils, quoiqu'il puisse leur en coûter à rester sévères, sans cesser d'être tendres ; qui élèvent leurs enfants en vue du bonheur de ces enfants et non du leur ; et ces fils, enseignés à aimer le foyer domestique, à être prudents dans leurs amitiés et dans leurs affaires, se laissent guider par une main expérimentée et arrivent aux meilleures positions.
(…)
LES BONNES.
Que d'abus, que de victimes les illusions, la légèreté, l'ignorance, peuvent occasionner, mais non excuser ! Malheureusement tout concourt souvent à entretenir et à confirmer ces illusions et ces ignorances. Une voix s'élève-t-elle de temps à autre pour combattre les erreurs, elle est étouffée ou oubliée bientôt.
Le docteur Brochard a dit et répété combien les nourrices et les bonnes maltraitaient ou pervertissaient les pauvres petits enfants qui leur étaient confiés ; pour moi, je voudrais pouvoir inculquer cette méfiance dans le cœur de toutes les mères ; au risque de me répéter encore, je veux faire une nouvelle campagne à ce sujet.
Existe-t-il une cause plus intéressante que celle de ces pauvres bébés ? Oh ! je ne viens pas, mesdames, vous parler des malheureux petits Chinois, que leurs parents jettent à la voirie, ni des enfants orphelins à recueillir par la charité et si dignes de pitié ; je veux seulement attirer votre attention sur vos propres enfants, ceux qui sont nés de votre chair et de votre sang, ceux qui sont là tout auprès de vous, tendant leurs petites lèvres roses toutes gonflées, et leurs petits bras blancs potelés vers vous, et qui voudraient vous dire s'ils le pouvaient : -Maman ! donne de l'argent pour sauver les petits Chinois, tant mieux ! Que le bon Dieu me le rende, mais donne ton temps à la surveillance de ton bébé… et n'accorde pas ta confiance illimitée en la nourrice ou en la bonne.
(…)
Citer des exemples entraînerait trop loin, mais l'imagination ne pourra jamais exagérer ce qui se passe entre les bonnes et les enfants. J'aurais presque crainte, sinon horreur, de raconter certains faits, de peur d'en suggérer l'idée ! On a vu des bonnes adorant les enfants qui leur étaient confiés, leur donner l'habitude de boire des liqueurs pour les satisfaire…! Une, qui buvait de l'eau-de-vie en cachette de sa maîtresse, en frottait légèrement les lèvres de l'enfant, qui y prenait grand plaisir et lui fit ainsi contracter le vice de l'alcoolisme !
Il serait à désirer que les maris et les mères n'appréhendassent pas autant de dévoiler aux jeunes femmes certains vices, afin de les éclairer sur les dangers à éviter. Mais j'entends ici maintes voix s'élever : -Oh ! j'ai une excellente vieille bonne! je puis avoir la plus grande confiance en elle!
-La mienne est une fille douce et honnête, qui n'a aucun vice.
-Celle-ci a élevé des enfants dans les meilleures maisons !…
Monument à Eugène Carrière, sculpteur Jean René Carrière, Henri Sauvage architecte place Constantin Pecqueur, XVIIIe ardt |
Les jeunes femmes ont facilement confiance, d'abord parce qu'elles n'ont pas l'expérience du mal, triste expérience, hélas ! qu'on acquiert avec les ans et toujours trop tard ! ensuite, elles ont le caractère indécis et faible ; quittant la tutelle paternelle pour entrer sous le joug conjugal, l'obéissance, la douceur sont de leurs principales qualités ; leur bonne, leur nourrice sont plus âgées qu'elles, en savent plus qu'elles sur bien des points: elles cèdent et se laissent dominer. Ensuite encore, la confiance s'accorde d'autant plus facilement que c'est un soulagement pour les caractères légers qui aiment bien à se décharger des corvées ennuyeuses.
La jeune femme donne un coup d'œil de temps à autre à la nursery ; elle aperçoit tout bien en règle. Plus une bonne est une maîtresse femme, plus elle a d'aptitude pour réglementer seule, sans surveillance, plus elle est à craindre pour l'enfant.
Comment une mère peut-elle souffrir qu'on morigène, qu'on caresse son enfant à sa place ? Comment peut-elle renoncer pour… pour qui ? Grand Dieu ! pour un monde… indifférent ! à essuyer ces grosses larmes que les gronderies font couler, à entendre cette petite voix implorer son pardon ; à donner une petite correction même, toujours mesurée par l'amour maternel, puis à voir ces ris faire des fossettes aux joues roses, à démêler ces fins cheveux encore si faibles, à chausser ces pieds si mignons et si vifs !
P Seguin, sculpteur, 1904, LP Marquet, architecte, 4 avenue des Gobelins, Ve ardt |
Petite fille, cette femme a aimé à habiller sa poupée, à la bercer, et aujourd'hui que Dieu met entre ses mains une poupée vivante bien autrement intéressante que celle aux yeux d'émail, où il y a plus qu'un corps à soigner, mais une âme à former, elle s'empresse de confier ce précieux trésor à une femme à laquelle elle n'aurait certainement pas voulu confier sa poupée de bois !
Pour se rendre compte du peu de confiance qu'il faut mettre dans les domestiques même les plus éprouvés, il n'y a qu'à parcourir les jardins publics, et on s'étonnera que là où il y a des gardiens pour empêcher de maltraiter les chevaux, on ne songe pas à en mettre pour empêcher de maltraiter les enfants !
(…)
Extrait de "Les Enfants d'Aujourd'hui, par une mère de famille" 1859 |
PUNITIONS ET RÉCOMPENSES
La privation de récréation est la meilleure punition sans contredit ; je ne dis pas la privation de sortie, mais celle de jouer. La mère qui laissera son enfant seule, pour la punir, pendant qu'elle-même sortira, fera naître dans ce petit cœur de l'aigreur et de l'envie ; lorsqu'elle rentrera, l'enfant n'aura rien fait, se sera peut-être, au contraire, amusée. La priver de jouer est une vraie punition.
121 avenue Jean Jaurès, Boulogne Billancourt, 1930 |
-« Mais il y a des enfants qui n'aiment point le jeu. »—C'est un malheur. Un enfant n'aimant point à jouer m'a toujours semblé une anomalie ; c'est un cas fort rare, sinon nul, provenant de la nature ; mais la mauvaise éducation actuelle le fait naître souvent. Ces petites filles dont on fait de véritables poupées, qu'on pare comme de petites cocodettes, qui savent, au sortir du berceau, endurer des chaussures étroites, et se priver de sauter à la corde pour ne point faire craquer leurs corsages, préfèrent ne point jouer et se pavaner comme des dames. C'est, je le crains bien, perdre son temps, que de dire: « Habillez vos enfants simplement, laissez-les jeunes, candides, tant que vous pourrez », car ces mauvaises habitudes sont invétérées partout maintenant.
(…)
On doit aviser que les récompenses aient toujours un côté utile. Ainsi on promettra à l'enfant de lui laisser lire une histoire qu'on aura choisie instructive, de lui laisser faire une robe pour sa poupée ; la mère qui aura su inspirer à sa fille de regarder ses leçons de piano et de dessin comme des récompenses, et l'en privera en punition, aura obtenu un excellent résultat
(...)
110 bld Raspail, VIe ardt |
RÈGLEMENT DE LA JOURNÉE D'UN ENFANT A L'ÉPOQUE DE SON INSTRUCTION.
Les jeunes femmes à Paris ne deviennent si coureuses, c'est le mot, que parce que leurs mères ont cru obligatoire de les faire promener des heures entières avec leurs gouvernantes. Elles ne peuvent plus se passer des promenades sempiternelles. Jouer, c'est encore s'occuper ; se promener, arpenter dix fois les Champs-Élysées, les bras ballants, c'est être oisif ; de plus, c'est éreintant, les promenades étant rarement plates. Il ne faut pas qu'une enfant regarde la promenade comme indispensable à sa santé, autrement elle se croira perdue dès qu'elle ne pourra pas sortir.
Je connais une jeune femme qui a été tellement habituée à sortir tous les jours quelque temps qu'il fasse, pendant qu'elle était enfant, qu'une fois jeune fille elle a cru cette promenade indispensable à sa santé ; le médecin avait répété tant de fois devant elle qu'il fallait qu'elle fît un exercice quotidien au grand air, qu'elle s'est persuadée qu'elle était très malade quand elle ne le faisait pas et que sa vie était en péril. Elle fourbissait, s'il est possible de s'exprimer ainsi, toutes les institutrices, gouvernantes, femmes de chambre qu'on mettait pour l'accompagner, car sa mère avait dû renoncer à cette tâche.
Maintenant qu'elle est mariée, précisément avec un homme peu marcheur, du matin au soir elle est dehors, par tous les temps, seule, sous le prétexte de faire de l'exercice. Mais, chose étrange, ces jeunes femmes si sorteuses, si marcheuses, ne le sont plus, ou du moins ne sont pas disposées à l'être lorsqu'il s'agit de promener leurs enfants ! Elles courent de côté et d'autre, à tous les points de la ville, toute la journée, pendant qu'à une étrangère sont confiés ces précieux trésors !
Sartorio, sculpteur, 1919, Raoul Brandon, architecte, 1 rue Huysmans, VIe ardt |
(…)
ESSAIS SUR L'ÉDUCATION DES GARÇONS
Il est donc deux choses qu'une mère doit s'appliquer à développer en son fils : le cœur et l'estime de la femme. Au lieu de lui en montrer la perversité, en croyant l'en dégoûter, elle doit lui faire considérer les êtres méprisables qui déshonorent notre sexe, comme des exceptions, trop hideuses pour s'y arrêter longtemps, et diriger sans cesse ses regards sur celles qui sont chastes et vertueuses comme étant les seules dignes d'attention.
S'il
est besoin, pour les enfants des deux sexes, que les parents soient
infaillibles, c'est encore plus indispensable, s'il est possible, pour
la mère qui désire conserver quelque ascendant sur son fils. Il est
essentiel qu'à ses yeux elle soit entourée d'une auréole de sainteté et
de vertu, afin qu'il ne perde pas toute confiance dans le bien ; mais il
ne faut pas qu'elle soit trop sévère, de peur qu'il ne craigne de
s'épancher dans son sein.
(…)
De même que j'ai dit au commencement qu'un homme doit apprendre plutôt à vaincre le danger qu'à l'éviter, il faut aussi lui enseigner plutôt à gagner de l'argent qu'à l'épargner. La générosité et le courage, l'amour et le travail marchent de pair. N'est-il pas odieux de voir des hommes lésiner et rapiner quelques sous sur les besoins de leurs familles ou sur leurs aumônes, et passer leur vie, les bras croisés, sans utiliser cette force et cette intelligence que Dieu leurs a données! L'occupation est une loi pour un jeune homme, quelque fortune qu'il ait.
( …)
Pendant que le professeur cultive l'esprit du jeune garçon, que le père lui apprend ses devoirs envers la société et envers lui-même, c'est à la mère qu'est dévolue la tâche de lui former, dès son enfance, un corps robuste, et plus tard une âme énergique et sensible qui lui permette d'être heureux toute sa vie, que la fortune lui réserve ses sourires ou ses rebuts
(…)
Dans une famille de mes connaissances, il se trouvait un jeune homme de vingt ans que son père obligeait de s'habiller avec la plus stricte simplicité, ou, pour mieux dire, presque avec pauvreté, quoiqu'il eût une fort belle fortune. Le pauvre enfant, d'un caractère un peu orgueilleux, préférait souvent ne pas aller dans un endroit public que s'y montrer ainsi vêtu ; et lorsque son père le forçait à aller dans le monde, comme il ne s'y rendait qu'à contre-cœur, il y était gauche, timoré, morose. Rien ne donne de l'aisance et de l'aplomb comme de se sentir au niveau des gens qui vous entourent.
On peut juger facilement de toutes les dissensions qui devaient exister entre le père et le fils, lesquelles, depuis l'adolescence de celui-ci, ne faisaient que s'aggraver ; le père redoublant de sévérité, le fils finissant par se réjouir de la perspective de liberté que lui montrait pour un temps peu éloigné l'âge avancé de l'auteur de ses jours. Ce triste événement arriva plus tôt qu'on ne s'y attendait ; mis en possession de la part d'héritage qui lui revenait, il n'eut rien de plus pressé que d'avoir des habits venant du tailleur en renom et de mener cette vie dispendieuse dont il avait été tenu si éloigné. De regrets, il ne pouvait en avoir. Il ne connaissait pas la valeur de l'argent, précisément parce qu'en ne lui en laissant jamais, il n'avait pas pu apprendre à la connaître. Son père avait toujours paru regarder cent francs une si grosse somme qu'il crut qu'un billet de mille francs devait être éternel ; bientôt les dettes et la ruine s'amoncelèrent autour de lui.
Il est évident que c'est la valeur de l'argent qu'il faut apprendre à un enfant, et non l'économie, pas plus que la prodigalité. Car celui qui n'a pas conscience de cette valeur versera aussi bien sa bourse pour une superfluité, qu'il la fermera devant un besoin réel.
(…)
SUR LE CHOIX DES MOYENS D'INSTRUCTION
On peut aussi procurer à son enfant les avantages de l'éducation en commun en réunissant chez soi quelques enfants de ses amis. Je connais une famille très estimable et jouissant d'une jolie aisance, où se trouvent une fille de dix-huit ans et un petit garçon de dix ans. Les parents ont pris chez eux le fils d'un de leurs amis, qui est du même âge que le leur, et on leur amène chaque jour un autre enfant du voisinage. Ils reçoivent tous les trois les mêmes leçons, travaillent et prennent leurs récréations ensemble. En outre, la jeune fille est chargée des fonctions de répétiteur et de surveillante, ce qui lui permet de compléter ses études et l'oblige à occuper son temps d'une manière utile. Elle prend, en assistant aux leçons, quelques notions de langues mortes et des sciences positives ; cette éducation par la sœur aînée présente, ainsi que je viens de le dire, plusieurs avantages, dont les principaux sont l'initiation de la jeune fille aux devoirs de mère de famille et un but sérieux à ses travaux de chaque jour
(…)
(…)
3 rue du Vieux Colombier, VIe ardt |
De même que j'ai dit au commencement qu'un homme doit apprendre plutôt à vaincre le danger qu'à l'éviter, il faut aussi lui enseigner plutôt à gagner de l'argent qu'à l'épargner. La générosité et le courage, l'amour et le travail marchent de pair. N'est-il pas odieux de voir des hommes lésiner et rapiner quelques sous sur les besoins de leurs familles ou sur leurs aumônes, et passer leur vie, les bras croisés, sans utiliser cette force et cette intelligence que Dieu leurs a données! L'occupation est une loi pour un jeune homme, quelque fortune qu'il ait.
( …)
Pendant que le professeur cultive l'esprit du jeune garçon, que le père lui apprend ses devoirs envers la société et envers lui-même, c'est à la mère qu'est dévolue la tâche de lui former, dès son enfance, un corps robuste, et plus tard une âme énergique et sensible qui lui permette d'être heureux toute sa vie, que la fortune lui réserve ses sourires ou ses rebuts
(…)
30 rue Notre Dame des Champs, VIe ardt |
Dans une famille de mes connaissances, il se trouvait un jeune homme de vingt ans que son père obligeait de s'habiller avec la plus stricte simplicité, ou, pour mieux dire, presque avec pauvreté, quoiqu'il eût une fort belle fortune. Le pauvre enfant, d'un caractère un peu orgueilleux, préférait souvent ne pas aller dans un endroit public que s'y montrer ainsi vêtu ; et lorsque son père le forçait à aller dans le monde, comme il ne s'y rendait qu'à contre-cœur, il y était gauche, timoré, morose. Rien ne donne de l'aisance et de l'aplomb comme de se sentir au niveau des gens qui vous entourent.
On peut juger facilement de toutes les dissensions qui devaient exister entre le père et le fils, lesquelles, depuis l'adolescence de celui-ci, ne faisaient que s'aggraver ; le père redoublant de sévérité, le fils finissant par se réjouir de la perspective de liberté que lui montrait pour un temps peu éloigné l'âge avancé de l'auteur de ses jours. Ce triste événement arriva plus tôt qu'on ne s'y attendait ; mis en possession de la part d'héritage qui lui revenait, il n'eut rien de plus pressé que d'avoir des habits venant du tailleur en renom et de mener cette vie dispendieuse dont il avait été tenu si éloigné. De regrets, il ne pouvait en avoir. Il ne connaissait pas la valeur de l'argent, précisément parce qu'en ne lui en laissant jamais, il n'avait pas pu apprendre à la connaître. Son père avait toujours paru regarder cent francs une si grosse somme qu'il crut qu'un billet de mille francs devait être éternel ; bientôt les dettes et la ruine s'amoncelèrent autour de lui.
Il est évident que c'est la valeur de l'argent qu'il faut apprendre à un enfant, et non l'économie, pas plus que la prodigalité. Car celui qui n'a pas conscience de cette valeur versera aussi bien sa bourse pour une superfluité, qu'il la fermera devant un besoin réel.
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Extrait de "Les Enfants d'Aujourd'hui, par une mère de famille" 1859 |
SUR LE CHOIX DES MOYENS D'INSTRUCTION
On peut aussi procurer à son enfant les avantages de l'éducation en commun en réunissant chez soi quelques enfants de ses amis. Je connais une famille très estimable et jouissant d'une jolie aisance, où se trouvent une fille de dix-huit ans et un petit garçon de dix ans. Les parents ont pris chez eux le fils d'un de leurs amis, qui est du même âge que le leur, et on leur amène chaque jour un autre enfant du voisinage. Ils reçoivent tous les trois les mêmes leçons, travaillent et prennent leurs récréations ensemble. En outre, la jeune fille est chargée des fonctions de répétiteur et de surveillante, ce qui lui permet de compléter ses études et l'oblige à occuper son temps d'une manière utile. Elle prend, en assistant aux leçons, quelques notions de langues mortes et des sciences positives ; cette éducation par la sœur aînée présente, ainsi que je viens de le dire, plusieurs avantages, dont les principaux sont l'initiation de la jeune fille aux devoirs de mère de famille et un but sérieux à ses travaux de chaque jour
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93 bld Poniatowski, XIIe ardt, 1913 |
DE L'INSTRUCTION
La femme qui semble appelée à vivre dans une sphère très élevée doit, plus que toute autre, recevoir une instruction excessivement profonde ; à celle-là même, on pourra permettre d'être savante, car c'est elle surtout qu'il faut préserver de cette oisiveté qui la jetterait dans la frivolité et la nullité la plus complète. Puisqu'on ne peut la stimuler en la faisant travailler pour vivre, il faut la faire travailler, si ce n'est pour son prochain, au moins pour la gloire ; à tout prix il faut lui imposer une tâche, un but, lui montrer quelque chose de plus sérieux dans la vie que s'habiller, faire des visites et en rendre. A tout prix, il faut remplir le vide que laisseraient tous ses désirs satisfaits et le bien-être matériel, autour de son imagination et de son cœur vide qui ne tarderait pas à être rempli par des caprices malsains, des énervements sans motifs, des rêves exaltés, finissant par conduire au mal ou au spleen.
A la fille de l'ouvrier, de l'artisan, du petit commerçant même, rien n'est plus funeste qu'une grande instruction, restant fatalement incomplète, laquelle est juste suffisante à lui ouvrir les yeux sur des fleurs aux corolles magiques, sans lui donner la perspicacité de percer jusqu'au précipice qu'elles recouvrent. L'instruction, comme tous les biens, veut n'être dispensée qu'avec sobriété, prudence, presque parcimonie et discernement. Un homme doué d'une intelligence supérieure, de talents extraordinaires, peut, on a vu des exemples, s'élever au premier rang ; une femme jamais ! ou à de si rares exceptions qu'elles ne sont là que pour confirmer la règle ; encore a-t-elle dû pour cela abandonner les privilèges de son sexe. La femme ne peut changer de position que par le mariage. Là est un grand écueil pour les jeunes imaginations.
Imbues de cette idée, les jeunes filles croient avoir le droit, ou veulent, par leur instruction, l'acquérir, de trouver ce prince des contes de fées, qui les sortira de leur position. L'ouvrière aspire après un monsieur ; la bourgeoise, après un gentilhomme, et ainsi de suite.
En attendant ce bienheureux libérateur, on se pose en femme incomprise, on méprise ceux qui vous entourent, se croyant appelée à une destinée bien supérieure ; en un mot, on est malheureuse dans sa position. On se trouve déclassée. Il m'a été donné de voir cependant, je le constate avec plaisir, au milieu de cette fièvre d'ambition qui est éclose dans les cerveaux féminins d'abord, comme de juste, pour pénétrer ensuite dans ceux des hommes, de même que notre mère Ève a mangé du fruit défendu avant Adam, quelques caractères qu'elle n'avait point atteints.
J'ai vu des commerçants, donnant par extraordinaire à leurs filles une instruction commerciale, dont les beaux-arts n'étaient pas absolument exclus, mais qui ne les enlevait pas à leur milieu ; dès leur enfance, elles étaient nourries de l'idée qu'elles épouseraient un négociant comme leur père, qu'elles l'aideraient dans son bureau, qu'elles contribueraient à la prospérité de la famille, etc.
Elles ne regardaient point d'un œil d'envie les clientes qui contribuaient à leur fortune, et ne croyaient point déroger en faisant acte de présence au magasin. Celles-là ont été vraiment gaies et heureuses toute leur vie, car il est toujours heureux celui qui sait se contenter de ce qu'il a.
(…)
C'est maintenant un fait avéré qu'on peut être certain de ne pas conserver toute sa vie la même position de fortune. Parmi un nombre assez considérable de personnes qu'il m'a été donné de connaître directement ou indirectement, je puis dire qu'à quelques rares exceptions près, je les ai toutes vues dans un espace de vingt années changer de position du tout au tout. Ceux-ci, en petit nombre, que j'avais laissés dans une humble position, désolés, sinon désespérés, je les ai retrouvés superbes et brillants. Ceux-là, toute une pléiade, que j'ai vus planer dans les hautes régions de l'opulence et des honneurs, sont descendus dans la plus obscure pauvreté.
Il n'y a pas encore bien longtemps que j'ai eu un nouvel exemple frappant. Il y a quelque dix ans à peine, dans la cour d'un splendide hôtel du boulevard Haussmann, vous eussiez vu monter dans son landau confortable superbement attelé, une belle femme de quarante ans environ, le véritable portrait de la matrone antique ; il n'était que deux heures de l'après-midi, car ce n'était pas aux heures préférées de la foule élégante qu'elle se rendait au Bois, mais aux heures où le soleil est le plus doux à respirer, où les allées désertes permettaient à ses cinq petits garçons qui faisaient échelon depuis l'âge de dix ans jusqu'à deux ans, de s'ébattre sous ses yeux.
280 bld Raspail, XIVe ardt |
Ce landau était donc plein de têtes blondes et enfantines. Le dimanche on prenait deux voitures ; dans le clarence, étaient une gouvernante et une bonne avec les deux plus jeunes bébés ; dans le landau, sur le devant, se plaçaient les trois aînés ; dans le fond l'heureuse mère, ne laissant à personne le soin de bercer son sixième, nouveau-né, une mignonne fillette qu'elle nourrissait ; le père était assis à côté. Quelle belle famille ! Quelle bonne mère ! Quelle union parfaite! Jamais elle n'allait au théâtre ni au bal, pour ne pas quitter ses enfants. Elle présidait à leurs études, à leurs jeux, à leur toilette, malgré le nombreux personnel de domestiques qui l'entourait. Elle avait droit dans ses armes à une couronne fermée par son père, à un manteau de lord par sa mère… Le bonheur, la fortune, les honneurs, tout lui souriait…
Aujourd'hui, c'est dans une petite ruelle, à Montrouge, que l'on habite! Quel vent de malheur a soufflé sur tout cela ? et la petite fille bercée dans le landau, quelle va être sa destinée de jeune fille ?
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Parc Raymond Sibille, avenue Léon Blum et rue Maurice Labrousse, Antony |
Les trois âges de la vie, La mort. Émile Derré sculpteur, 276 bld Raspail, XIVe ardt |
Les trois âges de la vie, l'Amour. Émile Derré sculpteur, 276 bld Raspail, XIVe ardt |
Le rêve et la réalité.
Une année s'est encore écoulée, et mon projet de marier Jeanne ne s'est pas réalisé. Mademoiselle embellit de jour en jour ; elle a vingt-deux ans, et l'on comprend qu'elle sera encore plus jolie quand elle en aura vingt-quatre, quoiqu'elle soit déjà mieux qu'elle ne l'était à dix-huit. Ses succès dans le monde augmentent, car à sa beauté vient s'ajouter l'esprit, l'instruction, l'aplomb, la science de la toilette qu'une toute jeune fille ne peut posséder. Elle est plus éclatante ; mais je ne vois pas que ce soit là un motif pour ne pas se marier ! Cependant, je l'ai remarqué très souvent, ce sont les filles les plus douées qui ne se marient pas, pourquoi ? Parce que, comme ma Jeanne, elles ont le travers d'être trop difficiles ! Sous le prétexte que sa sœur a épousé un homme qui n'est pas précisément un héros, ce qui ne l'empêche pas d'être un excellent mari et de faire ses affaires, ma cadette s'est mise dans la tête de ne devenir la femme que d'un homme supérieur ! Elle est si entourée et si recherchée, qu'elle ne doute pas, avec le temps, pouvoir arrêter l'attention de quelque grand personnage, un prince peut-être,—Dieu sait jusqu'où vont les jeunes imaginations ! —tout au moins un prince dans le royaume des arts ou des lettres
(…)
La vogue du moment est aux airs cassants, à la démarche hardie, aux allures provocantes, comme aux chapeaux tapageurs ; au gymnase, au manège, aux bains froids, puis aux eaux en été, les fillettes prennent de bonne heure des façons peu compatibles avec la pudeur de la jeune fille. Les cheveux épars sur les épaules, les jupes courtes y contribuent pour leur part ; les pères (le sexe masculin, en somme), sont la cause de ce mal qu'ils sont les premiers à déplorer plus tard ; ils s'amusent de ces mines diaboliques, et cette petite fille singeant le garçonnet ou l'actrice en vogue est amusante au possible, rien n'est plus vrai… et cependant qu'il apparaisse une fillette aux allures modestes, à la toilette vaporeuse comme celle d'une petite vierge, à l'expression candide et timide, osant à peine lever ses grands yeux, répondant d'une voix presque basse, rougissant quand on s'adresse à elle, ne sachant pas tout, questionnant encore, se troublant lorsque les regards se fixent sur elle, eh bien, cette apparition effacera immédiatement les autres, et les mêmes hommes ne pourront s'empêcher de la préférer.
Louise d'Alq, Notes d'une mère, Cours d'éducation maternelle, 1883
Autre forme de famille : l'Orphelinat
Porte d'entrée du "Château", Orphelinat Saint Philippe, fondation Brignole Galliera, Architecte Ernest Conchon, 1888, Meudon, Clamart, Hauts de Seine. |
Quel est ce superbe château,
Cette résidence royale,
Qui, du haut de ce vert coteau,
Domine ainsi la capitale ?
Serait-ce, d'un prince du sang,
La citadelle héréditaire ?
Serait-ce quelque fort récent
Œuvre due à l'art militaire ?
Un nouveau mont Valérien ?
D'un second Montmartre, l'église
Dont le profil aérien
Avec le premier rivalise ?
Digne des plus grands châtelains,
Ce monument qui nous étonne,
C'est l'asile qu'aux orphelins
La charité chrétienne donne !
Le panorama de la plaine,
Son site, ses proportions,
Son luxe de constructions
Le cours paisible de la Seine,
Cette résidence royale,
Qui, du haut de ce vert coteau,
Domine ainsi la capitale ?
Serait-ce, d'un prince du sang,
La citadelle héréditaire ?
Serait-ce quelque fort récent
Œuvre due à l'art militaire ?
Le " Château ", Orphelinat Saint Philippe, fini en 1888, Ernest Conchon architecte, Meudon et Clamart, Hauts de Seine |
Un nouveau mont Valérien ?
D'un second Montmartre, l'église
Dont le profil aérien
Avec le premier rivalise ?
Digne des plus grands châtelains,
Ce monument qui nous étonne,
C'est l'asile qu'aux orphelins
La charité chrétienne donne !
Le panorama de la plaine,
Son site, ses proportions,
Son luxe de constructions
Le cours paisible de la Seine,
Panorama sur Meudon et la région, La Défense, Le Mont Valérien, de la terrasse du " Château" de l'orphelinat Saint Philippe, Meudon et Clamart, Hauts de Seine |
Vallons, coteaux, claires cités,
Disparaissent dans la verdure ;
Tout un ensemble de beautés
Lui sert de brillante parure.
Au ciel inscrit en lettres d'or,
Le nom de cette École-type,
Pour nous, véritable Thabor,
Est l'Orphelinat Saint-Philippe.
C'est là qu'élevés et nourris,
Enfants qui n'avions plus de père,
Et ne connaissions d'une mère,
Ni les baisers, ni les souris,
Recueillis par la Providence,
C'est là qu'élevés et nourris,
Enfants qui n'avions plus de père,
Et ne connaissions d'une mère,
Ni les baisers, ni les souris,
Recueillis par la Providence,
Traités comme des fils de roi,
Nous avons à souhait : science,
Soins du corps, principes de foi !
Ainsi votre œuvre, unique au monde,
A tous les échos redira
Nous avons à souhait : science,
Soins du corps, principes de foi !
Ainsi votre œuvre, unique au monde,
A tous les échos redira
Pour nous votre beauté
féconde,
Duchesse Galliera !
Poème destiné à être récité à la Duchesse Galliera par les enfants résidant lors d'une petite réception, après l’inauguration de l'orphelinat en 1888. Mais la Duchesse est décédée peu de temps avant cette cérémonie.
Duchesse Galliera !
Poème destiné à être récité à la Duchesse Galliera par les enfants résidant lors d'une petite réception, après l’inauguration de l'orphelinat en 1888. Mais la Duchesse est décédée peu de temps avant cette cérémonie.
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