dimanche 25 décembre 2011

Le physicien aéronaute



Envol d'aérostat. Sépulture d'Étienne Gaspard Robertson, cimetière du Père Lachaise, XXe ardt


Où l'on apprend que le physicien Étienne Gaspard Robertson, que nous croisâmes fantasmagore, fut un maître de l'aérostat, réalisant des mesures scientifiques à plus de 7000 mètres de hauteur, avant de diriger le Tivoli le plus réputé de Paris

samedi 17 décembre 2011

Tenues de Travail Sculpturales







Étude de robe de chambre, recherche pour le monument à Balzac par Auguste Rodin, plâtre et tissu, 1897, Musée Rodin, 19 avenue Auguste Rodin, Meudon, Hauts de Seine






Où un vêtement de travail favori et original permet de résumer celui qui le porte si on doit le statufier.

dimanche 4 décembre 2011

Condorcet à Clamart






Maison dite Auberge Condorcet, 7 rue Chef de Ville, Clamart, Hauts de Seine
( Ce serait ici l'Auberge Crespinet où aurait été arrêté Condorcet, bien que celle ci ait été détruite selon certaines sources )






Où sont relatées la fuite jusqu'à Clamart et la mort de Marie Jean Antoine Nicole Caritat marquis de Condorcet, pendant la Terreur, à travers divers témoignages.

jeudi 10 novembre 2011

Christus consolator



Christus consolator, peinture sur lave de Cornelia Scheffer-Marjolin, d'après Ary Scheffer. Sépulture Scheffer-Renan,
Cimetière de Montmartre, XVIIIe ardt.

Où l'on découvre qu'une image assez mal reçue devint, maintes fois reproduite, une icône de la libération des peuples et de la lutte contre l'esclavage

vendredi 4 novembre 2011

Familles parisiennes 3






247 rue de Vaugirard, XVe ardt



Où l'iconographie des familles parisienne se complète sans prétendre être exhaustive tandis que l'on apprend comment la place de la femme dans l'assurance mutuelle ne coule pas de source. L'on remarque que les oiseaux font figure de famille parfaite, tandis qu'une vision morale de l'éducation exempte de religion peut exister. Enfin l'on découvre une bataille radiophonique et politique en 1937 et un grand monument aux Mères Françaises.

vendredi 21 octobre 2011

La Providence, L'Union, La Paix



Plaque d'assurance en tôle estampée. "L'Urbaine". Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine

Où l'on découvre les plaques des compagnies d'assurance, leur vertu protectrice, leur ancienne abondance et les erreurs qu'elles pouvaient faire commettre aux grands personnages illettrés ...

samedi 8 octobre 2011

Familles parisiennes 2



P Seguin sculpteur, 1904, LP Marquet architecte, 4 avenue des Gobelins, Ve ardt


Où l'on apprend quelle est la bonne éducation des enfants dans la bonne société de la fin du XIXe siècle, par exemple le danger de les laisser entièrement entre les mains des bonnes. Enfin on envisage une forme de famille sans parents.

vendredi 23 septembre 2011

Paris-Bordeaux-Paris

Monument à Émile Levassor, détail. Sculpteur : Camille Lefebvre, d'après une maquette de Jules Dalou. Square Alexandre et René Parodi, Porte Maillot, XVIe ardt.
Où Émile Levassor remporte la première course automobile de l'histoire, impose le pétrole et crée une industrie essentiellement française.

dimanche 11 septembre 2011

Familles parisiennes 1


Bas relief  Fontaine de la Charité, 46 rue de Sévigné, IIIe ardt, Sculpté par Fortin, 1806
Où l'on découvre que la Révolution Française n'est pas fertile que de nouvelles lois et décrets, qu'un philosophe catholique définit la famille comme pierre angulaire de la société, invitant ainsi les bâtisseurs du XIXème siècle à s'appuyer sur elle pour fournir le thème à de nombreuses décorations apposées sur les constructions parisiennes. Enfin on apprend comment doit se conduire une jeune fille de milieu modeste, conseils donnés par la bonne société.

vendredi 12 août 2011

Phaéton

Monument à Léon Serpollet. Marbre de Jean Boucher, 1911. Place Saint-Ferdinand, XVIIe ardt

Où le premier véhicule automobile autorisé à rouler dans Paris est le premier véhicule automobile volé.

mardi 26 juillet 2011

Cavaliers et Cavalières Antiques

1 : Cavaliers.


Moulage de cavaliers de la frise du Parthénon, 12 Villa Saint Jacques, XIVe ardt



Parfois il arrive de rencontrer sur les murs parisiens ou ceux de proche banlieue, des théories de cavaliers figées dans le plâtre, plus rarement des cavalières combattantes...
Paris Myope a enquêté.


dimanche 17 juillet 2011

Lave de Volvic. 4 : le retour de Jules Jollivet



La chute d'Adam et Ève ou Le péché originel de Jules Jollivet, détail. Lave émaillée. Église Saint-Vincent-de-Paul, Xe ardt

Où, cent cinquante ans après, Ève réapparait, fraîche comme au premier jour

mercredi 6 juillet 2011

Epitaphes



Victoire Georgine de Chastellux. Vers 1820. Cimetière du Père Lachaise, XXe ardt.

Où l'on juge, moque, loue, en bref où l'on critique les épitaphes

mercredi 15 juin 2011

Le nom des noms

Enseignes. Rue du Mail et rue d'Aboukir, 2e ardt.


Où, déambulant en compagnie de Balzac et Léon Gozlan, nous sommes victimes de la magie des noms propres


vendredi 3 juin 2011

Les Pierres Blanches de Bartholomé. 3 : Oubliées 2






Monuments aux Morts des Écrivains et gens de Lettres, 11 bis rue Ballu, 9e ardt.


Dans ce troisième et dernier billet consacré au sculpteur Albert Bartholomé, nous découvrons quatre de ses réalisations moins connues, deux consacrées au souvenir de la " Grande Guerre", une à un célèbre comédien de la fin du XIXe siècle, monument aujourd'hui détruit.



jeudi 19 mai 2011

Les Pierres Blanches de Bartholomé. 2 : Oubliées 1







"Paris pendant la Guerre" allias "Paris 14-18" à gauche à l'origine, à droite actuellement.




Où suite à nos recherches " Bartholoméiennes" nous apprenons l'existence d'une sculpture du maître commémorant la fermeté de la capitale durant la guerre 14-18. Partant à sa recherche nous avons la chance de la retrouver, mais très abimée et reléguée, mais encore un peu " vivante ". Voici toute son histoire.



dimanche 1 mai 2011

Les Pierres Blanches de Bartholomé. 1 : Vedettes




Sépulture Pam, Cimetière de Montmartre





Où nous découvrons comment un peintre devient sculpteur à la suite de la disparition de sa femme. Dans ce premier volet qui retrace l'ensemble de sa carrière sont exposées ses réalisations les plus connues, pierres de mémoire déposées au fil des commandes, tel un Petit Poucet du souvenir.



dimanche 17 avril 2011

Salamandre

Ruine de l'ancien hôtel de ville. Salamandre de François 1er. Square Léopold Achille, IIIe ardt.



Paris est en feu. La Commune fait sa retraite de Moscou. On ne reprend pas Paris, on reprend des incendies. Deux Anglais déjeunent, à côté de moi, dans la grande salle à manger de l'hôtel des Réservoirs, et, de leur conversation, j'ai saisi cette phrase, dite du ton le plus calme.
— Montretout is the best place to see Paris burn. (Montretout est la meilleure place pour voir brûler Paris.)
Pendant que cet Anglais me donnait ce précieux renseignement, un gamin crie sous les fenêtres de l'hôtel : Demandez la dernière édition du Petit Moniteur... L'incendie de Paris... Un sou, le grand incendie de Paris...
Et, à côté de moi, un vieux monsieur décoré se fâche, mais se fâche tout rouge, parce qu'on vient de lui servir un bifteck trop cuit.
— Saignant, dit-il au garçon, je vous l'avais demandé saignant !
Allons donc à Montretout, puisque c'est la meilleure place pour voir brûler Paris. Les Anglais sont gens pratiques et connaissent les bons endroits. Nous allons à Montretout, X*** et moi. Temps admirable... Pas un souffle d'air... Les colonnes de fumée montent toutes droites vers le ciel... Il y a là beaucoup de monde ; on cherche à s'orienter.
— Qu'est-ce qui brûle là ? — C'est le ministère des finances. — Et là, un peu plus à gauche?— C'est le Palais-Royal. — Et par là, plus à droite. — C'est le conseil d'État...
Tout d'un coup, détonation très forte et lourde colonne de fumée. C'était l'explosion de la poudrière du Luxembourg. Nous l'avons su, le soir.
Un Anglais est installé là, à Montretout. Il a trois lorgnettes... trois... une grosse jumelle... une petite... et une longue-vue avec un pied... De temps en temps, il consulte un plan de Paris et il prend des notes sur un petit calepin... Sa figure rayonne autant que peut rayonner la figure d'un Anglais. Il est au bon endroit, le temps est clair, ses lorgnettes excellentes, et Paris brûle ! De temps en temps, il s'assied sur un petit pliant... Il n'a rien oublié... il a son pliant. Rien de plus irritant que la vue de cet Anglais épanoui et souriant... Cela donne le désir de voir un peu brûler Londres. 


Vestige de l'ancien hôtel de ville. Pomone. Square Léopold Achille, IIIe ardt.


28 mai 1871
Par de petits sentiers, ouverts au milieu des barricades qui ne sont pas encore démolies, j'arrive à l'Hôtel de Ville. La ruine est magnifique, splendide, inimaginable : c'est une ruine, une ruine couleur de saphir, de rubis, d'émeraude, une ruine aveuglante par l'agatisation qu'a prise la pierre cuite par le pétrole. Elle ressemble, cette ruine, à la ruine d'un palais magique, illuminé, dans un opéra, de lueurs de feux de Bengale. Avec ses niches vides, ses statuettes fracassées ou tronçonnées, son restant d'horloge, ses découpures de hautes fenêtres et de cheminées restées, je ne sais par quelle puissance d'équilibre, debout dans le vide, avec sa déchiqueture effritée sur le ciel bleu, cette ruine est une merveille de pittoresque à garder, si le pays n'était pas condamné sans appel aux restaurations de M. Viollet-le-Duc. Ironie du hasard ! Dans la dégradation du monument, brille sur une plaque de marbre intacte, dans la nouveauté de sa dorure, la légende menteuse: Liberté, Égalité, Fraternité.



Ruines de l'ancien Hôtel de ville (élément de 1837). Square Paul Langevin, Ve ardt.


Lundi 12 juin 1871 
Burty me montre, ce soir, des fragments ramassés à l'Hôtel de Ville, des tessons, des morceaux de matière calcinés, pareils à des scories de pierres précieuses. De la cloche, de la cloche historique, qui a fondu goutte à goutte, comme une bougie, il y a un bout de métal qui ressemble à ces surfaces de bronze ondulées, avec lesquelles les Japonais représentent des flots. Il me fait voir encore un morceau de vase en grès liquéfié, en me disant qu'il faut 1 500 degrés de chaleur, dans un four à potier, pour obtenir ce résultat.


 Journal des Goncourt. Edmond de Goncourt
 
 L'HOTEL-DE-VILLE
A tout seigneur, tout honneur ! Commençons cette lugubre revue par l’Hôtel-de-Ville, ces Tuileries de la République.
De toutes les ruines de Paris, ce sont, d’ailleurs, les plus complètes et, si je puis m’exprimer ainsi, les plus effroyablement belles. Dans la plupart des autres palais, l'œuvre de la destruction ne s’est pas accomplie jusqu’au bout : il reste tout au moins des murs respectés par le feu, quelque chose comme la carapace du monument, comme son contour et son enveloppe, qui, de loin, peut faire encore une certaine illusion. Ici, rien de pareil. Il semble que la masse noircie, calcinée, tourmentée, déchiquetée jusqu’en ses moindres recoins par les caprices formidables d’une flamme infernale, qu’alimentaient des fleuves de pétrole, ne se tient plus debout que par un miracle, et que ce grand spectre va s’évanouir au premier souffle du vent.
Nulle part la rage des incendiaires n’a laissé des témoignages plus saisissants. On dirait qu’ils ont communiqué à l’incendie leur fureur sauvage, dont la trace matérielle reste visible encore dans les convulsions de la pierre. On surprend, pour ainsi dire, sur le cadavre de l’Hôtel-de-Ville, les mouvements désespérés de l’agonie, et il est telle partie de sa façade qui s’est tordue et recroquevillée sous l’action du brasier comme une feuille de parchemin. L’horreur y atteint au sublime. Si les ruines ont une âme, celle des fous féroces qui, pendant plus de deux mois, souillèrent de leur présence et déshonorèrent de leurs décrets stupides ou infâmes le monument de Dominique de Cortone, habite encore ces lieux et place sur ces décombres.
Devant ce spectacle, dont la physionomie pittoresque atteint à l’accent dramatique, on se surrend dans une admiration dont on rougit comme d’un crime. Partout ailleurs, à Baalbek, à Palmyre, à Luxor, à Karnak, on admirerait sans remords et sans arrière-pensée. Il y a ici des squelettes de pavillons, des fantômes de cheminées monumentales qui se dressent sur une mer de débris, comme le géant Adamastor au milieu des flots, des fenêtres qui ressemblent à des brèches faites à coups d’obus, des portes béantes qui ouvrent sur l’abime, des galeries qui aboutissent brusquement au vide, des campaniles qui émergent du gouffre, des arcades dessinant sur le ciel bleu leur silhouette branlante et noircie, des niches qui se dressent isolées comme les créneaux démolis d’une citadelle féodale, bref un ensemble fantastique et fier à la fois, qui a l’air d’une ébauche sauvage tracée par quelque grand artiste dans un moment de fièvre, et qui inspirerait admirablement le burin d’un Piranèse ou le pinceau d’un John Martin. Mais il faut se hâter, si l’on veut jouir de ce coup d’oeil dans toute sa magnificence terrible. Le temps a déjà adouci ces teintes heurtées, estompé ces tons violents, et jeté sur ces lignes tumultueuses une harmonie plus calme. Les travaux de déblaiement ont modifié aussi la physionomie première. Sous peu de temps peut-être, il n’en restera plus que le souvenir.
On se propose, dit-on, de rebâtir très-prochainement l’Hôtel-de Ville. Ne vaudrait-il pas mieux entourer ces ruines d’une grille et les conserver au centre de Paris comme un témoignage persistant des crimes et des folies de la Révolution? l faut que Paris n’oublie pas, et il oubliera bien vite, si on ne laisse sous ses yeux aucune trace de ce qu’il a souffert. Il y aurait là encore un autre avantage : ce serait de rompre, ou tout au moins de dérouter la tradition révolutionnaire, en lui enlevant son centre et son rendez-vous. S’emparer de l’Hôtel-de-Ville, c’est le mot d’ordre, l’effort principal et le but suprême de tous les coups de main que tentent périodiquement à Paris les soldats du désordre, et qui réussissent trop souvent. La victoire est considérée comme acquise, dès qu’on s’est emparé du monument qui fut le siège de la Commune insurrectionnelle de 92, et qui est devenu, depuis, celui de tous les gouvernements provisoires et de toutes les Républiques plus ou moins démocratiques et sociales. Il faudrait que le peuple en armes apprit un autre chemin, et ceux qui savent la puissance de l’habitude et de la routine sur les masses ne doutent pas du désarroi que ce simple changement de local jetterait dans les insurrections. Que les émeutiers de demain aillent s’emparer du Luxembourg, où l’on a transféré les services municipaux, croyez-vous que ce soit la même chose et que cela produise le même effet sur les imagination que cette classique prise de l’Hôtel-de-Ville, qui renouvelle à chaque génération d’insurgés l’orgueil et la joie de la prise de la Bastille?
Nous ne mentionnerons que pour mémoire les riches tentures, tapisseries et rideaux, les meubles précieux, les marbres, les glaces, les vases de Sèvres, les lustres de cristal, l’orfèvrerie de table, toutes ces magnificences qui avaient été réunies là comme dans un musée de l’industrie contemporaine. A lui seul, le surtout d’argent et d’or, sorti de la fabrique Christofle et fondu par le célèbre orfèvre sur les dessins de M. Baltard et d’autres artistes distingués, est une perte considérable ; non, certes, que tout fût parfait comme art dans ce service, mais parce qu’il caractérisait bien le goût magnifique et fastueux qu’on a vu régner à l’Hôtel-de-Ville pendant les vingt dernières années.
L’escalier en fer à cheval de la cour louis XIV s’est enseveli dans les ruines. Que reste-t-il de la grande salle de bal, dite Galerie des Fêtes? Des pans de murs corrodés par le pétrole, des débris de riches colonnades, des monceaux de fer tordu et des vestiges de ces candélabres dont chacun, aux jours de réjouissances, faisait étinceler cent bougies.
Par un bonheur presque merveilleux, on a retiré des décombres, sans qu’elles eussent subi l’atteinte de la flamme, les deux statues de bronze de Louis XIV et de François Ier, qui ornaient, près de la cour d’honneur, les galeries du rez-de-chaussée. Singulier contraste, dont pourrait s’emparer un faiseur d’antithèses, que ces rois, protecteurs de l’art, reparaissant comme des juges implacables au milieu des débris amoncelés par le plus hideux des vandalismes!


 

Louis XIV, bronze de Coysevox érigé à l'Hôtel de ville le 14 juillet 1689. Musée Carnavalet.
 

La seule de toutes les salles de l’Hôtel-de-Ville qui ait été à peu près épargnée, c’est la salle Saint-Jean, où, dès le 12 septembre 1871, autour de la grande roue des tirages, endommagée par le feu, mais soigneusement réparée, on a pu réunir, comme à l’ordinaire, les souscripteurs à l’emprunt municipal de 1869.

Les pertes de la peinture sont immenses : le feu a dévoré l’Apothéose de Napoléon, cet admirable plafond d’Ingres. Citons les autres plafonds qui ont péri en même temps que ce chef-d'œuvre : le Zodiaque, de M. Schopin, dans le salon des Arcades ; Paris récompensant les Beaux-Arts, de M. Picot, dans le même salon ; le Repos après l’anarchie, de M. Riesener, dans l’une des salles dites des Prévôts ; les Communes remerciant Louis le Gros, de M. Muller, dans la salle des Cariatides ; la Terre éplorée obtenant le retour de la Paix, et tout le vaste ensemble des peintures d’Eugène Delacroix, dans le salon de la Paix ; enfin, dans la galerie des Fêtes, l’Histoire de l’Humanité, de M. Henri Lehmann, suite de vastes compositions, qui n’occupaient pas moins de cent quarante mètres, et comprenaient cent quatre-vingt figures. Nous avons à regretter encore, par mi les pertes principales, les peintures de la salle à manger, par M. Jadin ; le portrait de Napoléon 1er, par Gérard, des œuvres de Léon Cogniet, de Landelle, de Benonville, de Cabanel et de bien d’autres encore.
L’incendie ne s’est pas borné à détruire dans l’Hôtel-de-Ville les richesses de l’art, il a anéanti aussi celles de la science et de l’histoire. Les archives du palais municipal et sa bibliothèque, composée de cent cinquante mille volumes, ont été réduites en cendres, sans qu’on en ait pu sauver aucun vestige. Cette précieuse collection était l’oeuvre de soixante années de recherches et d’acquisitions successives. Les différents administrateurs qui s’étaient succédés à la tête de l’édilité parisienne avaient tous consacré leurs efforts à faire de cette bibliothèque l’ensemble le plus complet de documents relatifs à notre histoire municipale. On trouvait là, outre des livres sur presque toutes les matières, une série d’ouvrages spéciaux sur les antiquités de la ville de Paris et à l’histoire des villes de France ; de rares et précieuses collections de journaux, des livres d’économie politique et d’administration. On y comptait aussi cinq cents manuscrits, parmi lesquels nous citerons la collections des recherches de Beffara sur l’Opéra et le Missel de Juvénal des Ursins. En outre, on y avait déposé, pendant le siège, trois manuscrits importants de la Bibliothèque nationale, relatifs à l’histoire de Paris ; ils ont péri également, comme les matériaux amassés pour la grande publication historique et archéologique, entreprise sur l’ordre de M. Haussmann, quatre ou cinq ans avant sa chute.


 

Incendie du 24 mai 1871. Lithographie de Sabatier
 
Tout ces trésors ne sont plus maintenant qu’un souvenir. Vainement on relèverait l’Hôtel-de-Ville de ses ruines, on ne saurait faire sortir de la cendre, en même temps que ses pierres, les titres disparus de son histoire et les chefs-d’oeuvre de l’art qui se sont engloutis dans son désastre.
Nous le disions en commençant, peut-être serait-il bon qu’on laissât l’Hôtel-de-Ville dans l’état où l’ont mis les barbares de la Commune : il y aurait là un grand enseignement qui ne serait pas sans profit pour nos destinées sociales. Déjà nous nous figurons le spectacle saisissant de ces murailles envahies par les plantes grimpantes, de ces murs à demi écroulés où les feuillages viendraient s’enrouler aux arabesques de la pierre. Les images à demi brisées des Parisiens illustres, au fond de leurs niches revêtues de mousse, sembleraient gémir sur les malheurs de la cité.



Ruines de l'ancien Hôtel de ville, élément de 1837. Square Paul Langevin, Ve ardt.


Et si, devant ces ruines faites par la barbarie des hommes, plus cruelle que l’injure du temps, un artiste inspiré taillait en marbre ou coulait en bronze, pareille à l’image d’un prophète qui pleure sur les lieux dont il a prédit la désolation, la statue de Lamartine, repoussant le drapeau rouge d’un geste noble et dédaigneux, là même où il opposa si souvent sa poitrine, comme une infranchissable barrière, aux précurseurs des incendiaires de l’Hôtel-de-Ville ; si l’on gravait sur le piédestal les mots sublimes avec lesquels il fit retomber dans la boue cette bannière qui porte les couleurs du sang et de l’incendie, la leçon qui se dégage de ces débris éclaterait alors à tous les yeux et à tous les esprits avec une irrésistible éloquence. Puisque l’infâme drapeau était au forfait, il serait juste qu’éternellement il demeurât à la honte.

Paris et ses ruines en mai 1871, précédé d'un coup d'œil sur Paris, de 1860 à 1870 et d'une introduction historique : monuments, vues, scènes historiques, descriptions, histoire... Victor Fournel. ; dessins et lithographies par MM. Sabatier, Philippe Benoist, Jules David, Eugène Ciceri... [et al.] .  2e éd. Charpentier, Paris, 1873


 

Les ruines en 1871

UNE VISITE AUX RUINES

Arrivons donc à la place de l'Hôtel-de-Ville, où la dévastation se déroule dans toute sa grandiose horreur. L'âme reste douloureusement accablée devant cette jeune ruine faite de main d'homme.
La frénésie d'abominables sectaires a détruit en un jour ce qui devait durer des siècles.
Le feu n'a rien épargné. Il s'est promené partout en vainqueur, dévorant, calcinant ce qu'il laissait debout, et, guidé dans son aveugle fureur par une infernale volonté. Des démons l'œuvre n'auraient pas mieux fait. Du côté de la place de Grève, l'élégante façade que dominait naguère le svelte campanile caractéristique des hôtels de ville se développait lamentablement démantelée, lézardée, trouée de jour, découpant sur le ciel les angles de ses brèches, colorée de tons étranges par la palette ardente de l'incendie. Sur la façade, les statues des savants, des artistes, des magistrats, des édiles, des personnages célèbres, l'honneur et l'ornement de la Cité, se tordaient avec des poses convulsives comme, sur le quemadero d'une vieille ville espagnole, les victimes d'un immense auto-da-fé. Brûler le génie, brûler la gloire, brûler la vertu, brûler l'honneur, en effigie du moins, quelle joie satanique, quelle jouissance atroce pour ces âmes perverses ! Heureusement on ne peut mettre le feu à l'histoire avec un jet de pétrole. Le Présent, dans ses fureurs, ne peut supprimer le Passé irrévocable. C'était pitié de voir ces pauvres grands hommes manchots, boiteux, décapités, coupés en deux, ces glorieux mutilés, zébrés de noir par les brûlures, égratignés de blanc par les projectiles, selon les hasards de l'incendie ou de la bataille. Dans le tympan de la porte du campanile on distinguait la silhouette du bas-relief arraché représentant un Henri IV équestre ; on eût dit une ombre portée, fixée au mur par un procédé inconnu, après le passage du cavalier. Seulement cette ombre était blanche.


 

Le Henri IV qui ornait la façade de l'ancien Hôtel de Ville. Bronze de Lemaire, 1838. Musée Carnavalet.
  Désormais, les bons habitants de Paris ne régleront plus leur montre sur ce cadran rival du cadran de la Bourse, qui, la nuit, rayonnait lumineux au front sombre de l'édifice ; l'horloge s'est abîmée dans l'écroulement intérieur du beffroi.
La cour où l'on pénètre en dépassant cette porte ressemble la cheminée d'un volcan. C'est là, en effet, qu'était situé le cratère principal : dix tonneaux de poudre avaient été descendus dans les caves aux voûtes épaisses. L'éruption fut si violente que toutes les saillies des parois intérieures furent rasées, et que le Louis XIV de bronze qui fait pendant au François ler, sur la plate-forme de cet escalier par où montèrent et descendirent les invités de tant de fêtes splendides, se détacha de son piédestal et roula au milieu de la fournaise, bientôt étouffée sous l'énormité des éboulements.
Plus d'acanthes aux chapiteaux, plus de cannelures aux colonnes, plus de modillons aux corniches, plus de frontons aux fenêtres, il semble que toutes les chairs de l'édifice aient été consumées et qu'il n'en reste plus que l'ossature.
Sous la conduite d'un guide, nous nous engageâmes dans un dédale de couloirs et de passages à demi déblayés, où seul nous n'eussions pas trouvé notre chemin, quoique nous soyons souvent allé à l'Hôtel de Ville, tant la figure des lieux est changée. Nous passâmes d'abord par les cuisines, les offices et ces salles basses dallées de pierre où l'incendie avait trouvé moins d'aliments qu'ailleurs, pour arriver à l'escalier menant aux appartements de réception. Quel spectacle lamentable que celui de cette destruction stupide ! Des salons splendides il ne survivait que des murailles fendillées, cuites comme au four, conservant à peine les lignes des distributions primitives. Les dorures avaient disparu à chaque instant, les stucs des parois se détachaient par larges croûtes et s'écrasaient sur les parquets dont le bois avait brûlé. Le marbre des colonnes converti en chaux était devenu spongieux ou friable. Nul vestige de l'ancienne magnificence. La galerie des fêtes affreusement saccagée ne gardait des peintures de Henri Lehmann que de vagues traces dans les arcatures et les pénétrations latérales. Tous les grands panneaux de la voûte n'existaient plus. Cet immense travail presque improvisé qui faisait tant d'honneur à l'artiste, s'est effondré avec la voûte elle-même. Dans la salle des cariatides voisine de la galerie des fêtes, on distingue encore à peu près, à travers la suie, les ampoules et les craquelures, les compositions de Cabanel représentant les Douze mois. On en retrouve sous le voile de fumée les principales lignes, mais les couleurs carbonisées n'ont plus leur valeur. De tous les mois de l'année, Janvier est celui qui a fait la plus belle résistance il est resté presque intact. Un poëte du seizième siècle n'eût pas manqué d'équivoquer et de faire des antithèses sur ces glaçons et sur ces flammes, sur ce combat de Vulcain contre l'Hiver, combat où le dieu des frimas avait eu l'avantage. Ces peintures charmantes pouvaient se compter parmi les plus gracieuses du maître.


 

La grande salle des fêtes. Lithographie de Sabatier
 
En parcourant ces salles dévastées, nous sentions craquer sous nos pas des fragments de porcelaine colorés d'un bleu vif ; c'étaient les débris du service de gala. Nous rencontrions aussi des scories bizarres, d'apparence vitreuse, figées dans des formes imprévues, provenant des cristaux fondus et réduits en poudre par l'intensité de la chaleur. Les fermes de fer des plafonds s'étaient tordues comme des branches de bois vert dans l'infernal brasier et pendaient à l'intérieur des chambres démantelées ; on eût dit les cordages rompus d'un vaisseau dont la poudrière aurait sauté.
Après bien des détours, nous arrivâmes en gravissant un escalier dont les marches avaient été provisoirement remplacées avec des planches à une porte ouvrant sur un gouffre fait par la profondeur de trois étages dont les plafonds s'étaient effondrés sous la violence du feu et formaient au rez-de-chaussée un chaos de décombres.
Sur la paroi de l'immense muraille s'élevant d'un seul jet des fondations au comble mis à découvert, se dessinait la cheminée monumentale surmontée du portrait de Napoléon 1er, par Gérard, dont le cadre seul a résisté aux flammes et où s'enchâssait le médaillon en cristal de roche, représentant Napoléon III, chef-d'oeuvre de Froment-Meurice. Au plafond de cette salle, tombé dans ce gouffre au milieu d'un lac flambant de pétrole, rayonnait l'apothéose du premier empereur, d'Ingres, une merveilleuse peinture, ou plutôt un gigantesque camée, supérieur en style, en perfection, en beauté à l'agate de la Sainte-Chapelle, ayant pour sujet Auguste reçu parmi les dieux. Désastre irréparable ! Un chef d'oeuvre qui mettait l'art moderne en état de lutter contre l'art antique, et qui prouvait que, depuis Phidias et Apelles, le génie humain n'avait pas dégénéré, perdu à jamais, réduit en cendres, disparu sans retour! Ils doivent être contents, les barbares féroces et stupides qui envoyaient Homère aux Quinze-Vingts et rêvaient la destruction de Raphaël ; les iconoclastes furieux, les ennemis acharnés du Beau, --cette aristocratie suprême! les calibans monstrueux, fils du démon et de la sorcière Scyorax, toujours prêts à lécher les pieds de Trinculo pour un litre de bleu, êtres difformes pétris de boue et de sang, natures diaboliquement perverses, faisant le mal pour le mal, étonnant par leurs crimes imbéciles la scélératesse elle-même, qui ne comprend plus, et ne retirant de leurs forfaits d'autre profit que l'exécration du monde civilisé ! --Il leur manquera même la triste célébrité d'Érostrate, qui brûla pour s'immortaliser le temple de Diane à Éphèse, car la mémoire humaine se refusera à garder leurs noms maudits.


Tête de Méduse. Bronze de Perlan, 1653. Vantail de l'ancien Hôtel de ville. Musée Carnavalet
 
Dans l'autre pavillon, même, dévastation hideuse. Les peintures d'Eugène Delacroix au salon de la Paix, si fécondes d'invention, si magnifiques de couleur, ne sont plus qu'un souvenir ; on cherche en vain au tympan des arcades ces Douze travaux d'Hercule, à la fois si antiques et si modernes, où la mythologie prenait sous le pinceau fougueux de l'artiste une telle intensité de vie romantique. La Commune a fait au demi-dieu un bûcher plus grand et plus flamboyant que celui de l'Œta d'où il a pu de nouveau s'élancer vers l'Olympe. Le héros qui tua le lion de Némée, le sanglier d'Érymanthe, l'hydre de Lerne, les oiseaux du lac Stymphale, dompta le taureau de Crète et les chevaux de fers, délivra Iiésione de l'orque marine, eût peut-être hésité devant les monstres de la Commune, si Eurysthée lui eût commandé de les combattre.
La salle du Zodiaque, renfermant les peintures de L. Cogniet, est entièrement saccagée, de même que la salle de François 1er avec sa belle cheminée ornée de sculptures de Jean Goujon. Sur la frise de la salle à manger, on aperçoit encore quelques vestiges des petits génies jouant avec ces attributs de chasse et de pêche, de Jadin. Le long d'un couloir, les tableaux d'Hubert Robert, un peu abrités de la flamme, n'ont fait que roussir ; mais les sites des environs de Paris, dus aux plus célèbres paysagistes de ce temps-ci sont brûlés comme si on les eût jetés dans le cratère de l'Etna. Il faudrait un catalogue pour énumérer toutes les pertes d'objet d'art causées par l'incendie.


 

Vestige de l'ancien Hôtel-de-Ville. Salamandre. Square Léopold Achille. IIIe ardt.
 

Pendant que nous parcourions le gigantesque décombre, les nuages s'étaient formés d'un noir d'enfer ou d'un gris sulfureux, gros d'électricité et de tempête. Ils passaient au-dessus de l'édifice sans toit, comme d'immenses oiseaux de nuit fuyant devant la rafale. La pluie tombait fouettée par le vent dans les salles hypéthres illuminées subitement d'éclairs blafards. Le tonnerre retentissait avec un fracas sinistre répercuté par les profondeurs vides du monument ruiné, et pour regagner la porte d'entrée, nous fûmes obligé de contourner et parfois de traverser des flaques d'eau, de petits lacs amassés au fond des couloirs et des cours. La tempête sur cette ruine, c'était une harmonie superbe !
 

Tableaux de siège : Paris, 1870-1871 de Théophile Gautier, Charpentier, Paris, 1871

 

Lucarne du grand pavillon méridional de l'Hôtel de ville au 16e siècle. Renommées et têtes de Méduse. Jardins du Trocadero, XVIe ardt.
Lucarne de l'Hôtel-de-Ville actuel. Renommées et têtes de Méduse par Louis Meunier (env. 1880)


Salamandre (env. 1880). Voûte de la porte centrale de l'Hôtel de ville, IVe ardt.

Livre du centenaire de la reconstruction de l'Hôtel de Ville : 1882-1982. Ville de Paris, Bibliothèque administrative. Paris, 1982

La porte de l'ancien Hôtel-de-Ville de Paris : découverte et identification d'un vantail orné de bronzes de Perlan. Alexandre Gady. Revue de l'art, 1999

lundi 4 avril 2011

Le sonnet d'Arvers



Bronze posé sur la maison natale de Félix Arvers. 12, quai d'Orléans, IVe ardt.

Un monument au pauvre Arvers !
Qu'a-t-il donc fait ? – Quatorze vers.

lundi 14 mars 2011

Fief de la Culture







Quelques marques encore existantes des limites du fief de la Culture ou de la Couture-Saint-Gervais.

M. Lucien Lambeau donne lecture de la note ci-après :

On conviendra qu'il n'est pas banal de rencontrer aujourd'hui encore, cent vingt-sept ans après la Révolution, les marques d'un fief, censive ou seigneurie de l'ancien régime, toujours en place et gravées aux encoignures de certaines maisons du vieux Paris.
Nous en signalons quatre ayant servi à limiter jadis le fief de la Couture Saint-Gervais, appartenant aux Dames religieuses Hospitalières de ce nom, lequel fief serait approximativement circonscrit aujourd'hui par les rues de Turenne, de la Perle, de Thorigny et Vieille-du-Temple (1).
Deux de ces marques sont gravées au coin des rues de Thorigny et des Coutures-Saint- Gervais, sur l'hôtel de Juigné, l'une sur la première rue, l'autre sur la seconde.


Les deux autres se trouvent au coin des rues de Thorigny et Debelleyme.
Les deux premières sont dans un état de parfaite conservation, les murs de l'immeuble étant restés dans leur état naturel, sans avoir jamais été peints et badigeonnés, ce qui évita aux inscriptions le remplissage par le mastic et la couleur.

Il n'en est pas de même pour les deux autres, encore parfaitement visibles cependant, mais qui, victimes d'un grand nombre de ravalements, sont aujourd'hui complètement empâtées.



Les marques dont il s'agit, gravées en creux dans la pierre même, se composent d'une croix dont les quatre pointes sont prolongées des quatre lettres majuscules ci-après : F, au sommet; C, à gauche; S, à droite; G, en bas.
Ces lettres, pensons-nous, doivent s'interpréter de la façon suivante :

F : fief.
C : couture.
S : Saint.
G : Gervais.

La marque entière mesure environ 0 m. 30 de hauteur sur 0 m. 15 de largeur; elle est gravée à 1 m. 70 ou 2 mètres environ du sol, c'est-à-dire à peu près vis-à-vis des yeux du passant.
Les Archives nationales conservent un petit plan manuscrit du fief ou de partie du fief dont il s'agit, portant le libellé ci-après :Plan du fief de Mesdames de S. Gervais suivant les croix gravées sur les murs.
Ce document n'est pas daté, mais paraît avoir été établi au XVIIIe siècle II est intéressant en ce sens qu'il indique par des croix, les encoignures des rues sur lesquelles étaient gravées les marques limitant le fief des religieuses. Nous y retrouvons naturellement les quatre inscriptions que nous venons de signaler.
Une autre curiosité que présente ce plan est qu'il contient, dans sa marge, le dessin même de ces marques, précédé de la mention explicative ci-après :

Figure des inscriptions tracées sur les lignes séparatives du fief.


Disons en passant que le fameux et admirable hôtel Le Camus, dit hôtel Salé, et en dernier lieu hôtel de Juigné, était situé sur ledit fief. Nous relevons dans un état des maisons de cette censive les mentions suivantes le concernant :
« Vieille rue du Temple, maison originairement jeu de paulme, présentement le petit hôtel Le Camus, à M. le marquis de Juigné. « Rue de Thorigny, une maison sise dite rue, appelée l'hôtel Salé, bâtie sur un terrain de 973 toises, contrat du 15 mai 1636 ; doit par an 12 livres 3 sols 4 deniers de cens; dernière déclaration du 23 décembre 1757, devant Me de La Leu, notaire, pour Mre Philippe Thiroux de Chammeville; nouveau censitaire : M. le marquis de Juigné (2) ».
En signalant à la Commission l'existence de ces marques de censive parisienne, nous voudrions lui demander de les prendre sous sa protection et d'inviter l'Administration municipale à lui prêter son appui en cette circonstance.
Le document épigraphique dont il s'agit présente un intérêt aussi grand, pour l'histoire de Paris, que celui qui s'attache aux anciennes inscriptions des rues gravées sur pierre de liais, aux marques de cote pour les voies des faubourgs, dont nous avons parlé dans la dernière séance, et aussi aux bornes- limites de 1724-1726 dont il a été si souvent question.
Toutes ces pierres gravées, qui jadis avaient une raison d'être, urbaine ou fiscale, signes et points de repère employés par nos anciennes administrations édilitaires et par les seigneuries qui se partageaient la ville, méritent, selon nous, d'attirer la bienveillante attention de l'Administration sur leur conservation.
D'autres points de repère analogues, ayant appartenu à diverses censives, existent encore à Paris, en très petit nombre, il est vrai. Nous pouvons signaler celui de la Censive de Sainte Catherine du Val des Écoliers, composé des lettres majuscules S. C. fortement gravées à la base de la tourelle quadrangulaire de l'hôtel Lamoignon, au coin des rues des Francs-Bourgeois et Pavée.

Et aussi celui de la Censive de Sainte Geneviève, composé des lettres STE GVE, gravées dans le pied-droit gauche de la porte charretière de l'immeuble situé rue Saint-Julien-le Pauvre, 5.
En ce qui concerne les marques faisant l'objet de la présente communication, nous proposons d'annexer au procès-verbal de la séance le plan dont il a été question.
Nous soumettons également à la Commission le vœu ci-après :
« La Commission du Vieux Paris émet le vœu que l'Administration, après entente avec les propriétaires, fasse nettoyer soigneusement et protéger par un filet bleu, comme pour les anciens noms de rues, les quatre marques du fief de la Couture-Saint-Gervais, gravées, deux, au coin des rues de Thorigny et des Coutures-Saint-Gervais, deux au coin des rues de Thorigny et Debelleyme. »

Lucien LAMBEAU.

La Commission décide l'annexion du plan dont il s'agit au procès-verbal de la séance. Le vœu est ensuite adopté.
La séance est levée à cinq heures trois quarts.
(1) Le fief est bien désigné sous ce vocable dans
une pièce de la liasse.
(2) Archives nationales. S. 6132.


LETTRES PATENTES DU ROY Louis XIV. en faveur de l'hospital Saint Gervais.

Louis par la grâce de Dieu roy de France & de Navarre, à tous presens & à venir, salut. Nos bien amées les prieure & religieuses de l'hospital sainte Anastasie, autrement de saint Gervais, en nostre ville de Paris nous ont fait remontrer que cet hospital ayant esté fondé il y a plus de cinq cens ans par la piété & dévotion de Garin & Harcher son fils bourgeois de Paris, afin d'y recevoir les pauvres, & les y nourrir & assister par hospitalité, cette fondation auroit esté autorisée par le roy Louis le jeune lors régnant, & Robert de France comte de Brienne frère dudit seigneur roy, lequel en faveur de cet establissement remit un droit de cens qui luy appartenoit sur la maison où cet hospital fut basti dans son origine. Et d'autant que le gouvernement dudit hospital fut mis premièrement entre les mains d'un maistre & des frères qui en administroient les revenus, & prenoient le soin des pauvres qui y estoient receûs, sous l'autorité & la jurisdiction des evesques de Paris, seroit arrivé par la suite des temps que ce maistre & ces frères ayans malversé dans leurs administrations, & mesme fait des alliénations considérables du fonds des pauvres & dissipé une partie des titres dudit hospital, les choses furent portées à ce point qu'il fallut les poursuivre en justice pour les faire punir de leurs dereglemens ; tellement qu'au lieu d'un maistre & des frères qui y estoient autrefois, l'evesque de Paris superieur spirituel dudit hospital fut obligé d'y establir des religieuses de l'ordre de saint Augustin, qui ont pris soin des pauvres jusques à présent, & exécuté la fondation de cet hospital avec l'edification du public. Mais d'autant qu'entre les biens qui ont esté aumosnez audit hospital, est un fief appellé de la Cousture saint-Gervais, qui consistoit en quelques arpens de terres alors assis hors l'enceinte de la ville de Paris, que les religieuses qui ont precedé les exposantes, faisoient valoir par leurs mains, & qu'elles ont depuis donné à cens & à rentes foncières à plusieurs particuliers, ainsi qu'il est justifié par les anciens baux à cens , ensaisinemens, titres nouvels, sentences & autres titres qui font voir que cet hospital jouît desdits droits de cens &rentes foncières depuis plus de trois cens ans jusques à présent, elles auroient eu recours à nous, pour nous supplier de les prendre sous nostre protection spéciale, & leur accorder nos lettres de confirmation à ce nécessaires. SÇAvoir Faisons que nous estant particulièrement informez du zèle & de l'application desdites prieure & religieuses au soulagement & service des pauvres ; desirans par ces considérations les traiter favorablement, & suppléer à la perte qui a pu estre faite de quelques-uns des anciens titres des fonds appartenans audit hospital : après avoir fait voir à nostre conseil les extraits des baux à cens & rentes, plusieurs contracts de ventes & eschanges, titres nouvels, ensaisinemens , sentences & autres actes de justice des années 1341. 1358. 1425. 1441. 1460. 1475. 1477. I483. 1491. 1506. 1513. 1520. 1563. 1571. 1648. 1649. 50. 51. 53. 55. 58. 59. 60. 61. 63. & 1665. par lesquels il appert desdites terres & maisons qui sont en la censive desdites exposantes, à cause de leur fief de la Cousture-saint-Gervais & ses dépendances, le tout cy attaché sous le contre- scel de nostre chancellerie ; avons iceux, en tant que besoin est ou seroit, de nostre grâce spéciale confirmé, approuvé & ratifié, & par ces présentes signées de nostre main confirmons, approuvons & ratifions ; voulons & nous plaist qu'ils leur tiennent lieu comme faisoit & pouvoit faire le titre primordial de leur establissement, donations & acquisitions qu'elles & leurs devanciers audit hospital ont faites, tant dudit fief de la Couture qu'autrement : à la charge toutesfois de relever de nous, ainsi qu'elles ont accoutumé, sans néanmoins estre obligées de nous payer aucuns droits & devoirs, desquels si elles estoient nos redevables, nous leur en avons fait & faisons don par ces présentes ; à condition de continuer leurs soins pour le secours & service des pauvres , ainsi qu'elles y sont tenuës par leurs statuts & par la fondation dudit hospital, & de faire dire annuellement à perpétuité le jour de saint Louis une messe & faire prières à Dieu pour la santé & prospérité de nostre personne & de ceux de nostre maison royale, & pour le bien de nostre estat. Si donnons en mandement ànos amez & seaux conseillers les gens tenans nostre cour de parlement & chambre des comptes à Paris, presidens & trésoriers de France & chambre du trésor audit lieu, & à tous autres nos justiciers & offìciers qu'il appartiendra que ces présentes ils fassent, chacun en droit soy, enregistrer, & du contenu jouïr & user lesdites suppliantes pleinement & paisiblement : ne permettant qu'il leur soit fait ou donné aucun trouble ou empeschement au contraire. Car tel est nostre plaisir. Et afin que ce soit chose ferme & stable à toujours, nous y avons fait mettre nostre scel. Donné à saint Germain au mois d'Avril l'an de grâce M. Dc. LXXI. & de nostre règne le.XXVIII Signé, LOUIS ; & sur le reply : Par le roy , Le Tellier, avec paraphe.
Registrées, oüy le procureur general du roy, pour estre exécutées & jouïr par les impétrantes des lettres & contenu en icelles, selon leur forme & teneur. A Paris en parlement le XIII. Aoust M. D. C LXXI. Signé , Durivet, avec paraphe.
Registrées en la chambre des comptes , oüy le procureur general du roy, pour jouïr par les impétrantes de l'effet & contenu en icelles, selon leur forme & teneur. Le IX. jour de Février M. D. C. LXXII. Signé, Guitonneau, avec paraphe.
Registrées au bureau des finances de la généralité de Paris, oüy le procureur du roy, pour jouïr par les impétrantes de l'effet & contenu en icelles, selon leur forme & teneur. Le xv. May M.D.C.LXXIII. Signé , DE Santeul , Sallé Dufour, DE La Barre, Robineau, Rabouyn , avec paraphe, & plus bas : Par mesdits sieurs , De Fenis., avec paraphe.
Enregistrées au greffe de la chambre du trésor, oüy & ce consentant le procureur du roy, pour y avoir recours quand besoin, & jouïr par les dames impétrantes de l'effet & contenu en icelles, selon leur forme & teneur ; suivant le jugement de ce jourd'huy XXI. Octobre M. DC. LXXIII. Signé, CHERON, avec paraphe. Pris sur une copie manuscrite.

Histoire de la Ville de Paris, Volume 4, 1725

Pour compléter les informations sur ces fiefs parisiens, aller sur Paris Secret et Insolite.



jeudi 3 mars 2011

Régions parisiennes



rues créées en 1626 par l'entrepreneur Charlot. 3e ardt.

L'autre place qui avoit été projetée par Henri IV auroit été appelée la Place de France, à cause que chaque rue y aboutissant auroit porté le nom d'une des provinces du royaume. Ce prince, pour en arrêter le dessin, se transporta sur le lieu. Il y en a même qui veulent que c'est lui qui en étoit l'inventeur, et qu'en sa « présence Alaume et Châtillon ses ingénieurs en tracèrent le plan et l'élévation. Le « marché en fut fait avec Carel et les autres entrepreneurs, à la charge d'y travailler  incessamment, et avec ordre au duc de Sully d'y tenir la main. Pour ce qui est des rues qui devoient y conduire, le dessin en partie étoit déjà commencé.
La place auroit été faite en demi-cercle, terminée par les remparts, et située presque vis-à-vis la place du Calvaire, où se viennent rendre la vieille rue du Temple et celle de Saint-Louis. Sa profondeur devoit être de quarante toises (240 pieds), sa longueur de quatre-vingts (480 pieds), sa circonférence de cent trente-neuf (834).
Dans les murailles de la ville, il y auroit eu une porte, appelée la Porte de France, ayant en vue le milieu de la place, entre deux grands corps de logis bâtis de brique et de pierre, qui non-seulement auroient couvert les remparts, mais encore les angles contraints du plan, par le moyen des halles et des marchés qu'on y auroit construits.
On seroit entré (dans la place) par huit rues, larges de six toises (36 pieds), bordées de logis uniformes, lesquelles auroient eu pour noms : Picardie, Dauphiné, Provence, Languedoc, Guienne, Poitou, Bretagne, Bourgogne, noms des huit plus grandes provinces de France. Elle auroit été environnée de sept pavillons doubles, à trois étages, de brique et de pierre, de treize toises de face, avec un portique au premier étage (rez-de-chaussée), composé de sept arcades de pierre, deux tourelles en saillie dans les angles, trois lucarnes faites en croisées dans le comble, et un dôme octogone sur le faite de la couverture.
A quarante toises aux environs, il y auroit eu un demi-cercle de sept rues, concentriques, à la demi-circonférence de la place et des portiques de ses pavillons. Ces rues se seroient appelées : Brie, Bourbonnois, Lyonnois, Beauce, Auvergne, Limosin, Périgort, qui composent les gouvernements moins considérables.
Les rues qui auroient conduit aux premières et aux secondes, et passé tout au « travers, devoient se nommer : Saintonge, la Marche, Touraine, le Perche, Angoulême, Berri, Orléans, Beaujolois, Anjou. » (1)
C'est bien là la pensée la plus nationale, la plus française qu'aucun souverain ait jamais conçue. Henri appelait la nouvelle place Place de France, comme il avait, dans les mêmes idées, changé le nom de Collège Royal en celui de Collège royal de France. La royauté qui s'était produite encore et mise en évidence à la place Royale, à la place et à la rue Dauphine, s'effaçait ici et faisait place au pays. Toutes les provinces, toutes les parties du territoire comparaissaient, étaient représentées dans cette sorte de Panthéon national : un grand monument, en frappant les imaginations et les yeux, en donnant un corps aux idées purement morales et politiques, était employé à les répandre, à les propager parmi le peuple, dans ce qu'elles avaient de plus utile et de plus élevé.
(...)
Ce projet, dans son vaste et majestueux ensemble, périt avec Henri IV. Quand Richelieu, devenu maître des affaires, y mit la main en 1626, il n'en prit que les petites parties. La Place de France fut abandonnée, et des vingt-quatre rues dont Henri IV l'avait percée, ou qu'il avait tracées aux environs, le ministre n'en fit ouvrir que onze, les rues de Poitou, Bretagne, Beauce, Saintonge, la Marche, Touraine, le Perche, Berri, Orléans, Beaujolais, Anjou.

(1) Sauval. Histoire et Recherches des antiquités de la ville de Paris, Tome 1, p. 632.

Auguste Poirson, Histoire du règne de Henri IV, Paris, 1866





Lettre sur le changement du nom des rues de Paris.

J'ai passé, Messieurs, cinq années a Paris ; dans cet intervalle, j'y ai fait quelques connaissances : cependant, quoiqu'il n'y ait pas tout à-fait le même tems que j'en suis de retour, j'ai oublié le nom de la plupart des rues de cette ville, que je connoissais parfaitement ; j'ai perdu le souvenir des adresses de quelques uns de mes amis. Cet oubli vient d'un défaut de mémoire de ma part, ou plutôt ne seroit il pas la suite de la barbarie du plus grand nombre des noms des rues de cette ville ; car quelle idée peuvent vous laisser dans l'esprit les noms de Mouffetard, de la Truanderie, des Ecouffes, etc. Je veux croire que ces mots ont signifié quelque chose dans le tems : mais avouez qu'ils sont aujourd'hui bien baroques : il y a cependant une infinité de rues dans le même cas.
Un second inconvénient, c'est qu'il y en a qui portent le même nom dans deux & même trois quartiers différens, telles que les rues d’Enfer dans l'Isle, près des Chartreux & dans la nouvelle France, les rues de St. Louis, près le palais, au Marais & au quartier St. Honoré, les rues Traversière, du Battoir, des Double Portes & une foule d'autres ; ce qui nécessite encore à retenir, outre le nom de la rue, celui du quartier. D'autres rues portent le même nom dans le même quartier, & sont distingués par l'épithéte de vieilles, de neuves, de grandes ou de petites ; quelques unes conservent le même nom dans l'espace de demi lieue, comme les rues St. Honoré, de l'Université, de St. Denis, tellement que vous n'êtes pas plus avancé en sachant le nom de la rue, si vous ne retenés celui de quelque édifice voisin ; tandis que d'autres enfin ont à peine trois maisons dans leur étendue comme les rues Trop-Va-Qui-Dure, de Vuide Gousset, du Hurepoix, &c.
Si ces inconvéniens embarrassent les Parisiens qui ont continuellement sous les yeux Ies noms & les différences de ces rues, jugés des difficultés qu'ils occasionnent aux Provinciaux qui ont des relations dans cette ville. N'y aurait-il pas un moyen plus simple de distinguer les rues de Paris, & qui fut à la portée de tout le monde ? Je crois en avoir imaginé un, & je me hâte, Messieurs, de vous en faire part, afin que si vous pensés qu'il mérite d'être consigné dans votre Journal, ceux de qui dépend cette reforme en soient instruits par cette voye.
Ne pourrait-on pas envisager la ville de Paris comme la carte géographique du royaume ; chaque quartier & la principale rue prendraient le nom d'une province, & les autres rues de ce quartier, celui des villes, fleuves, montagnes de cette province ; par exemple, l'Isle du Palais serait nommé l’Isle de France, la rue qui communique du pont Notre-Dame au Petit-Chatelet, en porterait le nom, & les autres rues celui des principales villes de cette province : les quartiers qui sont dans les fauxbourgs St. Germain & St. Marceau, les noms des provinces meridionales à l'Isle de France ; ceux de St. Honoré & du Marais, des septentrionales. Pourvu que ceux qui seraient chargés de cet ouvrage, fussent exacts dans l'application du nom, ne serait-ce pas un moyen d'apprendre ou de retenir la géographie du royaume ou même des états voisins ? car rien n’empêcherait que les fauxbourgs ou leurs extrémités ne portassent les noms des royaumes étrangers , &c.
J'avoue qu'il faudrait quelque tems pour deshabituer le public de donner à une rue son ancien nom ; mais ne pourrait-on pas afficher le nouveau nom d'un côté de la rue, tandis qu'on laisserait subsister, pendant quelque tems, l'ancien du côté opposé ?

Impasse du Boeuf, 1er ardt.

CHAPITRE CXI

 
Les écriteaux des rues.

 
Les écriteaux du nom de chaque rue ne datent que de 1728 : avant cette époque, la tradition désignait chaque rue. On avait commencé par une plaque de fer-blanc ; le tems & la pluie en effaçaient les caractères ; aujourd'hui ils sont gravés dans la pierre même.
On verra à la place de la nouvelle salle de la comédie française, les rues de Corneille, de Racine, de Molière, de Voltaire, de Crébillon, de Regnard ; ce qui scandalisera d'abord les échevins (il faut s'y attendre), comme en possession de la glorieuse & antique prérogative de donner seuls leurs illustres noms à des rues. Mais peu-à-peu ils s'accoutumeront à cette innovation, & à regarder Corneille, Molière & Voltaire, comme les compagnons de leur gloire. Enfin, la rue Racine figurera à côté de la rue Babille, sans trop étonner les quarteniers, les dizeniers, & autres officiers de l'hôtel-de-ville.
L'ANNÉE littéraire a fait dernièrement une assez bonne plaisanterie, en disant que derrière la nouvelle salle de spectacle, on trouverait le cul-de-sac la Harpe. Cela est gai, point méchant ! l'auteur des Barmecides devrait lui même en rire : car c'est toujours quelque chose en passant dans ce monde, que de donner son nom à un cul-de-sac ou à une impasse.
M. de Voltaire a eu beau prêcher pour ce mot impasse, on ne s'en est point servi ; & l'on continue à dire le cul-de-sac du fort aux dames, le cul-de-sac des feuillantines, le cul-de-sac de Jérusalem, le cul-de-sac du petit Jésus, le cul-de-sac des quatre vents, etc. 


rue Chapon, 3e ardt.
On avoit commencé à numéroter les maisons des rues ; on a interrompu, je ne sais pour quoi, cette utile opération. Quel en seroit l'inconvénient ? Il serait plus commode & plus facile d'aller tout de suite chez M. un Tel, N°. 87, que de trouver M. un Tel au cordon bleu, ou à la barbe d'argent, la quinzième porte cochère à droite ou à gauche après telle rue ; mais les portes cochères, dit-on, n'ont pas voulu permettre que les inscripteurs les numérotassent. En effet, comment soumettre l'hôtel de M. le conseiller, de M. le fermier-général, de Monseigneur l'évêque à un vil numéro, & à quoi serviroit son marbre orgueilleux ? Tous ressemblent à César, aucun ne veut être le second dans Rome : puis une noble porte cochère se trouverait inscrite après une boutique roturière. Cela imprimerait un air d'égalité qu'il faut bien se garder d'établir. Bientôt sur les petites affiches, le convoi d'un fermier qui sera décédé, ne se trouvera plus à côté de celui d'un Marquis son voisin dans la sépulture. L'on fera une petite barre pour les distinguer, & cela a été proposé !
Louis Sébastien Mercier, Tableau de Paris, nelle éd.1782

rue du Perche, 3e ardt.


Noms des rues changés

J’ai lu un projet de géographie, dont Paris serait la carte, et les fiacres les professeurs. Certes, j'aimerais mieux que Paris fût une carte de géographie, qu’un volume du calendrier romain, et les noms des Saints, dont les rues sont baptisées, ne peuvent être mis en comparaison ni pour, l'harmonie, ni pour l’utilité, avec les noms de villes qu'on propose d'y substituer : ainsi le faubourg S. Denis s'appellerait, dans cette supposition, le faubourg de Valenciennes ; le faubourg S. Marceau, le faubourg de Marseille ; ainsi la place de Grève s'appellerait place de Tours ou de Bourges, etc.
Plaisanterie à part, si les noms des rues doivent subir un changement, celui-ci est plus raisonnable et mieux senti que celui que la barbarie et la rage révolutionnaire leur ont fait éprouver en supprimant le mot de Saint.


Le "St" de "saint" a été martelé en 1793

Les auteurs de ce dernier changement ont cru porter un coup mortel à la religion catholique en lui ravissant l'antique honneur de consacrer nos rues étroites et dégoûtantes ; mais c'était une précaution d'enfant qui ferme les yeux en traversant des halliers. Ces noms de Saints, depuis si long-temps inconnus
et depuis plus long-temps appliqués aux rues de Paris, ne rappelaient pas plus les apôtres ni les martyrs de la religion catholique, que la rue du Pélican ne rappelle à ceux qui la traversent les mœurs de l'oiseau lourd et pêcheur dont elle porte le nom.
Quel est celui d'entre nous, quel est le dévot même qui, en passant dans les rues S. Honoré ou S. Antoine, se soit avisé du nom ou des faits de l'habitant des cieux qu'elles rappellent ? Nous passions dans ces rues, comme les Anglais passent dans la rue S. Paul à Londres ; les Turcs dans la rue Ste. Sophie à Constantinople,  les Romains dans la rue Flaminia à Rome, sans qu'aucun d'eux songe jamais ou, à Flaminius, ou à Ste. Sophie, ou à S. Paul. Il  y avait un moyen de nous y faire penser, nous autres Français, c'était de nous le défendre, et c'est le sage parti qu'ont pris nos modernes iconoclastes. Outre l'hiatus barbare introduit dans la langue, et introduit par la suppression du mot Saint dans les rues Honoré, Roch, Antoine, etc., ils sont allés directement contre leur but, en nous plaçant entre les douceurs de l'habitude et la crainte de passer pour aristocrates, an nous forçant, par cela même, à nous rappeler sans cesse et nos préjugés et leurs motifs : aussi, n’ya-t-il pas un républicain raisonnable qui attache aujourd'hui la moindre importance à ce sujet, et s'il fallait opérer un changement dans les rues de rues de Paris, il n'y a pas un homme sensé qui ne préférât celui du géographe dont nous avons parlé, lequel porte au moins avec lui un moyen d'instruction et un caractère d'originalité.
 
Louis Sébastien Mercier, Le Nouveau Paris, 1800


rue Vide Gousset, 2e ardt.
CHAPITRE XIX.

Noms des Rues.

Je ne connais rien de plus ridicule, de plus incohérent que les noms des rues, places et impasses ou culs-de-sac de Paris. Prenons au hasard quelques-uns de ces noms, dans un des plus beaux quartiers, et nous allons remarquer cette incohérence, cette bizarrerie. J'arrive par la rue Croix-des-Petits-Champs ; je traverse la place des Victoires, j'entre dans la rue Vuide-Gousset, qui me conduit au passage des Petits-Pères, d'où il n'y a qu'un pas pour aller au Palais-Égalité.
Quel salmigondis ! Le premier nom rappelle l'objet d'un culte et un aspect champêtre ; le second offre des triomphes militaires et le troisième, un guet-apens ; le quatrième, le souvenir d'un sobriquet donné à un ordre monastique ; et le dernier, un mot dont l'ignorance, l'intrigue et l'ambition ont tour-à-tour abusé.
Le ridicule de cet assemblage a été augmenté depuis quelques années par une foule de noms de circonstances. Comme c'est à ceux des hommes qu'on s'est attaché plutôt qu'aux idées saines et immuables, il s'ensuit que plusieurs rues, à Paris, ont changé trois fois de noms depuis dix ans, et ces baptêmes partiels n'ont fait qu'ajouter à l'incohérence qui existait.
Qui ne voit d'ailleurs que les noms anciens sont, pour la plupart, en contradiction avec la situation ou la destination actuelle de ces rues ?


rue du Cherche Midi, 6e ardt.
La rue des Fossés-Montmartre rappelle à-la-fois des fossés comblés depuis longtemps , et le Mont de Mars, aujourd'hui le mont des ânes : celle de Saint-Germain-des-Prés n'est plus au milieu des vastes prairies qui entouraient cette riche abbaye. Où sont les moulins qu'indique la rue de ce nom sur la butte Saint-Roch, ont ils existaient encore au milieu du 17e siècle ? Que sont devenus les revenans qui habitaient le château qui fut donné aux Chartreux pour y bâtir leur couvent ? -- Ces revenans ont disparu, et la rue d’Enfer les rappelle sans doute.
Je ne vois plus ni ces chambres données à de pauvres bourgeois, qui étaient francs d'impositions, ni le bâtiment plus vaste qui renfermait les lions de François 1er ; mais je passe encore quelquefois dans la rue des Francs-Bourgeois et des Lions-Saint-Paul.
Et cette rue Vuide-Gousset me rappellerait-elle qu'il y a soixante-dix ans on y volait en plein jour, si depuis trois ans le voisinage de la bourse n'en avait fait le rendez-vous des agioteurs en sous-ordre, qui lui conservent à si juste titre son ancien nom ?
Je ne vois plus ni Bons Enfans, ni le collège qu'ils habitaient dans la rue qui porte encore ce nom.
Enfin, puisqu''on a eu assez de pudeur pour effacer une partie du nom obscène que portait la rue Tire-Boudin, l'une de celles affectées dans le quatorzième siècle aux filles publiques, pourquoi n'aurait-on pas le courage de l'effacer tout-à-fait ? (1)
Mais, dira-t-on peut-être, il ne s'agit pas de toujours blâmer, de changer sans cesse, il ne faut pas suivre la marche trop commune depuis quelque temps d'abattre sans rétablir : offrez -nous un projet de dénominations raisonnables, stables, qui, sur-tout, fasse abstraction de toute opinion particulière. -- Je vous entends et j'ai prévu l'objection ; lisez le chapitre suivant. 


(1) Ce n'est pas seulement à Paris qu'on a conservé de sales et indécentes dénominations ; je pourrais en rapporter qui existent encore à  Bordeaux et dans d'autres villes, et qui présentent les idées les plus dégoûtantes.

CHAPITRE XX.

Projet sur les Dénominations à donner aux Rues de Paris,

Plus un projet embrasse de petits détails, plus l’idée principale doit en être simple. Si les plans les plus futiles en apparence renferment une idée juste et morale, ils peuvent faire éclore des conceptions plus heureuses.
On a vu dans le chapitre précédent le ridicule assemblage qu'offrent ces noms bizarres, donnés à différentes époques aux rues et places publiques. Il n'est pas. inutile d'observer qu'un étranger qui, en arrivant dans une ville, commence par tout juger sur les apparences, peut bien penser, en lisant ces dénominations incohérentes et insignifiantes, que les idées de ceux qui l'habitent ne sont pas mieux liées dans leurs raisonnemens ; et certainement, si plusieurs rues lui présentent des noms abjects ou obscènes, il sera fondé à croire à l'immoralité de ses habitans.
Que l'on donne à Paris le nom de capitale, ou que dans les divisions politiques et territoriales de la France on mette cette yille sur le même rang que le plus petit village, cela importe peu, puisque cette dénomination n'influe en rien sur l'opinion que les Français et les étrangers se sont faite de cette cité, le centre des arts et des sciences, dans le sein de laquelle se sont formés tant d'hommes qui ont honoré l'esprit humain.
Ainsi, quand je considère Paris et que je m'isole du point où je suis, du moment où j'écris je dois nécessairement chasser de ma mémoire cette foule d'événemens qui, à  diverses époques, ont fait de cette ville la sentine de tous les vices, le réceptacle de tous les crimes. On a oublié les détails des guerres de la ligue et de la fronde, qui ne se retrouvent plus que dans quelques histoires particulières ; mais l'Europe, le monde entier est plein des grands travaux qu'enfantèrent Corneille, Turenne, La Fontaine, Molière, Racine, Vauban, Fénélon, Perrault, et tant d'autres, qui environnèrent l'époque ou ils vécurent ensemble d'une auréole de gloire qui ne s'éclipsera jamais. 


rue de Poitou, 3e ardt.
J'ai donc considéré Paris comme le centre d'un vaste état et j'ai pensé qu'on pouvait exécuter un projet sur les dénominations à  donner aux rues sur cette idée, qui se lie aux principes d'unité, de simplicité, qui doivent être la base de tous les plans de ce genre.
Ce projet, d'ailleurs, est indépendant de tout système particulier, soit poliique, soit religieux ; ce qui le met à l'abri des haines, des changemens qu'amène trop souvent l'esprit de parti. Enfin, il a un avantage important, c'est qu'il se lie naturellement à une partie de l'instruction du peuple.
Ce plan n'a pas besoin de grands développemens pour être apprécié ; il suffit de l'indiquer, pour en faire concevoir l'ensemble.(1)
Il consiste à donner aux rues, impasses ou culs-de-sac, places et quartiers, les noms des villes, bourgs et villages de France, en conservant non seulement les positions générales, mais encore, autant qu'il est possible, les situations relatives de ces communes entre elles.
Les fleuves, les rivières, les montagnes, qui ont donné leurs noms aux divisions terriloriales et administratives, pourraient servir aux dénominations de ces longues rues qui traversent plusieurs quartiers. Comme le nombre des communes de France surpasse celui des rues de Paris, on prendrait de préférence les plus considérables, en ayant l'attention d'assimiler, autant que
les localités le permettraient, la longueur des rues à la grandeur des villes ou bourgs, c'est-à-dire à leur population. Soit que l'on suivît le même système pour les dénominations des places, ou qu'on en adoptât un autre, il serait facile et je tiens moins à  la gloriole d'être le premier à la publier, qu'à  celle d'éveiller l'attention du public et du gouvernement sur la nécessité de faire disparaître les noms obscènes qui salissent les coins de quelques rues et de  le faire concorder avec celui que je propose.
Je n'ignore pas que cette application des noms serait bien éloignée de l’exactitude qu'on pourrait mettre en bâtissant une ville sur une carte géographique ; mais il suffit, je pense, que les situations relatives soient bien observées, et les grandeurs des communes bien adaptées à celles des rues, pour offrir un ensemble tel que le voyageur puisse prendre une connaissance géographique de la France dans Paris, et, réciproquement, de Paris dans la France.
Je sais que tout ce qui renferme des idées nouvelles porte avec soi une sorte de réprobation, parce qu'on en a trop abusé ; mais je ne crains pas de dire que, malgré les imperfections inévitables d'une pareille carte figurée, l'habitant de Paris connaîtrait mieux la géographie de la France qu'un bon élève de cabinet j les objets qui frappent habituellement nos sens, s'imprimant mieux dans l'esprit que les meilleures théories.
Je crois inutile de m'étendre sur les avantages qui peuvent résulter de l'adoption de ce projet. Les hommes qui ont apprécié la force et le charme des souvenirs, les sentirons mieux que je ne pourrais les décrire. Quel plaisir pour l'habitant du Midi de retrouver, dans les noms des divers quartiers de Paris, ceux du lieu qui le vit naître, du canton où son épouse reçut le jour, du village où il passa ses premières années ; les noms aussi chers de ces communes honorées par des traits de vertu, de bienfaisance, d'héroïsme ! Toutes ces pensées, tous ces souvenirs, se lieraient à des idées morales, et exciteraient dans les Parisiens le désir si naturel de s'instruire des productions territoriales, de l'industrie des habitans des cantons dont les noms seraient souvent répétés : de ces questions facilement résolues, naîtrait sans doute un ensemble de connaissances utiles et agréables, et de communications plus intimes et plus durables.
Peut-être quelques personnes souriront à ce projet ; il excitera dans d'autres le rire de la pitié, je le sais. Que ces derniers s'en tiennent donc à  leur respectacle nomenclature ; que de la rue des Mauvais-Garçons ils aillent dans celle des Mauvaises-Paroles, ou de la Femme-sans-Tête, s'ils n'aiment mieux celle du Chat-qui-Pêche , ou Courtaud-Villain ; et si ces noms leur paraissent encore trop relevés, je les enverrai de la rue du Pet-au-Diable dans le cul-de-sac de la Fosse-aux- Chiens.


rue des Mauvais Garçons, 4a ardt.
Il y a environ cinq ans qu'une personne, sans doute bien intentionnée proposa de donner aux rues et impasses les noms des vertus et des sentimens généreux, sans réfléchir que cette nomenclature morale était trop bornée pour le grand nombre des rues qu'il y a à Paris ; mais une considération plus importante repousse ce projet, c'est qu'il faut bien se garder d'adopter dans les dénominations usuelles des méthodes métaphysiques si l'on ne veut risquer de jeter dans le peuple des idées fausses et même dangereuses. On sent que, dans ce projet, il y avait un certain ordre dans l'arrangement de ces dénominations ; par exemple, la rue de la Justice ou celle de l’Humanité y devait nécessairement conduire à  celle du Bonheur mais qui ne sait que, dans des temps de troubles, les partis changent la signification des mots qui peignent les idées les plus claires, les plus respectables ? Cest ainsi qu'on a vu l’épithète d'honnêtes gens changer de sens suivant les temps, et selon l'opinion des personnes qui l'ont employée, quoique son acception grammaticale soit aussi claire que précise.
En politique comme en morale, il ne faut jamais jouer avec les mots qui peignent des idées respectées de tous les peuples.
Si ce projet eût été adopté, on n'eût pas manqué de proposer à diverses époques de substituer aux noms des rues des vertus y des talens, du mérite y qui, dans le plan de l'auteur, menaient sans doute à celle des honneurs y ceux des vices, de l’impéritie et de l’impudence. Enfin, qui répond qu'alors on n'eût pas changé le nom de la rue de la Probité, qui devait traverser tout Paris, comme conduisant aux plus beaux quartiers, en celui de la rue de l’Intrigue, qui, suivant bien des gens, eût conduit à tout ?


(1) Une personne, à qui je faisais part de ce projet, m'observa qu'elle croyait avoir lu l'indication d'un plan à peu-près semblable. J'ignore; en effet, si d'autres ont eu avant moi cette idée, qui est si simple qu'elle peut être venue à beaucoup de monde. Il y a lieu de croire même que c’est un projet peu différent de celui-ci, qui fit donner, il ya plus d'un siècle, à la plupart des rues du Marais les noms des provinces de France. Quoi qu'il en soit, comme cette idée me parait bonne, je lui donne quelques developpemens.