Victoire Georgine de Chastellux. Vers 1820. Cimetière du Père Lachaise, XXe ardt. |
Où l'on juge, moque, loue, en bref où l'on critique les épitaphes
LE CIMETIÈRE DU PÈRE LA CHAISE
Paris compte plusieurs cimetières hors de ses murs : celui du père La Chaise, qui existe depuis onze ans, est renommé entre tous les autres, par la qualité de ses habitans, le luxe de ses tombes et la variété de ses épitaphes. C'est là que reposent des poètes immortels qui ont illustré notre âge, des savans estimables qui ont honoré le siècle, des guerriers célèbres qui ont accru notre gloire et des femmes charmantes dont l'esprit et la beauté ont fait le bonheur de ceux qui les entouraient et dont la perte cause le désespoir de ceux qui leur survivent. Les plus Malheureux ne sont pas toujours ceux que la mort a frappés.
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Le cimetière est vaste, son terrain est inégal, sa clôture est irrégulière. On regrette qu'il n'ait pas une entrée plus imposante, et qu'il ne soit pas débarrassé de cette masure, de cet atelier qui se trouvent si déplacés dans une pareille enceinte. On y voit peu de tombes qui ne soient pourvues d'une épitaphe : la plupart n'ont d'autre objet que d'indiquer le nom, l'âge et l'adresse du défunt, avec l'énumération de ses brillantes qualités. Il n'y a pas de pierre qui ne soit surchargée de cinq ou six vertus. Ces pauvres morts, comme on les flatte ! J'ai été étonné de trouver sur la tombe de madame de V....... morte l'an dernier, après son quatrième divorce : Ici repose le modèle de la fidélité conjugale... Il y a là plus que de l'ironie.
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Marie B... épouse de F.C. de K. Env. 1810. Cimetière du Père Lachaise, 20e ardt. |
J'ai remarqué qu'en général beaucoup de maris consacraient une épitaphe à la mémoire de leur femme, dans l'unique dessein d'apprendre à ceux qui visitent cette enceinte que la personne qui repose sous cette pierre fut l'épouse d'un général, d'un conseiller d'état, d'un magistrat d'un homme célèbre par sa richesse et ses dignités. La douleur n'est point fastueuse.... Il me serait difficile de croire à celle d'un grand seigneur qui, en élevant un tombeau à sa femme, a eu soin d'y faire inscrire : Ci-gît Marie B.... épouse de F. C. de K duc de V....... maréchal d'empire, sénateur, membre du grand conseil, grand officier de la légion d'honneur, grand-croix de l'ordre royal de Wurtemberg, grand-croix de l'ordre de la Fidélité de Bade, etc., etc. Mais comment refuserais-je d'ajouter foi aux regrets si simplement exprimés sur cette petite tombe isolée , non loin de celle du grand seigneur...? Là, est tout ce que j'aime.
On oublie assez facilement les promesses faites à ceux qui ne sont plus. Que de personnes ont promis une visite à l'ami qu'elles regrettent, à l'époux qu'elles ont perdu, et se sont dispensées d'un pareil voyage ! Je n'en veux pour preuve que cette herbe grandie sur la terre qui couvre leur cercueil, que ces fleurs fanées, que ces arbustes mourans qui accusent la négligence et nous révèlent l'ingratitude.
F.C. de K. Duc de V. Env. 1820. Cimetière du Père Lachaise, 20e ardt. |
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Je fus distrait de cette pensée affligeante que les morts conservent peu d'amis, par la singularité d'une épitaphe ainsi conçue : Je suis décédé le premier février 1815. Je m'aperçus, en lisant ces mots, que le ridicule sèche les larmes et tue la douleur.
Comme je traversais l'espace où sont pour ainsi dire réunis Chenier, Delille et Fourcroy, je vis une jeune femme à genoux : devant une petite colonne de marbre blanc, surmontée d'une urne cinéraire ; je m'arrêtai, dans la crainte de la distraire ; mais trop profondément occupée de sa douleur, elle ne m'avait point aperçu. Elle tenait à la main un bouquet de fleurs qu'elle effeuilla sur la tombe de l'objet de ses regrets, et une couronne de buis qu'elle passa autour de la colonne. Ensuite elle s'éloigna lentement en jetant un regard plein de tristesse vers le lieu qu'elle venait de quitter. Cette jeune femme passa près de moi sans me voir, ses yeux étaient rouges, sa poitrine gonflée, sa respiration pénible et embarrassée ; je l'entendis murmurer : Je n'y survivrai pas... Je la suivis des yeux ; et dès qu'elle eut franchi la porte de cette enceinte, je courus au tombeau qu'elle venait d'abandonner. Il renfermait un jeune enfant de cinq ans, mort le 18 mars dernier, idole de ses parens ; il avait succombé à une maladie cruelle !
Dès qu'elle put sortir, sa mère affligée vint visiter le triste monument où reposait cet enfant chéri. Un grand nombre de couronnes attestaient la constance de sa douleur ; chaque jour elle cueillait une rose sur le tombeau de son fils, et après l'avoir portée toute la journée, elle venait le lendemain la déposer sur son cercueil.
Fleur à peine éclose. Env. 1836. Cimetière du Père Lachaise, 20e ardt. |
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Ce n'est point le regret qui a écrit sur la tombe de M. N.... négociant ( qui a probablement un associé ), qu'il demeurait autrefois rue Saint-Denis , n°.... ; ce n'est point la douleur qui nous apprend que le chevalier M...H. est mort dans un château qu'il avait acheté la veille. Je croirais cependant au chagrin de M. G, désespéré d'avoir perdu son épouse, enterrée, il y a deux ans, dans ce cimetière, si je ne savais qu'il a été déjà désespéré de la perte de celle qu'il a laissée à celui de Montmartre, il y a quatre ans, ce qui ne l'a pas empêché d'en prendre une troisième qui le désespérera peut-être à son tour.
Une épitaphe me frappa par sa simplicité. On voit en descendant, à droite, auprès l'un de l'autre, deux tombeaux d'une inégale grandeur ; sur le plus grand est écrit : Pauvre mère ! elle n'a pu lui survivre !..... Hélas? un pareil sort attend peut-être la jeune femme que j'avais vue quelques momens auparavant !
Il n'en sera pas de même, sans doute, de cet époux inconsolable, à qui la douleur a tellement troublé l'esprit, qu'il a oublié par-ci, par-là quelques syllabes aux vers qu'il a pris soin de composer lui-même, et de faire graver sur la tombe de sa femme. Quand on a la patience de rimer, on n'a pas la crainte de mourir.
J'allais quitter ce séjour, lorsque j'aperçus, auprès d'un tombeau voisin de celui du général R., un homme d'environ trente six ans ; il était assis sur un siège de bois, tenait un livre à la main, et paraissait le lire avec la plus grande attention.... Monsieur, me dit à demi-voix un des ouvriers qui passa dans ce moment auprès de moi, ne dérangez pas ce brave homme ; voilà bientôt huit ans qu'il vient ici tous les jours-passer une heure auprès du tombeau de son frère, qui, dit-il, était son meilleur ami. Le froid, le chaud, la pluie, rien ne saurait l'empêcher de remplir ce devoir sacré : on l’appelle M. V......
Ce nom me rappela, en effet, un artiste recommandable, qui avait perdu son frère à pareille époque [Il s'agit peut-être de Jean-Baptiste Isabey dont le frère Louis est mort en 1813]. Dans cet asile de la mort, je ne vis point l'obligé pleurer sur la tombe de son bienfaiteur ; l'époux, arroser de ses larmes le tombeau de sa femme, ni la femme celui de son mari ; je n’y trouvais qu’une mère éplorée, qu’un frère inconsolable : tant il est vrai que l’amour maternel et l’amitié sont les deux sentiments les plus durables de la vie.
Le Rôdeur français ou Les Moeurs du jours, T.1 / Michel-Nicolas Balisson de Rougemont. 6 mai 1815
LES ÉPITAPHES.
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Je ne m'étonne plus des reproches que les moralistes adressent aux vivans ; il n'y a réellement que les défunts qui vaillent quelque chose. Paris, disent avec raison nos censeurs tant soit peu sévères, renferme une foule d'hommes dépravés, de femmes légères ; je le crois bien, les hommes vertueux, les femmes fidèles sont dans les cimetières, on n'y voit que cela. On y a enterré toutes les qualités, toutes les vertus possibles. Que de trésors sont déposés là pour toujours! A droite, à gauche, chaque pierre couvre les restes d'un individu parfait. On a dit que si la peste donnait des pensions, la peste trouverait des flatteurs : on peut se convaincre, en parcourant nos cimetières, que la mort n'en manque pas ; il est vrai qu'elle donne des héritages.
Une revue des inscriptions funèbres est en quelque sorte un cours de mensonge. La flatterie arrive à l'oreille des vivans avec une apparence de pudeur qui lui sert de passe-port ; elle s'installe chez les morts avec la plus audacieuse effronterie ; elle n'use point de ménagemens avec eux : au lieu de mesurer ses éloges sur la profession du défunt, elle semble au contraire se faire un plaisir de le dénoncer à l'admiration pour des vertus dont il aurait pu raisonnablement se passer...
Ernest Beaumont. Env. 1839. Cimetière du Père Lachaise, 20e ardt. |
Ici repose un boulanger plein de génie, un marchand de vin ami de la vérité ; de ce côté c'est un maître d'hôtel estimé pour sa belle conduite, en face est un quartier-maître connu par la science qu’il avait à faire la guerre ; plus loin j'aperçois la tombe modeste d'un commis honoraire, rare modèle sous le double rapport du mérite administratif et des vertus religieuses ; celle d'un architecte qui, dans ses écrits et ses travaux, a donné le précepte et le modèle de la sûreté et de la salubrité ; celle d'un fabricant de soie qui sut, par son génie, s'élever au plus haut point de prospérité ; enfin, celle d'un marchand bonnetier qui de son vivant, possédait toutes les qualités morales jusqu'à l’infini.
Une femme morte avant l'âge où l'on ne tient à la vie que par la multiplicité de ses souvenirs et la force de l'habitude, annonce en lettres d'or, sur le marbre qui ferme sa tombe, quelle est regrettée de son époux, ce qui fait honneur à sa confiance ; un charpentier prévient ses lecteurs qu'il est décédé en sa maison, que probablement il aura laissée à ses héritiers. Plus loin un facteur à la halle, pour la vente en gros des farines, vous déclare modestement ou orgueilleusement que :
Sur l'esprit du temps il n'a pas réglé le sien.
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Sans doute que ceux qui s'expriment ainsi pensent nous associer à leurs regrets, et nous faire partager la douleur que leur cause la perte de celui dont ils exaltent ainsi les vertus, les talens, les qualités ; ils se trompent : leurs éloges produisirent un effet opposé à celui qu'ils en attendaient. On ne peut s'empêcher de sourire de pitié en lisant une épitaphe ainsi conçue, et placée sur la tombe d'un petit enfant : « Passant prie : ici est mon fils. Chacun de son vivant se détournait pour admirer sa belle figure et sa blonde chevelure. En lui donnant la vie, je lui consacrai mon existence ; jamais je ne me séparai de cette chère moitié de moi même ; partout on admirait mon fils à mes côtés ; tous deux faisions consister notre bonheur présent et à venir dans notre mutuelle tendresse. Déjà mon fils osait former de brillans projets (note : il n’avait pas cinq ans) ; mais son cœur reconnaissant s'associait à sa mère, et jurait de ne jamais s'en séparer, de toujours l'adorer ; fière de la tendresse de mon fils, enivrée des louanges qu'on lui prodiguait, il était mon dieu mon univers ; le ciel, pour punir mon orgueil, repoussa mes vœux, mes prières lorsqu'il fut aux portes du tombeau. Rien ne put le soustraire au trépas : il mourut dans mes bras. Je vins dans ce triste lieu, faire déposer ces restes aussi chéris que sacrés. Ah! mon bien-aimé! du haut du ciel contemple ta mère, prends pitié de sa douleur ; en dépit de la mort, soyons toujours unis! que ton âme et ton ombre se rattachent à la mienne ; au delà du trépas, tu vivras seul dans mon cœur. J'ai fait élever ce monument le jour de ta fête ; ici je reviendrai souvent pleurer Ch. B..., mon fils bien-aimé.”
Non loin de ce singulier éloge, on lit sur la la tombe que M. An... a fait élever à Marie Jeanne O., son épouse :
« Tu fis pendant quinze ans mon bonheur ; ce court espace, la mort l'a réduit. Cruelle mort! tu laisses dans ma mémoire le souvenir de toutes les vertus ; comment oublier ce cruel sort, quand j'ai sous les yeux ta fille qui faisait ton essor, ton fils orné de tes beaux yeux, tous deux tendres comme toi me feront-ils aimer encore la vie, qui, en me parlant de toi, je penserais à mon amie ? Si tu ne laissais que nous en pleurs, tes qualités ne seraient pas payées. »
Ce triste amphigouri a été imité par la personne qui a surchargé de ses regrets emphatiques la tombe de madame A. C. B.... veuve de J. L.
« Des épouses les plus vertueuses, des mères les plus tendres, ici repose le plus parfait modèle. Quel plus bel hommage à rendre à toutes ses vertus célestes et sociales que de la faire naître. » ... On ne pouvait exprimer plus ridiculement des regrets dont la cause est honorable.
La police des cimetières devrait n'y laisser entrer que des épitaphes intelligibles ; car on ne peut se faire une idée du dépit qu'on éprouve en jetant les yeux sur les panégyriques de contrebande.
Modèle de toutes les vertus. Env. 1815. Cimetière du Père Lachaise, 20e ardt. |
J'ai déjà signalé (note : Le Cimetière du père Lachaise, 1er vol. du Rôdeur) cette ridicule manie de rimer sa douleur ; je me suis élevé contre l'orgueil de ces distiques dépareillés qui ornent la plupart des tombes modernes ; je ne puis m'empêcher de signaler de nouveau cet abus, cette superfétation de sensibilité qui s'exhale en grands ou petits vers ; et je dois faire remarquer qu'en général ce tribut poétique payé aux mânes du défunt, laisse beaucoup à désirer sous le rapport de l'exécution, quelquefois même sous celui de la pensée.
Un père et une mère se sont amusés à faire dire à leur jeune enfant ce distique qu'ils n'auront pas sans doute eu le temps de corriger, ou qu'ils auront peut-être laissé imparfait, à fin qu'il pût être plus facilement attribué à l'objet de leurs regrets :
Ici, près de moi, je les attends
Comme fils aimé et obéissant.
Une épouse plus sensible que poëte a fait graver ces vers irréguliers sur la tombe de son mari :
Déplorable victime des cruautés du sort,
Aux regrets éternels il nous voue par sa mort.
Un mari s'est cru obligé de cadencer ainsi ses regrets où l'oreille est blessée par le défaut de mesure :
Épouse chérie, tendre et vertueuse amie,
Tu emportes avec toi le bonheur de ma vie.
Un autre voulant rappeler à ses enfans le souvenir d'une mère dont le dernier fruit de l'amour conjugal lui ferma la paupière, a fait suivre l'énumération de ses qualités du distique suivant :
Vous mortel qui passez sur le bord de sa tombe,
Priez Dieu qu'elle repose dans une paix profonde.
Ces vers sont les fruits de la muse de A. S. M. L.... maître serrurier. Où diable la poésie va-t-elle se nicher!
Oh ! Ah ! Env. 1850. Cimetière du Père Lachaise, 20e ardt. |
Sépulture Graux et Taunay. Env. 1820. Cimetière du Père Lachaise, 20e ardt. |
Ne serait-ce point parce qu'elle est la langue des fictions, que tous ces personnages ont rimé leur douleur? On serait tenté de le croire en comparant leurs vers si tristes, et leur conduite si différente de leurs vers ; on l'affirmerait peut-être, si l'on songe qu'un de ces époux inconsolable en vers, a fait dresser, au bout de six mois de veuvage, un contrat de mariage en prose, qui l'unit à une seconde femme ; la noce s'est faite avant l'expiration du deuil, et puis fiez vous aux épitaphes.
Il en est cependant une que je ne passerai pas sous silence parce qu'elle m'a frappé sous le rapport du style et des pensées, le style est simple, naturel et ne manque point d'élégance; les pensées sont vraies en paraissant exprimer une douleur réelle. Je la citerai en entier comme faisant exception à tous les vers qui se trouvent dans ce champ funèbre ; elle est d'une fille qui regrette sa mère :
0 ma mère, une mort soudaine
Dans mes bras a fermé tes yeux!
Tu n'es plus ! Et la fille à peine
A pu recevoir tes adieux.
Ma félicité m'est ravie :
Avec les restes de ta vie,
Elle s'exhala vers les cieux.
Hélas ! sur cette terre à présent si déserte
Rien ne m'annonçait mon malheur :
Avec toi le matin je parlais de bonheur,
Et le soir j'ai pleuré ta perte.
C'en est fait : le cercueil sur toi s'est refermé,
Couvert des feuilles de l'automne.
Dieu permet-il qu'on abandonne
L'enfant dont on est tant aimé?
Pourquoi t'en aller la première?
Des jours de ma famille entière
J'ai vu s'éteindre le flambeau.
En tous lieux maintenant je me trouve étrangère,
Excepté près de ce tombeau ;
En proie à ma douleur amère,
Sur ce tombeau je pleurerai
Jusqu'au jour où j'y descendrai
Pour aller rejoindre ma mère.
Quelques familles de la capitale ont marqué d'avance le lieu de leur sépulture. Elles ont acheté un terrain où elles font bâtir à grands frais le tombeau qui doit les recevoir : cette coutume familiarise avec l'idée de la mort. Les empereurs de Constantinople étaient forcés d'y songer eux-mêmes au milieu de leur couronnement : pendant cette grande fête les magistrats présentaient à leur monarque différentes sortes de pierres, en le priant de choisir celle qui lui conviendrait le mieux pour construire son tombeau. C'était une idée grande et philosophique que ce souvenir du néant qui attend tous les hommes-mêlé au faste de la grandeur dont on environnait Je nouveau prince. Je ne crois pas cependant que ce soit une pareille idée qui ait inspiré à de petits bourgeois de Paris, le désir de se faire élever un tombeau de leur vivant, de présider à son érection, d'en diriger la construction, d'en choisir les ornemens extérieurs : il y a sans doute plus d'orgueil que de philosophie dans cette précaution sépulcrale.
Un riche négociant de la capitale, dont la fortune s'accroissait tous les jours, fut invité à l'enterrement de la femme d'un de ses amis ; le convoi était modeste et en cela il avait quelque similitude avec la douleur de l'époux. M. B.,., témoin de cette parcimonie, ne put s'empêcher de laisser paraître son étonnement. Redoutant un pareil sort dans le cas ou sa femme lui survivrait, il se hâta de faire l'acquisition d'un terrain, de faire construire et décorer un tombeau, de l'entourer d'une grille dorée, de le surcharger d'emblèmes, de chiffres, et d'y faire inscrire, en lettres d'or de dix-huit pouces le nom de tous les personnages de la famille. Dès que le mausolée fut terminé, il proposa à ses parens une partie de plaisir, et choisit, pour but de sa promenade, le cimetière du père la Chaise. Qu'on juge de leur surprise en apercevant dans le lieu le plus élevé du jardin, un tombeau tout prêt à les recevoir : cette surprise manqua d'être fatale à plusieurs, qui eurent toutes les peines du monde à ne pas envisager cette singulière partie de plaisir comme une mauvaise plaisanterie. M. B... leur envoya dès le lendemain une carte d'entrée avec le numéro de la place qui leur était réservée.
(...)
Le Rôdeur français ou Les Moeurs du jours, T.3 / Michel-Nicolas Balisson de Rougemont, 28 Novembre 1815.
LE JOUR DES MORTS
(...) Ici, des enfans, que leur père y avait conduits, priaient étendus sur la tombe de leur mère ; là, de jeunes filles étaient agenouillées devant celle d'une amie qui avait partagé tous les jeux de leur enfance, et qui, son épitaphe l'apprend, mourut le jour fixé pour son mariage. Quelques pas plus loin, un père et une mère arrosaient de leurs pleurs le monument triste dépositaire de leurs affections, et ne pouvaient se résoudre à s'en séparer. La douleur a ses mystères qu'il faut respecter : mais une inscription s'offrait à mes regards ; je fus curieux de la lire. La voici ; aucune ne m'a plus vivement ému :
« Cher enfant, ton père et ta mère te cherchent partout ; mais ils ne peuvent te trouver que sous ce marbre et dans le séjour éternel où tu les attends. Ange d'innocence et de douceur, nous nous reverrons. »
On ne demande pas qui a dicté cette inscription d'une si touchante simplicité : c'est une mère, chacun le sent. J'en ai lu beaucoup d'autres ; mais qu'elles paraissent froides auprès de celle que je viens de transcrire ! Dans un tel sujet, laissez toujours parler la nature ; l'art essaie en vain de l'imiter, il gâte ce qu'il croit embellir.
Cette mère, qui adresse à son enfant des adieux si touchans, n'aurait pu survivre à la plus cruelle de toutes les séparations ; mais elle sait qu'elle doit le retrouver un jour ; elle l’attend, ils se reverront. Cet espoir, qui la console, ne sera pas trompé. Ah! si, ce que je répugne à supposer, il est des hommes assez malheureux pour ne croire qu'au néant, que n'ont-ils visité hier le cimetière du P. Lachaise ! tout y annonçait, tout y proclamait le dogme de l'immortalité de l'âme ; dogme consolateur, qui du moins ne trouve pas d'objection dans les cœurs qui savent aimer.
L'image de la vie embellissait ce séjour de la mort ; les tombeaux, du moins un très-grand nombre, étaient ornés de couronnes et de guirlandes que des mains pieuses y avaient déposées. Autour de ces monumens croissent de jeunes arbustes : un parent ou un ami les a plantés, et il est encore, malgré la saison, aisé de voir avec quel soin ils sont entretenus.
Tout commerce n'est donc pas rompu avec ceux qui nous furent chers : leur paisible demeure est souvent visitée ; nous leur offrons des hommages et des vœux ; ils ne vivent pas seulement dans notre pensée, nous croyons quelquefois les voir encore et les entendre.... La douleur a ses délices, que les âmes sensibles connaissent bien, et dont elles cherchent à prolonger la durée ; qui en doute, n'était pas hier au cimetière du P. Lachaise.
Autant de monumens, autant d'inscriptions ; les plus simples sont les meilleures, on s'associe plus volontiers aux sentimens qu'elles expriment. Celle-ci m'a beaucoup plu : Ci-git mon meilleur ami, c'était mon frère. ISABEY. Mais quelle recherche dans la suivante : Ici repose ma pensée. Dorat n'aurait pas mieux dit ; mais la nature a un autre langage. J'aime encore moins ces fastueuses épithètes où la vanité cherche à se satisfaire, et qui n'intéressent ni l'esprit ni le cœur du passant qui les lit. Que les grands, que les heureux du siècle reçoivent pendant leur vie des hommages qui ne sont pas toujours mérités, je le conçois ; mais je ne vois pas pourquoi on flatte leur poussière, comme si elle pouvait se convertir en or pour payer le mensonge.
C'est ici, c'est dans ces lieux peuplés par la mort que je voudrais placer la chaire d'un orateur à qui nul autre ne peut être comparé : avec quelle force, quelle puissance de talent il foudroierait ces humaines vanités qui paraissent encore plus misérables après une révolution qui a abaissé toutes les grandeurs, et qui a élevé sur le faîte ce qui rampait à terre ! S'élançant dans l'avenir, et traversant les siècles comme des instans, il demanderait à quoi serviront, au jour où les œuvres seules seront comptées, tout ces titres dont on lit sur quelques monumens la pompeuse énumération.
Pourquoi n'a-t-on pas encore nommé un inspecteur des épitaphes ? La création de cet office grossirait peu le budget de la ville de Paris, et son utilité serait grande ; rien alors, dans vos cimetières, ne blesserait ni la morale publique ni les convenances ; on ne dirait plus : Ici repose l’âme de mon père ; vous ne verriez plus celui-ci s'adresser aux dieux immortels ; celui-là invoquer les mânes.... Ces inscriptions paraissent fort étranges dans un pays qui, malgré tout ce qu'on a fait pour le rendre païen, a encore l'honneur d'être chrétien ; d'autres ne sont que ridicules, mais c'en est assez pour que du moins on n'en admette plus de semblables. S'attend-on à lire sur la tombe d'un bedeau de paroisse ce vers d'Horace :
Quando ullum invenient parem?
Quand trouvera-t-on son égal ?
J'ai vu, et j'avoue que j'en ai été humilié, j'ai vu des étrangers que cette application faisait sourire. Il est dur de recevoir aujourd'hui des leçons de bienséance de ceux à qui nous en avons toujours donné ; et voilà ce qu'un homme éclairé, chargé de travailler à la rédaction des épitaphes, saurait bien empêcher. Songez-y donc, vous que ce soin regarde.
Ce n'est qu'après avoir parcouru ce cimetière que l'on connaît toutes les pertes que les sciences et les lettres ont faites depuis quelques années. J'avais vu, en entrant, les tombes unies de Malus et d'une épouse qui n'a pu lui survivre ; bientôt d'autres noms plus ou moins célèbres s'offrirent à mes regards. Fourcroy, Delambre, Haûy, Monge, Visconti,.... ont leur tombeau dans cet asile ; là sont les cendres de Fontanes, de Suard, de Morellet, de Boufflers...; vous y trouvez enfin tous tes débris d'un siècle qui ne fut pas sans gloire, et que le nôtre, malgré ses prétentions, ne paraît pas devoir égaler.
Je m'arrêtai quelques instans devant le monument de Delille, et je vis avec plaisir qu'il n'est plus, comme naguère, noirci de mauvais vers ; une grille de fer le défend aujourd'hui de cet outrage. Rimeurs indiscrets, c'est, vous le savez bien, un autre hommage que le chantre aimable de la nature vous demande :
Donnez des fleurs, donnez : que le lis, que la rose,
Trop stérile tribut d'un inutile deuil,
Pleuvent à pleines mains sur son triste cercueil,
Et qu'il reçoive au moins ces offrandes légères
Brillantes comme lui .
Sépulture Graux et Taunay. Env. 1820. Cimetière du Père Lachaise, 20e ardt. |
Il m'a fallu, pour apercevoir les humbles tombes de Sonnini et de Valmont de Bomare, écarter les ronces et les épines qui les couvrent. Une épitaphe m'a appris que le premier naquit riche et mourut pauvre ; il eut cependant la gloire d'aider Buffon à élever aux sciences un monument qui les honore. Le second, qui aussi mourut pauvre, et très-pauvre, a rendu à l'histoire naturelle un service qu'elle ne peut méconnaître : il en a fait aimer l'étude, il l'a en quelque sorte popularisée. Mais nous attachons plus de prix aux talens agréables qu'aux travaux utiles. Sonnini et Valmont de Bomare ont été, comme on le voit, assez mal récompensés de leurs veilles laborieuses : que n'avaient-il l'un et l'autre appris à jouer de la flûte ou du galoubet ? ils eussent vécu plus heureux, et probablement leurs tombes ne seraient pas aujourd'hui cachées sous des broussailles !
On remarque avec peine que la plupart des monumens que renferme ce cimetière ne sont que temporaires ; dans cinq ans, ils céderont leurs places à d'autres. Je plains les pauvres qui n'ont pu faire mieux, qui peut-être même se sont imposé de pénibles sacrifices pour obtenir pendant cinq ans la jouissance de ce peu de terre où leurs mains ont planté l'humble croix de bois que j'aime tant à y apercevoir ; mais ceux-là sont sans excuse, qui, pouvant acquérir une concession à perpétuité, condamnent les restes de leurs proches à être déposés en passant dans des fosses de louage.
Soyez donc plus vrais dans vos inscriptions. J'y lis que le parent que vous regrettez vivra éternellement dans vos cœurs, que vous le pleurerez toujours Mais dans cinq ans vous souffrirez que tout ce qui peut vous le rappeler disparaisse ! dans cinq ans, ainsi vous-même l'avez décidé, ces cendres si chères, comme votre inscription le dit, recevront le dernier des outrages! dans cinq ans vous vous croirez quittes avec elles! Votre douleur aura réglé tous ses comptes.La nuit commençait à tomber, je quittai ce séjour de repos pour rentrer dans celui d'une continuelle agitation, me proposant bien de revenir l'année prochaine, à pareil jour.
L'Hermite de Belleville / Charles Colnet, 1823
LES CIMETIÈRES DE PARIS.
Dans l'avenir inconnu que nous ouvre la mort il y a quelque chose de grand et de saint. Aussi le culte des aïeux est de tous les pays et de tous les temps. L'homme civilisé confie à une terre consacrée, près de l'enceinte des lieux qu'il habite, les restes de ses proches et de ses amis ; le sauvage, dans ses migrations, emporte avec lui les ossements de ses pères. Partout le respect entoure l'asile des morts ; partout l'asile des morts commande le recueillement et la prière.
Quand la vue d'un cimetière de campagne fait naître dans l'âme des émotions si profondes et si tendres, pourquoi donc, par un triste privilège, la vue d'un cimetière de Paris nous laisse-t-elle froids et indifférents? C'est que dans celui-là on est en présence de Dieu et de l'éternité, et dans celui-ci en présence de l'homme, de sa sottise et de son orgueil ; la piété conduit vers l'un, la curiosité vers l'autre ; on médite au cimetière du village, on se promène au cimetière du Père-Lachaise.
Quelles idées pieuses peuvent réveiller en moi cette multitude d'édifices bizarres et ce luxe d'épitaphes qui attestent beaucoup plus la vanité et le mauvais goût des vivants que les vertus des morts? La manie des inscriptions tumulaires a vraiment atteint la dernière limite du ridicule. J'admets les noms et les faits : dites-moi que votre mari s'appelait Bernard, qu'il fut conseiller d'État ou épicier, cela m'intéresse peu, mais je vous crois. Que si vous ajoutez : son époux, sa veuve inconsolable, etc., cela ne m'intéresse pas davantage, et vous avez moins de droit à ma confiance.
Nos édiles devraient établir un tarif pour les épitaphes comme il en existe un pour le sol. Cet impôt sur la vanité serait un impôt progressif. Les qualités vulgaires paieraient une somme peu élevée, par exemple :
BON ÉPOUX. 20 fr.
EXCELLENT ÉPOUX. 40 fr.
Elle s'accroîtrait pour les qualités rares :
BON GARDE NATIONAL. 100 fr.
EXCELLENT CITOYEN. 200 fr.
Et ainsi du reste.Cette nouvelle source de richesses n'est pas à dédaigner ; la ville de Paris n'a guère que quarante à cinquante millions de revenu.
Mon tarif admis, l'éloge cesserait d'être prodigué sans mesure, même par les veuves inconsolables. L'épitaphe d'un enfant de six ans ne l'offrirait plus aux générations futures comme un objet d'irréparables regrets. Ce dernier genre, toutefois, n'est pas particulier au Père-Lachaise ; j'ai vu autre part, je ne sais où, le tombeau d'une
TRÈS-HAUTE, TRÈS-EXCELLENTE
ET TRÈS-PUISSANTE PRINCESSE,
AGEE D'UN JOUR
Il aurait fait le bonheur et la gloire de ses parents. Env. 1811. Cimetière du Père Lachaise, 20e ardt. |
L'éloge rend plus petits encore ceux qu'il ne peut rendre plus grands. Passons rapidement devant ces vaines paroles, arrêtons-nous à cette pierre si modeste, et pourtant si éloquente ; elle ne dit qu'un mot, un seul :
Marie.
Mais combien me pénètre et m'émeut le sentiment qui n'a permis de tracer là que ce seul nom ! Je voudrais connaître celle qui le portait ; et cependant je sais gré à ceux qui me la cachent et ne veulent que Dieu pour témoin de leur douleur. Était-ce une jeune fille, bonne, douce, aimante, qui s'est endormie pour toujours au milieu de rêves de bonheur?... Était-ce une jeune mère enlevée à un époux qui l'adorait et à des enfants qui la pleurent sans comprendre encore ce qu'ils ont perdu?... Oh! sans doute elle veille sur eux!
On a ri de l'épitaphe d'un marchand mercier ainsi terminée :
SA VEUVE CONTINUE SON COMMERCE,
RUE SAINT-DENIS, 349.
Eh bien! presque toutes les épitaphes ont à peu près le même sens, presque toutes sont à l'adresse du public pour le profit ou la vanité des familles.
Autant que la prose et les vers, l'architecture ambitieuse me déplaît dans les cimetières : une croix, quelques fleurs, voilà les ornements qui leur conviennent. Entrons-nous dans ces tristes lieux pour y admirer des colonnades, des temples et des statues ?
Si les réformes avaient de nos jours plus de chances de succès, j'en proposerais une : je demanderais pour tous l'égalité du tombeau.
Les hommes, je le sais, ne sont point égaux : la nature établit d'abord entre leur force physique, leur adresse, leur intelligence, d'incontestables différences, qui, développées ensuite, ou altérées par le travail ou l'inertie, la vertu ou le vice, enfin et surtout par l'action presque irrésistible des institutions et des gouvernements, se perpétuent de race en race et séparent de mille manières les individus. Mais trop souvent l'orgueil accompagne le succès ; on se croit tout, parce qu'on est quelque chose, comme si, dans nos sociétés compliquées, les grands rouages pouvaient jouer sans les petits ; et l'on perd de sa valeur réelle à proportion du soin qu'on met à s'isoler de la valeur des autres.
Je voudrais donc que la mort suppléât ce qui manque aux enseignements de la vie, et que, dans nos cimetières, les tombeaux, pareils pour tous, rappelassent aux visiteurs l'inévitable égalité qui nous attend. Ils trouveraient là une haute et sévère leçon.
Élevez des monuments aux hommes vraiment grands, vraiment utiles ; élevez-les sur vos places, aux regards, à l'admiration, à l'émulation, à la reconnaissance de tous. Ne souffrez pas que l'or de l'agioteur, du banqueroutier, de la courtisane, puisse édifier, dans dos lieux sacrés, une tombe dont le luxe et l'inscription trompent ou insultent la morale publique.
S. Lavalette
Le diable à Paris, Georges Sand, Théophile Lavallée, etc., 1846, Paris
L'image de la divinité. 1818. Cimetière du Père Lachaise, 20e ardt. |
L'amateur d'épitaphes rimées du début du 19e siècle fera son miel du Véritable conducteur aux cimetières du Père La Chaise, Monmartre, Mont-Parnasse et Vaugirard, par MM. Richard et ***, 4e éd. 1836
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