Où un vêtement de travail favori et original permet de résumer celui qui le porte si on doit le statufier.
Jean Jacques Rousseau : L’habit Arménien.
Jean-Jacques Rousseau par André Bizette Lindet, 1952, place du Panthéon, Ve ardt. |
Peu de temps après mon établissement à Motiers-Travers, ayant toutes les assurances possibles qu'on m'y laisserait tranquille, je pris l'habit arménien. Ce n'était pas une idée nouvelle ; elle m'était venue diverses fois dans le cours de ma vie, et elle me revint souvent à Montmorency, où le fréquent usage des sondes, me condamnant à rester souvent dans ma chambre, me fit mieux sentir tous les avantages de l'habit long. La commodité d'un tailleur arménien, qui venait souvent voir un parent qu'il avait à Montmorency, me tenta d'en profiter pour prendre ce nouvel équipage, au risque du qu'en dira-t-on, dont je me souciais très peu. Cependant, avant d'adopter cette nouvelle parure, je voulus avoir l'avis de madame de Luxembourg, qui me conseilla fort de la prendre. Je me fis donc une petite garde-robe arménienne ; mais l'orage excité contre moi m'en fit remettre l'usage à des temps plus tranquilles, et ce ne fut que quelques mois après que, forcé par de nouvelles attaques de recourir aux sondes, je crus pouvoir, sans aucun risque, prendre ce nouvel habillement à Motiers, surtout après avoir consulté le pasteur du lieu, qui me dit que je pouvais le porter au temple même sans scandale. Je pris donc la veste, le cafetan, le bonnet fourré, la ceinture; et, après avoir assisté dans cet équipage au service divin, je ne vis point d'inconvénient à le porter chez milord maréchal. Son Excellence, me voyant ainsi vêtu, me dit, pour tout compliment, Salamaleki : après quoi tout fut fini, et je ne portai plus d'autre habit.
Jean Jacques Rousseau, Les Confessions, Livre XII
Jean-Jacques Rousseau par Allan Ramsay, 1766, Galeries Nationales d’Écosse. |
Après le succès qu'avoient eu dans de
jeunes têtes ses deux ouvrages couronnés à Dijon, Rousseau,
prévoyant qu'avec des paradoxes colorés de son style, animés de
son éloquence, il lui seroit facile d'entraîner après lui une
foule d'enthousiastes, conçut l'ambition de faire secte ; et, au
lieu d'être simple associé à l'école philosophique, il voulut
être chef et professeur unique d'une école qui fût à lui ; mais,
en se retirant de notre société, comme Buffon, sans querelle et
sans bruit, il n'eût pas rempli son objet. Il avoit essayé, pour
attirer la foule, de se donner un air de philosophe antique: d'abord
en vieille redingote, puis en habit d'Arménien, il se montroit à
l'Opéra, dans les cafés, aux promenades ; mais ni sa petite perruque
sale et son bâton de Diogène, ni son bonnet fourré, n'arrêtoient
les passants. Il lui falloit un coup d'éclat pour avertir les
ennemis des gens de lettres, et singulièrement de ceux qui étoient
notés du nom de philosophes, que J.-J. Rousseau avoit fait divorce
avec eux. Cette rupture lui attireroit une foule de partisans ; et il
avoit bien calculé que les prêtres seroient du nombre. Ce fut donc
peu pour lui de se séparer de Diderot et de ses amis : il leur dit
des injures, et, par un trait de calomnie lancé contre Diderot, il
donna le signal de la guerre qu'il leur déclaroit en partant.
Jean François Marmontel, Mémoires, tome deuxième.
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Denis Diderot : La Vieille robe de Chambre.
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Pourquoi ne l'avoir pas gardée ? Elle
était faite à moi ; j’étais fait à elle. Elle moulait tous
les plis de mon corps sans le gêner ; j'étais pittoresque et
beau. L'autre, raide, empesée, me mannequine. Il n'y avait aucun
besoin auquel sa complaisance ne se prêtât ; car l'indigence
est presque toujours officieuse. Un livre était-il couvert de
poussière, un de ses pans s'offrait à l'essuyer. L'encre épaissie
refusait-elle de couler de ma plume, elle présentait le flanc. On y
voyait tracés en longues raies noires les fréquents services
qu'elle m'avait rendus. Ces longues raies annonçaient le
littérateur, l'écrivain, l'homme qui travaille. A présent, j'ai
l'air d'un riche fainéant ; on ne sait qui je suis.
Sous son abri, je ne redoutais ni la maladresse d'un valet, ni la mienne, ni les éclats du feu, ni la chute de l'eau. J'étais le maître absolu de ma vieille robe de chambre ; je suis devenu l'esclave de la nouvelle.
Le dragon qui surveillait la toison d'or ne fut pas plus inquiet que moi. Le souci m'enveloppe.
Le vieillard passionné qui s'est livré, pieds et poings liés, aux caprices, à la merci d'une jeune folle, dit depuis le matin jusqu'au soir : Où est ma bonne, ma vieille gouvernante ? Quel démon m'obsédait le jour que je la chassai pour celle-ci ! Puis il pleure, il soupire.
Je ne pleure pas, je ne soupire pas ; mais à chaque instant je dis : Maudit soit celui qui inventa l'art de donner du prix à l'étoffe commune en la teignant en écarlate ! Maudit soit le précieux vêtement que je révère ! Où est mon ancien, mon humble, mon commode lambeau de calemande ?
Mes amis, gardez vos vieux amis. Mes amis, craignez l'atteinte de la richesse. Que mon exemple vous instruise. La pauvreté a ses franchises ; l'opulence a sa gêne.
O Diogène ! si tu voyais ton disciple sous le fastueux manteau d'Aristippe, comme tu rirais ! O Aristippe, ce manteau fastueux fut payé par bien des bassesses. Quelle comparaison de ta vie molle, rampante, efféminée, et de la vie libre et ferme du cynique déguenillé ! J'ai quitté le tonneau où je régnais, pour servir sous un tyran.
Ce n'est pas tout, mon ami. Écoutez les ravages du luxe, les suites d'un luxe conséquent.
Ma vieille robe de chambre était une avec les autres guenilles qui m'environnaient. Une chaise de paille, une table de bois, une tapisserie de Bergame, une planche de sapin qui soutenait quelques livres, quelques estampes enfumées, sans bordure, clouées par les angles sur cette tapisserie ; entre ces estampes trois ou quatre plâtres suspendus formaient avec ma vieille robe de chambre l'indigence la plus harmonieuse.
Tout est désaccordé. Plus d'ensemble, plus d'unité, plus de beauté.
Une nouvelle gouvernante stérile qui succède dans un presbytère, la femme qui entre dans la maison d'un veuf, le ministre qui remplace un ministre disgracié, le prélat moliniste qui s'empare du diocèse d'un prélat janséniste, ne causent pas plus de trouble que l'écarlate intruse en a causé chez moi
Denis Diderot, Regrets sur ma vieille Robe de Chambre, ou Avis à ceux qui ont plus de Goût que de Fortune, 1772.
Sous son abri, je ne redoutais ni la maladresse d'un valet, ni la mienne, ni les éclats du feu, ni la chute de l'eau. J'étais le maître absolu de ma vieille robe de chambre ; je suis devenu l'esclave de la nouvelle.
Le dragon qui surveillait la toison d'or ne fut pas plus inquiet que moi. Le souci m'enveloppe.
Le vieillard passionné qui s'est livré, pieds et poings liés, aux caprices, à la merci d'une jeune folle, dit depuis le matin jusqu'au soir : Où est ma bonne, ma vieille gouvernante ? Quel démon m'obsédait le jour que je la chassai pour celle-ci ! Puis il pleure, il soupire.
Je ne pleure pas, je ne soupire pas ; mais à chaque instant je dis : Maudit soit celui qui inventa l'art de donner du prix à l'étoffe commune en la teignant en écarlate ! Maudit soit le précieux vêtement que je révère ! Où est mon ancien, mon humble, mon commode lambeau de calemande ?
Mes amis, gardez vos vieux amis. Mes amis, craignez l'atteinte de la richesse. Que mon exemple vous instruise. La pauvreté a ses franchises ; l'opulence a sa gêne.
O Diogène ! si tu voyais ton disciple sous le fastueux manteau d'Aristippe, comme tu rirais ! O Aristippe, ce manteau fastueux fut payé par bien des bassesses. Quelle comparaison de ta vie molle, rampante, efféminée, et de la vie libre et ferme du cynique déguenillé ! J'ai quitté le tonneau où je régnais, pour servir sous un tyran.
Ce n'est pas tout, mon ami. Écoutez les ravages du luxe, les suites d'un luxe conséquent.
Ma vieille robe de chambre était une avec les autres guenilles qui m'environnaient. Une chaise de paille, une table de bois, une tapisserie de Bergame, une planche de sapin qui soutenait quelques livres, quelques estampes enfumées, sans bordure, clouées par les angles sur cette tapisserie ; entre ces estampes trois ou quatre plâtres suspendus formaient avec ma vieille robe de chambre l'indigence la plus harmonieuse.
Tout est désaccordé. Plus d'ensemble, plus d'unité, plus de beauté.
Une nouvelle gouvernante stérile qui succède dans un presbytère, la femme qui entre dans la maison d'un veuf, le ministre qui remplace un ministre disgracié, le prélat moliniste qui s'empare du diocèse d'un prélat janséniste, ne causent pas plus de trouble que l'écarlate intruse en a causé chez moi
Denis Diderot, Regrets sur ma vieille Robe de Chambre, ou Avis à ceux qui ont plus de Goût que de Fortune, 1772.
Denis Diderot, bronze de Jean Gautherin, 1886,145 boulevard Saint-Germain, VIe ardt. |
Honoré Balzac ; La Robe de Chartreux.
Balzac en robe de Moine, dessin à la plume et au crayon de Paul Gavarni, feuille d'album, vers 1840, Maison de Balzac. |
Balzac en robe de moine, par Gavarni.Ce dessin a été réalisé en vue d'une eau-forte également conservée à la maison de Balzac. En 1840, une grande camaraderie unissait Balzac à Gavarni qu'il connaissait depuis dix ans. Si la datation est exacte, cette intimité expliquerait la qualité du dessin qui donne vie à l'image, devenue classique, du « forçat littéraire ». La Robe de chartreux a été adoptée par Balzac en 1833, après sa visite à la Grande-Chartreuse.
Site de la maison de Balzac.
Balzac en Robe de Chartreux par Paul Gavarni |
On ne fait pas deux boulevards sans rencontrer un ami ou un ennemi, un original qui prête à rire ou à penser, un pauvre qui cherche un sou, un vaudevilliste qui cherche un sujet, aussi indigents mais plus riches l'un que l'autre. C'est là qu'on observe la comédie de l'habit. Autant d'hommes, autant d'habits différents ; et autant d'habits, autant de caractères !
Le diable à Paris, Honoré de Balzac, 1844.
Balzac par Maxime Dastugue, d'après Louis Boulanger, Château de Versailles, Yvelines |
Il portait dès lors en guise de robe de chambre ce froc de cachemire ou de flanelle blanche retenu à la ceinture par une cordelière, dans lequel quelque temps plus tard il se fit peindre par Louis Boulanger. Quelle fantaisie l'avait poussé à choisir, de préférence à un autre, ce costume qu'il ne quitta jamais, nous l'ignorons ; peut-être symbolisait-il à ses yeux la vie claustrale à laquelle le condamnaient ses labeurs, et, bénédictin du roman, en avait-il pris la robe; toujours est-il que ce froc blanc lui seyait à merveille. Il se vantait, en nous montrant ses manches intactes, de n'en avoir jamais altéré la pureté par la moindre tache d'encre, « car, disait-il, le vrai littérateur doit être propre dans son travail ».
( ... )
Mais Balzac zébrait de ratures une dixième épreuve, et lorsqu'il nous voyait renvoyer à la Chronique de Paris l'épreuve d'un article fait d'un jet sur le coin d'une table avec les seules corrections typographiques, il ne pouvait croire, quelque content qu'il en fût d'ailleurs, que nous y eussions mis tout notre talent. « En le remaniant encore deux ou trois fois, il eût été mieux, » nous disait-il.
Se donnant pour exemple, il nous prêchait une étrange hygiène littéraire. Il fallait nous cloîtrer deux ou trois ans, boire de l'eau, manger des lupins détrempés comme Protogène, nous coucher à six heures du soir, nous lever à minuit, et travailler jusqu'au matin, employer la journée à revoir, étendre, émonder, perfectionner, polir le travail nocturne, corriger les épreuves, prendre les notes, faire les études nécessaires, et vivre surtout dans la chasteté la plus absolue. Il insistait beaucoup sur cette dernière recommandation, bien rigoureuse pour un jeune homme de vingt-quatre ou vingt-cinq ans. Selon lui, la chasteté réelle développait au plus haut degré les puissances de l'esprit, et donnait à ceux qui la pratiquaient des facultés inconnues. Nous objections timidement que les plus grands génies ne s'étaient interdit ni l'amour, ni la passion, ni même le plaisir, et nous citions des noms illustres. Balzac hochait la tête, et répondait : « Ils auraient fait bien autre chose sans les femmes. »
Toute la concession qu'il pût nous accorder, et encore la regrettait-il, fut de voir la personne aimée une demi-heure chaque année. Il permettait les lettres ; « cela formait le style. »
Moyennant ce régime, il promettait de faire de nous, avec les dispositions naturelles qu'il se plaisait à nous reconnaître, un écrivain de premier ordre. On voit bien à nos œuvres que nous n'avons pas suivi ce plan d'études si sage.
Il ne faut pas croire que Balzac plaisantât en nous traçant cette règle que des trappistes ou des chartreux eussent trouvée dure. Il était parfaitement convaincu et parlait avec une éloquence telle, qu'à plusieurs reprises nous essayâmes consciencieusement de cette méthode d'avoir du génie ; nous nous levâmes plusieurs fois a minuit, et après avoir pris le café inspirateur, fait selon la formule, nous nous assîmes devant notre table sur laquelle le sommeil ne tardait pas à pencher notre tête. La Morte amoureuse, insérée dans la Chronique de Paris, fut notre seule œuvre nocturne.
Honoré de balzac, Sa vie & ses Œuvres,Théophile Gautier, Hippolyte Taine, 1858.
Balzac, Etude de nu F, dite en Athlète, drapée,
recherche pour le monument à Balzac par Auguste Rodin, plâtre et tissu,
1897, Musée Rodin, 19 avenue Auguste Rodin, Meudon, Hauts de Seine.
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Balzac, Etude de nu F, dite en Athlète, drapée,
recherche pour le monument à Balzac par Auguste Rodin, plâtre et tissu,
1897, Musée Rodin, 19 avenue Auguste Rodin, Meudon, Hauts de Seine.
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Balzac
Près
d'un demi-siècle après la mort de Balzac,
la Société des gens de lettres décida d'élever un monument à sa
mémoire, et, sur les conseils de Zola, la commande fut finalement
attribuée à Rodin. Durant six années, l'artiste poursuivit des
recherches qui tendaient à rendre compte du génie balzacien. Après
avoir conçu le projet d'un nu, "il trempa sa robe de chambre
dans une grande bassine de plâtre et habilla ainsi son étude",
selon le témoignage du sculpteur Pompon. De fait, avec ces lignes du
vêtement qui conduisent à une tête immense, l’œuvre est un
symbole presque abstrait de la puissance du romancier. En rupture
avec la tradition du monument public, la statue causa un tel scandale
que la commande fut retirée à Rodin. Ce n'est qu'en 1939 qu'un
tirage en bronze fut érigé à Paris, boulevard Raspail.
Musée
d'Orsay
Balzac par Rodin, à la hauteur du 145 blvd Raspail, VIe ardt. |
Au premier abord, c'est un bloc, un
rocher, un monolithe, une de ces colonnes espacées dans l'histoire
et qui marquent les grandes étapes humaines. Balzac est enfermé
dans la robe de travail qu'il revêtait chaque nuit après les
quelques heures de son sommeil fiévreux et orageux. Son corps
apparaît comme une masse. On ne voit même pas ses bras croisés
sous l'étoffe. Les manches pendent, et le capuchon retombe sur les
épaules. Peu à peu, on distingue qu'un corps informe se démène
sous cette enveloppe, avec le mouvement rapide et leste des gros
hommes, et cette façon légère de porter ce poids de matière
qu'eut Balzac en particulier, et qui fut si bien décrite par
Lamartine.
( … )
Il y a identité entre cette figure vue par le poète de 1833 et celle qui a été rêvée et ressuscitée par le statuaire de 1898. Le Balzac de Rodin se dresse, lui aussi, avec une sorte d'allégresse. Avec une vivacité et une distinction, il se campe et se redresse en un équilibre oscillant.
La statue semble bouger et vivre, par la raison que Rodin est arrivé à réaliser un travail de sculpture comparable seulement au travail voilé des artistes égyptiens. Les formes, ici plus que jamais, se présentent chez lui par quelques plans simples, légèrement et infiniment nuancés. Elles apportent avec elles leur coloration, c'est-à-dire leur ombre et leur lumière, et nous apparaîssent ainsi dans une atmosphère blonde, les ombres grises transparentes, les lumières graduées aboutissant à d'éclatantes douceurs. Aucun angle vif, aucune arête coupante, une seule enveloppe qui réunit et harmonise tous les détails particuliers, qui en fait un amalgame, un tout, l'image unifiée de la vie.
Balzac est présent sous cette robe à capuchon et à manches pendantes, où se devinent sa corpulence, ses jambes robustes, ses bras courts. Rodin a voulu et réalisé ce dont ne s'avisent pas souvent les sculpteurs qui grandissent leurs modèles pour les places publiques en se préoccupant de l'allongement plus que du volume. C'est la raison de tant de creuses effigies. Ici, les proportions sont admirables, au point de faire apparaître avec une exactitude singulière la petite taille de Balzac en ce colosse de deux mètres soixante-dix centimètres de hauteur. C'est que la massivité du personnage a été exprimée en même temps que son allure légère, précisément par cette manière de conduire, de réunir les plans, de les modeler en vue de l'ensemble. Habituellement, en sculpture, tout est extérieur, dur, dessèche. Ici, toute la force vient du dedans, est dirigée pour représenter la vie expressive.
Cette vie est complète au point de faire mesurer une étape immense entre la statue nouvelle et les travaux antérieurs de Rodin. Même la beauté du groupe du Baiser apparaît trop soulignée dans le marbre, en face de cet extraordinaire Balzac, de cette matière vivante, de ce visage de lumière où le front précis, les yeux noirs, la bouche ardente annoncent l'amant de la vie, l'homme combattant, l’œuvre victorieuse.
La Vie Artistique, Sixième série, Salon de1898, Gustave Geffroy.
( … )
Il y a identité entre cette figure vue par le poète de 1833 et celle qui a été rêvée et ressuscitée par le statuaire de 1898. Le Balzac de Rodin se dresse, lui aussi, avec une sorte d'allégresse. Avec une vivacité et une distinction, il se campe et se redresse en un équilibre oscillant.
La statue semble bouger et vivre, par la raison que Rodin est arrivé à réaliser un travail de sculpture comparable seulement au travail voilé des artistes égyptiens. Les formes, ici plus que jamais, se présentent chez lui par quelques plans simples, légèrement et infiniment nuancés. Elles apportent avec elles leur coloration, c'est-à-dire leur ombre et leur lumière, et nous apparaîssent ainsi dans une atmosphère blonde, les ombres grises transparentes, les lumières graduées aboutissant à d'éclatantes douceurs. Aucun angle vif, aucune arête coupante, une seule enveloppe qui réunit et harmonise tous les détails particuliers, qui en fait un amalgame, un tout, l'image unifiée de la vie.
Balzac est présent sous cette robe à capuchon et à manches pendantes, où se devinent sa corpulence, ses jambes robustes, ses bras courts. Rodin a voulu et réalisé ce dont ne s'avisent pas souvent les sculpteurs qui grandissent leurs modèles pour les places publiques en se préoccupant de l'allongement plus que du volume. C'est la raison de tant de creuses effigies. Ici, les proportions sont admirables, au point de faire apparaître avec une exactitude singulière la petite taille de Balzac en ce colosse de deux mètres soixante-dix centimètres de hauteur. C'est que la massivité du personnage a été exprimée en même temps que son allure légère, précisément par cette manière de conduire, de réunir les plans, de les modeler en vue de l'ensemble. Habituellement, en sculpture, tout est extérieur, dur, dessèche. Ici, toute la force vient du dedans, est dirigée pour représenter la vie expressive.
Cette vie est complète au point de faire mesurer une étape immense entre la statue nouvelle et les travaux antérieurs de Rodin. Même la beauté du groupe du Baiser apparaît trop soulignée dans le marbre, en face de cet extraordinaire Balzac, de cette matière vivante, de ce visage de lumière où le front précis, les yeux noirs, la bouche ardente annoncent l'amant de la vie, l'homme combattant, l’œuvre victorieuse.
La Vie Artistique, Sixième série, Salon de1898, Gustave Geffroy.
Michel Colucci : La Salopette rayée.
Hommage à Coluche par Guillaume Werle, inauguré le 14 juin 2011, bronze, Place de la Libération, Montrouge, Hauts de Seine |
Qu'une vedette de la scène comme
Coluche se soit naguère vêtue d'une salopette rayée pour animer
ses sketches n'est pas un hasard. De même, ce n'est pas un hasard si
un personnage comme Obélix, compagnon d'Astérix dans la bande
dessinée de ce nom, porte un gigantesque caleçon rayé
verticalement bleu et blanc. Dans des genres différents, Coluche et
Obélix sont tous deux des histrions, de « drôles de
zèbres ». Or, comme Buffon au XVIIIe siècle, la société
contemporaine éprouve pour le zèbre – qu'elle ne voit en général
que dans les livres – une tendre et sympathique attirance. C'est un
animal un peu étrange, « pas comme les autres », souvent vif
et joueur, et surtout qui semble déguisé. Par là même, il a un
air toujours jeune. Il n'y a pas de « vieux zèbres », ni
au propre ni au figuré. Chez un adulte respectablement installé
dans la vie, se vêtir de rayures riantes ou voyantes serait une
excentricité, traduisant une volonté de choquer ou de transgresser.
Ces rayures là sont faites pour les jeunes, pour les clowns, pour
les artistes.
L'étoffe du diable, une histoire des rayures et des tissus rayés, Michel Pastoureau, 1991.
L'étoffe du diable, une histoire des rayures et des tissus rayés, Michel Pastoureau, 1991.
Hommage à Coluche par Guillaume Werle, inauguré le 14 juin 2011, bronze, Place de la Libération, Montrouge, Hauts de Seine |
Histoire et fabrication de cette sculpture sur le site de l'artiste
Voir aussi la Statue disparue de Victorien Sardou dans ce blog.
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