Sépulture Pam, Cimetière de Montmartre |
Où nous découvrons comment un peintre devient sculpteur à la suite de la disparition de sa femme. Dans ce premier volet qui retrace l'ensemble de sa carrière sont exposées ses réalisations les plus connues, pierres de mémoire déposées au fil des commandes, tel un Petit Poucet du souvenir.
A côté des emplois purement architecturaux, la décoration des monuments funéraires est un des usages les plus naturels et les plus fréquents de la sculpture monumentale. Mais l'année n'a pas été, semble-t-il, très fertile en monuments de cette nature : à défaut des ordinaires priants ou gisants, plus ou moins pastichés des types anciens, des muses en pleurs ou des renommées pontifiantes, nous rencontrons heureusement une conception très personnelle et très profonde de M. Bartholomé. C'est un Génie féminin planant à la voûte d'une petite chapelle (nous eussions mieux aimé peut-être celle-ci d'une architecture un peu moins banale), qui est d'un type tout à fait imprévu.
On sait que l'artiste dédaigne les poncifs d'école autant qu'il ignore les recettes d'atelier. On peut l'accuser de manquer de métier, c'est-à-dire de virtuosité stérile : nous sommes séduits, pour nous, presque autant que par la conception générale de sa figure, par son exécution ou rien ne sent la banalité apprise, aussi bien le modelé doux et ferme du visage et des mains que le système des plis réguliers et modérés de la draperie. Ce sont pourtant surtout les qualités expressives de cet art calme et profond qui frappent en général. Ici cette créature ailée qui, la main levée, s'envole du sépulcre qu'elle effleure encore à peine du pied, parait comme un symbole discret de l'immortalité ; mais les mots rendent mal tout ce qu'il y a de nouveauté et comme d'ingénuité touchante dans cette expression d'une idée si rebattue qui entre les mains d'un autre artiste pourrait être la dernière des banalités. Supposez-la, par exemple, traitée par M. Injalbert, dont une figure de la Douleur s'offre tout naturellement à la comparaison! Autant l'art de M. Bartholomé est concentré, délicat et expressif, autant celui du fécond sculpteur de Béziers est extérieur, violent et vide de sentiment. Autant l'autre évitait toute redite banale, autant celui-ci se déploie à l'aise dans la convention la plus factice.
On sait que l'artiste dédaigne les poncifs d'école autant qu'il ignore les recettes d'atelier. On peut l'accuser de manquer de métier, c'est-à-dire de virtuosité stérile : nous sommes séduits, pour nous, presque autant que par la conception générale de sa figure, par son exécution ou rien ne sent la banalité apprise, aussi bien le modelé doux et ferme du visage et des mains que le système des plis réguliers et modérés de la draperie. Ce sont pourtant surtout les qualités expressives de cet art calme et profond qui frappent en général. Ici cette créature ailée qui, la main levée, s'envole du sépulcre qu'elle effleure encore à peine du pied, parait comme un symbole discret de l'immortalité ; mais les mots rendent mal tout ce qu'il y a de nouveauté et comme d'ingénuité touchante dans cette expression d'une idée si rebattue qui entre les mains d'un autre artiste pourrait être la dernière des banalités. Supposez-la, par exemple, traitée par M. Injalbert, dont une figure de la Douleur s'offre tout naturellement à la comparaison! Autant l'art de M. Bartholomé est concentré, délicat et expressif, autant celui du fécond sculpteur de Béziers est extérieur, violent et vide de sentiment. Autant l'autre évitait toute redite banale, autant celui-ci se déploie à l'aise dans la convention la plus factice.
Paul Vitry
Mais un deuil cruel survenait. Il perdait sa jeune femme qu'il adorait et, par suite, l'enfant qui allait naître d'elle. Pinceaux et crayons étaient abandonnés et le chagrin ressenti se manifestait d'autant plus intense que Bartholomé n'avait pas pour distraire sa douleur la préoccupation du pain quotidien. L'amitié de Degas le sauva. Celui-ci lui suggéra de donner une forme concrète à ses regrets, en exécutant, de ses mains, un monument funéraire qui, par la conception, l'effort qu'il représenterait, les recherches qu'il exigerait, rendrait à la morte un hommage digne d'elle. Et Bartholomé se laissant convaincre faisait son éducation de modeleur. Alors prenait forme un émouvant Christ en Croix qui, érigé dans le cimetière de Bouillant à Crépy en Valois, veilla désormais sur les cendres de la chère morte en attendant la venue du motif principal, deux figures couchées vues à mis corps, l'homme déposant un baiser éperdu sur le front de sa compagne.Ce morceau était achevé en 1887.
Larousse Mensuel N°266, avril 1929
Tombe de Prospérie de Fleury, épouse de Bartholomé, 1887, Ancien village de Bouillant, Crépy en Valois, Oise |
(En 1888) Bartholomé se représenta en buste, penché sur sa jeune femme, pour lui donner un dernier baiser. Si l'on en croit des documents anciens il hésita sur la composition du groupe : une photographie qui semble être une photographie de travail et une façon de réfléchir à l'assemblage des deux portraits, le montre en effet lui-même, buste redressé, contemplant le modèle de terre de l'effigie de Périe de Fleury.
Puis les époux se rapprochent : Bartholomé s'incline au point que leurs deux visages se touchent, le sien étant d'ailleurs dissimulé par celui de sa femme, tandis qu'à sa main gauche appuyée près de la tête de celle-ci, l'anneau de mariage est mis en évidence.
Tombe de Prospérie de Fleury, épouse de Bartholomé, 1887, Ancien village de Bouillant, Crépy en Valois, Oise |
Tombe de Prospérie de Fleury, épouse de Bartholomé, 1887, Ancien village de Bouillant, Crépy en Valois, Oise |
Le groupe ainsi réalisé constitua la base du tombeau de Périe Bartholomé à Crépy-en-Valois (1889) tandis que la partie supérieure consistait en un Christ en croix, douloureux, au visage modelé à la ressemblance de l'artiste.
Antoinette Le Normand-Romain, Mémoire de Marbre, la sculpture funéraire en France (1804-1814), Mairie de Paris, 1995.
Tombe de Prospérie de Fleury, épouse de Bartholomé, 1887, Ancien village de Bouillant, Crépy en Valois, Oise |
Bartholomé
Albert Bartholomé est mort, notre directeur me demande de parler de lui.
Pourquoi moi ? Je n'ai fait que l'entrevoir. J'étais allé lui demander des souvenirs sur Degas, dont il avait été l'ami. Là-bas, dans son lointain logis de la rue Raffet, le vieux maître m'accueillit avec une courtoisie parfaite et ses manières d'autrefois qui sentaient leur vieille France ; il m'avait mis entre les mains toute une correspondance pieusement conservée, cent lettres précieuses de la jeunesse du grand artiste, écrites dans le français le plus pur, avec cette calligraphie élégante qui était alors une politesse, lettres charmantes du temps où l'on savait écrire des lettres et qui mériteraient d'être publiées avec une préface de Paul Valéry. Je me souviens d'une entre autres, un discret paysage qui finissait en rappelant les harpes et les flûtes élyséennes d'Orphée. Cette page révélait un Degas tendre, imprévu : grand honneur pour l'ami à qui ce cœur pudique et fier faisait une telle confidence.
Sur cette intimité de Bartholomé et de Degas, c'est M. Jean-Louis Forain qu'il faudrait écouter. Que ne puis-je, au lieu de la mienne, feuilleter sa mémoire. Que ne puis-je seulement me rappeler, comme il la racontait, cette expédition des deux artistes en Bourgogne, cette odyssée d'un mois dans une carriole attelée d'un bidet blanc. Forain avait été au-devant des voyageurs jusqu'à Fontainebleau soixante kilomètres en tricycle (la 40 chevaux de ce temps-là), un véhicule préhistorique qui tenait du fauteuil mécanique et de l'instrument aratoire. 0 innocence ! 0 bonhomie !
C'est encore un mot de Forain qui me revient, dans la hâte et la bousculade de cet article, un de ces mots espiègles auxquels, malheureusement, une fois qu'on les écrit, on ne peut conserver l'accent, Une dame, sans doute un peu prétentieuse, exprimait dans un dîner le désir de se commander un tombeau, le sien ou, celui de son mari.
-Un tombeau ? dit Forain. Adressez-vous à monsieur il est entrepreneur.
Oui, c'est un peu cela que fut Bartholomé ; c'est bien lui, résumé dans un de ces mots à l'emporte-pièce. qui s'imposent avec la force des légendes. Et, pourtant non, ce n'est pas aussi simple que cela. Le grand sculpteur avait commencé par faire de la peinture. Ses tableaux, dont je ne connais guère que ce que j'ai vu chez lui, étaient des œuvres sérieuses, à sujets ouvriers, inspirés de Courbet et de Millet.
C'était grave, sincère, de ton sourd, un peu mélancolique ; on ne peut s'imaginer aujourd'hui ce que nous valut cette littérature humanitaire à la mode des Pauvres gens de Victor Hugo et des Humbles de François Coppée. Il était temps que l'impressionnisme vînt nous tirer de celte grisaille et de cette morne poésie des misérables.
Albert Bartholomé, Mendiante, Musée du Louvre |
Portrait de Prospérie de Fleury, Pastel d'Albert Bartholomé, 1883, appartenant au Metropolitan Museum of Art de New York, avec l'aimable autorisation de Gandalf's Gallery. |
Robe que Mme Fleury, première épouse de Bartholomé, portait dans le tableau "La serre", Musée d'Orsay |
Robe que Mme Fleury, première épouse de Bartholomé, portait dans le tableau "La serre", Musée d'Orsay |
Bartholomé y échappa d'une manière toute différente. Il perdit une femme qu'il aimait. Il ne voulut laisser à personne le soin de lui faire sa tombe. Pour cette morte, il se fit sculpteur (Jean-Paul Laurens a modelé de même de ses mains l'admirable figure de sa femme gisante). Quelques personnes connaissent peut-être, dans un cimetière du Valois, le beau monument que Bartholomé éleva à une mémoire et à des cendres chéries. Ce fut l'origine de sa vocation, le point de départ du poème qui devait l'immortaliser.
Tombe de Prospérie de Fleury, épouse de Bartholomé, 1887, Crépy en Valois, Oise |
Tombe de Prospérie de Fleury, épouse de Bartholomé, 1887, Crépy en Valois, Oise |
Tombe de Prospérie de Fleury, épouse de Bartholomé, 1887, Crépy en Valois, Oise |
Je me rappelle toujours, comme une des plus aimables visions de ma jeunesse, l'image d'une femme supérieure, la mère de mon ami Marc Sangnier ; à tous ceux qui ont eu le bonheur de l'approcher, cette femme inimitable a laissé l'impression d'une enchanteresse. C'est de sa bouche que j'entendis pour la première fois cette histoire et le nom de Barlholomé. Comment me consoler de n'avoir pas mieux écouté ? Comment retrouver à présent, dans le désordre de mes souvenirs, l'écho des paroles de cette fée ? Pourquoi n'ai-je pas eu l'idée de parler d'elle au vieux maître, lorsque, trente ans plus tard, je le trouvai sur mon chemin. Elle s'intéressait comme une femme à ce roman d'amour, à l'aventure d'un grand talent né d'un grand désespoir ; elle parlait du mystérieux ouvrage auquel travaillait le sculpteur, et longtemps avant de l'avoir vu, j'avais eu le pressentiment du chef-d'œuvre, comme d'une de ces choses inconnues « où la douleur de l'homme entre comme élément »
C'est peut-être un.sentiment semblable qui a rendu aussitôt cet ouvrage populaire, et qui empêche aujourd'hui encore de porter sur lui un jugement critique. Il nous émeut comme une partie de nous-mêmes.
A quoi bon le décrire. Qui ne se rappelle ce cube massif comme les pylônes de Thèbes et de Memphis, la porte sombre où le couple humain s'enfonce dans la nuit ; des deux côtés de cette porte, comme aux piédroits des vieux portails, la procession des plaintes, des regrets, des soupirs, toute la gamme des douleurs, l'enfance, la jeunesse, l'amour, tous les âges poussés pêle-mêle avec de grands gestes qui se lamentent, comme des condamnés au bord du seuil fatal ;
cette grande frise lugubre accompagnant de son désespoir la marche des époux solennels qui entrent au tombeau : un bas-relief délicat comme ceux du Céramique d'Athènes, des sanglots étouffés, des visages cachés dans les mains, une jeune fille à genoux qui se retourne vers la lumière ; en bas, dans l'ombre du caveau, les deux gisants rigides, sur lesquels se lève on ne sait quelle espérance douteuse et comme la promesse d'une suprême métamorphose, - quelle noblesse et quelle mélancolie ! D'un deuil intime, l'artiste a su tirer un grand symbole humain, une incomparable élégie, la plus majestueuse méditation sur l'éternel mystère de l'amour et de la mort. Et l'on nous croit frivoles ! Je sais bien que les raisons qui nous rendent ce monument si cher sont étrangères à la sculpture ; qu'importe Il ne s'agit pas de donner des rangs peut-être y a-t-il de plus grands sculpteurs qu'Albert Bartholomé. Le fait est que par ce monument il obtient une gloire que Rodin même ne lui dispute pas ; il s'y fait l'interprète d'un sentiment national, la religion des morts, la piété pour le tombeau.
Depuis les vieilles plates tombes gravées du moyen âge jusqu'aux somptueux sépulcres de nos rois de la Renaissance à Saint-Denis, aucun pays peut-être n'a sculpté plus de tombeaux et de plus magnifiques que ce pays de France ; notre histoire est pavée de tombes. On ne sait pas par combien de liens notre peuple tient à ses morts, combien il est accoutumé de vivre avec ses ombres. Au bout de cette voie sacrée, de cette grandiose avenue funèbre qu'est notre histoire, le monument du Père-Lachaise est une conclusion digne de tout le passé. Le sentiment du peuple y a reconnu tout de suite un de ses sanctuaires.
(Extrait du blog: notes on the arts and visual culture) |
Après ce grand Mystère, le sculpteur avait dit son dernier mot. Il vécut encore un quart de siècle, et ne cessa pas de travailler.
Il s'était remarié, et nous avons revu souvent, sous les traits de Pallas ou de la Victoire, les formes du beau modèle qui ornait son foyer. Quel que soit le mérite de ces compositions, peut-être dira-t-on que la beauté vivante inspira le vieux maître, moins bien que le souvenir. Il n'était pas le poète de l'amour heureux.
Mais il suffit à sa mémoire d'être uni jamais à l'un des plus touchants et des plus admirables paysages du monde. Les plus beaux cimetières, celui des Aliscamps, ou ce cimetière romain où reposent Keats et Shelley, ile valent pas, pour un Parisien, et qui sait qu'il y est chez lui, la colline du Père-Lachaise : c'est un honneur immense pour Bartholomé que de s'être incorporé à ce jardin sublime, à ce Versailles des ombres. Et par une sorte de providence et de grâce dernière, voici qu'il lui est réservé de s'éteindre plein de jours, en cette saison de l'année mourante, à la veille de la Toussaint, à deux jours de ce deux novembre où le peuple pieux, en visitant les siens, parmi les tombes pressées et. l'odeur des feuilles pourries, accordera un souvenir et peut-être une prière au vieil imagier qui a exprimé le grand sentiment commun, de la famille française, la sacrée religion des morts.
Louis Gillet
Le Gaulois Jeudi 1er Novembre 1928
Concernant ce Monument aux Morts du Père-Lachaise :
Le Salon du Champ-de-Mars, comme d'habitude, ne montre qu'un petit nombre de sculptures, mais il contient un ouvrage d'une importance exceptionnelle, le Projet d'un monument au morts par M. Bartholomé, et, en nous présentant, dans une salle séparée, l'ensemble des œuvres posthumes de M. Jean Carriès, il a inauguré, pour les Salons, un genre d'attraction et d'intérêt qu'on pourrait utilement renouveler. Quelques fragments, d'un style simple et personnel, d'un sentiment très ému, mais isolés et sans lien, exposés par M. Bartolomé, les années précédentes, n'avaient pu que faire pressentir la valeur de ce jeune artiste. L'ensemble de son monument montre, en lui, non seulement un praticien habile et un sculpteur délicat, mais un ordonnateur sérieux et consciencieux, capable de conduire une œuvre de longue haleine avec un esprit de suite qui devient de plus en plus rare dans notre temps. Sa composition, qui comprend une vingtaine de figures nues, se dispose sur la façade, plane et lisse, d'une construction très simple, sans ornements et sans moulures, avec une heureuse clarté. Sur cette façade, divisée presque à moitié de sa hauteur par la saillie du soubassement, s'ouvre, dans sa partie supérieure, au milieu, une porte haute et étroite qui mène au séjour des morts ; dans la partie inférieure, au-dessous, s'ouvre une longue niche montrant l'intérieur du tombeau.
La scène la plus importante se déroule dans le haut, où l'on voit, entrant dans le sépulcre, vus de dos, se détachant en clair sur l'ombre mystérieuse, un jeune homme et une jeune femme, côtoyant chacun la paroi opposée ; la femme pose sa main encourageante sur l'épaule de son compagnon, et ce geste, traversant la nuit, en même temps que l'allure tendrement résignée le son corps, donnent à cette entrée du couple dans l'éternité une solennité douce du plus touchant effet. C'est dans ces deux figures, dont on ne voit pas les visages, que les qualités expressives de M. Bartholomé se montrent, peut-être, avec le plus d'originalité ; on les retrouve dans les deux groupes de vivants, appelés aussi par la Mort, qui se pressent des deux côtés de la porte, et soutenus, ici, par une sûreté de science et une habileté d'ordonnance qui rattachent M. Bartholomé aux meilleures traditions classiques. C'est, en effet, à la fois, avec une recherche simple et profonde du sentiment moral, avec un respect attentif des attitudes et des gestes correspondants, avec un remarquable sentiment de la beauté et du caractère plastiques que l'artiste a groupé, de chaque côté, agenouillés, prosternés, assis, debout, suivant la nature de leur désespoir, de leur résignation ou de leur espérance, tous les êtres humains un moment arrêtés au seuil de l’Éternité. Femmes en pleurs ou en prières, couples d'époux résolus ou désespérés, vieillard inquiet ou insouciant enfant, ces figures, disposées, de profil, avec une variété savante du rythme linéaire et du jeu des ombres, ou des attitudes appropriées, sont presque toutes aussi remarquables par la souplesse ferme de l' exécution que par la justesse et quelquefois par la nouveauté de l'attitude.
La scène la plus importante se déroule dans le haut, où l'on voit, entrant dans le sépulcre, vus de dos, se détachant en clair sur l'ombre mystérieuse, un jeune homme et une jeune femme, côtoyant chacun la paroi opposée ; la femme pose sa main encourageante sur l'épaule de son compagnon, et ce geste, traversant la nuit, en même temps que l'allure tendrement résignée le son corps, donnent à cette entrée du couple dans l'éternité une solennité douce du plus touchant effet. C'est dans ces deux figures, dont on ne voit pas les visages, que les qualités expressives de M. Bartholomé se montrent, peut-être, avec le plus d'originalité ; on les retrouve dans les deux groupes de vivants, appelés aussi par la Mort, qui se pressent des deux côtés de la porte, et soutenus, ici, par une sûreté de science et une habileté d'ordonnance qui rattachent M. Bartholomé aux meilleures traditions classiques. C'est, en effet, à la fois, avec une recherche simple et profonde du sentiment moral, avec un respect attentif des attitudes et des gestes correspondants, avec un remarquable sentiment de la beauté et du caractère plastiques que l'artiste a groupé, de chaque côté, agenouillés, prosternés, assis, debout, suivant la nature de leur désespoir, de leur résignation ou de leur espérance, tous les êtres humains un moment arrêtés au seuil de l’Éternité. Femmes en pleurs ou en prières, couples d'époux résolus ou désespérés, vieillard inquiet ou insouciant enfant, ces figures, disposées, de profil, avec une variété savante du rythme linéaire et du jeu des ombres, ou des attitudes appropriées, sont presque toutes aussi remarquables par la souplesse ferme de l' exécution que par la justesse et quelquefois par la nouveauté de l'attitude.
Dans la niche du dessous, l'intérieur de la tombe, on voit, de face, descendre une grande figure, aux bras déployés comme des ailes, qui s'agenouille au-dessus d'un couple d'époux, vieillis et décharnés, gisant, côte à côte, les mains unies, au fond du sépulcre ; le cadavre d'un petit enfant, jeté en travers de ces deux cadavres, les unit dans la mort comme dans la vie ; c'est la conclusion du drame, l'idée de l'espérance et de l'immortalité entrant dans la tombe. On a pu discuter, comme on peut toujours le faire en pareil cas, quelques-unes des intentions symboliques de l'auteur, mais nul ne peut se refuser à reconnaître que la présentation générale de la scène est d'une simplicité et d'une clarté qui ne permettent point d'erreur et qui sont de nature à frapper les plus ignorants comme les plus raffinés.
George Lafenestre
Les Salons de 1895, Revue des deux mondes
Incessamment, on commencera au cimetière du Père-Lachaise, les travaux de terrassement sur la pelouse de l'allée principale, où doit être édifié le monument dû au ciseau du sculpteur Bartholomé.
Ce monument, nous l'avons dit en son temps, représentera l'entrée de la tombe. Dans l'épaisse nuit d'un tombeau, un homme et une femme pénètrent, suivis par d'autres personnages hommes, femmes et enfants, aux physionomies desquelles le talent de M. Bartholomé a su donner l'expression de terreur et de désespoir qui convient. Au-dessous de ces groupes importants, l'éminent sculpteur a placé une figure symbolique c'est la Lumière soulevant des linceuls sous lesquels apparaît l'immortelle fécondité.
L'œuvre de M. Bartholomé, qui fera face à l'entrée principale du cimetière, sera d'un effet saisissant.
Le Gaulois. 20 Septembre 1896
LA MAISON DES ARTISTES
M. BARTHOLOME
Le long d'une tranquille rue d'Auteuil, dans la. cour ensoleillée d'un immeuble, un atelier en L, aux parois couvertes de rosiers grimpants. C'est là que travaille M. Bartholomé. Les peintres peuvent apporter les plus grands soins à l'ameublement de leur atelier, à l'exposition de leurs toiles, et y employer leur goût voilà qui n'est pas permis à un sculpteur. Qui manie le marbre, la terre et le plâtre ne peut pas être ménager de son plancher : l'impossibilité de déplacer de gros blocs de sculpture ou des moulages volumineux, la difficulté d'atteindre certaines de leurs parties contraignent le sculpteur à s'accommoder de la poussière. Poussière qui naturellement ne se pose que sur les surfaces planes ou légèrement inclinées et qui figure ainsi les ombres, comme si la lumière venait d'en bas, - de la même façon que la rampe, sur la scène d'un théâtre, n'éclaire que les parties inférieures du visage des comédiens - ce qui est d'un effet assez surprenant.
M. Bartholomé, quoi qu'il ait déjà atteint sa soixante-douzième année, travaille chaque matin et chaque après-midi, content de voir partir un marbre pour pouvoir en commencer un autre ; le maître puise, dans ce travail régulier, une sérénité qui apparaît dans ses yeux clairs, sur son visage reposé qu'encadre une abondante barbe blanche. Ce glorieux vieillard apparaît un peu comme un Athénien, tant il y a de bonté dans sa raillerie, de politesse dans son scepticisme et d'indolence dans son jugement - quoi qu'en autorisent son expérience et sa renommée.
Son œuvre, dispersée dans les villes de France, dans les musées d'Europe, il est pourtant donné d'en voir dans son atelier les plus importantes pièces ou, au moins, leur reproduction, et particulièrement un moulage, grandeur naturelle, de ce Monument aux Morts, où il y a toute la douleur en face de la mort et dont on ne verra bientôt plus que les restes, au Père-Lachaise, si on ne le met pas à l'abri des visiteurs qui à coups de marteau entament ce chef-d'œuvre, par « horreur pour le nu » pense M. Bartholomé qui surprit un jour, devant le tombeau qu'il sculpta pour Meilhac, un orateur cherchant à convaincre une vingtaine de personnes du scandale qu'il y avait à introduire des nus dans un cimetière...
Quand on admire quelque morçeau, M. Bartholomé vante la qualité de la. matière, comme s'il y attachait plus d'importance qu' à la sculpture elle-même, et répond, lorsqu'on lui demande le titre de telle jeune fille perchée sur une vasque « Appelez-la comme vous voudrez », On peut voir également quelques toiles du maître, car, on s'en souvient, avant d'aborder la sculpture, M. Bartholomé se consacra à la peinture et il connut, vers 1883, le succès avec des toiles comme Repas des vieillards à l'asile ou Récréation.
M. Bartholomé sculpte avec autant d'amour que dans sa jeunesse « Le passé, dit-il, ce n'est guère intéressant ; ce qui importe, c'est ce qu'on fera demain ».
J. R.
Le Gaulois Vendredi 11 juin 1920
Atelier d'Albert Bartholomé dans son état actuel, 1bis rue Raffet, Paris 16e ardt |
Le Sculpteur Albert Bartholomé dans son atelier, 1910, Musée d'Orsay. |
Monument à Jean-Jacques Rousseau, Panthéon Commande de 1909La Philosophie entre La Vérité et La Nature, à gauche La Musique, à droite La Gloire. |
Le deuxième centenaire de J.-J. Rousseau
Le comité du deuxième centenaire de J.-J. Rousseau s'est réuni hier à son siège social au Panthéon, sous la présidence de M. Hippolyte Buffenoir. Parmi les personnes présentes on remarquait MM. le baron Alfred Rousseau, petit-cousin de J-J. Rousseau, le statuaire Bartholomé, Gabriel Séailles, professeur à la Sorbonne; Louis Dumur, Mathias Morhardt, etc.
Le secrétaire général, M. Princet, a donné lecture d'une lettre de M. Poincaré, président du conseil, qui accepte de faire partie du comité d'honneur des fêtes commémoratives des 29 et 30 juin prochain, comité d'honneur dont font partie déjà plusieurs membres du gouvernement MM. Léon Bourgeois, Steeg et Guist'hau. Le comité s'est occupé ensuite de la publication de son Bulletin officiel et de l'organisation de diverses manifestations qui vont avoir lieu en province.
On sait qu'outre la cérémonie officielle du Panthéon, des solennités auront lieu à la Sorbonne et
au Trocadéro.
Le comité du deuxième centenaire de J.-J. Rousseau s'est réuni hier à son siège social au Panthéon, sous la présidence de M. Hippolyte Buffenoir. Parmi les personnes présentes on remarquait MM. le baron Alfred Rousseau, petit-cousin de J-J. Rousseau, le statuaire Bartholomé, Gabriel Séailles, professeur à la Sorbonne; Louis Dumur, Mathias Morhardt, etc.
Le secrétaire général, M. Princet, a donné lecture d'une lettre de M. Poincaré, président du conseil, qui accepte de faire partie du comité d'honneur des fêtes commémoratives des 29 et 30 juin prochain, comité d'honneur dont font partie déjà plusieurs membres du gouvernement MM. Léon Bourgeois, Steeg et Guist'hau. Le comité s'est occupé ensuite de la publication de son Bulletin officiel et de l'organisation de diverses manifestations qui vont avoir lieu en province.
On sait qu'outre la cérémonie officielle du Panthéon, des solennités auront lieu à la Sorbonne et
au Trocadéro.
Monument à Jean-Jacques Rousseau, Panthéon Commande de 1909 La Philosophie entre La Vérité et La Nature |
D'autre part le Conseil municipal de Paris a décidé, comme on sait, sur la proposition de M.
Paul Fleurot, et de cinquante-deux de ses collègues, d'organiser un gala à l'Hôtel de Ville et une
fête populaire. Des fêtes auront lieu en outre le 16 juin chez le prince Radziwill à Ermenonville, et le 23 juin à Montmorency. Enfin le deuxième centenaire de la naissance de J.-J. Rousseau sera commémoré dans la plupart des villes où l'auteur des Confessions a séjourné et notamment à Lyon,
à Grenoble, à Chambéry, etc.
A l'issue de la réunion le comité des fêtes du centenaire a pu admirer le tombeau sculpté par M. Bartholomé et qui a été précisément transporté hier au Panthéon. On l'a provisoirement placé au pied du pilier sud-est qui soutient la coupole. Il produit là grand effet. Ses dimensions qui sont très restreintes il n'a pas trois mètres de hauteur s'harmonisent du reste d'une manière parfaite avec l'architecture du Panthéon, dont il a le bon goût de respecter les lignes nobles et sévères.
Le Temps, 30 mars 1912.
Monument à Jean-Jacques Rousseau, Panthéon Commande de 1909 La Philosophie entre La Vérité et La Nature. |
Médaillon portrait de Jean-Jacques Rousseau, Monument à Rousseau, Panthéon |
Tombe de Honoré Champion, libraire et éditeur, Cimetière Montparnasse, vers 1909 |
Merci à Musard pour son aide.
Vous avez fait le meilleur résumé des oeuvres et de la vie de Bartholomé. Merci bien!
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerC'est d'abord la sépulture Pam au cimetière de Montmartre qui a retenu mon attention, puis en tirant sur le fil de la recherche j'ai découvert que le "Génie féminin" de sa femme morte planait sur toute son œuvre, après lui avoir fait prendre la direction de la sculpture. Son histoire était singulière et valait la peine d'être racontée.
André Fantelin
Bonjour Monsieur Fantelin,
SupprimerL'une des photographies de la tombe de Madame Bartholomé m'intéresserait pour une publication. Pourriez-vous, s'il vous plaît, prendre contact avec moi sur henrique.simoes[at]mairie-lyon.fr ?
En vous remerciant par avance de votre retour,
Bien cordialement,
Henrique Simoes
Super!
RépondreSupprimerMerci!
SupprimerCe sont des monuments funéraires ? Je les adore. Les pierres dans les photos sont tellement belles. Merci beaucoup de ce partage ! J'adore l'art, surtout l'art qui utilise des pierres. http://www.delislemonuments.com/services.aspx
RépondreSupprimerMerci Mme Ledoux,
SupprimerLes photos des œuvres d'Albert Bartholomé montrées dans ce billet sont en effet pour la plupart des monuments funéraires.