"La Trinité" de Jules Jollivet, 1843. Façade de l'église Saint-Vincent de Paul, Xe ardt. |
Signatures du peintre et de l'émailleur |
Où la technique toute nouvelle de la peinture sur lave est décrite, et où l'on s'attend à son prompt succès
PEINTURE SUR LAVE.
Pendant le mois qui vient de s'écouler, les savans, les artistes et les curieux ont vu dans l'atelier de M. Hachette, préparateur de couleurs vitrifiables, une peinture sur lave, exécutée par un de nos habites artistes, M. J. Jollivet. Cette peinture, qui représente Dieu, Jésus-Christ, le Saint-Esprit, entourés des apôtres, offre une surface de plus de dix mètres sur quatre plaques de lave. Elle est destinée a la décoration extérieure du porche de l'église de Saint-Vincent-de-Paul, à Paris.
Quoique ce résultat soit une chose nouvelle pour le public, l'invention du procédé avec lequel il a été obtenu est, déjà assez ancien, car il date de plus de vingt ans. Feu Mortelèque, fabricant de couleurs vitrifiables, en est l'inventeur. Ce savant praticien, préoccupé pendant une partie de sa vie de l'idée de perfectionner et d'agrandir l'art de peindre en émail, fit de nombreux essais sur différentes matières, pour éviter la dilatation et le retrait des métaux sur lesquels on applique ordinairement l'émail blanc propre à recevoir la peinture. Outre le remède a cette imperfection qui réduit les peintures sur émail aux plus petites dimensions feu Mortelèque recherchait encore une autre matière que le métal, qui, tout en restant plane en passant au feu, permit encore de donner aux compositions peintes de grandes dimensions. Après un grand nombre d'essais ingénieux, feu Mortelèque eut l'idée d'employer la lave, matière vitrifiée que le feu auquel on l'expose de nouveau rend telle qu'il l'a reçue, et cette première partie de son problème se trouve résolue. Il restait à détruire cependant un des plus grands inconvénients de la peinture sur émail, un certain aspect vitreux qui nuit à l'imitation des objets opaques. L'inventeur redoubla d'efforts, et après avoir obtenu un émail blanc qui put s'appliquer sur lave et dont les élémens permissent l'emploi des couleurs et leur développement simultané, il composa un blanc qui, mêlé aux autres couleurs, leur donne une solidité de ton qui rapproche la peinture sur émail du procédé de la peinture à l'huile, et permet même de faire des retouches importantes.
Feu Mortelèque avait associé à ses travaux M. Hachette, qui est devenu son gendre, et qui, depuis la mort de son beau-père, a continué et perfectionné les expériences de peinture sur lave. Parmi les personnes que leur autorité en fait d'art ont engagées à signaler ce nouveau procédé et comme bon pour la peinture en elle-même et comme
éminemment propre à la décoration des édifices, est M. Hittorf, architecte de Saint-Vincent-de-Paul, qui, dés l'origine de la découverte de feu Mortelèque, conçut l'idée d'en faire usage pour orner extérieurement la belle église qu'il commençait. Différens essais heureux firent sentir à quelques personnes l'importance de la peinture sur lave, et, outre plusieurs pièces d'ornemens d'une assez grande dimension et l'emploi que l'on en fit pour inscrire les noms des rues dans Paris, M. Abel de Pujol en fit l'application sur un autel de l'église de Sainte-Elisabeth.
Déjà on avait-acquis la certitude de l'excellence intrinsèque du procédé, et il ne s'agissait plus, pour se convaincre de la possibilité de l'appliquer à de grandes compositions historiques développées sur une vaste étendue, que d'essayer et de réussir. Or, c'est le résultat remarquable que vient d'obtenir M. Jollivet, guidé dans la pratique des couleurs vitrifiables par M. Hachette.
La composition du peintre est disposée a peu près sur un seul plan, ce qui convient très bien à une peinture murale, dont les proportions et les couleurs doivent être harmonieusement combinées avec celles de l'architecture. En cette circonstance, et relativement au sujet, l'austérité de cette peinture est une qualité dont on doit savoir gré à l'artiste ; car le procédé de peinture sur lave en lui-même pourrait se prêter à tous les modes, même les plus légers et les plus gracieux. Mais pour faire ressortir sa qualité éminente, principale et vraiment précieuse, il faut dire que sous le rapport de l'éclat et de la durée, elle peut braver le temps et l'intempérie des saisons avec autant de persistance que la mosaïque, et qu'en outre elle a sur ce dernier genre l'immense avantage de se prêter bien plus facilement et à de bien moindres frais à l'imitation des objets de tous genres. Enfin, d'après les déclarations de M. Hachette et celles plus importantes encore à ce-sujet de M. J. Jollivet, puisqu'il s'est servi dans une grande composition des couleurs vitrifiables sur lave, la pratique de ce procédé ne demande, pour ceux qui ne l'ont pas encore employé, qu'un apprentissage beaucoup moins long et moins difficile que celui de la peinture à fresque ou la cire.
Avec la peinture sur lave on a donc pour résultat un procédé qui, sous les rapports de la durée, de l'éclat et de l'étendue, a des avantages égaux à ceux que donne la mosaïque, et de plus, le
nouveau procédé peut être pratiqué facilement par tout artiste qui connaît le maniement des couleurs à l'huile, a la détrempe ou à l'aquarelle. Enfin cette facilité et cette promptitude d'exécution sur lave, comparées à la lenteur des travaux de la mosaïque, amènent une différence énorme dans les dépenses.
Après avoir rappelé les noms de MM. Mortèleque, Hachette, Hittorff, Abel de Pujol et J. Jollivet, qui se rattachent à l'invention de la peinture sur lave et à ses premiers essais d'application, il est juste de signaler à la reconnaissance publique les hommes qui, par leur autorité et leur influence, ont concouru à donner du retentissement a ce procédé et à le faire mettre en pratique car l'expérience prouve que les inventions les plus belles et les plus, profitables sont toujours tardivement connues et ont besoin d'être chaleureusement soutenues pour réussir. On rappellera donc que M. le comte Volvic de Chabrol fut un des premiers a concevoir l'idée d'employer la lave de Volvic pour en faire les écritaux distinctifs des rues de Paris ; que dernièrement M. Gatteaux, témoin de quelques essais préliminaires de M. J. Jollivet, s'employa pour que ces résultats fussent mis sous les yeux de M. le comte de Rambuteau, préfet de la Seine, et qu'enfin ce magistrat, en faisant partager ses convictions au conseil municipal, l'a déterminé de voter les fonds nécessaires à l'exécution d'une partie du projet qu'a M. Hittorf de faire décorer une partie de l'extérieur de l'église de Saint-Vincent-de-Paul de peintures.
Les tableaux sur lave de M. Jollivet seront prochainement mis en place sur le porche. Dans cet ouvrage l'artiste a mis toutes les qualités qui résultent d'études sérieuses, et lorsqu'on les voit de près, on est porté à louer l'ordonnance générale et l'exécution de beaucoup de parties. Mais cette composition étant destinée à être placée assez haut, pour être vue de loin et en pleine lumière il faut absolument la voir sur le monument même pour juger de l'effet qu'elle pourra produire tout à la fois comme œuvre pittoresque et dans ses rapports avec la partie de l'édifice qu'elle doit décorer.
Journal des débats politiques et littéraires, 1er juillet 1846
Projet pour le porche de l'église Saint-Vincent de Paul. Planche XXIV de Restitution du temple d'Empédocle à Sélinonte de J. J. Hittorff |
EXAMEN D'UN PROJET D'APPLIQUER L'ÉMAIL AU DÉCOR EXTÉRIEUR D'UN ÉDIFICE
Saint-Vincent-de-Paul doit recevoir un ornement tout à fait nouveau et qui fera époque dans les annales de l'art. La chose vaut la peine de quelques mots d'explication.
Aux parois du porche, fait à dessein d'une certaine profondeur, seront adaptés des tableaux en lave émaillée. Ce procédé de peinture, qui est tout simplement une des plus merveilleuses inventions du siècle, est due à un marchand de couleurs nommé Mortelèque. Son gendre, M. Hachette, peintre, a perfectionné cette découverte ; M. Hittorf, architecte, en a favorisé le développement ; il est le premier qui en ait fait l'application au décor extérieur des édifices.
Mettre en plein air, et sans aucun danger d'altération, la peinture, qui jusqu'ici n'a trouvé, à l'abri de nos murailles et dans les plus favorables conditions de température, qu'une existence éphémère en comparaison des autres produits de l'art, tel est le grand problème désormais résolu. La peinture en émail sur lave a encore ce grand avantage d'être plus propre que la mosaïque à rendre les finesses de la peinture à l'huile. Quelques-unes des couleurs minérales que l'on emploie pour peindre en émail ne se produisent qu'à un degré de chaleur que ne supporte ni la porcelaine ni la faïence; la lave, il est inutile de le dire, peut se rougir à blanc sans altération. Lors de l'incendie du théâtre des Italiens, la cheminée du foyer, qui était en lave émaillée, supporta la plus forte action du feu : en s'écroulant avec l'édifice, elle se fendit, mais on retrouva ses couleurs aussi vives que le jour où elles avaient été appliquées.
Il existe déjà des tableaux peints sur lave, tels qu'une Sainte Famille d'après Raphaël, et quelques autres qui sont en la possession de M. Hittorf. Tout le monde a pu remarquer les deux médaillons qui se trouvent de chaque côté de la deuxième cour de l'école des Beaux-Arts.
Périclès, par Antoine Étex, vers 1839. Peinture sur lave de Volvic. Beaux-Arts, Palais des études, 14, rue Bonaparte, VIe ardt. |
La peinture sur lave est une découverte capitale; elle fait faire à l'art un pas immense. Les anciens procédés polychromes sont tellement imparfaits et dispendieux qu'on les avait depuis longtemps abandonnés. Voici, grâce à Mortelèque, la peinture redevenue auxiliaire de l'architecture et dans des conditions de perfection toutes nouvelles. Nul doute, quand le procédé nouveau se vulgarisera, que nos grands peintres ne cherchent à assurer l'immortalité à leurs travaux en les confiant à ces tables indestructibles.
Du reste, les anciens procédés de peinture sur émail, qu'il est si important de faire renaître, vont recevoir une autre application qui leur donnera plus d'importance que jamais. La peinture en émail sur faïence arrive à des résultats plus inattendus, sinon plus heureux, que celle dont nous venons de parler. A elle, dans tous les cas, à elle seule les ornements en relief, revêtus de toutes les nuances et de tous les métaux; on comprend tout ce qu'aurait de riche et de nouveau l'application de ce procédé au décor extérieur des édifices. Des essais très-heureux viennent d'avoir lieu sous la direction éclairée de M. le baron Taylor. En présence des spécimens vraiment étincelants qui viennent d'être obtenus, on ne peut plus douter aujourd'hui de la possibilité d'arriver à rendre avec le plus grand bonheur les marbres, les brèches, les métaux, les moulures dorées, les végétaux même, le tout brillant d'un grand éclat de couleurs, inaltérable à l'air, indestructible par les années. Il y a lieu d'espérer maintenant que cette application agrandie de l'émail viendra participer à la décoration de nos monuments, que l'architecture s'enrichira d'un élément nouveau. Durable, brillant, presque éternel, l'émail est bien une des substances dignes de coopérer à l'ornement des temples catholiques, et il faut savoir gré à M. Hittorf d'en avoir le premier fait une application qui deviendra bientôt générale.
E. Du Molay-bacon. Le Correspondant, 25 décembre 1844
Georges Brunet, Laves émaillées : un décor oublié du XIXe siècle, Musée de la vie romantique, 1998
La tribune de l'art : Julles Jollivet de retour à Saint Vincent de Paul
Hittorff : un architecte du XIXème, Musée Carnavalet, Paris, 1986
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire