dimanche 24 octobre 2010

Bourbonneux




Enseigne d'un revendeur Bourbonneux. 14 rue Monge, Paris Ve ardt.







Champfleury

Ce que M. Lavertochère entendait par plaisirs de la campagne se résumait en un pâté de la maison Bourbonnneux et la société de deux employés de son bureau, MM. Vergavaine et Confident, sans lesquels il n'était pas de bonnes fêtes.
-- Confident, le pâté ! s'écria M. Lavertochère d'un ton de détresse semblable à celui qu'il eût employé pour recommander son âme à Dieu. Hélas! Vergavaine et Confident avaient disparu, poussés dans une direction contraire par les curieux affolés. Lui aussi, le pâté, disparut sous les pieds de la foule, réalisant trop bien le caractère de "fondant" que lui avait attribué le pâtissier Bourbonneux. Celui qui n'a pas assisté à un pareil spectacle se rendra compte difficilement des désastres que peut causer la température révoltée.





Enseigne d'un revendeur Bourbonneux. Partie gauche,14 rue Monge, Paris Ve ardt.






Marcel Proust
" A l'ombre des jeunes filles en fleurs", 1918

Vous me devez une compensation pour n'être pas venue jeudi dernier... Allons, rasseyez-vous un moment. Vous ne ferez tout de même plus d'autre visite avant le dîner. Vraiment vous ne vous laissez pas tenter ? ajoutait Mme Swann et tout en tendant une assiette de gâteaux : Vous savez que ce n'est pas mauvais du tout ces petites saletés-là. Ça ne paye pas de mine, mais goûtez-en, vous m'en direz des nouvelles. -- Au contraire, ça à l'air délicieux, répondait Mme Cottard, chez vous, Odette, on n'est jamais à court de victuailles. Je n'ai pas besoin de vous demander la marque de fabrique, je sais que vous faites tout venir de chez Rebattet. Je dois dire que je suis plus éclectique. Pour les petits fours, pour toutes les friandises, je m'adresse souvent à Bourbonneux. Mais je reconnais qu'ils ne savent pas ce que c'est qu'une glace. Rebattet pour tout ce qui est glace bavaroise, ou sorbet, c'est le grand art. Comme dirait mon mari, le nec plus ultra.





MES MÉTIERS III CHEZ BOURBONNEUX

Le certificat d'apprentissage obtenu, le petit ouvrier pouvait se placer, mais il y fallait de la chance. Nous connaissions des histoires d'ouvriers réduits à manger des carottes ramassées dans les ruisseaux des Halles. La liberté devient terrible à qui n'y peut loger que sa misère. Les apprentis de la maison Laborde n'enduraient pas cette épreuve de chercher, puisque le patron les plaçait. Il vint à connaître, par une conversation des fruitiers de la rue de Beaune, rapportée au chef Louis Dubois qui avait conservé des relations dans le quartier Saint-Germain, que je me plaignais, mais pas plus que les autres, de crever de faim.
A un de mes voyages annuels dans ma famille, je revis M. Dupré, le si probe chef de cuisine qui avait été cause de mon apprentissage aux Ternes. Les fruitiers ayant écrit à mon père que j'étais mal nourri, M. Dupré me dit en parlant de M. Laborde : « Je lui enlève mon estime puisqu'il ne se souvient plus qu'il a été ouvrier. »
Cette opinion, à laquelle prenaient part des hommes qui tous tenaient de grandes places dans le métier, gêna le père Arthur qui, malgré les services que je lui rendais au four, me libéra quatre mois avant la fin de mon apprentissage, en me donnant un excellent certificat et une place chez Bourbonneux, place du Havre ; car il lui était impossible de mettre son premier apprenti sur le pavé de Paris.
Mon amour des livres et ma manie de lire à la lueur du four me faisaient passer pour un garçon étrange, anormal dans la profession ; mais comme j'accomplissais bien ce qu'on me commandait, on ne m'adressait que quelques railleries.
Comme je n'avais jamais abîmé la marchandise, le patron me devait une honorable sortie. Il s'en acquitta méchamment, me rédigea un honorable certificat, mais dit au patron de chez Bourbonneux qu'il devait me dresser et se méfier de moi.
J'eus un jour de congé. Je m'en allai seul à travers Paris, misérable dans l'oisiveté à laquelle je n'étais pas habitué. Pour la première fois depuis deux ans, mes heures m'appartenaient. Embarras énorme. Je ne savais qu'en faire. La servitude du travail quotidien, porter la manne sur la tête où tenir la pelle au four me rendaient maintenant malheureux de ne rien faire. Ce fut une des plus tristes journées de ma vie. Je ne pouvais revenir à ma maison d'apprentissage ; mon temps y était fini depuis la veille. Je ne pouvais aller chez Bourbonneux, on ne m'y attendait que le lendemain.

Quelle énergie il a fallu aux gens des métiers, liés par leurs habitudes professionnelles, pour accomplir les premiers gestes de citoyens libres ! Abruti par deux années de rude servitude, je cherchais ma chaîne. Elle manquait à mon cou pelé.
J'éprouvais la crainte de ma nouvelle place : serais-je capable d'y réussir ? Mais quel désir d'y entrer vivement, de me réemprisonner dans le métier !
Muni de mes habits de travail et de mes couteaux, j'arrivai le lendemain matin place du Havre et me trompai de boutique, tant j'étais ému. Je pénétrais dans une boulangerie qui avait des gâteaux dans sa devanture. Une jeune fille à qui je dis que je venais travailler s'étonna, sourit et m'enseigna gentiment la bonne porte. Nous étions tellement accoutumés à la rudesse que ce sourire de femme me fut comme une lumière. Épuisé par la journée d'inquiète liberté usée sur les quais de la Seine à regarder couler l'eau ; je sentis soudain la possibilité de la joie parce qu'un être humain m'avait tenu sous la douceur de ses yeux. Ce ne fut qu'un instant, et je sortis de cette boutique où je n'avais rien à faire qu'à prendre un grand regret sur un joli visage.
Chez Bourbonneux l'accueil fut sévère : « Voilà la forte tête ! » Le beau Frédéric, homme de quarante ans, à rouge figure de bon bouffeur, trônait dans la caisse patronale à côté de Mme Beurre et Œufs son épouse, fille d'un gros marchand de la rue Coquillière. La coquetière de Paris et l'ancien cuisinier de Londres menaient bien cette riche boutique où l'on vendait une abondante marchandise. La joie de la maison était Paulin, qui remplissait le rôle aimable de copain du patron.






Enseigne d'un revendeur Bourbonneux. Partie droite, 14 rue Monge, Paris Ve ardt.






La revue littéraire, 1932

En revanche, les honnêtes femmes qui vont à pied, et même les piétons de l'autre sexe, en prenaient beaucoup moins à leur aise avec les voitures traînées par des chevaux qu'ils ne font présentement avec les automobiles, parce qu'ils savaient qu'on n'arrête pas comme on veut même une rosse qui trottine sous elle. Quand un collignon ou le prince Troubetskoï leur criaient :« Hep ! » ils s'empressaient de se garer, ils ne répondaient pas : "Assassin !". Les cochers de fiacre eux-mêmes n'avaient sujet d'insulter que leur client, s'il leur donnait pour une heure moins de cinquante centimes de pourboire. Encore cette circulation de la rue du Havre était-elle intermittente. On ne l'observait que le matin aux heures d'arrivée, le soir aux heures de départ des trains de maris. Les après-midi étaient souvent mornes, surtout l'été. Les bonnes gens qui n'ont aucune connaissance en météorologie disent qu'il n'y a plus de saisons. Je suis porté à le croire, parce que j'ai un lointain souvenir d'hivers beaucoup plus rigoureux et surtout d'étés beaucoup plus ardents ; mais c'est peut-être parce que ma jeune sensibilité était moins blasée, moins indifférente aux impressions du froid et du chaud. Somme toute, je ne crois pas dur comme fer que notre climat se soit dérangé, mais je dois décrire mes souvenirs exactement tels qu'ils se représentent à moi ; eh bien, il me souvient de jours d'été si lourds que l'on avait à peine le courage de se traîner jusque chez Bourbonneux pour s'y bourrer de gâteaux en sortant de table, avant d'aller en classe ; et ces jours-là, vraiment la rue du Havre était aussi déserte que les rues des petites villes d'Italie aux heures où l'on ne voit dehors que les chiens et les Français.





Paul Léautaud
"Journal Littéraire", Samedi 10 mai 1947

J'ai encore trotté pas mal tantôt pour cette ancienne lampe en porcelaine coloriée que je me suis mis en tête de m'offrir. Été explorer le quartier rue de Clichy, rue Pigalle, rue La Bruyère, rue N.-D.-de-Lorette et la vieille petite rue Saint-Lazare, si pittoresque autrefois. Toutes ces rues étaient pleines autrefois, de magasins d'occasions, d'antiquités, de marchandes à la toilette. Tout cela complètement disparu. Ce qui pullule actuellement, ce sont les marchands de chaussures. Dans chaque rue, de trois en trois magasins : chaussures, tantôt modestes : hommes et femmes, tantôt femmes seulement. J'étais furieux d'avoir quitté ma tranquillité de Fontenay pour ce résultat.
Au retour, rentré un instant à la librairie Monnier. Présent le poète fantaisiste Jacques Prévert, qui s'est fait un nom en si peu de temps. A en juger par ses propos, il doit être originaire de Draguignan ou environs. A noter ce propos de Maurice Saget [sic] comme nous parlions démocratie et que j'exprimais mon antidémocratisme et mon avis sur la nécessité des grandes fortunes, auxquelles il reproche de ne pas faire circuler leur argent : "Tout homme devrait naître pauvre."
La pâtisserie Bourbonneux, place du Havre, avec en montre des gâteaux (?) à 200, 300 frs.





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