Le zouave Jacob. Cimetière de Gentilly, XIIIe ardt, Paris |
Où le Zouave Jacob tombe sur un os
CURIOSITES DES TRIBUNAUX
Police correctionnelle. Le zouave Jacob.
Pauvre zouave Jacob ! II renaît à la popularité en venant s'asseoir piteusement sur le banc de la police correctionnelle. Le célèbre guérisseur d'antan, pour n'avoir plus entretenu le public de sa personnalité depuis les dernières années de l'Empire, n'en exerçait cependant pas moins ses petits talents dans « l'ombre et le mystère ». Sa légende n'était pas morte, et les malades abandonnés par la Faculté continuaient, comme par le passé, mais en moins grand nombre, à envahir son antichambre.
C'est dans son vaste appartement de l'avenue de Saint-Ouen que le zouave Jacob donne ses consultations. La doctrine scientifique du zouave est fort simple. Au moyen de son fluide magnétique il guérit toutes les douleurs. Avec lui, pas n'est besoin de médicaments. On est apporté goutteux dans l'appartement de l'avenue de Saint-Ouen, on regarde respectueusement le guérisseur et on s'en retourne tranquillement en fumant sa cigarette. La guérison est instantanée et sans douleur. Le fluide magnétique se charge d'amener à la raison les maux les plus incurables.
Et, en échange de son amabilité, le zouave ne réclame rien, absolument rien. Si cependant l'ex-malade désire se procurer la photographie de son guérisseur, il peut le taire moyennant un franc. Et c'est tout. Le zouave, en dehors de son fluide, ne débite que des photographies et quelques brochures sur l'hygiène. Le tout à un bon marché qui défie toute concurrence...
Le 20 mai dernier, Jacob, à sa clinique de l'après-midi, a eu le malheur de recevoir une paysanne de Saint-Gervais (Haute Savoie), Mme Durvillard, qui avait fait tout exprès le voyage à Paris pour se faire guérir d'une ankylose au bras. Le zouave, se départissant de sa prudence habituelle, a voulu palper la partie malade. Mal lui en a pris, car la paysanne a aussitôt prétendu que le guérisseur, qu'elle était venue voir de si loin, lui avait cassé le bras.
Conduite à l'hôpital Lariboisière, un médecin constata que Mme Durvillard avait une fracture de l'humérus.
Poursuivi sous l'inculpation d'exercice illégal de la chirurgie et de blessures par imprudence, le zouave guérisseur a comparu hier devant la dixième chambre de police correctionnelle, présidée par M. Bartholon.
L'inculpé, qui s'intitule homme de lettres, est un individu de cinquante-six ans, à mise fort correcte. Il a une tournure toute militaire. Il s'exprime avec facilité et sans emphase.
M. le président Bartholon. -- Vous vous occupez de médecine depuis longtemps ?
Le zouave Jacob. -- J'ai quitté le régiment en 1868 ; depuis mon arrivée à Paris, je ne me nuis jamais occupé de médecine. La foule est venue à moi. Je l'ai touchée et guérie. Ma première guérison s'est opérée par un effet du hasard. C'était un monsieur atteint du choléra. Je l'ai guéri en un jour en lui mettant la main dans le creux de l'estomac.
Le zouave Jacob expose ses théories.
J'ai mis à profit mes connaissances pour guérir le peuple. Je réunis quarante ou cinquante personnes dans une salle et j'étends les mains. Mais cette imposition des mains n'est que pour satisfaire mes malades. Je ne crois pas, moi, à son efficacité. Je ne crois qu'au fluide magnétique des yeux. Par la puissance de mon regard je guéris les malades sans connaître leur maladie.
Sur cette demande ironique du président « Vos regards sont donc des remèdes à tous maux ? » Jacob répond : A tous maux, parfaitement Monsieur le président. Mais tout le monde peut guérir comme moi. Je voudrais que ma méthode fût connue du public. Je ne sais rien en médecine, mais je sais que j'ai une puissance en moi. (Avec énergie.) Je ne ferme pas ma porte aux gens de science, Ils peuvent venir me voir, ils peuvent venir visiter mes malades. Mes consultations ont lieu au grand jour. Quant à expliquer comment mes guérisons se font, je ne puis le faire. (L'inculpé, solennel.) Ma puissance vient de Dieu. Je crois en Dieu et l'immortalité de l'âme.
Le président -- Vous faites bien d'y croire, d'accord.
M. le président invite le zouave Jacob à discuter les faits de la prévention. Le guérisseur, alors, avec beaucoup de désinvolture : Une femme de la campagne, d'un certain âge, est venue un lundi à ma consultation. Après avoir, pendant une demi-heure, recommandé aux assistants, qui pouvaient être environ quatre vingts, de faire silence et de ne pas se laisser distraire afin de me permettre de projeter mon fluide, j'ai passé dans les rangs et me suis approché de cette paysanne. J'ai laissé ma main pendant une minute sur son épaule gauche afin de permettre au fluide d'avoir plus d'action pour la toucher. Puis je lui ai dit de remuer le bras. La charnière de l'épaule ne fonctionnait pas. J'ai pris alors l'humérus avec la main. J'ai entendu un craquement. « Tiens, ai je dit, vous avez le bras cassé, ce n'est pas moi qu'il faut venir voir, mais un rebouteux ou un chirurgien. » Je ne guéris que les maladies, moi.
Après cette explication, le président interroge à nouveau le prévenu sur des faits qui, pour être étrangers au procès, n'en sont pas moins intéressants.
Le président. -- Vous n'avez aucune notion de médecine ou de chirurgie ?
Le zouave Jacob. -- Non. Tous les médecins sont des charlatans. Ce sont eux-mêmes qui le disent dans leurs livres, depuis Hippocrate jusqu'à Claude Bernard, monsieur le président, si vous lisiez ce que les médecins disent d'eux mêmes, vous seriez certainement de mon avis.
Le président, abordant le côté argent, pose au prévenu cette question : Vous avez de la fortune ?
Le zouave Jacob. -- Un peu.
Le président. -- Où l'avez vous acquise ?
Le zouave Jacob. -- Mais je vends mes photographies à un franc pièce. Ces photographies me reviennent à 30 centimes. Je vends aussi des livres.
Le président. -- Quel prix?
Le zouave Jacob. -- Pas plus cher que mon éditeur au palais-Royal. Mon ouvrage intitulé le Charlatanisme de la médecine, est vendu 1 fr. 50. L'exemplaire me revient à 0,40 cent. au plus.
Le président. -- De temps à autre ne vous fait-on pas des cadeaux ?
Le zouave Jacob. -- Ah oui, monsieur. J'ai chez moi des fleurs à n'en savoir que faire. Et des bouquets ! Je les donne à mes amis.
Le président. -- Ne vous donne t-on que des fleurs?
Le zouave Jacob. -- Oui, monsieur, rien que des fleurs; mais désormais j'agirai autrement et...
Le président. -- Ainsi vous dites que vous continuerez à exercer la médecine !
Le zouave Jacob. -- Je dis la vérité.
De nombreux témoins sont ensuite entendus. Puis l'audience est levée à six heures et la continuation des débats renvoyée à huitaine.
C'est Me Comby qui défendra le zouave Jacob. M. le substitut Jules Moleux soutiendra la prévention.
MAITRE X.
Le Gaulois, 1883, n° 482, 11 novembre 1883
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