jeudi 13 septembre 2018

Les eaux de Paris. 5 : Halte au gaspillage !




L'eau arrive dans les étages. Loge du concierge d'une cité-jardin de Suresnes, 12 avenue Alexandre Maistrasse, Hauts-de-Seine. 1932


Où, après un siècle de travaux, l'eau arrive enfin dans les étages, et où, après avoir tant incité à sa consommation, l'administration peine à la fournir en quantité suffisante

 


Nous avons constaté le peu de succès de l’entreprise des frères Périer qui proposait de livrer l’eau à domicile et jusque dans les étages. Il est vrai que l’eau de Seine était alors vantée pour ses vertus et que les gens du peuple pouvaient s’approvisionner gratuitement aux fontaines tandis que les plus fortunés se faisaient livrer à domicile par les porteurs d’eau. (Les eaux de Paris. 1 : Le temps des pompes)


La Restauration et surtout la Monarchie de juillet augmentent considérablement la quantité d’eau disponible grâce à l’achèvement du Canal de l’Ourcq. On commence alors de réformer les égouts et de multiplier les fontaines publiques. Ces régimes pêchent cependant par la timidité de leurs réalisations, corsetés qu’ils sont par des contraintes financières qui empêchent tous travaux de grande ampleur. Mais qui s’imaginait, vers 1835, que les parisiens manquaient d’eau, sinon quelques historiens admirateurs de la Rome antique et quelques voyageurs jaloux des réalisations londoniennes ? (Les eaux de Paris. 2 : avant Haussmann)


Enfin Haussmann vint. Il impose l’eau de source et crée les égouts modernes. Des sources lointaines sont détournées et leurs eaux amenées par viaducs, des réservoirs sont bâtis en hauteur pour assurer la pression, et un réseau d’égouts gigantesque expulse les déchets, même « solides », toujours dans la Seine, mais dorénavant en aval de la capitale. (Les eaux de Paris. 3 : Belgrand)


Bien que les frais engagés soient considérables, les prix demeurent faibles pour inciter le plus grand nombre à s’abonner, car c’est le seul moyen d’équilibrer les comptes en attendant de futurs bénéfices. « Ce n’est pas l’eau qui manque, ce sont les abonnés » déclarait-on encore en 1865.


Les évènements de 1881, qui se répéteront les années suivantes, montrent le changement total de mentalité opéré en quarante ans. Les chaleurs de l’été font craindre un manque d’eau de source et de l’eau de Seine (filtrée) lui est substituée sans que l’administration le reconnaisse. Hélas, les microbes ont été découverts et les statistiques sur la fièvre typhoïde sont implacables.


C’est maintenant pressées par l’opinion publique que les autorités doivent trouver suffisamment d’eau de source pour apaiser une soif devenue illimitée. Les hygiénistes ont remporté la partie haut la main. Reste à rendre l’abonnement obligatoire et à substituer aux systèmes de jauge, de citernes et d’obturateurs qui favorisent le gaspillage des compteurs fiables qui incitent le consommateur à contrôler sa dépense.


Dernière opération : supprimer les bornes-fontaines. Plus moyen dorénavant de se procurer de l’eau gratuitement à Paris. Les scènes décrites en 1873 par Maxime du Camp se renouvellent alors : les plus pauvres, ceux qui logent dehors ou dans des logements insalubres en sont réduits à l’eau des caniveaux.





Point d'eau dans la cour du 30 rue des Saint-Pères, VIIe ardt. Ciment ? La plaque posée au dessus de cette fontaine rudimentaire nous apprend que l'eau n'y était disponible que de 7 heures à 10 heures du matin.




L’insuffisance des Eaux de Paris.  



L'importante communication suivante a été adressée aux journaux, et affichée dans tout Paris : 
 

MESURES CONTRE L'INSUFFISANCE DES EAUX


La persistance extraordinaire des chaleurs commence à rendre alarmante la situation de Paris au point de vue de alimentation d'eau.  


Déjà le lavage et l'arrosage des rues sont presque suspendus ; la consommation des particuliers est tellement considérable que le produit des dérivations et de toutes les machines élévatoires marchant simultanément et donnant chaque jour 380,000 mètres cubes, y suffit à peine, et les sources commencent à baisser.  


Il importe que le public soit éclairé sur cette situation, à laquelle on ne peut remédier qu'en restreignant l'usage de l'eau dans les habitations au strict nécessaire. Or, il se produit, en ce moment, un véritable gaspillage de l'eau, qu'il faut absolument ménager sous peine d'en être complètement privé avant peu.  


Ainsi, on laisse les robinets ouverts dans les cours ; on fait couler dans les cuisines dix litres d'eau inutilement pour avoir une carafe d'eau fraîche, sans se douter que le maintien de ce régime, pendant quarante-huit heures de plus, amènerait la disette.  


Il y a encore, dans ce moment, de l'eau pour la consommation ; mais il est temps que tout le monde sache qu'il n'y a plus à en faire des abus.  


L'Administration municipale espère que cet avertissement suffira pour les arrêter, et qu'elle ne sera pas obligée de prendre des mesures restrictives de l'usage de l'eau dans les habitations. 
 

Paris, le 15 juillet 1881. 
 

Pour le Sénateur, Préfet de la Seine, et par autorisation, Le Directeur des travaux : ALPHAND. 
 



Le Service des Eaux à Paris.  



La Préfecture de la Seine a encore adressé aux journaux la communication suivante : Plusieurs abonnés des eaux de la Ville, habitant les quartiers élevés ou les étages supérieurs, se plaignent de manquer d'eau. 
 

Le fait est malheureusement exact dans un certain nombre de cas, et l'Administration est impuissante à y remédier, tant que le gaspillage de l'eau continuera dans les quartiers bas et les étages inférieurs. En effet dans les quartiers bas, l'eau distribuée par la Ville a une énorme pression. Si les robinets restent ouverts jour et nuit, toute l'eau de la canalisation s'écoule sous l'action des fortes pressions, et il n'arrive plus rien pour l'alimentation des quartiers élevés. De même, dans une même maison, si les robinets de la cour ou ceux des étages inférieurs restent constamment ouverts, l'eau ne peut plus arriver aux étages supérieurs. 
 

Les gaspillages d'eau commis par certains abonnés sont donc préjudiciables à un grand nombre d’autres abonnés aussi bien qu'à la salubrité de la cité. Il y a abus chez les uns et privation du nécessaire chez les autres par suite même de l'abus. La population parisienne possède trop bien le sentiment de l'équité pour ne pas comprendre la nécessité d'un rationnement volontaire, afin de laisser à chacun sa part proportionnelle dans le volume d'eau qui existe à Paris. 
 

(…)

Aux termes de la police d'abonnement, tout abonné à robinet libre dans les étages doit avoir un obturateur, de manière que ce robinet ne fonctionne que lorsqu'il est ouvert à la main. On commet donc une contravention lorsqu'on supprime l'obturateur pour laisser couler librement le robinet. 
 

De même, l'abonné à robinet libre pour l'arrosage des cours paye un abonnement pour un volume d'eau calculé à raison de trois litres par mètre superficiel de cour, ce qui suffit pour un arrosage répété deux ou trois fois par jour. Si l'abonné laisse ce robinet ouvert jour et nuit, la consommation, au lieu d'être de trois litres, s'élève à plus de cent litres, et l'Administration, qui règle son service sur un abonnement de trois litres, ne peut en donner instantanément cent, suivant le caprice de l'abonné. 
 

On ne saurait trop insister pour que chacun comprenne a nécessité d'éviter le gaspillage de l'eau pendant la période critique que nous traversons.

L'eau commence à manquer à peu près partout, dans les villes et dans les campagnes. Chacun est obligé de se rationner. Paris ne peut échapper à la loi commune. 
 




Les point d'eau des cours d'immeubles étaient destinés à l'entretien du sol et à l'arrosage. Le système de double-canalisation, l'une pour l'eau de rivière (dir "service public", l'autre pour l'eau de source, devait permettre d'éviter le gaspillage. Les problèmes de pression ont longtemps empêché une stricte séparation, l'une des eaux ne parvenant pas à la hauteur désirée. D'autre part, en périodes de disette, l'eau de l'Ourcq était substituée à l'eau de source sans que l'administration le reconnaisse. 214, rue Lafayette, Xe ardt.





A la mort de Belgrand, en 1878, le volume d’eau mis chaque jour à la disposition des Parisiens était de 370 000 mètres cubes, dont 122 000 mètres cubes d'eau de la Dhuis et de la Vanne, 105 000 mètres cubes d'eau de l'Ourcq, 88 000 mètres cubes d'eau de la Marne et 7000 mètres cubes d'eau d'Arcueil et des puits artésiens. 
 

Il avait réussi, en vingt ans, à accroître le volume quotidien disponible de 300 000 mètres cubes et à substituer, pour les trois quarts des distributions, l'eau de source aux eaux de rivière. Mais son œuvre gigantesque était inachevée. Dès 1881, l'insuffisance du volume disponible en eau de source se manifestait l'été par suite d'une augmentation considérable de la consommation privée, due à l'emploi de l'eau de source comme réfrigérant. L'épidémie de choléra de 1884 attirait à nouveau l'attention du public et des élus sur les graves dangers que peut entraîner la distribution de l'eau de Seine mélangée à l'eau de source pour les usages domestiques ; et, sur la proposition de Couche, le disciple et le successeur de Belgrand, le Conseil municipal décidait l'adduction de nouvelles sources de la région ouest l’Avre, le Loing, le Lunain, le Durteint et la Voulzie, chantée par Hégésippe Moreau. 
 

En même temps, en vue d'enrayer le gaspillage, on imposa à tous les abonnés l'emploi du compteur pour la distribution. 
 

(...)

L’œuvre de Belgrand a eu pour conséquence directe un abaissement notable de la mortalité générale à Paris et plus spécialement de la mortalité zymotique. Si une ou deux sources primitivement captées risquaient d'être contaminées par des infiltrations superficielles, les précautions sont maintenant prises pour empêcher toute souillure, et une inspection incessante des travaux, une surveillance du territoire des sources, aux points de vue hygiénique et médical, permettent d'éviter dorénavant toute contamination. Les campagnes de presse ont obtenu, cette fois, ces excellents résultats. Il n'y a plus le moindre prétexte pour renier l'idée géniale de Belgrand et pour revenir en arrière. 
 

Gaston Cadoux





Point d'eau dans la cour du 30, rue Jacob, VIe ardt.








L'EAU A PARIS 

 

M. Alphand, ingénieur des travaux de Paris se moque-t-il de nous ?
 

Il ne lui a pas suffi de faire signifier aux Parisiens, par une dépêche de l'agence Havas communiquée aux journaux, qu'il fallait économiser l'eau ; il a fait afficher sa circulaire sur les murs de la capitale.
 

Voilà que, maintenant, il ne nous sera plus permis de boire frais, --sous peine de manquer absolument d'eau dans quarante-huit heures. On nous parle d'une disette complète.
 

L'affichage d’une telle menace dans un moment pareil a tous les caractères d'une provocation voulue. 
 

Qu’est-ce que cela veut dire ? 
 

La population parisienne est fort irritée. La foule stationne devant les affiches de la préfecture, et les commente avec vivacité. Hier, dans le faubourg du Temple, on les arrachait de colère. 
 

Comment, dans une ville traversée par la Seine et qui touche à la Marne, on pourrait manquer d'eau ! Il suffirait de douze jours de chaleur pour que tous les réservoirs cessassent de fonctionner ! A quoi servent donc les travaux de dérivation de la Dhuys et de la Vanne payés si cher! Qui empêche d’ailleurs d'établir des pompes à vapeur, de multiplier les machines élévatoires ? 
 

Nous étouffons. Ce n’est pas quelques gouttes de pluie qui peuvent remplacer l’arrosage quotidien. 
 

M. Alphand nous dit « Économisez l'eau, sous peine d'un manquer complètement dans quarante-huit heures. » 


Nous disons à M. Alphand : «  Donnez-nous de l'eau, sous peine de voir une épidémie épouvantable fondre sur Paris. » 
 

On nous parle d'attendre l'achèvement de certains travaux. Est.ce qu'on attend quand le péril est imminent ? 
 

Il faut de l'eau. 
 

Il en faut en quantité, – pas dans trois jours, pas dans deux jours, – tout de suite! 
 

(...)





Pompe. 27, rue du Mail, IIe ardt.




C'est en 1860 que la séparation des eaux de rivière et de source a été décidée, en 1865 que l'eau de la Dhuys est arrivée à Paris. Après de Second Empire, il est devenu intolérable de boire de l'eau de rivière.




HYGIÈNE PUBLIQUE : LA FIÈVRE TYPHOÏDE ET L'EAU DE SEINE A PARIS 

 

On a, plus d'une fois, mis en évidence ce fait, significatif, que la fièvre typhoïde éclate immédiatement dans les quartiers de Paris où l'on distribue accidentellement l'eau de Seine pour remplacer les eaux de source, qui sont venues à manquer. Mais jamais cette coïncidence remarquable, entre la maladie typhique et l'usage des eaux contaminées de la Seine, ne s'est montrée avec autant de netteté que dans les faits communiqués dans la séance du 8 novembre 1889, à la Société médicale des hôpitaux, par le Dr Chantemesse, et dans la discussion qui a suivi la communication de ce praticien. 
 

Le Dr Chantemesse rappelle qu'il a signalé, en 1887, le rapport constant qui existe entre l'augmentation de ia morbidité par fièvre typhoïde, à Paris, et la distribution d'eau de Seine. Il apporte aujourd'hui une note pleinement confirmative de cette remarque pour l’année 1889. En 1887, les arrondissements pourvus d'eau de Seine ont eu une mortalité par fièvre typhoïde trois à quatre fois plus grande que la mortalité du reste de la ville, qui recevait de l'eau de source. Au contraire, en 1888, l'année étant pluvieuse, l'eau de Seine ne fut pas substituée à l'eau de source ; aussi depuis trente ans la fièvre typhoïde n'avait jamais été aussi rare qu'en 1888. 
 

Des tableaux fournis par M. Chantemesse il résulte, en ce qui concerne l'année 1889, que trois à quatre semaines après la substitution d'eau de Seine à l'eau de source, le nombre des entrées dans les hôpitaux, pour fièvre typhoïde, s'éleva peu à peu. Chaque fois qu'un arrondissement nouveau recevait l'eau de Seine, la morbidité typhoïde y augmentait. 
 

Rien n'est plus blâmable, au point de vue de l'hygiène générale, que la pratique qui consiste à distribuer l'eau de Seine successivement à tous les quartiers de Paris ; c'est le meilleur moyen de disséminer la fièvre typhoïde. 
 

L'eau de Seine est incontestablement une des causes principales de cette affection à Paris. Mais elle n'est pas aussi nuisible dans tout son parcours, c'est-à-dire clans les parties où elle n'est point souillée de matières étrangères. A Fontainebleau, où la Seine arrive sans avoir été souillée dans un long trajet, la fièvre typhoïde est rare ; mais, en arrivant à Paris, le fleuve ayant reçu les égouts de Choisy-le-Roi, Corbeil, Ivry, où la fièvre typhoïde est endémique, devient une cause de développement de celte affection. 
 

(...)

Le Dr Juhel-Rénoy a soigné, en 1889, huit à neuf typhiques venus d'Aubervilliers, où on ne boit que de l'eau de Seine. Ils sont tous morts très rapidement ; ils avaient été soumis évidemment à une infection d'une intensité exceptionnelle.  


On ne saurait désormais mettre en doute, après les cas si frappants signalés à la Société médicale des hôpitaux, la production directe de la fièvre typhoïde dans la population parisienne par l'usage en boisson des eaux de la Seine, souillées par les immondices de la ville, les résidus des fabriques et les eaux des égouts. On s'étonne, avec raison, qu'après des faits si bien établis, l'administration municipale autorise si fréquemment la distribution de l'eau de la Seine dans divers quartiers de Paris. Il y a là une mesure à prendre, mesure radicale et qui s'impose tous les jours davantage : c'est la création d'une canalisation séparée pour l'eau de Seine et pour l'eau de source, l'une ne pouvant jamais être substituée à l'autre. 
 

Louis Figuier.



Compteur à eau L'éclair, 1910. C'est en 1876 qu'est apparu l'abonnement au compteur, et ce uniquement pour les eaux de source. Au terme d'ardentes batailles, il deviendra obligatoire en 1892. Le propriétaire doit en installer un pour chaque immeuble et répartir la dépense sur ses locataires. Pour que le compteur individuel devienne obligatoire, il faudra encore attendre... 2016. Il est vrai que la disette ne saurait plus tarder.




Nous retrouvons l'oncle Sarcey dans sa croisade pour le bon sens. Il tiendra nombre de chroniques sur le problème de l'eau comme il en avait tenu sur le problème des odeurs.





Les Compteurs de la Compagnie des eaux 

 

Le mieux pour vous, je vous l'ai dit hier, c'est, quand vous êtes dans les conditions de la loi, quand vous habitez bourgeoisement, soit un appartement en location, soit un immeuble à vous appartenant, d'exiger l'abonnement à robinet libre: vous en avez le droit ; ne vous laissez, sous aucun prétexte, entortiller par les agents de la Compagnie ; ayez toujours sur vous et le texte du contrat que je vous ai donné hier et les chiffres qui sont consignés en ce contrat. 
 

C'est votre charte ; tenez-vous y mordicus. 
 

Mais il y a des cas où vous êtes forcés de subir l'abonnement au compteur.  


Peut-être même des convenances tout à fait particulières vous ont-elles engagés à choisir ce mode d'abonnement. 
 

Eh bien, sachez alors quelle est à cet égard l'étendue de vos droits. Rappelez vous qu'il y a dans le traité de 1880, traité passé entre la ville de Paris et la Compagnie des eaux, un article ainsi conçu : 
 

Les compteurs seront à là charge des abonnés, qui auront la faculté de les acheter directement parmi les systèmes acceptés et autorisés. 
 

Vous avez donc le droit de choisir vous-mêmes votre compteur parmi les systèmes approuvés par l'administration. Je crois que ces systèmes sont au nombre de trois. 
 

Les compteurs que vous pourrez acheter vous-mêmes, en vertu de cet article de loi, sont meilleurs, m'a-t-on assuré, que ceux qui sont fournis par l'administration de la Compagnie des eaux. 
 

Je n'oserais pourtant pas vous donner le conseil de choisir un autre modèle que celui qu'elle a poinçonné et qu'elle vous - offre. - 
 

C'est comme un fait exprès. Les meilleurs compteurs, les mieux faits et les plus réguliers, ne marchent jamais entre les mains des agents de la Compagnie qui sont naturellement, après que la pose en a été faite, chargés de les surveiller ou de les régler. 
 

(...)

Règle générale : un compteur ne marche que lorsque c'est le compteur de la Compagnie. 
 

C'est donc à la Compagnie qu'il faut vous adresser. 
 

Il y a deux systèmes en présence : Dans l'un, vous achetez le compteur à la Compagnie ; il vous appartient et vous êtes par cela même responsable de tous les accidents qui peuvent survenir dans le fonctionnement de cet engin. 
 

Dans l'autre, vous louez le compteur à l'administration et vous lui payez tant par an pour cette location. 
 

De ces deux systèmes, quel est le meilleur ? 
 

Réponse : 
 

Ils sont exécrables tous les deux et il n'y en a pas d'autre. 
 

(...)

Au lieu de cela, quand vous avez payé vos vingt francs, huit ou dix mois après on ajoute négligemment à votre police 6 francs pour entretien du compteur ; vous vous récriez d'abord : 
 

— Six francs! Pourquoi six francs? 
 

Vous pestez de tout votre cœur, mais vous finissez par payer, car l'agent ne manque pas de vous laisser entendre que si vous refusez de payer la Compagnie vous supprimera l'eau de son autorité privée. 
 

Vous les envoyez à tous les diables, mais vous lâchez les six francs ! 
 


Francisque Sarcey 
 


L'arrivée tardive du compteur d'eau s'explique par des problèmes techniques. Ils ont longtemps été trop imprécis pour qu'on ne puisse les tromper en laissant couler l'eau très doucement, d'où de très nombreuses fraudes. Ill. Gallica.bnf.fr


Les compteurs devaient être homologués par les laboratoires de la ville pour être acceptés.
Compteur Eyquem, annuaire Sageret, 1903



LA QUESTION DES EAUX 

 

Elle est revenue, cette année, plus aiguë que jamais à Paris. Les chaleurs exceptionnelles dont nous avons été accablés durant toute la première partie de juillet ont naturellement exaspéré chez la population le besoin d'eau fraîche et en ont décuplé la consommation, en même temps qu'elles diminuaient le volume d'eau débité par les sources qui alimentent les réservoirs de la Ville. Les Parisiens demandaient plus d'eau ; on en avait moins à leur donner.
 

Il est même arrivé un jour où l'administration a déclaré qu'elle se voyait, dans certains quartiers, forcée de délivrer aux abonnés, en dépit des stipulations portées sur les polices, de l'eau de Seine ou de canal, en place d'eau vive de source. Il y avait cas de force majeure ; l'eau de source manquait. 
 

Ajoutez que cette année précisément la perspective de cette pénurie d'eau était plus inquiétante pour les Parisiens qu'elle n'a jamais été. Tout le monde sait que, malgré les oracles allemands de M. Koch, l'eau est le grand agent de la salubrité publique. Il faut absolument, si l'on veut ne pas tomber malade, se laver et se laver beaucoup ; l'essentiel est d'avoir de l'eau propre pour se laver. 
 

Allait-on manquer d'eau? 
 

Les récriminations ont recommencé de plus belle contre le conseil municipal. On s'imagine qu'il n'aurait qu'à lever sa baguette magique, et que, tout aussitôt, des torrents d'eau couleraient dans les réservoirs. On ne se doute pas que si même aujourd'hui le conseil municipal se décidait à prescrire les travaux qui doivent amener à Paris de nouvelles eaux, ces travaux ne pourraient être achevés que dans trois ou quatre années. 
 

Il vaudrait mieux, cela est certain, que le conseil municipal se résignât dès aujourd'hui à voter des dépenses qu'il sera contraint de faire un jour, car, en fait d'eau, le trop n'est pas encore assez ! 
 

Mais on ne saurait trop le redire à la population parisienne. Même en l'état, il y aurait suffisamment d'eau à Paris pour tous les besoins, si on la ménageait mieux, si on ne la gaspillait pas. 
 

Je sais bien que ce mot de gaspillage sonne désagréablement aux oreilles de nos Parisiens. Ils en ont fait, il y a trois ou quatre ans, tant de plaisanteries et de gorges chaudes, que le préfet de la Seine n'a pas osé y revenir cette fois. Et pourtant, c'est là le nœud de la question. Si l'eau manque aux Parisiens, c'est qu'ils la gaspillent ; si leurs rues ne sont pas assez abondamment arrosées, si des bouches d'égout mal lavées s'échappent des odeurs pestilentielles, c'est que les éviers des petits ménages font baisser l'eau des réservoirs et risquent de les tarir. 
 

On avait cru remédier à cet inconvénient en proscrivant le robinet libre et en le remplaçant par le compteur (j'ai déjà sur ce sujet écrit tant d'articles que je ne crois pas utile d'expliquer encore une fois en quoi consistent le système du robinet libre et celui du compteur. Au reste, tous les Parisiens sont au courant de la question, dont ils ont appris les éléments par une expérience personnelle, qui leur a été fort douloureuse). 
 

L'administration s'était dit : 
 

— Pourquoi gaspille-t-on l'eau de la Ville avec tant de désinvolture? C'est qu'avec le système du robinet libre on paie toujours la même somme, quelle que soit la quantité que l'on en dépense. Le monsieur qui paie à l'année tant par robinet ne veille pas à verser plus ou moins d'eau ; il va sans prendre garde, du moment qu'il ne lui en coûte pas plus cher. 
 

On avait bien inventé des robinets qui se fermaient d'eux-mêmes aussitôt que la main qui les avait ouverts se retirait et ne les pressait plus : 
 

Mais il n'y avait rien de plus facile que d'attacher ces robinets et de les tenir ouverts à l'aide d'un engin fixe. 
 

Cette opération a même eu les honneurs d'un vocable particulier dans l'argot des ménagères parisiennes. Cela s'appelle : caler un robinet. Il n'y eut bientôt plus à Paris possesseur de robinet qui ne sût la façon de le caler. Les robinets avaient beau être à fermeture automatique, on pouvait les tenir artificiellement ouverts tout le jour et toute la nuit, et l'on ne s'en faisait pas faute. 
 

L'expérience ayant donc si peu réussi, l'administration et, derrière elle, la Compagnie des eaux, s'étaient rabattues sur le système du compteur qui, dans leur pensée, devait remédier à ces inconvénients. 
 

Mais le système du compteur n'apporta aucun allègement à cette situation. Au contraire ! Bien au contraire ! 
 

Pour comprendre cet au contraire qui vous rappelle l'au contraire du monsieur près de qui l'on s'excuse de lui avoir tait mal en lui marchant sur le pied, il faut être au courant des mœurs parisiennes. 
 

Vous savez que, dans les maisons de Paris qui ont un abonnement avec la Compagnie des eaux, il n'y a qu'un compteur, qui donne en bloc le chiffre des mètres cubes d'eau dépensés pour tous les locataires de la maison, depuis le rez-de-chaussée jusqu'au sixième étage. 
 

On ne peut pas mettre un compteur à l'entrée de chaque ménage ; ce serait une dépense beaucoup trop forte. 
 

Le compteur général marque donc la quantité d'eau débitée pour la maison, sans s'inquiéter de savoir si l'eau qu'il enregistre a été dépensée au premier ou au cinquième. 
 

C'est naturellement le propriétaire qui traite avec la Compagnie des eaux, et qui répond de l'eau enregistrée par le compteur. 
 

On calcule qu'en moyenne chaque maison dépense 45 litres par tête, par tête de locataire, par jour et par robinet (à moins que ce ne soient des robinets particuliers, comme ceux d'une salle de bains par exemple). C'est sur ces chiffres que table le propriétaire pour établir le minimum d'eau dont il demande la concession à la Compagnie, s'engageant, bien entendu, à payer les suppléments, s'il s'en trouve, au prix du tarif. 
 

C'est également sur ces chiffres que ce même propriétaire compte à ses locataires le prix de l'eau. Vous n'ignorez pas que sur la plupart des baux de location, en dehors du prix trimestriel de location, on mentionne tant pour l'impôt des portes et fenêtres, tant pour l'eau.?. 
 

Le propriétaire se récupère ainsi en détail sur chacun de ses locataires, au prorata et de l'importance du ménage et du nombre des robinets, de la somme qu'il est obligé de payer, de par sa police, à la Compagnie des eaux.  


Voilà qui est bien compris, n'est-ce pas ? ... 
 

Le propriétaire traite en bloc avec la Compagnie des eaux qui, grâce au compteur, vient lui dire tous les trois mois : 
 

— Vous m'avez pris tant de ma marchandise ; c'est tant. 
 

Il sous-traite en quelque sorte avec ses locataires ; mais il n'a point à son service de compteur qui le renseigne sur, la quantité d'eau que ses locataires dépensent. Il l'estime à vue de pays, selon le nombre de têtes et de robinets à 45 litres à peu près par robinet et par tête.
 

Qu'arrive-t-il ? 
 

Mais cet article serait trop long si je ne l'arrêtais ici. Car j'ai à présenter quelques considérations morales, dont se complique cette petite question économique. 
 

Francisque Sarcey





Compteur d'eau L'économique, 1910. Les compteurs divisionnaires, c’est-à-dire propres à chaque logement, permettent d’obtenir le relevé de la consommation réelle des habitants de l’immeuble. La loi n'imposant qu'un seul compteur pour l'abonnement de l'immeuble, les compteurs divisionnaires n'ont longtemps été installés que pour la fourniture d'eau chaude. Pour l'eau froide, il faudra attendre la loi SRU de 2000... et son application.



Le précédent article de l'Oncle, bien que frappé au coin du gros bon sens, ne pouvait qu'irriter des esprits moins conservateurs. En effet, en période de disette, est-il bien raisonnable d'interdire aux gesn modestes d'arroser leur jardin alors que nulle contrainte n'est imposée aux exploitants de golf ? En langage de l'époque : doit on accuser les petits ménages de caler leur robinet quand les nantis dépensent l'eau sans compter ?





LA QUESTION DES EAUX 

 

Je me doutais bien qu'en pariant aux Parisiens du gaspillage qu'ils font de l'eau qui leur est délivrée par la Ville j'exciterais leur colère et soulèverais toutes sortes de récriminations. 
 

J'avais dit, si vous vous en souvenez, que nombre de petits ménages, pourvus d'un robinet libre, ne se faisaient pas faute, quelquefois pour faire niche au propriétaire, le plus souvent pour donner en été un peu de fraîcheur à leur appartement, de laisser toute la nuit couler l'eau, en prenant soin de caler le robinet. 
 

J'avais lâché d'expliquer très clairement tout ce mécanisme, et je croyais avoir été bien compris. 
 

Voici la lettre que je reçois. Je la donne tout entière, sans en retrancher, sans y ajouter un seul mot. Je ne supprime que le nom de l'expéditeur, comme je fais toujours. Elle me paraît marquer, d'une façon très significative, l'état d'esprit où se trouve une partie de la population parisienne. 
 

Voici donc cette lettre : 
 

Monsieur, 
 

Depuis deux jours, au sujet de la question des eaux, vous tombez à bras raccourcis sur les petits ménages, qui, selon vous, sont la cause principale de la pénurie d'eau à laquelle nous sommes sujets chaque année. 
 

Les choses les plus simples embarrassent souvent les plus grands esprits et c'est là, monsieur, la seule circonstance atténuante que je puisse invoquer en votre faveur. 
 

Tout ce que contient votre article est faux ; ce ne sont que cancans de portiers.  


Vous déclarez être tout à la fois votre propriétaire et votre locataire; vous avez oublié de dire que vous étiez aussi votre concierge. 
 

C'est mal, monsieur, lorsque, possédant votre expérience, votre talent d'écrivain, on en est réduit, pour faire de la copie, à injurier des malheureux qui ne méritent certes pas vos récriminations. 
 

Je ne discuterai pas ce gaspillage décrit par vous dans le seul but de faire une « niche » à son propriétaire par le pauvre diable de locataire, car, cela serait supposer qu'une pareille niaiserie mériterait la discussion. 
 

La vraie question est ailleurs et vous avez bien garde d'en parler. On dirait même, eu essayant de lire entre les lignes, que vous avez intérêt à égarer la discussion. 
 

Lorsque vous voudrez, monsieur, avec votre bonne foi ordinaire, vous rendre compte de la situation, faites un tour au boulevard Haussmann et autres rues environnantes et vous verrez dans la cour d'une seule maison gaspiller dans une seule journée la quantité d'eau suffisante à l'entretien de tout un quartier d'ouvriers. 
 

De là vous irez au bois de Boulogne et vous serez obligé de reconnaître que la quantité d'eau employée à l'arrosage des voies que doivent sillonner les voitures de MM. ** suffirait à l'alimentation suffisante pour entretenir pas mal de nos rues où l'eau fait complètement défaut. 
 

Vous me paraissez ignorer ce qui se passe dans ces petits ménages où du reste vous n'avez jamais vécu. Ce que vous ne savez pas, je vais essayer de vous le dire. 
 

Malheureusement il y a encore dans Paris, et dans les quartiers populeux principalement, quantité d'habitations où l'eau fait défaut. Il faut descendre quatre, cinq, six étages pour avoir une eau presque toujours mauvaise. Là il n'y a pas de gaspillage possible. 
 

Quant aux maisons construites depuis quelques années et dans lesquelles on a l'eau dans son logement ; il y a là une population d'ouvriers, d'employés qui, du matin au soir, sont au dehors, livrés à leurs occupations, et là non plus n'est point le gaspillage, car dans la majeure partie de ces maisons, on ferme le robinet des eaux pendant une grande partie de la journée. 
 

C'est donc chez vous, messieurs les propriétaires, que l'eau est répandue à profusion, il n'est certes pas difficile de s'en convaincre avec un peu de bonne foi. 
 

J'espère, monsieur, que vous reviendrez de votre mauvaise appréciation ; les petits ménages attendent une réparation. 
 

Recevez, monsieur, mes sincères salutations. 
 

Il va sans dire que je ne prendrais pas la peine de répondre à cette lettre si elle n'était que l'expression isolée du mécontentement d'un esprit chagrin, qui est ravi de dauber sur le bourgeois. 
 

Mais il me paraît certain que mon correspondant est l'interprète inconscient d'une foule de braves gens qui pensent tout comme lui, parce qu'ils ne prennent pas plus que lui la peine de raisonner. 
 

Ainsi, voilà un homme qui me dit sérieusement : 
 

— Comment voulez-vous que nous gaspillions l'eau de l'administration ? nous n'avons pas de robinet ; nous sommes forcés de descendre quatre, cinq et parfois même six étages pour prendre de l'eau à la fontaine de la cour. 
 

— Mais, mon ami, si vous n'avez pas de robinet chez vous, il est trop clair que ce n'est pas de vous que j'entendais parler. Je ne peux pas vous accuser de gaspiller l'eau, puisque vous n'en avez pas à votre disposition. Vous me croyez décidément plus bête que je ne suis Je suis encore assez intelligent pour savoir que la première condition pour gaspiller de l'eau, c'est d'en avoir. 
 

Je ne visais donc, dans mon article, que ceux qui ont dans leur petit ménage un robinet d'évier. Ceux-là sont déjà fort nombreux à Paris. 
 

Eh bien ! mon correspondant aura beau s'insurger contre mon assertion, c'est un fait incontestable, c'est un fait dont les preuves abondent, et des preuves officielles, des preuves irrécusables ; aussitôt que les grandes chaleurs arrivent, tous les locataires (mettons presque tous, pour ne désobliger personne) calent leur robinet et laissent l'eau couler librement durant des six heures de suite. 
 

Et ce ne sont pas seulement les très petits ménages qui agissent de la sorte.

Je puis affirmer à mon correspondant que des personnes dont les locations sont très importantes ne font aucune difficulté de laisser leurs domestiques dépenser trois ou quatre cents litres d'eau courante pour rafraîchir une bouteille de vin. 
 

Mon correspondant trouve bon, à ce propos, de crier contre ces gueux de propriétaires! « C'est chez eux, dit-il, que l'eau est répandue avec profusion, et il n'est certes pas difficile de s'en convaincre avec un peu de bonne foi.» 
 

Je lui ferai observer que ces gueux de propriétaires n'ont pas tant qu'il le croit envie de gaspiller l'eau. Ils l'économisent au contraire ; car ils sont obligés de payer tout ce qu'ils en consomment. 
 

J'avais pris soin d'expliquer comment le propriétaire est astreint au compteur, qui enregistre tout ce qu'il a consommé d'eau, tandis que ses locataires usent du robinet libre. L'un a intérêt à la ménager ; pourquoi les autres se modéreraient-ils? 
 

Mon correspondant a l'air de me reprocher aigrement l'eau que j'emploie.

Il faut me rendre cette justice que tout au moins je ne la vole à personne. Car jamais je ne dépense la totalité de l'eau qui est marquée sur ma police d'abonnement et que je paie régulièrement tous les six mois. 
 

Il fait remarquer encore qu'avec la quantité d'eau que l'on verse sur la chaussée du boulevard Haussmann ou dans les allées du bois de Boulogne on alimenterait des milliers de petits ménages. Je lui répondrai que l'on arrose la rue Mouffetard tout aussi bien que le boulevard Haussmann, et le bois de Vincennes tout comme le bois de Boulogne. Et ne pousserait-il pas, lui tout le premier, de beaux cris d'indignation, si l'administration supprimait un jour l'arrosage des voies publiques, des jardins, des parcs et des squares ? 
 

Tout ce que j'avais dit et la vérité pure. Il est certain que le Parisien a une tendance fâcheuse à gaspiller l'eau qu'il ne paie pas. Il est certain aussi que ce gaspillage effréné tarit les réservoirs, et que si l'arrosage public est parfois suspendu, c'est la faute des particuliers qui ont inutilement versé droit à l'égout une eau pure et fraîche. 
 

Mon correspondant, au lieu de récriminer contre un homme qui a eu le courage de dire ses vérités à la population parisienne, ferait bien mieux de répandre ces articles dans le monde où il vit, et de m'aider à réformer des mœurs qui sont évidemment mauvaises. 
 

Francisque Sarcey




Mathurin Moreau a produit une cinquantaine de modèles pour les Fonderies du Val d'Osne. Cette grande fontaine d'applique (165 kg !) présentée dans le catalogue de 1881 est la reprise ...

... d'un bas relief qu'il avait réalisé en 1878 pour l'aile de Marsan du Louvre.










COMMENT ON LIVRE L'EAU 

 

Le mode de délivrance de l'eau n'est pas uniforme. Originairement, à la suite du traité de 1860 passé entre la Ville et la Compagnie des eaux la distribution était réglée : 
 

Par un robinet de jauge ; 

Par estimation ; 

Par compteurs ; 

et, pour les délivrances temporaires comme les constructions, par exemple, par attachement. 
 

Dans le premier système, l'eau est livrée par un écoulement continu, que l'abonné peut interrompre, ou qui est suspendu par la fermeture automatique du robinet de prise, mais qui est réglé de manière à fournir en vingt quatre heures le volume fixé par la police d'abonnement. Cette eau est emmagasinée dans un réservoir et consommée par l'abonné aux heures et dans le temps qu'il veut, mais le total dont il dispose par jour est rigoureusement limité. 
 

L'estimation était de 45 litres par tête quand on n'avait qu'un seul robinet, et de 33 litres par robinet supplémentaire s'il y en avait plusieurs. 
 

Le mode de livraison aux compteurs ne fut tout d'abord qu'employé de manière exceptionnelle, en raison du prix de ces instruments et surtout de l'imperfection de leur fabrication, qui ne permettait pas d'en faire des enregistreurs exacts.

Mais lorsque l'eau de source fut distribuée et que son emploi se fut généralisé, on reconnut bientôt que le volume dont on disposait serait bientôt insuffisant, si l'on n'arrêtait pas le gaspillage qui se trouvait facilité surtout par le système de l'estimation. 
 

L'administration chercha donc à imposer presque partout le compteur. Elle y a réussi comme on va le constater par le tableau suivant des abonnements en 1878 et en 1889




                                                                           1878                         1889

Abonnements à la jauge                                     16,858                       13,340

—                   à l'estimation (robinet libre)          26,217                       2,590

—                   au compteur                                     511                       51,670

I

(...) 
 

On peut dire que, parmi les capitales, Paris est une de celles où l'eau de consommation domestique est relativement bon marché, en même temps qu'elle est excellente. Malheureusement, le volume d'eau de source est encore insuffisant l'été et il faudra attendre quatre années avant qu'il soit augmenté.

Afin de réserver l'eau de source à l'alimentation, la Ville a arrêté pour les eaux de rivière, destinées plus particulièrement aux usages industriels, un tarif de 60 francs par mètre cube de consommation journalière, soit moitié du prix de l'eau de source à plein tarif. 
 

Actuellement, dans tous les quartiers indistinctement, l'eau qui fait le service public dans la rue, que ce soit de l'eau d'Ourcq, de l'eau de Seine ou de l'eau de Marne, est livrée aux riverains de cette rue au prix de 60 francs le mètre pour tous les usages industriels et commerciaux et, par extension, pour les arrosages des cours et jardins et le service des écuries et remises. 
 

La nécessité de se procurer de l'argent pour les dépenses énormes des nouvelles adductions a amené l'administration à étudier la question de savoir si, à Paris, on ne pourrait obliger tout propriétaire d'immeuble à avoir un abonnement aux eaux de la Ville. 
 

Malgré les facilités données aux propriétaires pour introduire l'eau dans leurs maisons, la moitié des immeubles de Paris reste encore privée d'abonnements aux eaux de la Ville. On ne peut voir, dans cette résistance au progrès, que l'intérêt des propriétaires qui reculent devant des dépenses d'installation, et surtout devant le prix que leur coûte l'eau à enlever dans les fosses d'aisance.

L'administration s'est donc demandé si, dans l'intérêt supérieur de la salubrité, il n'y aurait pas lieu de contraindre tout propriétaire d'un immeuble habité à y livrer l'eau nécessaire aux usages domestiques des locataires. 
 

Il est probable que, bientôt, soit à l'aide d'un décret, soit en vertu d'une loi, l'abonnement obligatoire fonctionnera et cela sera d'autant plus juste que les eaux coûtent à la Ville annuellement un million en plus de ce qu'elles rapportent.






Avant l'adoption du compteur, de nombreux systèmes alternatifs ont été proposés, dont les systèmes intermittents dans lesquels un ressort limitait le temps d'ouverture. Quelque ingéniosité qu'on déployât, l'abonné parvenait toujours à "caler" le système pour obtenir un écoulement continu.
"Jusqu'à ce jour, tous les systèmes adoptés, à vis, à clef, à repoussoir, etc, peuvent être calés à volonté; nos ménagères sont là pour l'attester; or là Ville de Paris n'a guère que 450.000 mètres cubes d'eau à dépenser par jour ; chaque robinet, calculé pour fournir 45 litres par personne, peut en débiter 50.000 par le calage ; ces chiffres suffisent à donner une idée de la dépense énorme d'eau qui peut se faire chaque jour en pure perle à Paris.
Le robinet intermittent automatique pouvait seul obvier à ces graves inconvénients; c'est là l'intérêt tout particulier que présente le système Chameroy." Gallica.bnf.fr







Moyens employés pour diminuer les abus.


Lorsque, malgré les prescriptions réglementaires, les abonnés en sont venus à un usage abusif de l'eau, et que la seule perspective d'une amende ou d'une pénalité quelconque est impuissante à combattre une habitude prise, on peut employer utilement, pour restreindre la consommation sans causer de gêne appréciable, certains appareils, qui se prêtent à l'usage normal de l'eau, mais, sont disposés de manière à limiter les dépenses inutiles. 
 

En première ligne il convient de mentionner l'emploi de robinets de calibre réduit. La plupart des robinets ordinaires sont plus gros qu'il n'est strictement nécessaire, et souvent il est possible d'en diminuer le débit de moitié ou des deux tiers sans qu'ils cessent de remplir suffisamment vite les vases de capacité ordinaire. De la sorte, en admettant qu'on laisse les robinets ouverts, les pertes d'eau sont déjà moindres. 
 

Viennent ensuite les robinets à repoussoir qui ne laissent passer l'eau que lorsqu'on les maintient ouverts a la main. Une pareille obligation, sans être trop gênante pour les usages courants, est de nature à limiter singulièrement les abus ; et l'emploi de ces appareils fournirait une excellente solution, s'ils étaient sûrement efficaces. Mais, quelque ingénieuses que soient les dispositions imaginées pour déterminer la fermeture du robinet dès que la main l'abandonne, l'ingéniosité de certains consommateurs en a presque toujours raison ; et il est peu de robinets à ressort, même parmi les plus perfectionnés, qu'on ne parvienne à caler, c'est-à-dire à maintenir ouverts aussi longtemps qu'on le veut, en paralysant l'action du ressort au moyen d'un bout de bois, d'une ficelle, etc. Néanmoins, ce type d'appareils rend d'incontestables services. 
 

On a proposé aussi d'autres robinets qui produisent le même effet d'une manière plus sure. Ce sont les robinets intermittents. Lorsqu'on a fait la manœuvre d'ouverture, ils laissent passer une quantité d'eau déterminée par un réglage préalable, sans qu'il y ait besoin de les maintenir avec la main, puis, ce volume d'eau écoulé, ils se referment spontanément par l'effet d'un mécanisme intérieur sur lequel l'usager n'a point d'action et dont il ne peut empêcher le fonctionnement ; il faut renouveler la manœuvre pour obtenir une nouvelle quantité d'eau. Le plus souvent, c'est la pression même de l'eau qui détermine la fermeture du robinet : dans le robinet Chameroy qui a été expérimenté à Paris, le temps de l'ouverture était limité par une sorte de cataracte, c'est à-dire par un très petit écoulement à travers un orifice capillaire qui finit par ramener l'obturateur dans sa position primitive. Le principe de ces appareils est excellent ; et quelques-uns méritent de se répandre, bien que le réglage en soit toujours un peu délicat et ne se maintienne généralement pas très longtemps sans modification.


Le Génie civil : revue générale des industries françaises et étrangères, 1906/02/17 (A26,N16,T48)




 
Devant la pénurie d'eau, on ne se contente pas de lutter contre gaspillage. De nouvelles sources sont mises à contribution : le Loing arrivera en 1900, accompagné du Lunain et de la Voulzie. D'autres projets ont été étudiés, comme un canal depuis la Loire ou ce projet de dérivation du Lac Léman pour alimenter Paris. Gallica.bnf.fr


 


Maintenant que le public demande de l'eau de source, quitte à la payer, l'administration municipale et la Cie Générale des eaux peuvent imposer leur loi et réclamer leur dû. On fait pression sur les propriétaires pour leur imposer l'installation de colonnes montantes jusqu'à rendre cette installation obligatoire (janvier 1892), et l'on supprime peu à peu tous les points d'eau gratuits.

Le génie Civil, n° 1001, 17 février 1906

 

LA LIMITATION AUTOMATIQUE DU DÉBIT
dans les bornes-fontaines et robinets. 

 

La lutte contre le gaspillage de l'eau potable, dans les distributions publiques, ne fait guère que commencer, et il ne paraît pas douteux qu'elle n'aille en s'accentuant avec le temps. D'un côté, en effet, la consommation ne peut que croître ; d'autre part, les services publics d'hygiène, dont l'action se précise de plus en plus, tendent à réduire les quantités distribuables, en exigeant une potabilité complète et garantie. Or, les sources donnant de l'eau toujours potable sont relativement rares et, en tout cas, de débits très modestes. Quant aux systèmes d'épuration et de filtration, ils ne fournissent des quantités importantes qu'au prix de frais considérables, rédhibitoires pour la plupart des municipalités. Il y a bien encore les filtres naturels, le long des fleuves et des rivières, les nappes souterraines et les grands lacs d'eau pure, mais combien sont rares les agglomérations à même d'en tirer parti! Heureuses celles qui peuvent y puiser. 
 

C'est ce que prouvera un jour, bientôt peut-être, l'exemple de Paris et l'imprudence commise par ses représentants en sanctionnant les combinaisons de plus en plus extraordinaires échafaudées pour l'alimentation de leur cité ; combinaisons qui depuis tant d'années leur coûtent cher et qui continueront à leur coûter cher, sans espérance d'atténuation ou de compensation sous aucune forme. 
 

Contre le gaspillage, une école d'Ingénieurs préconise le compteur, solution apparente, inefficace dans les périodes de l'année où l'abus est vraiment dangereux. Le compteur constitue un impôt de consommation dont le taux, souvent, dépasse la valeur du produit frappé, et qui atteint injustement une foule de consommateurs : c'est une solution de financier. Les bons payent pour les mauvais, ou plutôt tout le monde paye. De là vient, peut-être, que les compteurs sont si énergiquement défendus dans certains milieux. 
 

Il nous semble que la solution équitable doive être cherchée de préférence dans le perfectionnement des appareils à débit limité automatiquement, question qui offre un vaste champ à l'ingéniosité des inventeurs. En principe, ils résolvent le problème d'une façon complète, et parmi les nombreux modèles mis au jour, il ne paraît pas impossible d'en rendre quelques-uns tout à fait pratiques. 
 

(…)

D'ailleurs, un courant d'opinion marqué se manifeste aujourd'hui pour la suppression de toute borne-fontaine. Beaucoup de grandes villes, en France ou à l'étranger, paraissent entrer dans cette voie, qui n'est ni généreuse ni démocratique, et qui n'est peut-être pas juste. 
 

Ce sont des considérations financières plus que toutes autres qui conduisent à de semblables mesures. C'est qu'en effet, une borne publique est une cause de limitation des installations d'eau dans les immeubles, là où ces installations ne sont pas obligatoires, et une cause de limitation de leur usage, là où elles sont obligatoires et où les locataires subissent naturellement la répercussion des frais. 
 

La vente de l'eau s'en ressent, et les vendeurs qui sont tout puissants contre le public en cette matière, étant en effet, ou l'Administration elle-même, ou un entrepreneur concessionnaire avec un solide cahier des charges, se plaignent et s'attaquent à tout ce qui les gêne. 
 

C'est pour cela que les bornes-fontaines sont menacées, et elles doivent se faire très modestes pour se défendre utilement. Leur vraie formule serait de ressembler à une pompe, c'est-à-dire d'obliger le puiseur à comparer la peine qu'il se donne et le petit profit qu'il en retire ; on ne verrait pas alors, peut-être, se commettre cette injustice envers les plus pauvres que constitue, en définitive, la suppression de tout moyen de se procurer gratuitement de l'eau potable dans une cité, c'est-à-dire la suppression des bornes. 
 

P. Aristide BERGÈS, Ancien Directeur du Service des Eaux de Lyon. 



La maison salubre est définie à la fin du XIXe siècle, mais il reste beaucoup à faire pour imposer partout le tout à l'égout et l'eau dans les appartements.
16, rue Gauthey, XVIIe ardt. L'arrivée de l'eau distingue maintenant un immeuble qui arbore sa plaque comme une décoration.

268, rue de Belleville, XXe ardt. Autorisé sous certaines conditions en 1886, le tout à l'égout devient obligatoire au niveau national en 1894.




Juillet 1921. Agence Rol. Ill. Gallica.bnf.fr. Le nombre des bornes-fontaines décroït rapidement avec l'arrivée de l'eau dans les immeubles. Cette disparition de l'eau gratuite va d'ailleurs brouiller l'idée du progrès que représente l'eau à domicile chez les habitants des immeubles insalubres dont les propriétaires tarderont à en payer l'installation.
 



Les bornes fontaines Bayard, encore présentes dans les squares et les cimetières, sont les derniers témoins (avec les fontaines Wallace) de l'époque où l'on pouvait se désaltérer ou se laver les mains gratuitement à Paris. Lorsqu'elles sont entretenues, elles témoignent d'une époque où l'obsolescence n'était pas encore programmée.


Ce modèle impose à l'utilisateur de tourner la manivelle avec une main pour obtenir de d'eau. Impossible alors de "caler" le robinet pour s'abandonner à un coupable gaspillage.


Le robinet à poussoir était aussi utilisé. Mais les petits malins trouvaient toujours une technique pour le "caler".

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