Où la décoration inhabituelle d'un immeuble, piquant notre curiosité, nous fait découvrir l'hommage qu'un Savouré, alors directeur des Écoles libres de Charonne, rendait à l'œuvre de ses ancêtres
Rue de la Clef, il y avait naguère une geôle plus bénigne, une célèbre institution qui remontait à 1729, et dont les derniers élèves sont de jeunes contemporains. M. Céard a raconté quelque part ses excursions quotidiennes de la rue de la Clef au lycée Henri IV, le chemin du collège, comme on disait, sous la conduite des maîtres de l'institution Savouré ; le romancier moderniste en avait conservé des impressions très originales.
Il y a dix ans, je n'avais jamais
entendu parler de l'Institution Savouré, j'avoue mon ignorance ; mais
j'avais été frappé par la façade qui donne sur le jardin. La rue
Monge venait de la mettre au jour en éventrant ses terrains, et la
surprise en était délicieuse. Un grand catalpa dépassait le mur
refait à neuf; derrière la grille on apercevait le toit coiffé de
lucarnes vieillottes, une aile à angle droit, un seul étage de
fenêtres hautes et larges ; au rez-de-chaussée, les cuisines
basses, le vestibule spacieux au vitrage baroque ; sur la façade, des
bustes de héros antiques qui se répètent sur un mur latéral
treillagé d'élégants compartiments à la mode du siècle dernier.
Le 95 rue Monge en 1917. Noter sur les murs les bustes des bons dieux. |
La bonne mine du logis était un
singulier attrait à la curiosité : j'avais découvert la pension
Savouré comme La Fontaine découvrit Baruch, à cela près que
tout le monde la connaissait, une vraie maison historique.
C'est en 1729 qu'elle fut fondée dans
la rue Copeau (Lacépède), sous les auspices du grand éducateur
Rollin, par J.-B. Savouré, dont la dynastie n'est pas éteinte ;
son fils l'installa en 1779 dans l'hôtel actuel qui avait appartenu
à Pierre Danès, savant illustre et grand personnage du seizième
siècle.
Le grand portail de la rue de la Clef
avait été déjà remanié quand y entra J.-B.-Louis Savouré ; car
il ne remonte pas au delà du dix-septième siècle, à l'époque
de Louis XIII, ainsi que les belles fenêtres à balustres.
La noblesse extérieure des choses
n'est pas indifférente : les Savouré l'avaient si bien compris
que, dans leur imposante demeure, ils conservèrent longtemps
eux-mêmes la tradition de l'habit à la française, manchettes et
jabot de dentelles, et donnèrent toujours à leurs élèves
l'exemple d'une tenue parfaite.
On ne reconstitue pas aisément, sous
l'impression des mœurs actuelles, la physionomie d'une telle
institution, où la religion dominait tous les enseignements,
religion sincère et intime, avec une élévation morale qui forma
d'illustres élèves. Ce n'est pas assurément à une pareille
discipline que nous devons les bandits du Panama ; les boîtes,
comme on appelle aujourd'hui au quartier des Écoles, les
institutions modernes, nous donnent bien l'idée de celle génération
nouvelle de potaches sans lettres et sans convictions.
Sur le chapitre des mœurs on ne
badinait pas dans la pension Savouré.
En 1796, le général Bonaparte
partait pour l'armée d'Italie : il voulut, pendant son absence,
assurer l'éducation de son frère Jérôme, âgé de douze ans, et
le confia à M. Savouré, fort étonné de celle faveur. Le
correspondant du jeune homme était Barras ; il l'abandonnait à ses
aides de camp qui n'étaient pas précisément des auxiliaires pour
l'instituteur. Après des sorties prolongées en si bonne
compagnie, la santé de l'élève déclina rapidement. M. Savouré
n'hésita pas à écrire une lettre sage et ferme au tout-puissant
Barras, qui se contenta de retirer Jérôme ; et, à son retour, le
général en chef de l'armée d'Italie retrouva son frère dans une
pension de Saint-Germain-en-Laye (1).
Une autre anecdote qui fait honneur à
l'ingénieuse prudence de Mme Savouré elle-même. En 1793,
l'institution avait un terrible voisin, Henriot, qui la déclara
suspecte. Voyez le prétexte : les bustes de la façade, les
statues qui ornent encore le grand escalier, c'étaient des bons
dieux. Il n'en fallait plus; peut-être aussi savait-on que la messe
se célébrait tous les dimanches dans le réfectoire. L'affaire
pourtant s'arrangea, grâce à la promesse d'un repas civique : la
table des élèves serait dressée en pleine rue. Civisme et probité
n'étant pas toujours synonymes, l'argenterie allait courir de
terribles risques ; la bonne ménagère imagina un menu qui
supprimerait cuillers et fourchettes : du fromage, des artichauts,
que sais-je ? Et l'argenterie fut sauve.
La maison de la rue de la Clef,
charmante en sa vétusté, valait bien cette digression. N'est-ce
pas une. joie de se retremper dans ces bonnes vieilles mœurs,
évanouies ?
(1) Jérôme Bonaparte fonda plus tard
une bourse dans l'établissement de la rue de la Clef.
La façade du 25 rue de la clef, peu avant sa démolition en 1969. (Commission du Vieux Paris) |
Scribendi recte, sapere est et principium, et fons.
Rem tibi Socraticæ poterunt ostendere chartæ ;
Verbaque provisam rem non invita sequentur.
Qui didicit patriæ quid debeat, et quid amicis ; (etc)
Horace, Art poétique, vers 309-312
Rem tibi Socraticæ poterunt ostendere chartæ ;
Verbaque provisam rem non invita sequentur.
Qui didicit patriæ quid debeat, et quid amicis ; (etc)
Horace, Art poétique, vers 309-312
Le bon sens des beaux vers est la source première.
Poêtes, de Socrate apprenez à penser,
Vous parviendrez sans peine à vous bien énoncer.
L'écrivain qui connait les sentiments d'un frère,
Les droits de l'amitié. la tendresse d'un père, etc.
(Traduction de Fénelon)
Poêtes, de Socrate apprenez à penser,
Vous parviendrez sans peine à vous bien énoncer.
L'écrivain qui connait les sentiments d'un frère,
Les droits de l'amitié. la tendresse d'un père, etc.
(Traduction de Fénelon)
Les horaires de travail des élèves dans une autre institution, internat lié au Lycée Charlemagne. L'institution Massin, rue des Minimes (IIIe ardt) en 1839.
Ils étaient soumis à une rude discipline, et s’en accommodaient parfaitement, eux et leurs mères. Ils ne se plaignaient pas à cette époque d’être surmenés. A cinq heures du matin, été comme hiver, le tambour les réveillait. Ils sautaient à bas du lit, entraient à la chapelle, de là à l’étude, où ils restaient jusqu’à sept heures et demie. Après ces deux heures de travail, ils avalaient une assiettée de soupe et se rendaient en rang, deux par deux, à Charlemagne. Ils devaient être en classe à huit heures. A dix heures, ils en sortaient, retournaient à l’institution et, sans aucun répit, on les bouclait à nouveau dans une étude qui durait trois heures d’affilée, de dix heures un quart à une heure un quart.
A ce moment, on déjeunait. Enfin !... Vous pensez si ces jeunes estomacs devaient être affamés ! Mais on leur accordait
en tout une demi-heure pour le repas et la récréation. Car il
fallait être à deux heures précises à Charlemagne. A quatre
heures, retour, goûter, et récréation de vingt minutes ;
enfin la grande étude, qui durait de quatre heures trois quarts
jusqu’à dix heures du soir (pour les grands) avec
interruption d’un quart d’heure, à huit heures et demie, pour le
souper.
Journal de jeunesse de Francisque Sarcey (1839-1857) / recueilli et annoté par Adolphe Brisson. et suivi d'un choix de chroniques (Fagots, Notes de la semaine, Grains de bon sens) / préface par O. Gréard,...
Journal de jeunesse de Francisque Sarcey (1839-1857) / recueilli et annoté par Adolphe Brisson. et suivi d'un choix de chroniques (Fagots, Notes de la semaine, Grains de bon sens) / préface par O. Gréard,...
A l'emplacement de l'Institution, splendide bâtiment de style Pompidou. Env. 1970. 95, rue Monge, Ve ardt. |
L'institution Savouré est créée rue Copeau (Lacépède) en 1729. Elle s'installe au 25 rue de la Clef en 1779. Après le percement de la rue Monge, elle ferme et la famille crée une nouvelle école au 81 rue de Ménilmontant vers 1875.
Directeurs :
Jean-Louis Savouré : 1729-1770
Jean-Baptiste-Louis Savouré : 1770-1803
Jean-Louis-Marie Savouré : 1803-1829
Jean-Henri (dit Achille) Savouré : 1829-1866
Alfred Savouré : 1866-1871
Jean-Baptiste-Louis Savouré : 1770-1803
Jean-Louis-Marie Savouré : 1803-1829
Jean-Henri (dit Achille) Savouré : 1829-1866
Alfred Savouré : 1866-1871
Notice historique sur l'Institution Savouré / Louis Lacroix. Paris, 1853
Les anciennes maisons de Paris sous Napoléon III : T. IV / Charles Lefeuve. Bruxelles, 1858-1864
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