vendredi 13 décembre 2013

La famille Gennerat






Marie Augustine Virgine Gennerat (1861-1881). Médaillon de Duchoiselle. 5 bd Morland, IVe ardt.

Où, ne parvenant pas à construire un billet, nous proposons des fragments que le flâneur complètera de ses rêveries




 
Certaines recherches n'aboutissent jamais, et ce sont celles qui nous prennent le plus de temps. Partant d'un détail architectural, d'une bizarrerie, d'une inscription à demi effacée, nous cherchons à identifier son origine ou sa signification. Quand la solution est facilement trouvée, le sujet ne vaut pas la peine d'être traité une fois de plus, à moins de le présenter sous un angle inédit, mais lorsque le brouillard se dissipe enfin au terme d'un labeur acharné, nous composons notre billet avec la fierté d'un Schliemann, même si, à bien y regarder, notre contribution à l'avancée de la science est assez mince.
Cependant, il arrive qu'après de longues recherches, nous ne ramenions dans nos filets que quelques débris, des pièces de puzzle toujours séparées les unes des autres par une large absence de documents fiables.

Permettez qu'entre deux copieux épisodes de bacchanales d'enfants, nous déposions, comme le biffin offre à la vue des passants quelques chaussures dépareillées sur un trottoir des Puces, les fragments d'un billet inachevé.
Et pour combler les manques, il nous reste la rêverie, qui est la meilleure amie du flâneur.



LG, monogramme de Léon Auguste Génnerat (1832-1914), architecte, propriétaire et habitant du 5 bd Morland, IVe ardt.



Nous trouvons la première trace d'un architecte nommé Gennerat dans des souvenirs de la guerre franco-prussinenne de 1870. En septembre 1870, il est occupé à superviser la construction de défenses inutiles en tant qu'"ingénieur des barricades" d'un secteur de Paris. Il y a toutes les chances que nous soyons là devant Léon Auguste Gennerat, né le 10 mai 1832 à Romilly sur Seine (Aube), puisque dans un autre ouvrage, on lui donne la qualité d'architecte.



Il serait, en effet, difficile d'analyser les hautes fantaisies de ces barricadiers dont le ministre des travaux publics n'avait jamais pris la peine d'examiner ni d'approuver les projets. La vérité, c'est qu'ils n'avaient pas de plan arrêté, et que le pur caprice républicain présidait seul au tracé si bizarrement tourmenté de leurs prétendues défenses. Le meilleur exemple que nous en puissions citer, c'est l'œuvre d'un sieur Gennerat, qui se disait ingénieur du 8e secteur, et dont les élucubrations, traduites en coûteux remuements de terre, tatouèrent si singulièrement le plateau de Montsouris, à la grande désolation de l'amiral Méquet.

Histoire de la défense de Paris en 1870-1871, par le major H. de Sarrepont, 1872


Léontine Clotilde (187?-?) ou Cécile (1869-1922) Gennerat, Médaillon de Duchoiselle. 5 bd Morland, IVe ardt.


Léontine Clotilde (187?-?) ou Cécile (1869-1922) Gennerat, Médaillon de Duchoiselle. 5 bd Morland, IVe ardt.





Nous le retrouvons plus tard architecte (membre de la Société Centrale des Architectes), mais pas des plus originaux. Il a dessiné de très nombreux bâtiments à travers tout Paris, trop nombreux et trop anonymes pour qu'on les énumère ici.
Après deux immeubles en 1868, il disparaît jusqu'en 1878.
Parmi les constructions commencées cette année là, l'hôtel particulier du 5 Bd Morland où il emménage en 1880.
Marié depuis 1867, père de quatre enfants, il orne fièrement sa façade de quatre médaillons qui présentent au passant les profils de ses trois filles et de son fils, et lui valent sa présence dans ce billet.
Cet hôtel particulier, qui est aussi le siège de son agence, est la première construction effectuée sur ce qui était un ancien dépôt de marchandise, (sans doute du bois transporté sur la Seine), puisque le petit bras de la Seine qui isolait l'île Louviers n'a été comblé qu'en 1844 et qu'auparavant, le Bd Morland était le Quai Morland.




Le Bd Morland succède à l'ancien Quai Morland. l'Ile Louviers était un dépôt de marchandises transportées par bateaux. Plan de 1839.



On trouve des constructions signées Gennerat ou A. Gennerat jusqu'en 1895. Dans les années 1880, l'architecte collabore souvent avec le jeune Edmond Belot (1857-1890), domicilié au 3 du Bd Morland, qui sera par la suite employé par l'administration des Monts de Piété et dessinera les succursalles du 13, rue de l'Équerre, du 9bis, rue Bellot, et de la rue Capron.


La plupart des immeubles de Léon Gennerat ne portent pas de signature. De plus, le monogramme du 5, bd Morland laisse supposer que son prénom usuel était Léon, et non Auguste. A. Gennerat signifie donc "Alexandre Gennerat".



Son fils Alexandre (1867-1941) est lui aussi architecte. Si on peut lui attribuer les constructions signées Gennerat ou A. Gennerat à partir de 1889, nous ignorons ce qu'il devient à partir de 1895, date de sa dernière construction, au numéro 7 de la rue d'Alexandrie.

Mais n'est-ce pas lui que nous retrouvons dans ce fait divers de 1897 ?



Villeneuve-Saint-Georges. Hier, à quatre heures du soir, à Ablon, Alexandre Genera, âgé de vingt-huit ans, architecte, célibataire, a tiré trois coups de revolver sur son beau-frère Gérard, âgé de cinquante ans, également architecte à Ablon.
Ce dernier, au premier coup, a été atteint et est tombé ensuite dans la Seine au bord de laquelle le drame avait eu lieu.
Le meurtrier ne semble pas jouir de toutes ses facultés. Il s'est enfui aussitôt dans la plaine d'Orly où la gendarmerie de Villeneuve-Saint-Georges le poursuit.
Son arrestation est imminente.

Le Petit Parisien, 19 février 1897


  
Villeneuve-Saint-Georges. Un accès de folie. Un drame s'est déroulé hier sur les bords de la seine : M. Alexandre Genero, architecte à Ablon, célibataire, a dans un accès d'aliénation mentale, tiré un coup de feu sur son beau-frère, M. Gérard, et l'a blessé légèrement.
A la suite de cette agression, le blessé est tombé dans la Seine, d'où il a pu sortir presque aussitôt, non sans essuyer deux autres coups de feu qui ne l'ont pas atteint.
Le meurtrier a été arrêté par la gendarmerie de Choisy-le-Roi.

La Justice, 21 février 1897

  
Villeneuve-Saint-Georges. Nous avons annoncé dernièrement qu'une tentative de meurtre avait été commise par le nommé Alexandre Gennerat, âgé de trente ans, commis architecte, sur son beau-frère, M. Auguste Gérard, âgé de trente et un ans, architecte, 7, rue de la Mairie, à Ablon.
Le meurtrier, qui était en fuite, vient de se constituer prisonnier à la gendarmerie de Choisy-le-Roi, qui l'a ramené à Villeneuve-Saint-Georges. M. le procureur de la République de Corbeil vient d'interroger longuement l'inculpé. Celui-ci a déclaré qu'il n'avait pas voulu tuer son beau frère, mais le blesser légèrement, pour se venger de sa famille qui l'avait fait interner à deux reprises différentes à Ville-Evrard. L'état de la victime est toujours très grave. D'après les renseignements recueillis au cours le l'enquête, Gennerat serait atteint de folie mystique.

Le Petit Parisien, 22 février 1897

Similitude du nom, de la profession, de l'âge du criminel ? On pourrait le penser. Mais, fidèle lecteur, est-il dans les habitudes de Paris Myope de vous servir des hypothèses sommairement étayées ? Sachez qu'en 1892, une sœur d'Alexandre Gennerat, Léontine Clotilde, avait épousé M. Auguste Gérard. Et c'était bien le nom de la victime.




Paul Alexandre Gennerat (1867-1941). Médaillon de Duchoiselle. 5 bd Morland, IVe ardt.



Alexandre, diplômé des Beaux Arts en 1885 (architecte à 18 ans!) semble abandonner la profession dès 1898, puisque Gustave Goy prend sa succession tandis qu'il disparaît des annuaires. Mais l'a-t-il jamais exercée ? Son père, né en 1832 et qui ne décèdera qu'en 1914, n'a-t-il pas supervisé les travaux signés A. Gennerat ? La suite de l'enquête passe peut-être par les archives de Ville-Évrard, hôpital alors spécialisé dans le traitement des alcooliques (et dirigé, le monde est petit, par le médecin-chef Maurice Legrain, le fils du sculpteur Legrain que nous avons jadis croisé sauvant Dalou de la taxidermie).



Décoration d'un immeuble d'Alexandre Gennerat, rue Lagrange, Ve ardt.


Désormais, Léon, Alexandre et Marie reposent au Père Lachaise, où en 1881 une chapelle a été édifiée. Le passant y remarque une jeune fille agenouillée devant son prie-Dieu, bronze du même Duchoiselle qui avait modelé les médaillons du bd Morland.



Marie Augustine Virginie Gennerat (1861-1881). Bronze de Duchoiselle.Cimetière du Père Lachaise, 63e division, 6e ligne, XXe ardt.







Marie Augustine Virgine Gennerat (1861-1881). On remarque que la coiffure est la même que sur le médaillon exécuté peu avant.  Bronze de Duchoiselle. Cimetière du Père Lachaise, 63e division, 6e ligne, XXe ardt.


Marie Augustine Virgine Gennerat (1861-1881). Verre peint.
Sépulture Gennerat. Cimetière du Père Lachaise, 63e division, 6e ligne, XXe ardt.




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