Reproduction des personnages du Vase Borghèse disposés de manière fantaisiste. Cour du 9, cité de Trévise, IXe ardt. Les bâtiments de la Cité de Trévise ont été construits vers 1840. |
Où nous remarquons, à plusieurs reprises, un joueur d'aulos, des porteurs de thyrses et quelques danseurs aux étranges contorsions, et où nous apprenons comment la pièce originale s'est retrouvée au Louvre, même si les avis différent quant à l'honnêteté de la transaction.
BACCHANALE, SUR LE VASE BORGHESE
Ce grand et magnifique vase de marbre blanc, désigné sous ]e nom de marbre pentélique, est aussi remarquable par la beauté de sa forme que par le bas-relief dont il est décoré.
Quoiqu'il se trouve ici coupe en deux, il est facile de sentir que c'est une seule et même composition qui entoure le vase dans son entier, et qui représente Bacchus calme au milieu de l'ivresse de ses suivants. II parait prendre plaisir a écouter une bacchante qui joue de la lyre. Près d'eux un faune, dans une attitude forcée, tient un thyrse sur son épaule, il parait en avoir laissé tomber un autre avec lequel se joue la panthère couchée près du dieu des vendanges.
A la suite de ce faune, un autre, armé aussi d'un thyrse, soutient le vieux Silène, qui cherche à ramasser un vase, que son ivresse a fait échapper de sa main.
Une bacchante le précède en jouant des crotales, tandis qu'un faune joue de la double flûte. Plus loin un autre faune semble vouloir retenir une bacchante qui est à sa droite, et celle qui est près de Bacchus parait se tourner vers lui pour l'entraîner.
Ce vase, connu sous le nom de vase Borghèse est aussi désigné sous le nom de Médicis, parce qu'il a la même forme, mais on y voit des mascarons en place d'anses. II servait autrefois à orner les jardins de Salluste, et se voit maintenant au Musée français.
Haut. , 5 pieds 5 pouces .
Musée de peinture et de sculpture, par Duchesne aîné. 1831
Reproduction des personnages du Vase Borghèse disposés de manière fantaisiste. Cour du 9, cité de Trévise, IXe ardt. Les bâtiments de la Cité de Trévise ont été construits vers 1840. |
L'histoire de l'achat des Antiques Borghèse n'a pas encore été faite. A défaut d'une étude spéciale, on ne trouve chez certains historiens du Premier Empire qu'un bref paragraphe avec des erreurs importantes sur la date et sur le prix. Cependant les documents ne manquent pas et nous y avons largement recouru. Une question se pose d'abord : qui eut l'idée de cette vente, le prince Borghèse, Napoléon ou des collaborateurs de l'Empereur ?
Camille Borghèse était devenu le beau-frère du Premier Consul, en épousant Pauline Bonaparte le 5 novembre 1803. La renommée de sa famille, l'importance et la beauté des immeubles possédés à Rome et à Florence, la grandeur des domaines détenus dans les États Romains, le royaume de Naples et en Toscane, les alliances matrimoniales faisaient de lui un des premiers patriciens d'Italie. Il était en outre le possesseur d'une célèbre collection d'antiques, la première à Rome depuis que celle des Papes avait été découronnée de ses plus beaux fleurons par les clauses du traité de Tolentino et que la collection Albani avait été confisquée par le Directoire après l'assassinat du général Duphot. Le père de Camille, Marc-Antoine Borghèse, avait aménagé à grands frais le casino de sa magnifique villa hors des murs, entre la porte Pinciana et celle du Peuple, pour loger ce bel ensemble de statues et de bas-reliefs.
Pourquoi vendre ces marbres ? L'histoire des grandes collections montre que leur transfert n'a guère que deux causes : les exigences d'un vainqueur ou les difficultés financières du possesseur. Le premier cas n'est pas à envisager ici. Camille Borghèse avait-il donc besoin d'argent ?
Cela n'est pas douteux.
(…)
Il ne s'était pas enrichi en épousant, sous le régime de la séparation de biens, Pauline Bonaparte ; celle-ci n'eut qu'une dot de 500.000 francs, mais elle exigeait chaque année, pour ses dépenses de toilette seulement, 20.000 francs.
(...)
Planche des Antichita romanae gravée par Giovanni Battista Piranèse (1720-1798). |
A cet achat Napoléon voyait sans doute un double avantage. Il allégerait les soucis d'un membre de sa famille, d'intelligence médiocre, d'instruction quasi nulle, mais zélé et brave sur le champ de bataille. D'autre part cette acquisition permettrait à l'Empereur d'augmenter le nombre des œuvres d'art, trophées de sa puissance, dont il jugeait indispensable d'orner les palais et les musées de sa capitale. On sait combien il tint à se faire livrer la Vénus de Médicis et la Pallas de Velletri. L'idée d'acheter les Antiques Borghèse devait donc l'enchanter.
(...)
le 31 janvier 1806, [Daru] écrivait à l'Empereur : « Tout ce que fait votre Majesté a le même cachet de grandeur et Votre destinée amène la confection de tout ce qu'elle entreprend. Je savais et je n'osais presque me dire à moi-même que qui aurait rassemblé l'Hercule Farnèse, le Gladiateur Borghèse, l'Apolline de Florence, cent morceaux de second ordre et deux cents de troisième ordre qui existent dans les collections Farnèse, Borghèse et Florentine, aurait fait un musée comparable au Musée Napoléon. Ce que Votre Majesté vient d'arrêter d'y ajouter ne laisse aucune possibilité d'entreprendre et d'espérer rien d'égal... » Ceci précède une note sur les Antiques existant dans le royaume de Naples ; la chute des Bourbons avait sans doute paru à Napoléon une favorable occasion pour enrichir le musée du Louvre de quelques marbres de la collection Farnèse. Pour être discret, le rôle du Directeur du Musée Napoléon dans l'achat des Antiques Borghèse ne nous semble pas négligeable.
Daru exécuta assurément sans retard ce qu'ordonnait la note du 14 mai 1806, mais les registres de correspondance et les dossiers de l'Intendance Générale de la Maison de l'Empereur ne renferment aucune indication, aucune pièce documentaire aux dates où logiquement elles devaient être classées. Ceci doit être la conséquence du secret demandé par Napoléon. Aussi n'avons-nous pas le détail de l'évaluation faite par Denon, mais seulement une lettre à l'Empereur du 22 mai 1806. Il estimait â cinq millions la valeur marchande de la collection Borghèse, mais, en homme qui connaissait les embarras du prince Camille et les intentions de Napoléon, il affirmait que payer le double ne serait pas trop payer... Il saisissait cette occasion pour ajouter qu'en y joignant l'Hercule Farnèse, l'Apollino, le Rotatore et deux bas -reliefs de Florence, le Musée Napoléon serait la plus grande merveille du monde.
(…)
La collection Borghèse comptait, d'après Visconti, 523 articles dont 159 statues et groupes, 160 bustes et hermès, 170 bas-reliefs, vases, autels, sarcophages, sphinx, etc., 30 colonnes précieuses et 4 tables de marbres précieux. Il en fît un classement. Hors de toute comparaison et de toute estimation définitive, il inscrivit sept marbres d'un mérite transcendant : le Gladiateur pour 1 million de francs, le Faune avec Bacchus enfant pour 200.000, l'Hermaphrodite couché pour 180.000, le Vase Borghèse pour 200.000, la tête colossale d'Antinous pour 40.000, les têtes colossales de Lucius Verus et Marc-Aurèle pour 60.000 les deux : au total 1.680.000 francs.
Visconti classait objets de premier ordre une quarantaine d'ouvrages valant 710.000 francs ; soixante-dix antiques millions, ce serait encore un nouveau bienfait dont la France lui serait éternellement redevable. »
(...)
Le vase est évoqué au 40 de la rue des Blancs-Manteaux (IVe ardt.), sur un immeuble du début du XIXe siècle. |
Dans sa deuxième note, Visconti insistait sur l'importance de toute la collection et sur sa diversité. En troisième lieu, il émettait des doutes sur la capacité et l'éclairage des locaux du Louvre ; il se demandait si deux musées séparés ne conviendraient pas mieux, mais il n'allait pas très loin dans cette voie où il risquait de soulever l'hostilité de Denon. Enfin une quatrième note réfutait à l'avance les objections juridiques que le Pape pouvait faire à la vente.
A la fin de mai 1806, Daru était donc en mesure de présenter à l'Empereur les avis de Denon et de Visconti, assez différents, on l'a vu, pour ce qui était du prix, le premier parlant de 5 ou 10 millions, le second de 3.900.000 ou 5.200.000 francs. Rien ne nous est resté de ce qu'en dit Napoléon, mais on le devine : les deux experts furent priés de se mettre d'accord. En effet, en novembre 1815, Visconti rappela à Lavallée, collaborateur de Denon, « les évaluations de la collection Borghèse, tant celle qui fut faite par moi sur la commission de M. Daru alors Intendant de la Couronne, tant la seconde faite par moi réuni à M. Denon ». Le résultat de ce travail en commun nous est parvenu, car une copie en est jointe au décret d'achat.
En examinant ce vase avec notre obsession maniaque, nous distinguons à gauche une bacchante du Vase Borghèse. 64, rue de Sèvres, VIIe ardt. |
La nouvelle évaluation se tenait très près de celle qu'avait déjà faite Visconti. Les pièces exceptionnelles n'étaient plus que six, la tête d'Antinous étant exclue, mais leurs prix respectifs demeuraient les mêmes et le total était de 1.640.000 francs. Environ quarante ouvrages de premier ordre valaient ensemble 576.400 francs ; parmi eux, une Junon en porphyre : 60.000, le Centaure avec le génie de Bacchus : 60.000, une Vénus Victorieuse, 24.000, un Apollon Sauroctone : 20.000, le bas-relief des Danseuses : 30.000, le sarcophage de Méléagre : 20.000. Quatre-vingts antiques de second ordre étaient cotées 567.900 francs ; il y avait aussi pour 188.700 francs d'ouvrages de troisième ordre et 22.100 francs d'ouvrages de quatrième ordre. Une autre division comprenait les articles, non compris dans les catalogues dressés par Visconti dix ans plus tôt, estimés maintenant 791.000 francs dont 300.000 pour les objets ornant les façades. On arrivait ainsi à 3.786.100 francs. Des observations suivaient. Les unes étaient inspirées par Visconti : Si l'Empereur n'achetait que les six articles hors de pair, le prix pouvait passer sans exagération de 1.640.000 à 2.500.000 francs ; s'il prenait le tout, il pouvait " noblement et sans excès de magnificence porter la somme totale à cinq millions ". Deux autres paragraphes, dus sans doute à Denon, pressaient Napoléon de faire venir à Paris l'Hercule Farnèse « trois fois marqué pour la France », l'Apollino, le Rotatore et deux bas-reliefs de Florence.
L'évaluation Denon-Visconti est vraisemblablement de juin 1806. Or le décret d'achat ne fut signé que quinze mois plus tard, le 27 septembre 1807. Nous ne savons si ce long délai eut d'autres raisons que les soucis donnés à Napoléon par la guerre contre la Prusse et la Russie d'octobre 1806 à juillet 1807. Y eut-il, de la part de Camille Borghèse, une résistance que l'Empereur vainquit par sa générosité ? Peut-être. Il est de fait que le prix avait singulièrement grossi, passant des cinq millions prévus par Denon et Visconti à douze dans le premier projet de décret établi par le ministre des Finances Gaudin et à treize millions dans le décret enfin signé par Napoléon à Fontainebleau.
Camille Borghèse devait recevoir trois millions en numéraire (un en 1807, deux en 1808), le domaine de Lucedio situé dans le département du Pô et estimé cinq millions, et trois cent mille francs de rente qui correspondaient au cours de 80 à 84 à un capital de cinq millions.
Avatar du vase Borghèse. Marché aux puces de Saint-Ouen. |
Reproduction du Vase Borghèse, réduit à moitié de l'original, par le fondeur Lemire (Charles Gabriel Sauvage, 1741-1827). Revue L'art pour tous, 1872. |
Denon ni Visconti n'avaient osé imaginer pareille magnificence. Visconti pouvait dire à Lavallée en novembre 1815 que ses évaluations étaient « bien loin de monter pas même à la moitié de la somme qui fut donnée par l'Empereur au prince Borghèse à ce seul titre ». A la même époque, l'architecte Paris, qui prépara le transfert des antiques en France, répondait à Rome à une lettre de Cortois de Pressigny : « Au reste, Monseigneur, cette vente a été faite de la manière la plus volontaire de la part du Prince Borghèse et j'ai été mis en possession par son frère le Prince Aldobrandini. Je ne sais à quel prix elle a été faite, mais un adjoint qui m'avait été envoyé de Paris, M. Lorimier, qui vivait dans l'intimité de M. Cretet, m'a assuré plusieurs fois que d'une forte partie de ce prix le gouvernement avait payé les dettes du Prince Borghèse et que le surplus avait été converti en une rente viagère qui devait être payée au Prince tant qu'il habiterait en France, mais qui demeurerait éteinte dans le cas où il transférerait ailleurs sa résidence. Je conjecture que ce prix était très fort d'après une réponse de M. Cretet, ministre de l'Intérieur, sur la difficulté que l'on me faisait de me laisser enlever les piédestaux que l'intendant du Prince prétendait n'être pas compris dans la vente ; après en avoir conféré avec le Prince, le Ministre m'assura qu'ils en faisaient partie et ajoutait : Au prix énorme dont nous payons tous ces objets, les pavés même devraient nous appartenir ! »
II ne faut donc pas s'étonner si, malgré les réclamations assez inattendues de Camille Borghèse en 1815, ces antiques ne reprirent pas le chemin de Rome comme les marbres tirés du Vatican. Elles avaient été cédées par leur propriétaire par une transaction tout à fait banale ; il n'y avait d'anormal peut-être que le prix qui lui fut payé !
Boyer, Ferdinand. L'achat des antiques Borghèse par Napoléon. In : Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 81e année, N. 5, 1937. pp. 405-415.
Vase Borghèse. Musée du Louvre. |
Vase Borghèse. Musée du Louvre. |
Ce qu'il y avait de plus beau et de plus antique dans la villa Borghèse avait été enlevé pour le Muséum de Paris. En même tems que l'Empereur enchaînait quelque nouveau peuple, et faisait quelque nouvelle invasion, conquérant de statues et de tableaux autant que de provinces, il enrichissait la patrie de tout ce qu'offraient de plus précieux et de plus rare les capitales étrangères. Alors ou pouvait dire :
Rome n'est plus dans Rome, elle est toute à Paris.
Les propriétés particulières étaient ordinairement Soustraites à ces réquisitions scientifiques. Les établissemens et les propriétés publiques étaient ordinairement chargés de composer ce noble butin de la Victoire ; mais la villa Borghèse, plus riche que bien des capitales, renfermait trop de choses antiques pour ne pas tenter l'avidité de Napoléon. Voici comme on m'expliqua, sur les lieux, la manière qu'avait employée ce dernier pour enrichir notre Musée, du Gladiateur, de l'Hermaphrodite, et d'autres pièces uniques dans leur genre. Satisfait de la conduite du prince Borghèse, dans la campagne de 1806, où il s'était distingué avec le 2e régiment de cuirassiers, l'Empereur le chargea d'une mission importante pour Paris, et lui signa, à titre de gratification, un bon d'un million sur son trésor privé. Quand ces grands personnages se revirent, l'Empereur dit à Borghèse: « Je t'achètes tes statues, à combien peux-tu et veux-tu me les passer? »
"— Mais, sire, je comptais les garder.
"— Je ne te demande pas si tu as l'intention de les vendre, je te dis que je veux les acheter. »
Le prince Borghèse fit un prix fort élevé de plusieurs millions ; l'Empereur rabattit, marchanda, et enfin convint de 18 millions ; mais, retirant le don qu'il avait fait quelque tems avant, il dit à son beau-frère: « Tu as déjà reçu un million, cela ne fait plus que dix-sept. » On ajouta à cette curieuse anecdote une foule d'autres circonstances, non moins piquantes, sur le désespoir du prince et sur la lenteur même que le maitre-suprême apporta dans une liquidation déjà si onéreuse.
Mémoires d'une contemporaine / Ida Saint-Elme, 1827
Alors que le traité de 1814 ne prévoyait pas la restitution des œuvres d'art prises à travers l'Europe, et surtout en Italie, par Napoléon, les puissances alliées l'exigeront en 1815 pour punir la France des cent jours.
Si la Collection Borghèse est toujours au Musée du Louvre, c'est que son achat fut, à l'époque, considéré comme une transaction honnête.
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