vendredi 10 février 2012

Les reliques de Saint Vincent de Paul. 1 : préparatifs



Saint Vincent de Paul, curé de Clichy.
Vitrail de Théophile Laumonnerie, 1909. Clichy-la-Garenne, Hauts-de-Seine

Où le préfet Chabrol de Volvic se révèle un habile administrateur, partisan d'une charité... bien ordonnée.




LES RELIQUES DE SAINT VINCENT DE PAULE


Tous les journaux politiques ont annoncé l'exposition publique de la châsse de saint Vincent de Paule et la translation des reliques dans le couvent des Lazaristes. Mais ils n'ont pas parlé de la manière dont on a reconstruit ce saint, et c'est là le plus curieux. Les détails que nous allons donner, nous les tenons d'un témoin oculaire.

Lorsque l'on ouvrit dernièrement le cercueil qui contenait les restes de saint Vincent de Paule, on s'aperçut que le saint n'était pas complet. Il manquait les os d'un bras et d'une cuisse. De là, grand embarras ; qu'étaient devenus ces os si précieux ? Il était bien certain que saint Vincent de Paule avait ses deux cuisses quand il est mort ; il est non moins certain qu'il n'était pas manchot. On feuilleta les registres de l'archevêché, et la des documens certains rappelèrent qu'on avait exporté une cuisse en Amérique et un bras en Afrique, pour faciliter la conversion des hérétiques ou des infidèles.

Quand on se fut tranquillisé sur le sort de la cuisse et du bras de saint Vincent de Paule, on voulut procéder à sa reconstruction osseuse, pour pouvoir ensuite l'habiller comme un homme ordinaire et l'exposer aux yeux du public dans un état décent. Les chanoines de l'archevêché essayèrent d'abord eux-mêmes ce travail ostéogonique , car des mains sacrées devaient seules toucher des restes si précieux. Vains efforts ! Ils ne savaient à quel côté appartenait la cuisse, à quel côté appartenait le bras... Nouvel embarras ; on se décida alors, après délibération solennelle du chapitre, à appeler les premiers chirurgiens de la capitale.

Ces chirurgiens se rendirent à l'archevêché ; en une minute ils eurent reconstruit la charpente de saint Vincent de Paule, et se retirèrent sans demander le plus petit morceau des reliques ; remarquez bien ceci.


Saint Vincent de Paul bénit les premières soeurs de la charité. Vitrail d'Emmanuel Champigneulle, carton de Pierre Fritelcomme, 1888. Église Saint Laurent, Xe ardt.

Il fallut ensuite habiller le saint et procéder à sa toilette. Des sœurs furent chargées de ce saint ministère. Mais comme elles n'ont pas l'habitude d'habiller les hommes, elles s'y prient d'une manière si maladroite, qu'elles laissèrent choir le saint et lui cassèrent la seule cuisse qui lui restait.

Vous jugez de la désolation des sœurs, vous jugez de la désolation du chapitre et de l'archevêché. L'exposition de la châsse était annoncée à jour fixe ; le saint serait-il guéri pour le jour de la cérémonie ? Comment remettre cette fracture ? On rappelle les chirurgiens.

Ces messieurs arrivent, trouvent tout le monde dans l'inquiétude et la douleur … Eux, sans s'émouvoir plus que s'il s'agissait seulement du fémur d'un homme ordinaire et vivant, rapprochent les deux parties de l'os, mettent sur la cuisse un premier appareil en fil de fer, saluent la sainte compagnie et s'en vont.

Enfin, le saint est habillé, enchâssé, exposé.

Les princesses, madame la dauphine et madame la duchesse de Berry, vinrent visiter la châsse et les reliques ; les princesses ne demandèrent pas le plus petit morceau des reliques ; remarquez bien encore ceci.

Saint Vincent de Paul. Chapelle Saint Vincent de Paul. 95 rue de Sèvres, VIe ardt.

Puis, M. Chabrol, notre préfet de la Seine, et M. Mangin, notre préfet de police, allèrent visiter la châsse et les reliques ; ils se prosternèrent d'abord ; et, après avoir fait leur prière, ils témoignèrent à l'archevêque leur admiration pour les vertus du saint et pour l'élégance de ce tombeau d'argent qui contenait ses reliques. Sur ce une conversation commença.

Je ne sais si saint Vincent de Paule eut quelque place et surtout s'il eut surtout le talent de s'y maintenir ; je serais tenté de le croire ; car MM. De Chabrol et Mangin voulaient obtenir chacun une petite parcelle des reliques. Après bien des circonlocutions, ils arrivent enfin à leur but et présentent humblement leur requête à l'archevêque. Ce prélat refusa. Ces reliques étaient trop précieuses. « Mais, monseigneur, dit M. de Chabrol, songez que j'ai une nombreuse famille ; c'est par intérêt pour elle que je vous fais cette demande. Ces reliques porteront bonheur à toute la famille des Chabrol. --Songez, monseigneur, ajouta M. Mangin, songez que j'ai huit ou dix enfans ; aucun n'est encore placé. Ces reliques nous porteront bonheur. »

Monseigneur l'archevêque fut inflexible. MM. De Chabrol et Mangin le quittèrent. M. de Chabrol ne salua pas moins le prélat avec toute son affabilité administrative ; M. Mangin ne put contenir l'expression faciale de son humeur, et sa figure devint encore plus maussade qu'à l'ordinaire.

Sur la place Notre-Dame, ces deux administrateurs se quittèrent. M. Mangin, en grondant, s'en alla tout droit à sa préfecture, mais les Chabrols sont plus malins : ils savent que ce que l'ont n'obtient pas pour deux, on peut l'obtenir seul : aussi il retourne secrètement sur ses pas, va retrouver monseigneur l'archevêque et renouvelle sa demande. Il fut si aimable, si aimable, si séduisant, qu'on ne put lui refuser, d'ailleurs, il demandait une si petite relique ! Puis M. Mangin n'en saurait rien : le secret le plus rigoureux serait gardé. Monseigneur l'archevêque se laissa donc séduire : il détacha un petit os carpien ou métacarpien, et le remit entre les mains du bienheureux M. de Chabrol, qui a commandé tout de suite une petite châsse d'argent.

Quelle est la morale de tout ceci ? C'est que M. de Chabrol est un plus grand administrateur que M. Mangin ; c'est que maintenant M. de Chabrol est sûr de rester préfet , mais que M. Mangin... Pauvre M. Mangin et sa nombreuse famille !

Gazette littéraire. Paris. 29 avril 1830


Saint Vincent de Paul. Vitrail de Charles Champigneulle, vers 1885.
Église Notre-Dame, Saint-Mandé, Val-de-Marne.


MERCREDI 26 MAI 1830

Suite de l'extrait des procès-verbaux relatifs au corps de saint Vincent de Paul
M. l'archevêque ayant désiré que quelque portion des reliques fût donnée à l'église Notre-Dame, à l'église Saint Vincent de Paul, à Paris, à l'église de Clichy, à la maison principale des Filles de la Charité, à l'hospice de la Pitié, à l'Hôtel-Dieu et à la cathédrale de Versailles, MM. de Saint-Lazare ont déclaré y consentir. Ils ont demandé de leur côté qu'on leur abandonnât la caisse de chêne où le corps avoit été long-temps renfermé, ainsi que les linges, l'aube, les gants, l'étole, les souliers contenus dans cette caisse ; M. l'archevêque leur a fait délivrer la caisse et les objets.
A la fin de la séance du 6 avril, le corps du Saint avoit été déposé provisoirement dans l'Oratoire de M. l'archevêque. Le 10 avril, M. l'abbé Desjardins, grand-vicaire, trois chanoines, quatre des MM. de Saint-Lazare et les quatre médecins nommés précédemment se sont réunis dans ce lieu, sur l'invitation de M. l'archevêque. Les médecins ont disposé les ossemens dans leur position naturelle et ont rattaché ceux qui en avoient besoin. On a pris des précautions pour préserver la relique de l'action de l'air. Tous les ossemens ont été entourés et garnis de ouate de soie, et la poitrine remplie de ouate et de charpie. Des rubans ont été disposés pour assujétir les différentes parties du corps, et quatorze sceaux ont été apposés à divers endroits. Le corps a été revêtu d'une tunique de soie blanche, d'une aube d'un riche travail donnée par une personne pieuse, d'une étole de moire violette richement brodée en or et donnée par les Filles de la charité, d'une soutane et d'une ceinture de soie noire, d'un rochet à grandes manches à la romaine, d'une étole pastorale d'étoffe d'or richement brodée en or, donnée par M. l'archevêque, de bas de soie noire et de souliers de velours noir. La tête est couverte .d'une large calotte de soie noire, et on y a adapté une représentation de la figure en cire. On a fait également une représentation des mains en cire. Entre les mains, on a placé un crucifix d'ivoire avec un petit reliquaire d'argent, ce crucifix étoit dans le trësor de Notre-Dame, et l'on croit qu'il a servi à saint Vincent de Paul pour exhorter Louis XIII à la mort. Le corps a été fixé sur un coussin de velours violet, et p!acë sur une estrade, pour demeurer exposé dans l'Oratoire à la vénération des personnes que M. l'archevêque a bien voulu admettre jusqu'au moment de la translation. Le procès-verbal est signé des chanoines, Lazaristes et médecins. De plus, il fait mention des portions de reliques distribuées à différentes églises et communautés. M. l'archevêque s'est réservé une moitié du tiers inférieur de la moitié supérieure du radius droit, et a réuni au corps la main droite qui lui avoit été d'abord destinée.



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