Une autre visite aux verrières du cloître du charnier de l'église Saint Étienne du Mont nous permet d'observer une curieuse composition symbolique : le Pressoir mystique. Émile Mâle nous explique la signification et le contexte de ce vitrail.
Le thème du Pressoir mystique
se montre chez nous pour la première fois au XVe siècle. Il
apparaît dans un manuscrit de la Bibliothèque Nationale dont la
décoration n'a guère pu être terminée avant le règne de Louis
XII. Jésus est agenouillé sous le pressoir, la cuve est prête à
recevoir le sang, mais le supplice n'a pas encore commencé.
Une image aussi discrète n'avait pas alors beaucoup de chance de plaire. Aussi à Recloses, près de Fontainebleau, l'artiste a-t-il pris la métaphore au pied de la lettre : nous avons devant les yeux Jésus couché sous le pressoir qui l'écrase et fait jaillir son sang dans la cuve. Dans l'église de Baralle (Pas-de-Calais), c'est la croix qui a été transformée en pressoir ; une vis y a été adaptée que Dieu le Père lui-même fait mouvoir ; le sang du Christ jaillit de toutes ses plaies et se mêle au jus du raisin dans la cuve. Cette barbarie à la fois naïve et subtile, si choquante qu'elle soit pour nous, a son prix pour l'historien. N'est-il pas curieux de voir l'art chrétien se matérialiser, s'incarner dans la chair et dans le sang au moment même où les réformés vont annoncer le règne du pur esprit ? L’Espagne, elle-même, si sensuelle et si mystique, n'a rien osé de plus hardi.
Je croirais volontiers que les Pressoirs mystiques furent, comme les Fontaines de vie, en rapport avec la dévotion au sang du Christ. Encore aujourd'hui l'hymne que l'on chante à Laudes le jour de la fête du Précieux Sang fait allusion à la fois au pressoir et à la fontaine. Au-dessus de la Fontaine de vie de Jean Bellegambe, au Musée de Lille, on lit la prophétie d'Isaïe : Torcular calcavi solus, texte qui figurait sans doute dans l'office du Précieux Sang tel qu'on le récitait à Anchin, texte qui prouve, en tout cas, que l'idée du pressoir et l'idée de la fontaine étaient intimement unies.
Mais, à mesure qu'on avance dans le XVIe siècle, on voit le thème du pressoir prendre un sens nouveau : désormais ce sera moins une représentation symbolique de la Passion qu'une figure de l'Eucharistie. Cela est déjà très sensible à Conches. Si l'on veut bien comprendre le sens du vitrail du Pressoir de Conches, il ne faut pas l'isoler des verrières qui l'entourent : toutes sont consacrées à l'Eucharistie. L'une représente la Cène, l'autre, la manne, l'autre, Abraham recevant le pain et le vin de Melchissédec, la dernière, enfin, l'hostie elle-même rayonnant comme le soleil entre Dieu et les anges. Il est évident que le Pressoir n'est ici qu'une figure du Sacrement eucharistique. Je vois là le désir très nettement exprimé d'affirmer, en face de Luther et de Calvin, le dogme essentiel du catholicisme. C'est là un des épisodes de la lutte que l'art religieux commençait à engager contre le protestantisme.
Une image aussi discrète n'avait pas alors beaucoup de chance de plaire. Aussi à Recloses, près de Fontainebleau, l'artiste a-t-il pris la métaphore au pied de la lettre : nous avons devant les yeux Jésus couché sous le pressoir qui l'écrase et fait jaillir son sang dans la cuve. Dans l'église de Baralle (Pas-de-Calais), c'est la croix qui a été transformée en pressoir ; une vis y a été adaptée que Dieu le Père lui-même fait mouvoir ; le sang du Christ jaillit de toutes ses plaies et se mêle au jus du raisin dans la cuve. Cette barbarie à la fois naïve et subtile, si choquante qu'elle soit pour nous, a son prix pour l'historien. N'est-il pas curieux de voir l'art chrétien se matérialiser, s'incarner dans la chair et dans le sang au moment même où les réformés vont annoncer le règne du pur esprit ? L’Espagne, elle-même, si sensuelle et si mystique, n'a rien osé de plus hardi.
Je croirais volontiers que les Pressoirs mystiques furent, comme les Fontaines de vie, en rapport avec la dévotion au sang du Christ. Encore aujourd'hui l'hymne que l'on chante à Laudes le jour de la fête du Précieux Sang fait allusion à la fois au pressoir et à la fontaine. Au-dessus de la Fontaine de vie de Jean Bellegambe, au Musée de Lille, on lit la prophétie d'Isaïe : Torcular calcavi solus, texte qui figurait sans doute dans l'office du Précieux Sang tel qu'on le récitait à Anchin, texte qui prouve, en tout cas, que l'idée du pressoir et l'idée de la fontaine étaient intimement unies.
Mais, à mesure qu'on avance dans le XVIe siècle, on voit le thème du pressoir prendre un sens nouveau : désormais ce sera moins une représentation symbolique de la Passion qu'une figure de l'Eucharistie. Cela est déjà très sensible à Conches. Si l'on veut bien comprendre le sens du vitrail du Pressoir de Conches, il ne faut pas l'isoler des verrières qui l'entourent : toutes sont consacrées à l'Eucharistie. L'une représente la Cène, l'autre, la manne, l'autre, Abraham recevant le pain et le vin de Melchissédec, la dernière, enfin, l'hostie elle-même rayonnant comme le soleil entre Dieu et les anges. Il est évident que le Pressoir n'est ici qu'une figure du Sacrement eucharistique. Je vois là le désir très nettement exprimé d'affirmer, en face de Luther et de Calvin, le dogme essentiel du catholicisme. C'est là un des épisodes de la lutte que l'art religieux commençait à engager contre le protestantisme.
Le Pressoir mystique, gravure " à Paris, Iacques Laouette, rue de Montorgueil ", entre 1572 et 1595, Bibliothèque Nationale. |
La pensée est plus claire encore au vitrail de Saint-Étienne-du-Mont, à Paris. Bien que l'œuvre appartienne aux premières années du XVIIe siècle, j'en parle ici parce qu'elle n'est, suivant moi, que la copie d'un original plus ancien. J'ai trouvé, en effet, dans un recueil d'estampes du XVIe siècle, une gravure qui est exactement pareille au vitrail de Saint-Étienne-du-Mont et que je crois antérieure. La verrière a pu être faite d'après l'estampe, mais graveur et verrier ont pu aussi copier une œuvre plus ancienne. Les vitraux représentant le Pressoir mystique étaient nombreux à Paris : d'après Sauval, on en voyait à Saint-Sauveur, à Saint-Jacques-la-Boucherie, à Saint-Gervais et dans la sacristie des Célestins ; il y en avait un autre à Saint-André-des-Arts. Plusieurs se trouvaient aux environs de Paris, à Chartres, à Andresy. Il est donc probable que les artistes avaient pris l'habitude de traiter le sujet suivant une formule que nous donnent à la fois la gravure et le vitrail de Saint-Étienne-du-Mont.
Le sujet a été conçu comme une sorte d'épopée étrange où la trivialité se mêle à la grandeur : c'est à la fois le poème de la vigne et le poème du sang.
On voit d'abord les patriarches et les hommes de l'Ancienne Loi qui bêchent la vigne sous l'œil de Dieu. Après de longs siècles d'attente, le temps de la vendange arrive enfin ; les apôtres cueillent le raisin et le mettent dans la cuve. Mais ce ne sont pas des grappes que l'on voit sous le pressoir, c'est Jésus lui-même ; ce n'est pas le jus de la vigne qui coule dans la cuve, c'est le sang d'un Dieu.
Ce sang sera désormais le breuvage des hommes. Un tonneau que traîne un attelage dantesque, le lion de saint Marc, le bœuf de saint Luc, l'aigle de saint Jean conduits par l'ange de saint Mathieu, promène la liqueur divine à travers le monde.
L'Église est née, et elle aura désormais la garde du sang. Les quatre Pères de l'Église le mettent en réserve dans des tonneaux : plus loin, un pape et un cardinal, à grand renfort de cordes, descendent les barriques dans une cave ; un empereur et un roi, métamorphosés en portefaix, les assistent. Ce sang, que l’Église conserve dans ses celliers, elle le distribue aux fidèles ; et, en effet, on aperçoit au second plan des pécheurs qui se confessent et qui, une fois absous, communient.
La présence réelle, niée par les
protestants, est donc affirmée ici dogmatiquement. Le vitrail veut
dire que la vertu de l'Eucharistie, qui se laisse entrevoir sous des
symboles dans l'Ancien Testament, a été enseignée au monde par le
Nouveau. La parole des évangélistes, interprétée par les Pères
de l'Église, est devenue la doctrine de l’Église catholique :
seule, l'Église catholique, qui dispense le sang divin, peut sauver
les hommes.
Ainsi, au XVIe siècle, l'art redevient dogmatique comme il l'avait été au XIIIe. Le vitrail de Saint-Étienne-du-Mont démontre la présence réelle aux calvinistes, comme le vitrail de Bourges prouvait à la Synagogue l'accord de l’Évangile et de l'Ancien Testament.
Mais, dans le vitrail, un détail ne laisse pas d'inquiéter : ce sont ces rois qui viennent aider le pape. Qu'est-ce que les puissants de ce monde, ceux qui portent l'épée, viennent faire ici ? Et l'on se demande si ces rois ne seraient pas par hasard Charles IX et Philippe II.
Mais revenons au sens primitif de la fontaine et du pressoir, d'où nous nous sommes écartés. Rappelons que ces thèmes ne furent d'abord que des méditations sur le sang divin, des hymnes à la Passion. De telles œuvres sont donc, à l'origine, fort différentes des compositions apologétiques du XVIe siècle finissant. Elles sont, au fond, plus intéressantes, car elles nous font pénétrer plus avant dans l'âme chrétienne.
L'art religieux de la fin du moyen âge, Émile Mâle, 1922.
Ainsi, au XVIe siècle, l'art redevient dogmatique comme il l'avait été au XIIIe. Le vitrail de Saint-Étienne-du-Mont démontre la présence réelle aux calvinistes, comme le vitrail de Bourges prouvait à la Synagogue l'accord de l’Évangile et de l'Ancien Testament.
Mais, dans le vitrail, un détail ne laisse pas d'inquiéter : ce sont ces rois qui viennent aider le pape. Qu'est-ce que les puissants de ce monde, ceux qui portent l'épée, viennent faire ici ? Et l'on se demande si ces rois ne seraient pas par hasard Charles IX et Philippe II.
Mais revenons au sens primitif de la fontaine et du pressoir, d'où nous nous sommes écartés. Rappelons que ces thèmes ne furent d'abord que des méditations sur le sang divin, des hymnes à la Passion. De telles œuvres sont donc, à l'origine, fort différentes des compositions apologétiques du XVIe siècle finissant. Elles sont, au fond, plus intéressantes, car elles nous font pénétrer plus avant dans l'âme chrétienne.
L'art religieux de la fin du moyen âge, Émile Mâle, 1922.
D'après les recherches de Charles Terrasse cette fenêtre a été offerte par M. Caperon ( vraisemblablement Claude Chaperon, marguillier de Saint Étienne du Mont de 1623 à 1626. ) Selon Antoine le Vieil ( 1774 ) ce serait Jean le Juge, marchand de vin qui aurait donné cette verrière à la paroisse. Dans la liste des donateurs trouvée aux Archives par Charles Terrasse ( Arch. Nat. , L635 ) le nom de Jean Le Juge ne figure même pas. Antoine le Vieil, lui, a compulsé les Registres de la paroisse, encore présents sur place en 1774. Est-ce que le document des Archives Nationales est un dépôt des Registres de Saint Étienne du Mont ? En tout cas, difficile de trancher cette question.
André Fantelin.
Ces vitraux sont magnifique et à hauteur des yeux. Hautement recommandé.
RépondreSupprimerPour voir en vidéo d'autres églises, regardez http://www.toutparisenvideo.com
Bonne visite
Bonjour,
RépondreSupprimerJ'ai suivi votre conseil et j'ai découvert ce site qui propose des visions variées de Paris en vidéo. J'avoue que je ne connaissais pas et c'est une rencontre agréable. Je suppose que vous êtes Alain Jean, le cinéaste et auteur de ce site ? Si c'est le cas pouvez-vous nous le présenter, quel est le but que vous vous êtes fixé en le créant ?