Amour et enfants musiciens, 12 rue du Cardinal Mercier, IXe ardt. |
Pour notre dernier rendez-vous avec les enfants des bas-reliefs parisiens, nous découvrons leurs mutations ultimes : ils abandonnent leurs traditionnelles références au culte de Bacchus pour se lancer dans la musique, la peinture, la sculpture, l'astronomie, la géographie, la chimie, le commerce, jusqu'à participer à l'essor du chemin de fer. Certains Amours furent même enrôlés dans les rangs des révolutionnaires de 1789. Ayant survécu jusqu'au début du XXe siècle, ils semblent avoir maintenant complétement disparu de nos façades.
Ici aussi mélange des amours ailés et des enfants pour ce concert baroque, plâtre ou stuc, Hôtel de Luzy, bâti vers 1770, 6 rue Férou, VIe ardt. |
1 : ARTS LIBÉRAUX
Les Arts libéraux, fruits de l'imagination, s'adressent ou à l'esprit seul, d'où les Belles-Lettres, ou aux sens en même temps qu'à l'esprit, d'où les Beaux-Arts. Les anciens admettaient 7 arts libéraux, Grammaire, Rhétorique, philosophie, Arithmétique, Géométrie, Astronomie, et Musique, qu'ils avaient mémorisés dans ce vers :
Lingua, Tropus, Ratio, Numerus, Tonus, Augulus, Astra.Les trois premiers formaient le cercle d'études appelé Trivium ; les quatre autres, le Quadrivium.
Dictionnaire
universel des sciences, des lettres et des arts...M.-N. Bouillet -Hachette (Paris)-1896
A propos du peintre Laurent de La Hyre (1606-1656) :
Il ne subsiste que des morceaux
dispersés pour témoigner de son activité de décorateur qui semble
avoir été plus importante qu'on ne le pensait jusqu'à une date
récente. Les allégories des 7 Arts libéraux provenant de
l'hôtel Tallemant en sont les spécimens les plus remarquables et
les plus célèbres : l'Astronomie (1649, musée d’Orléans),
la Géométrie (1649.coll. part), la Musique (1649.
Metropolitan Museum), encadrée par deux Putti musiciens (Dijon.
musée Magnin), l'Arithmétique (1650, Heino, Fond. Hannema de
Stuers), la Grammaire (1650, Londres, National Gallery.). la
Dialectique et la Rhétorique (1650 coll. part). On
connaît de nombreux dessins de l'artiste. à la sanguine (Saint
Jean, Louvre) et à la pierre noire (les Trois Grâces.
musée de Montpellier). Son influence, trop mésestimée, s'exerça
sur la production normande. Il est l'un des meilleurs représentants
de « l'atticisme parisien » et compte parmi les plus grands
paysagistes du XVIIe siècle. Une importante rétrospective a eu lieu
en 1989 (Grenoble, Rennes, Bordeaux).
Dictionnaire de la peinture Larousse, Michel Laclotte et Jean-Pierre Cuzin, 2003.Putto chantant, partie droite de l'allégorie de la Musique, huile sur toile de Laurent de La Hyre, 1,05 x 0,56 m, vers 1649, Musée Magnin de Dijon, Côte d'Or. |
Putto jouant de la viole de gambe, partie gauche de l'allégorie de la Musique, huile sur toile de Laurent de La Hyre, 1,05 x 0,55 m, vers 1649, Musée Magnin de Dijon, Côte d'Or. |
Enfant peintre, enfant gambiste et enfant architecte, 2 rue Dufrénoy, XVIe ardt., fin XIXe ou début XXe siècle. |
ART, ARTS LIBÉRAUX, Belles-Lettres. Rien de plus bizarre en apparence que d'avoir anobli les Arts d'agrément, à l'exclusion des Arts de première nécessité ; d'avoir distingué dans un même Art, l'agréable d'avec l'utile, pour honorer l'un, de préférence à l'autre: & cependant rien de plus raisonnable que ces distinctions, à les regarder de près.
La société, après avoir pourvu à ses besoins, s'est occupée de ses plaisirs; & le plaisir, une fois senti est devenu un besoin lui-même. Les jouissances sont le prix de la vie ; & on a reconnu , dans les Arts d'agrément, le don de les multiplier. Alors on a considéré, entre eux & les Arts de besoin ou de première utilité, le genre d'encouragement que demandoient les uns & les autres ; & on leur a proposé des récompenses relatives aux facultés & aux inclinations de ceux qui devoient s'y exercer.
Le premier objet des récompenses est d'encourager les travaux. Or des travaux qui ne demandent que des facultés communes, telles que la force du corps, l'adresse de la main , la sagacité des organes, & une industrie facile à acquérir par l'exercice & l'habitude, n'ont besoin, peur être excités, que de l'appât d'un bon salaire. On trouvera partout des hommes robustes, laborieux, agiles, adroits de la main, qui seront satisfaits de vivre à l'aise en travaillant, & qui travailleront pour vivre.
A ces Arts, même aux plus utiles & de première nécessité, on a donc pu ne proposer qu'une vie aisée & commode; & les qualités naturelles qu'ils supposent, ne sent pas susceptibles de plus d'ambition. L’âme d'un artisan, celle d'un laboureur, ne se repait point de chimères ; & une existence idéale l'intéresseroit faiblement.
Mais pour les Arts dont le succès dépend de la pensée, des talents de l'esprit, des facultés de l’âme, surtout de l'imagination, il a fallu non seulement l'émulation de 1'intérêt, mais celle de la vanité ; il a fallu des récompenses analogues à leur génie & dignes de l'encourager, une estime flatteuse aux uns, une espèce de gloire aux autres, & à tous des distinctions proportionnées aux moyens & aux facultés qu'ils demandent.
Ainsi s'est établie dans l'opinion la prééminence des Arts libéraux sûr les Arts mécaniques, sans égard à l'utilité, ou plutôt en les supposant diversement utiles, les uns aux besoins de la vie , les autres à son agrément.
Cette distinction a été si précise, que, dans le même Art, ce qui exige un degré peu commun d'intelligence & de génie, a été mis au rang des Arts libéraux ; tandis qu'on a laissé au nombre des Arts mécaniques, ce qui ne suppose que des moyens physiques ou les facultés de l'esprit données à la multitude. Telle est, par exemple, la différence de l'architecte & du maçon, du statuaire & du fondeur, etc. Quelquefois même on a séparé la partie spéculative & inventive d'un Art mécanique, pour l’élever au rang des sciences, tandis que la partie exécutive est restée dans la foule des Arts obscurs. Ainsi , l'Agriculture, la Navigation, l'Optique, la Statique tiennent par une extrémité aux connoissances les plus sublimes, & par l'autre à des Arts qu'on n'a point anoblis.
Les Arts libéraux se réduisent donc à ceux-ci : l'Éloquence, la Poésie, la Musique, la Peinture, la Sculpture, l'Architecture, la Gravure considérée dans la partie du Dessein.
(.../...)
Enfants musiciens, François Boucher ou son atelier, mis en vente chez Sotheby's en 2012. On remarquera une cornemuse à gauche. |
L'Amour de gauche joue de la chalemie , celui de droite du rebec. |
Deux parties du Triomphe des Arts, frise en bas- relief de la Folie ou Maison Huvé, 13 route de Vaugirard à Meudon, 1788. Ces fragments du bas relief représentant des enfants musiciens étaient en restauration en septembre 2008, la photo ayant été prise durant les Journées du Patrimoine de cette année là. En voir un peu plus sur Paris Bise-Art. |
Parmi les Arts libéraux, les uns s'adressent plus directement à l'âme, comme l'Éloquence & la Poésie ; les autres plus particulièrement aux sens, comme la Musique & la Peinture : les uns emploient, pour s'exprimer, des signes fictifs & changeants, les sons articulés ; un autre emploie des signes naturels, & partout les mêmes, les accents de la voix, le bruit des corps sonores ; les autres emploient, non pas des signes, mais l'apparence même des objets qu'ils expriment, les surfaces & les contours, les couleurs, l'ombre & la lumière ; un autre enfin n'exprime rien ( je parle de l'Architecture ), mais son étude est d'observer ce qui plaît au sens de la vue, soit dans le rapport des grandeurs, soit dans le mélange des formes, & son objet de réunir l'agrément & l'utilité.
Enfin parmi ces Arts, les uns ont la nature pour modèle ; & leur excellence consiste à la choisir, & à composer d'après elle, aussi bien qu'elle, & mieux qu'elle-même : ainsi opèrent la Poésie, la Peinture & la Sculpture. Tel autre exprime la vérité même, & n'imite rien ; mais aux moyens qu'il emploie, il donne toute la puissance dont ces moyens sont susceptibles : ainsi, l'Éloquence déploie tous les ressorts du sentiment, toutes les forces de la raison. Tel autre imite ou par ressemblance ou par analogie : ainsi, la Musique a deux organes, l'un naturel, l'autre factice ; celui de la voix humaine, & celui des instruments qui peuvent seconder la voix, y suppléer, porter à l’âme, par l'entremise de l'oreille, de nouvelles émotions.
On voit combien il seroit difficile de réduire, à un même principe, des Arts dont les moyens, les procédés, l'objet, diffèrent si essentiellement.
(.../...)
Ancien siège de la Sacem au 10 rue Chaptal, IXe ardt. Détails. (mise à jour du 2 avril 2015). |
Enfant cymbaliste et enfants danseurs, par Georges Clément de Swiecinski, 1878-1958, sculpteur autodidacte dont on peut voir des réalisations au musée de Guétary.36 rue Scheffer, XVIe ardt. |
Satyreaux et enfants musiciens et putti faisant la ronde, Jean Baptiste Huet, gravure, XVIIIeme siècle. |
Gravure au burin de Marc Antonio Raimondi, 11,5 x 16,7 cm, premier tiers du XVIe siècle, |
Amours et enfants poètes, écrivains. L'enfant central avec sa lyre et sa couronne de lauriers est bien identifiable à la poésie. Hôtel de Luzy, bâti vers 1770, 6 rue Férou, VIe ardt. |
Ainsi procède l'Éloquence, elle n'imite rien : l'orateur n'est pas un mime ; il parle d'après lui, il transmet sa pensée, il exprime ses sentiments. Mais dans le dessein d'émouvoir, d'éclairer, de persuader, de faire passer dans nos cœurs les mouvements du sien , il choisit avec réflexion ce qu'il connoit de plus capable de nous remuer à son gré. C'est encore ici l'influence de l'esprit sur l'esprit, l'action de l’âme sur l’âme, le rapport des objets avec l'organe du sentiment, qu'il faut étudier ; & pour maîtriser les esprits, le soin de l'orateur est de connoitre ce qui les touche & peut les mouvoir comme il entend qu'ils soient émus.
Deux amours avec les attributs de la peinture et de la sculpture, gravure en aquatinte d'Auguste Pèquègnot (1819-1878) d'après François Boucher, vendue au département de chalcographie du Louvre. |
Dans les Arts mêmes dont l'imitation semble être le partage, comme la Poésie, la Peinture, la Sculpture, copier n'est rien, choisir est tout. Les détails sont dans la nature, mais l'ensemble est dans le génie. L'invention consiste à composer des masses qui ne ressemblent à rien, & qui, sans avoir de modèle, ayent pourtant de la vérité : or quel est dans la nature le type & la règle de ces compositions ? II n'y en a pas d'autres que la connaissance de l'homme , l'étude de ses affections, le résultat des impressions que les objets font sur l'organe. Cela est évident pour le choix, le mélange, & l'harmonie des couleurs, la beauté des contours, l'élégance des formes : l'œil en est le juge suprême ; & la même étude de la nature qui a démêlé les sons qui plaisent à l'oreille, nous a éclairé sur le choix des objets qui plaisent aux yeux.
Même théorie à l'égard de la partie intellectuelle de la Peinture, & à l'égard de la Poésie, qui est l'Art de peindre à l'esprit.
II est aussi impossible d'expliquer les plaisirs de la pensée & du sentiment que ceux de l'oreille & des yeux. Mais une expérience habituelle nous fait connoître, que la faculté de sentir & d'imaginer a dans l'homme une activité inquiète, qui veut être exercée, & de telle façon plus tôt que de telle autre.
La nature nous présente pêle-mêle, si j'ose le dire, ce qui flatte & ce qui blesse notre sensibilité : or l'imitation se propose, non seulement l'illusion, mais le plaisir, c'est à dire, non seulement d'affecter l’âme en la trompant, mais de l'affecter comme elle se plaît à l'être. Ce choix est le secret de l'Art, & rien dans la nature ne peut nous le révéler, que l'étude même de l'homme & des impressions de plaisir ou de peine qu'il reçoit des objets dont il est frappé.
Voyez Belle Nature, Illusion, Imitation, etc. ( M. Marmontel. )
Enfants poète, écrivains et peintre, 1915. Sculpteur Paul Gabriel Capellaro, 1862-1956, lycée Saint Louis, 44 boulevard Saint Michel, VIe ardt. (Mise à jour du 9 janvier 2015). |
On a déjà remarqué, du point de vue qui nous occupe, que peinture et musique se distinguaient très nettement du monde de la littérature. Pendant des siècles, peinture et musique ont été des arts de la tradition, développés dans des écoles, au sein de familles ou d’ateliers détenteurs de talents et de secrets. On venait au monde dans une lignée de musiciens, qui transmettait son héritage culturel dès l’enfance, et nous avons pu estimer le rôle du facteur familial et la valeur déterminante de cet apprentissage précoce. On entrait quelques années plus tard dans une académie, ou dans l'atelier d’un grand peintre, pour y apprendre la technique et former sa manière. Là encore, dans les arts plastiques, les grands génies ont toujours eu un maître.
Mais en littérature, le métier de poète c'est le métier de vivre, selon la formule de Pavese. Et la vie se confond très vite avec l'œuvre. Sans maître ni atelier, l'écrivain devient son propre guide et se retire du monde. Les maîtres sont dans les livres. Déjà à l'époque classique Montaigne se retirait dans sa tour, lieu de vie isolé, paradis autonome de la maisonnée, avec sa bibliothèque et même sa chapelle.
Peinture et musique restent des disciplines très artisanales, du moins pendant toute la période classique, nécessitant des gestes et du temps. En musique, l'apprentissage gestuel précoce et la terrible discipline quotidienne forgent un outil technique qu'il n'est pas possible d'acquérir autrement. Cet indispensable bagage technique constituera d'ailleurs un frein a l'expression spontanée de la folie sous une forme musicale.
En peinture, le travail des grands maîtres est « une longue patience », nous aurait dit Buffon ; c'est un art qui a pour lui le temps et la ferveur d'une école. Si l'œuvre de Rodin ou celle de Rubens ont une dimension considérable, il faut aussi savoir que c'est l'œuvre d'une école, des élèves, des praticiens en sculpture, qui dessinent les esquisses et parachèvent le travail. Il faut des jours et des semaines pour préparer les fonds et broyer les couleurs. L'accès a l'émotion est un peu différé, d'autant que le peintre n'est jamais seul, un maître comme le prolixe David a eu près de trois cents élèves tout au cours de sa vie.
Le génie et la folie en peinture, musique, littérature, par Philippe Brenot, 2007, éditions Odile Jacob.
L'ensemble des bas-reliefs du 56 rue du Rocher , VIIIe ardt. |
CHAPITRE PREMIER.
Quelle est la première étude que doit faire un jeune Peintre.
La perspective est la première chose qu'un jeune Peintre doit apprendre pour savoir mettre chaque chose à sa place, et pour lui donner la juste mesure qu'elle doit avoir dans le lieu où elle est : ensuite il choisira un bon maître qui lui fasse connoître les beaux contours des figures, et de qui il puisse prendre une bonne manière de dessiner. Après cela il verra le naturel, pour se confirmer par des exemples sensibles dans tout ce que les leçons qu'on lui aura données et les études qu'il aura faites, lui auront appris : enfin il emploiera quelque temps à considérer les ouvrages des grands maîtres et à les imiter, afin d'acquérir la pratique de peindre et d'exécuter avec succès tout ce qu'il entreprendra.
CHAPITRE II.
A quelle sorte d'étude un jeune Peintre se doit principalement appliquer.
Les jeunes gens qui veulent faire un grand progrès dans la science qui apprend à imiter et à représenter tous les ouvrages de la nature, doivent s'appliquer principalement à bien dessiner, et à donner les lumières et les ombres à leurs figures, selon le jour qu'elles reçoivent et le lieu où elles sont placées.
CHAPITRE III.
De la méthode qu'il faut donner aux jeunes gens pour apprendre à peindre.
Nous connoissons clairement que de toutes les opérations naturelles, il n'y en a point de plus prompte que la vue ; elle découvre en un instant une infinité d'objets, mais elle ne les voit que confusément, et elle n'en peut discerner plus d'un à la fois. Par exemple, si on regarde d'un coup-d'œil une feuille de papier écrite, on verra bien incontinent qu'elle est remplie de diverses lettres ; mais on ne pourra connoître dans ce moment-là quelles sont ces lettres, ni savoir ce qu'elles veulent dire : de sorte que pour l'apprendre, il est absolument nécessaire de les considérer l'une après l'autre, et d'en former des mots et des phrases. De même encore, si l'on veut monter au haut de quelque bâtiment, il faut y aller de degré en degré, autrement il ne sera pas possible d'y arriver. Ainsi, quand la nature a donné à quelqu'un de l'inclination et des dispositions pour la Peinture, s'il veut apprendre à bien représenter les choses, il doit commencer par dessiner leurs parties en détail et les prendre par ordre, sans passer à la seconde avant que d'avoir bien entendu et pratiqué la première; car autrement on perd tout son temps, ou du moins on n'avance guère. De plus, il faut remarquer qu'on doit s'attacher à travailler avec patience et à finir ce que l'on fait, devant que de se faire une manière prompte et hardie de dessiner et de peindre.
Traité élémentaire de la peinture, par Léonard de Vinci, édition de l'An 11 (1803). (lien : version XVIIe siècle)
Découvrez aussi " Les Génies de la
Poésie, de l'Histoire, de la Physique et de l'Astronomie " par Noël
Hallé (1711-1781), une huile sur toile de 1761, au musée des Beaux-Arts
d’Angers, sur ce site.
( Ainsi que «Les Génies des Arts» peint par Boucher. )
2 : CONFLITS & CRISES.
La même composition, hall du 18 rue de Provence, IXe ardt. |
Mars et Vénus, tableau de Lanfranc, (Giovanni Lanfranco, 1582-1647)
« Homère, qui le premier parle des amours de Mars et de Vénus, raconte qu'Apollon les surprit ensemble dans le palais de Vulcain. Ovide a suivi la même version. Lanfranc s'en est écarté en représentant la scène au milieu d'un bosquet, où des rayons du soleil peuvent traverser le feuillage, avec plus de facilité qu'ils ne pénétreraient les murs d'un palais. Il paraît que le peintre a suivi ce que dit Reposianus, dans un poëme latin moderne, intitulé Concubitus Marlis et Vaneris. Mais dans ce cas pourquoi ne pas avoir adopté toutes-les idées du poëte moderne ? Il fallait placer la déesse sur un amas de fleurs ; ne pas mettre un lit que l'on pourrait croire en marbre, puisque l'estrade semble être un assemblage de plusieurs pierres. La draperie qui sert de tente semble également un apprêt peu convenable.
Ces observations n’empêcheront pas de faire remarquer que l'ordonnance de ce tableau est très-agréable ; l'expression des figures est remplie de naturel. Les Amours mettent beaucoup d'empressement à débarrasser Mars de ses armes, et Vénus laisse voir l'impatience que l'attente lui fait éprouver.
Le dessin de ce tableau est correct, sa couleur est ferme et brillante. On le voit dans la galerie du Louvre. »
Larg , 5 pieds l pouce ; haut, 2 pieds 7 pouces.
Galerie des Arts et de l'Histoire: composée des tableaux et statues les plus remarquables des musées de l’Europe. Gravés à l'eau forte sur acier par Achille Réveil, 1836.
Allégorie contestataire de la guerre, entourage de Sebastiano Ricci (1659-1734), huile sur toile, 36 x 48 cm. Ce seraient des putti pacifistes au début du XVIIIe siècle ? On retrouve le caractère satirique jamais très éloigné dans les bacchanales d'enfants. Est-ce que cet épisode dérive du précédent ? |
Lutte entre des Amours ailés (mais non halés)
et des putti. Guido Reni, 120 x 152 cm, Galerie Doria-Pamphili, Rome. Est-ce
la consommation du vin que l'on aperçoit à l'arrière plan qui les a
rendu belliqueux ? En général ces deux " espèces " cohabitent sans problèmes. Les Amours semblent avoir le dessous. Le titre original était : " Lutte d'enfants du peuple avec des enfants nobles " d'après le site du Palazzo Donia-Pamphili, qui précise que le peintre s'étant retrouvé en prison à la suite d'une dispute avec l'ambassadeur d'Espagne, il en sorti grâce au marquis Facchinetti di Bologna. Aussi Guido Reni lui aurait donné ce tableau en remerciement.
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Durant la Révolution française des Amours ou Génies sont enrôlés pour porter la bonne parole.
Représentants du peuple, soyez toujours à la hauteur
de vos fonctions augustes, à la hauteur de la déclaration des droits ;
le peuple et nos canons sauront vous y maintenir. Faites toujours des loix sages, des loix fermes, et le peuple est là pour les faire
respecter ; nous le jurons sur l'autel de la patrie ; nous jurons, sur les
armes qu'elle nous a confiées, de périr jusqu'au dernier, plutôt que de consentir jamais à transiger sur nos droits : la liberté ou la mort. Voilà la capitulation que nous demandons pour nous ; la mort des traîtres. Voilà la capitulation que nous leur réservons ( Applaudi.)
Le seul tableau, relatif à la Révolution, que j'aye remarqué, ne m'a pas paru d'une invention fort heureuse ; c'est la Liberté ou la Mort, par Regnault. On y voit le Génie de la Révolution, d'une espèce de gradin en l'air, s'élancer avec beaucoup de raideur à travers un ciel bleu très foncé ; la Liberté d'un côté, le bonnet rouge sur sa lance ; de l'autre la figure hideuse de la Mort, tenant à la main une couronne de chêne. Il est difficile de démêler ce que l'artiste a prétendu nous dire avec cet étrange groupe ; mais il est clair que son tableau n'offre à l'œil qu'un assemblage extravagant de formes odieuses, d'objets de douleur et d'effroi.
La Liberté ou la Mort, Jean Baptiste Régnault, 60x 49 cm, huile sur toile, 1795, Kunsthall, Hambourg. (Source Wikimedia Commons). Pour une fois ce génie ailé est adulte. |
Promettre mourir pour, la liberté, c'est jurer de se faire tuer pour sa
défense ; mais on ne se fait pas tuer dans ces luttes terribles, qu'on
n'en tue bien d'autres : engagement affreux, vœu détestable dans des
Prêtres que les subtilités de leurs écrivains ne purgeront pas de son
immoralité, vœu essentiellement corrupteur de la multitude et surtout de la jeunesse, qui apprend par-là à ne point craindre la mort ni de futur avenir.
Qu'entendoit-on dans les clubs ? Rien que cela : La liberté, ou la mort ! Hé bien ! n'est-ce pas là le serment de la liberté ? Voilà la formule réduite à ses simples termes : la liberté, ou la mort. L'épigraphe
de toutes les feuilles incendiaires ; le cri mortuaire des forcenés de
la France, des buveurs de sang, et de tous les mangeurs d'hommes ; le
son d’alarme de la terrible Montagne ; le cri de ralliement de tous les
partis armés ; la vocifération de toutes les orgies ; le son électrique
des saturnales et des bacchanales mises en mouvement sur toute la
surface de l'Empire ; le tonnerre des clubs ; la tymbale des armées, et le
foudre, précurseur des troupes de carnivores, qui alloient se baigner
dans des mers de sang humain !....
Le monstre de la tyrannie renait presque toujours de sa cendre : pour abattre cet hydre dévastateur, il convient d'abattre toutes ses têtes ; par cela seul vous pourrez faire taire les factions, les intrigues, et le conspirateur, qui, à la faveur de la royauté, placeroient un nouveau tyran à la place de la république.
Prenez votre caractère dans l'exemple de ces fiers
républicains, qui ont fondé et maintenu l'empire de la liberté, ils ne
composoient, ni avec le temps, ni avec les personnes, ni avec les
choses ; leur principe invariable étoit la liberté ou la mort : et par-là ils fondèrent les termes du bonheur et de la prospérité dans leur patrie.
Ce n'est qu'aux âmes
fortes que la fortune attribue ses faveurs ; avec la fermeté qui vous
délivrera de vos tyrans, vous aurez des droits à la célébrité et à
l'immortalité. Avec la mollesse et la pusillanimité, vous n'éprouverez
que la honte et le mépris, et vous mériterez les qualifications
humiliantes que vous a prodiguées l'aristocratie : alors la chute de la
république seroit inévitable.
3 : SCIENCES, COMMERCE ET MODERNITÉ.
Frontispice d'un traité d'ostéologie d'Alexander Monro, 1759, gravure. Voilà nos enfants se livrant à l'étude de l'anatomie, peut-être avant de réaliser une opération ou une dissection, comme sur le bas-relief du fronton de l’amphithéâtre de la faculté de Médecine visible sur le facebook de Paris Myope. |
Partie gauche du Triomphe des Arts, frise en bas- relief de la Folie ou Maison Huvé, 13 route de Vaugirard à Meudon, 1788. On retrouve des enfants astronomes et géographes, sculpteurs... |
Pour les astronomes des cartes du ciel plus grandes...
Atlas céleste dans Le plus grand format, par M. Bode, astronome de Berlin. Depuis le temps que la théorie du mouvement des planètes a été rectifiée, quelques astronomes ont commencé à déterminer les lieux d'un plus grand nombre d'étoiles fixes, et leurs recherches sont devenues instructives et intéressantes non seulement pour l'astronome de profession, mais encore, pour tous les amateurs de cette belle science.
Le grand atlas céleste de Flamsteed, publié à Londres en 1728, en vingt-huit feuilles, contient à peu-près deux mille neuf cents étoiles observées par Flamsteed lui-même à Greenwich. Sur les cartes du ciel, que Bode a publiées en 1782 à Berlin, en trente-quatre feuilles in-4°, il ajouta, d'après les observations postérieures, plus de deux mille cent étoiles fixes, nébuleuses et amas d'étoiles. Mais, depuis ce temps, le travail des astronomes en a beaucoup augmenté le nombre. Le citoyen Lalande surtout a enrichi le ciel de trente-six mille étoiles jusqu'à la neuvième grandeur ; et M. Herschel, à l'aide de ses excellents télescopes a découvert au delà de deux mille cinq cents nébuleuses, amas d'étoiles, et étoiles doubles.
C'est pourquoi M. Bode a cru devoir publier un nouvel atlas céleste dans le plus grand format, pour pouvoir représenter, avec plus d'exactitude et dans le plus grand détail, toutes ces nouvelles découvertes.
Son plan est de donner cet atlas en vingt feuilles, dont deux représenteront les hémisphères fixes, les constellations du zodiaque, et en douze les autres constellations tant anciennes que nouvelles répandues dans l'hémisphère austral. La hauteur de chaque feuille sera de deux pieds deux pouces,et la largeur de trois pieds deux pouces, mesure du Rhin. On voit, par-là, qu'elles surpasseront, en grandeur, celles de l'atlas original de Flamsteed.
Les cartes seront d'après une meilleure projection que celle que Flainsteed a employée, et ce sera avec le plus grand soin que M. Bode y placera toutes les étoiles fixes, nébuleuses et doubles, d'après leur ascension droite et leur déclinaison pour le premier janvier 1801. Le citoyen Lalande lui a communiqué déjà deux mille étoiles nouvelles de la sixième grandeur, qu'il a déterminées avec l'aide du citoyen Lefrançais-Lalande son neveu.
M. Bode n'épargnera rien pour que la gravure, le papier et l'impression réunissent l'élégance avec l'exactitude, et rendent, par-là, cet ouvrage plus recommandable. Un habile graveur, M. Daniel Berger, se charge de la gravure, et ce sera sur du papier grand-aigle-vélin d'Angleterre que les estampes seront imprimées.
Ne pouvant consacrer à cet ouvrage qu'une partie du temps que lui laissent les fonctions d'astronome à dessiner les cartes, et ne voulant pas que l'artiste chargé de les graver pêche par trop de précipitation, et souhaitant faciliter, aux acheteurs, l'acquisition de cet ouvrage, il n'en mettra au jour que quatre feuilles par an.
Ce sera vers la foire de Pâques 1797 que le premier cahier paroîtra. Ceux qui voudront souscrire sont priés d'envoyer, franc de port, quatre écus en or, ou un ducat et demi d'Hollande, et l'auteur fera parvenir leur exemplaire soigneusement empaqueté, en les priant cependant de faire remettre, immédiatement après, le prix de la souscription pour le second cahier, qui paroîtra, ainsi que les suivants, toujours à Pâques. Avec le dernier cahier, les souscripteurs recevront un frontispice gravé, ainsi qu'un catalogue complet de toutes les étoiles, et une instruction pour l'usage de ces cartes en allemand et en français ; le tout moyennant une rétribution modique, qu'on fixera dans la suite.
Magasin Encyclopédique ou Journal des Sciences, des Lettres et des Arts, Tome quatrième, par A.L. Millin, 1796
Enfant chimiste, enfant géographe et enfant astronome, pierre, 2 rue Dufrénoy, XVIe ardt., fin XIXe ou début XXe siècle. |
Enfants astronome, géographe, 1915. Sculpteur Paul Gabriel Capellaro,
1862-1956, lycée Saint Louis, 44 boulevard Saint Michel, VIe ardt. Dans ce cas, on comprend bien que ces enfants studieux et passionnés de sciences et de techniques, soient posés sur les murs d'un lycée, sorte de modèles d'élèves idéaux. (Mise à jour du 9 janvier 2015). |
Enfants chimiste et physiciens, 1915. Sculpteur Paul Gabriel Capellaro, 1862-1956, lycée Saint Louis, 44 boulevard Saint Michel, VIe ardt. (Mise à jour du 9 janvier 2015). |
Peints en grisaille par Alexandre-Évariste Fragonard (1780-1850) les Génies 1 de la Géographie, 2 de la Philosophie ?, 3 de la Géométrie, 4, de la Médecine, 5, de l'Histoire, 6, de la Chimie, entourant Athéna et sa chouette, " oiseau qui prend son vol le soir venu. ", c'est à dire que la science et la sagesse s'établissent une fois l'expérience et le savoir engrangés, souvent un certain age atteint, au soir de sa vie, à l'exact inverse de nos putti. Quatrième salle du musée Charles X, vers 1826, Musée du Louvre. |
DU COMMERCE.
D. Qu est-ce que le Commerce ? R. C'est un des plus importants et un des plus précieux avantages que nous ayons reçus de la nature : il rapproche des pays que de vastes mers, des montagnes inaccessibles ou des déserts affreux sembloient avoir pour jamais séparés : il met en communauté de biens tous les peuples, et n'en fait pour ainsi dire qu'une même famille. Il communique à l'un des remèdes et des trésors que la nature sembloit n'avoir réservés que pour l'autre ; il ramène l'abondance où le dérangement des saisons avoit jeté la stérilité et la disette.
Par le commerce, les hommes les plus sauvages s'apprivoisent, apprennent à se connoître, s'accoutument à fraterniser. Sans le commerce, on perd en un lieu un superflu qui seroit très - nécessaire en un autre. Sans le commerce, les différentes nations n'auroient aucune liaison entre elles, chaque peuple seroit comme isolé dans les bornes de son pays : le commerce seul met chacun d'eux en possession de tout l'univers.
D. Sur quoi sont fondées les liaisons des peuples entre eux ?
R. Sur les besoins réciproques d'une nation à l'autre, qui sont un lien nécessaire d'union et d'amitié entre elles : l'un a besoin de vendre et l'autre d'acheter ; cela a lieu particulièrement pour les produits du sol, que souvent la nature n'a accordés qu'à un pays. Quel que soit le possesseur d'une denrée ou d'une marchandise dont j'ai nécessairement besoin, il me l'apportera, j'en suis sûr, parce que sa richesse est de vendre, et que si je lui offre un débouché sûr, il en profitera certainement. Il semble que la nature ait pris soin de disperser ses faveurs en divers endroits de ce monde, pour établir ce trafic et cette correspondance mutuelle entre les hommes, afin qu'ils dépendissent les uns des autres, et qu'ils fussent unis par leur intérêt commun ; car il n'y a presque pas un seul climat qui ne produise quelque chose qu'on ne trouve pas ailleurs.
D. En quoi consiste la science du Commerce ?
R. Elle a pour objet toutes sortes de vente, achat ou trafic de marchandises, et le négoce qui se fait en argent et en papier. Le commerce est de plusieurs sortes : 1° le commerce de terre : c'est celui qui se fait de ville à ville, de province à province, ou de royaume à royaume par la voie des voitures roulantes ou par le moyen de la navigation On appelle encore intérieur ce genre de commerce, parce qu'il se fait entre les sujets d'un même Empire dans l'étendue de l’État et de proche en proche, et même par mer de côte en côte. 2° Le commerce de mer : il se fait dans toutes les parties du monde où l'on peut aborder par mer : on l'appelle aussi commerce extérieur, parce qu'il se fait hors des frontières. 3° Le commerce en gros : c'est celui où l'on vend les marchandises en balles, ou en caisses, ou en pièces entières : il est le plus considéré. 4° Le commerce en détail est connu de tout le monde ; c'est celui où les marchandises se vendent par petites parties dans les boutiques ou magasins, à la mesure ou au poids, selon l'usage des lieux et les divers genres de marchandises. 5° Le commerce d'argent est celui des banquiers et des négociants, qui font des traites et remises d'une ville ou d'un pays en un autre pour ceux qui en ont besoin, c'est-à-dire qu'en recevant de l'argent comptant, ils donnent à la place une lettre de change tirée sur leurs correspondants, pour que la somme qui leur a été comptée soit payée au porteur de la lettre de change : ce commerce exige de gros fonds. 6.° Le commerce en papier est celui qui se fait sans aucune espèce d'or ou d'argent, mais seulement avec des billets, lettres de changes, ordonnances, actions de compagnie, effets publics et autres bons papiers que le débiteur cède à son créancier, et que celui-ci accepte en payement.
Encyclopédie des enfans, ou, Abrégé de toutes les sciences, à l'usage des deux sexes, par Jean-Henri-Samuel Formey, 1820.
Sous l'égide d'un enfant Mercure caducifer, tenant une bourse, au centre, deux autres enfants se proposent de vendre des bijoux et du tissu. Nous sommes bien en cette fin XIXe ou début XXe siècle, 2 rue Dufrénoy, XVIe ardt. Rappel : Mercure est le dieu du commerce, des marchands, des voleurs, des voyageurs, des médecins... |
Enfants travaillant le métal, par le martelage, grâce à la forge, fabricant des pièces mécaniques, 1915. Sculpteur Paul Gabriel Capellaro, 1862-1956, lycée Saint Louis, 44 boulevard Saint Michel, VIe ardt. (Mise à jour du 9 janvier 2015). |
BALZAC ET LE DAGUERRÉOTYPE
Quand le bruit se répandit que deux inventeurs venaient de réussir à fixer sur des plaques argentées toute image présentée devant elles, ce fut une universelle stupéfaction dont nous ne saurions nous faire aujourd'hui l'idée, accoutumés que nous sommes depuis nombre d'années à la photographie et blasés par sa vulgarisation.
Il s'en trouva qui regimbaient jusqu'à se refuser à croire. Phénomène accoutumé, car nous sommes hargneux de nature à toute chose qui déconcerte nos idées reçues et dérange notre habitude. La suspicion, l'ironie haineuse, « l'impatience de tuer », comme nous disait l'amie Sand, se dressent aussitôt. N'est-ce pas d'hier même, la protestation furibonde de ce membre de l'Institut invité à la première démonstration du phonographe ? Avec quelle indignation le savant « instituteur » refusa de se prêter une seconde de plus à cette « supercherie de ventriloque », et de quel fracas il sortit, jurant que l'impertinent mystificateur aurait affaire à lui...
« — Comment » me disait un jour, à sa mauvaise heure, Gustave Doré, — un esprit clair et dégagé pourtant s'il en fut ! — « comment, tu ne comprends pas la jouissance qu'on a à découvrir le défaut de la cuirasse dans un chef-d'œuvre ? »
L'inconnu nous frappe de vertige, et nous choquerait comme une insolence, ainsi que le « Sublime nous fait toujours l'effet d'une émeute ».( Ch. Baudelaire. Curiosités esthétiques).
L'apparition du Daguerréotype — qui plus légitimement devait s'appeler... Niepcetype — ne pouvait donc manquer de déterminer une émotion considérable. Éclatant à l'imprévu, au maximum de l'imprévu, en dehors de tout ce qui pouvait s'attendre, déroutant tout ce qu'on croyait connaître et même le supposable, la nouvelle découverte se présentait assurément, comme elle reste, la plus extraordinaire dans la pléiade des inventions qui font déjà de notre siècle interminé le plus grand des siècles scientifiques, — à défaut d'autres vertus.
Quand le bruit se répandit que deux inventeurs venaient de réussir à fixer sur des plaques argentées toute image présentée devant elles, ce fut une universelle stupéfaction dont nous ne saurions nous faire aujourd'hui l'idée, accoutumés que nous sommes depuis nombre d'années à la photographie et blasés par sa vulgarisation.
Il s'en trouva qui regimbaient jusqu'à se refuser à croire. Phénomène accoutumé, car nous sommes hargneux de nature à toute chose qui déconcerte nos idées reçues et dérange notre habitude. La suspicion, l'ironie haineuse, « l'impatience de tuer », comme nous disait l'amie Sand, se dressent aussitôt. N'est-ce pas d'hier même, la protestation furibonde de ce membre de l'Institut invité à la première démonstration du phonographe ? Avec quelle indignation le savant « instituteur » refusa de se prêter une seconde de plus à cette « supercherie de ventriloque », et de quel fracas il sortit, jurant que l'impertinent mystificateur aurait affaire à lui...
« — Comment » me disait un jour, à sa mauvaise heure, Gustave Doré, — un esprit clair et dégagé pourtant s'il en fut ! — « comment, tu ne comprends pas la jouissance qu'on a à découvrir le défaut de la cuirasse dans un chef-d'œuvre ? »
L'inconnu nous frappe de vertige, et nous choquerait comme une insolence, ainsi que le « Sublime nous fait toujours l'effet d'une émeute ».( Ch. Baudelaire. Curiosités esthétiques).
L'apparition du Daguerréotype — qui plus légitimement devait s'appeler... Niepcetype — ne pouvait donc manquer de déterminer une émotion considérable. Éclatant à l'imprévu, au maximum de l'imprévu, en dehors de tout ce qui pouvait s'attendre, déroutant tout ce qu'on croyait connaître et même le supposable, la nouvelle découverte se présentait assurément, comme elle reste, la plus extraordinaire dans la pléiade des inventions qui font déjà de notre siècle interminé le plus grand des siècles scientifiques, — à défaut d'autres vertus.
Les putti de nos bas-reliefs sont ici affectés au chemin de fer. Nous retrouvons un enfant porteur du caducée de Mercure, évoquant le commerce et les voyages. Puis un deuxième, sculpteur et peintre. Un troisième à droite est forgeron, symbolisant le travail du métal, élément indispensable à la mécanique, aux rails... A gauche un autre putto commande le passage à niveau qui mène peut-être à ce viaduc ( « l'Hercule antique était un homme dans toute la force de l'âge, aux muscles puissants et rebondis : l'Hercule moderne, c'est un enfant accoudé sur un levier. »), tandis qu'un Amour embouchant une trompette tel une renommée, sonne la gloire de ce nouveau fleuron de la modernité. 88 rue Saint-Lazare, IXe ardt.,hôtel construit pour la compagnie P.L.M. en 1869, c'était le siège de la SNCF de 1938 à 1999. |
Telle y apparaît en effet la glorieuse hâte que le foisonnement des éclosions semble se passer même de l'incubation : l'hypothèse sort du cerveau humain tout armée, formulée, et l'induction première devient immédiatement l'œuvre constituée. L'idée court au fait. A peine la vapeur la-t-elle réduit l'espace, que l'électricité le supprime. Pendant que Bourseul, — un Français, le premier, humble employé des Postes, — signale en vigie le téléphone et que le poète Charles Cros rêve le phonographe, Lissajoux, avec ses ondes sonores, nous fait voir le son qu'Ader nous transmet hors des portées et qu'Édison à jamais nous enregistre ; — Pasteur, rien qu'en regardant d'un peu près les helminthes qu'avait devinés Raspail, impose le diagnostic nouveau qui va mettre au panier nos vieux codex ; — Charcot entr'ouvre la mystérieuse porte du monde hyperphysique soupçonné par Mesmer, et toute notre criminalité séculaire s'écroule ; — Marey, qui vient de surprendre à l'oiseau le secret de l'aéronautique rationnelle par les graves, indique à l'homme dans les immensités de l'éther le nouveau domaine qui va être sien dès demain, — et, simple fait de physiologie pure, l'anesthésie s'élève, d'une aspiration comme divine, jusqu'à la miséricorde qui amnistie l'humanité de la douleur physique désormais abolie... — Et c'est cela, oui, tout cela que le bon monsieur Brunetière appelle : « la faillite de la Science... »
Nous voici bien au delà même de l'admirable bilan de Fourcroy, à l'heure suprême où le génie de la Patrie en danger commandait les découvertes, bien loin des Laplace et des Montgolfier, des Lavoisier, des Chappe, des Conté, de tous, — si loin que, sur cet ensemble des manifestations, des explosions presque simultanées de la Science en notre dix-neuvième siècle, sa symbolique devra, elle aussi, se transformer : — « l'Hercule antique était un homme dans toute la force de l'âge, aux muscles puissants et rebondis : l'Hercule moderne, c'est un enfant accoudé sur un levier. » (Louis de Lucy)
Toujours grâce à la magie du rail naissant, voici que les putti livrent en abondance les produits et les fruits exotiques venus directement des " ailleurs " et débarqués des bateaux au port de Marseille. Un enfant amarre un navire tandis qu'un amour, la couronne de laurier dans une main, une palme dans l'autre, indique tout le mérite qu'il faut reconnaitre au chemin de fer. On retrouve bien la gare et la locomotive à vapeur de cette époque. A remarquer : l'enfant agenouillé n'est pas moustachu, c'est la pierre dont est fait ce bas- relief qui a beaucoup souffert de l'érosion. 88 rue Saint-Lazare, IXe ardt.,hôtel construit pour la compagnie P.L.M. en 1869, c'était le siège de la SNCF de 1938 à 1999. |
Mais tant de prodiges nouveaux n'ont-ils pas
s'effacer devant le plus surprenant, le plus troublant de tous :
celui qui semble donner enfin à l'homme le pouvoir de créer, lui
aussi, à son tour, en matérialisant le spectre impalpable qui
s'évanouit aussitôt aperçu sans laisser une ombre au cristal du
miroir ; un frisson à l'eau du bassin ? L'homme ne put-il croire
qu'il créait en effet lorsqu'il saisit, appréhenda, figea
l'intangible, gardant la vision fugace, l'éclair, par lui gravés
aujourd'hui sur l'airain le plus dur ?
En somme, Niepce et son fin compère furent sages d'avoir attendu pour naître. L'Église se montra toujours plus que froide aux novateurs, — quand elle ne leur fut pas un peu chaude, — et la découverte de 1842 avait des allures suspectes au premier chef. Ce mystère sentait en diable le sortilège et puait le fagot : la rôtissoire céleste avait flambé pour moins.
(…/...)
En somme, Niepce et son fin compère furent sages d'avoir attendu pour naître. L'Église se montra toujours plus que froide aux novateurs, — quand elle ne leur fut pas un peu chaude, — et la découverte de 1842 avait des allures suspectes au premier chef. Ce mystère sentait en diable le sortilège et puait le fagot : la rôtissoire céleste avait flambé pour moins.
(…/...)
Devant le Daguerréotype, ce fut
« du petit au grand », comme prononce le dicton populaire, et
l'ignorant ou l'illettré n'eurent pas seuls cette hésitation
défiante, comme superstitieuse. Plus d'un parmi les plus beaux
esprits subit cette contagion du premier recul.
Pour n'en citer que dans les plus hauts, Balzac se sentit mal à l'aise devant le nouveau prodige : il ne se pouvait défendre d'une appréhension vague de l'opération Daguerrienne.
Il en avait trouvé son explication à lui, vaille que vaille à cette heure-là, rentrant quelque peu dans les hypothèses fantastiques à la Cardan. Je crois me bien rappeler avoir vu sa théorie particulière énoncée par lui tout au long dans un coin de l'immensité de son œuvre. Je n'ai pas loisir de l'y rechercher, mais mon souvenir se précise très nettement par l'exposé prolixe qu'il m'en fit dans une rencontre et qu'il me renouvela une autre fois, car il en semblait obsédé, dans le petit appartement tendu de violet qu'il occupait à l'angle de la rue Richelieu et du boulevard : cet immeuble, célèbre comme maison de jeu sous la Restauration, portait encore à cette époque le nom d'hôtel Frascati.
Donc, selon Balzac, chaque corps dans la nature se trouve composé de séries de spectres, en couches superposées à l'infini, foliacée en pellicules infinitésimales, dans tous les sens où l'optique perçoit ce corps.
L'homme à jamais ne pouvant créer, — c'est-à-dire d'une apparition, de l'impalpable, constituer une chose solide, ou de rien faire une chose, — chaque opération Daguerrienne venait donc surprendre, détachait et retenait en se l'appliquant une des couches du corps objecté.
De là pour ledit corps, et à chaque opération renouvelée, perte évidente d'un de ses spectres, c'est-à-dire d'une part de son essence constitutive.
Y avait-il perte absolue, définitive, ou cette déperdition partielle se réparait-elle consécutivement dans le mystère d'un renaissement plus ou moins instantané de la matière spectrale ? Je suppose bien que Balzac, une fois parti, n'était pas homme à s'arrêter en si bonne route, et qu'il devait marcher jusqu'au bout de son hypothèse. Mais ce deuxième point ne se trouva pas abordé entre nous.
Pour n'en citer que dans les plus hauts, Balzac se sentit mal à l'aise devant le nouveau prodige : il ne se pouvait défendre d'une appréhension vague de l'opération Daguerrienne.
Il en avait trouvé son explication à lui, vaille que vaille à cette heure-là, rentrant quelque peu dans les hypothèses fantastiques à la Cardan. Je crois me bien rappeler avoir vu sa théorie particulière énoncée par lui tout au long dans un coin de l'immensité de son œuvre. Je n'ai pas loisir de l'y rechercher, mais mon souvenir se précise très nettement par l'exposé prolixe qu'il m'en fit dans une rencontre et qu'il me renouvela une autre fois, car il en semblait obsédé, dans le petit appartement tendu de violet qu'il occupait à l'angle de la rue Richelieu et du boulevard : cet immeuble, célèbre comme maison de jeu sous la Restauration, portait encore à cette époque le nom d'hôtel Frascati.
Donc, selon Balzac, chaque corps dans la nature se trouve composé de séries de spectres, en couches superposées à l'infini, foliacée en pellicules infinitésimales, dans tous les sens où l'optique perçoit ce corps.
L'homme à jamais ne pouvant créer, — c'est-à-dire d'une apparition, de l'impalpable, constituer une chose solide, ou de rien faire une chose, — chaque opération Daguerrienne venait donc surprendre, détachait et retenait en se l'appliquant une des couches du corps objecté.
De là pour ledit corps, et à chaque opération renouvelée, perte évidente d'un de ses spectres, c'est-à-dire d'une part de son essence constitutive.
Y avait-il perte absolue, définitive, ou cette déperdition partielle se réparait-elle consécutivement dans le mystère d'un renaissement plus ou moins instantané de la matière spectrale ? Je suppose bien que Balzac, une fois parti, n'était pas homme à s'arrêter en si bonne route, et qu'il devait marcher jusqu'au bout de son hypothèse. Mais ce deuxième point ne se trouva pas abordé entre nous.
Quand j'étais photographe, par Félix Tournachon, dit Nadar, 1899.
A l'issue de cette série consacrée aux bacchanales d'enfants, si fréquentes dans l'histoire de l'Art et si bien représentées sur les façades des constructions parisiennes et banlieusardes, nous espérons avoir réussi à évoquer leurs multiples significations, leur raison d'être. La collection de nos photos de ces bas-reliefs, si elle n'est pas exhaustive, donne un bon aperçu, nous le pensons, de l'engouement qui a longtemps existé pour ce type de sujet. Ces enfants nous sont apparus comme appartenant à une sorte de grande famille, sur laquelle peu de textes de synthèse ont été écrits. C'est ce qui a rendu notre travail de documentation pour ces billets assez ardu, mais c'est aussi cela qui donnait de l'intérêt à ce thème, à la fois évident et pourtant mystérieux. Pendant cette recherche nous avons pu nous rendre compte de l'importance dans l'Antiquité du culte de Dionysos/Bacchus et de ses multiples représentations, importance encore amplifiée symboliquement à la Renaissance et durant l'age baroque. Et nous avons pu constater que certains aspects de ce culte semblaient bien avoir été repris par le Christianisme.
Partant de ce qui avait tout l'air de représenter des jeux innocents de bandes de marmots en liberté, nous avons touché à un courant mystique de fond, plutôt occidental, concernant la génération, la régénération, l'aspect sacré que peut revêtir les métamorphoses et les transformations du vivant, exprimé ici par la multiplicité, la polyvalence, la jeunesse éternelle, la faculté d'invasion de ces petits êtres, de cette engeance auto engendrée, prête à tout assumer, mais toujours sous le signe de la vitalité et du jeu.
A.F.
Le Bacchus de Charonne, Enseigne d'un bistrot à vins, la maison Mélac, angle de la rue Émile Lepeu et de la rue Léon Frot, XIe ardt. A noter la vigne qui pousse sur le petit toit, produisant du raisin et un peu de vin. |
Super sujets, merci. Vous êtes-vous également attaqué aux sculptures et reliefs des petit, grand et palais de la découverte ?
RépondreSupprimerAu passage, connaissez-vous l'origine de la rosace installée dans le jardin de l'hôtel de Sully ? (un clin d'oeil à l'évêque homonyme de Notre-Dame ?)
Des sculptures et bas-reliefs du Petit Palais il y a quelques images dans cet article... Mais nous n'avons pas traité l'ensemble de la décoration de ces deux bâtiments.
SupprimerQuant à la rosace placée dans le jardin de l'hôtel de Sully je n'ai pas de certitude... J'ai un très ancien souvenir comme quoi ce serait le chef-d’œuvre d'un compagnon tailleur de pierre, réalisé dans les années 60 ou 70, et qu'un responsable aurait eu envie d'installer là. Mais je me trompe peut-être car il s'agit d'un souvenir d'une visite guidée assez ancienne.
Bonjour, quelques puti "trainent" également d'ici delà à l'Hôtel de la Monnaie ;-)
RépondreSupprimerdominique.anterion@monnaiedeparis.fr
Bonjour,
SupprimerNous ne les connaissons pas... J'irais jeter un coup d’œil.
De plus nous avons découvert 4 bacchanales d'enfants sur le thème des 4 saisons, vers le Trocadero, avec des compositions originales, du début XXe siècle, peut-être ajoutées à ces billets un de ces jours....
Merci de votre lecture.
Pour compléter ma réponse, à cette date du 2 avril 2015, les bacchanales d'enfants évoquant les 4 saisons, sur la façade de l'ambassade du Maroc, près du Trocadéro, sont maintenant ajoutées à nos billets.
SupprimerMais je n'ai pas encore été explorer l'Hôtel de la Monnaie.
A.F.
Bonjour, très intéressant. A corriger, la rue Chaptal se trouve dans le 9ème arrondissement et non dans le 8ème.
RépondreSupprimerMerci, je corrige!
SupprimerAF
SUPERBE !!!
RépondreSupprimerMerci Hélène de votre visite... J'ai pu faire un petit tour sur votre blog où l'on retrouve quantité d'images variées de vos coups de cœur.
RépondreSupprimerI enjoyedd reading your post
RépondreSupprimerHello!
SupprimerThank you Madison. So, you can read our blog in french, not too dificult to ?
Regards from France