dimanche 21 novembre 2010

Lave de Volvic. 3 : Cité Malesherbes




Le Péché originel. Peinture sur lave de Jules Jollivet. 11 cité Malesherbes, IXe ardt


Où le peintre Jules Jollivet, dont les œuvres ont été bannies de Saint-Vincent-de-Paul, en pose des versions miniatures sur sa propre maison





Le peintre a reproduit l'un des sujets de l'Écriture sainte dont on devrait parler le moins souvent possible : le péché originel. Les peintures sont, quant à la forme, fort inconvenantes, et sont dégoûtantes à la porte d'une église, où une jeune fille doit pouvoir se faire tout expliquer et tout regarder. [...] Vous, prêtre, est-il convenable que vous examiniez des peintures aussi décolletées ? Devez-vous penser et approfondir le premier péché de l'homme et de la femme ? Je vous laisse répondre à cette dernière question.
Jules Didier, paroissien de Saint-Vincent-de-Paul, février 1861 (in "Laves émaillées" de Georges Brunel)



PEINTURES CÉRAMIQUES SUR LAVE (1)

Mortelèque perfectionna l'émail d'après les indications de l'allemand Starck, le rendit plus propre à l'emploi sur la lave, et produisit définitivement le premier la peinture en émail sur lave.
Après avoir prouvé sa complète réussite par des ouvrages de petite et de moyenne proportion, il céda son procédé à M. Hachette, son élève et gendre. Ce dernier, qui avait conservé l'artiste allemand, augmenta les dimensions des tables de lave, perfectionna les émaux et enrichit sa palette au point qu'elle surpassa bientôt celle des peintures à fresque et égala celle à l'huile.
En 1844, M. Pierre-Jules Jolivet, peintre de mérite dans le genre historique, élève de Gros et de Déjuinne, fut chargé d'un essai en grand de cette peinture destinée à la décoration du porche de l'église de Saint-Vincent-de-Paul à Paris, et en 1846, un premier tableau, représentant la Trinité, fut placé au-dessus de la principale porte (2).M. Jolivet fut alors, avec l'approbation de la commission des Beaux-Arts, chargé de compléter la décoration du porche de cette église sur une surface de soixante mètres, et le tout fut mis en place aussitôt son achèvement et après une nouvelle approbation de la commission des Beaux-Arts.(3)


L'Adoration des Mages. Peinture sur lave de Jules Jollivet dissimulée dans l'Église
Saint Vincent-de-Paul, IXe ardt (cliché Benchaum)

Mais le progrès d'un art destiné même à éterniser les belles créations des maîtres ne saurait, parait-il, être à l'abri des excès de zèle : « Du haut de la chaire, l'immodestie des sujets représentés par l'artiste avait été dénoncée aux fidèles ; les mères devaient défendre à leurs filles de lever les regards sur la face de la maison du Seigneur, polluée par les images de la création, de la faute et du châtiment de nos premiers parents et par celle du Christ, qui, dépouillé d'une partie de ses vêtements, recevait le baptême dans les eaux du Jourdain. Les fidèles s'étaient émus de cette espèce d'anathème ; ils avaient adressé à l'archevêque les plus ardentes plaintes et avaient supplié Sa Grandeur de faire disparaître au plus tôt une décoration qu'une parole accréditée avait frappée d'interdiction. Le préfet de la Seine, saisi de ces réclamations, convoqua la même commission des Beaux-Arts qui avait approuvé la pose, pour donner maintenant son avis, et la commission des Beaux-Arts conseilla de faire droit au désir témoigné par l'archevêque. Ordre fut donné d'enlever les peintures du porche de Saint-Vincent-de Paul, et cet ordre est exécuté aujourd'hui. » (4)
C'est, comme on vient de le lire, un art nouveau qui se trouva arrêté à son début. Maintenant, y avait-il véritablement scandale, ou seulement quelque licence dans la pose ou l'exécution des figures? Nous n'avons pas mission de répondre. La commission, à laquelle un prêtre même fut adjoint, avait tout approuvé et le public n'y trouvait rien à redire (5). Malgré tout cela, ce nouvel art a dû succomber sous la pression d'une individualité hostile (6).

1. Les plaques indiquant les noms des rues, à Paris, sont toutes en lave émaillée de la fabrique de M. Hachette jeune, le propriétaire actuel, mais les plaques des numéros des rues de Paris sont en porcelaine.
2. On peut aussi juger de l'effet de cette belle décoration céramique sur la façade de la maison de M. Jolivet, cité Malesherbes, à Paris, quoique la facture des sujets eût gagné à être tenue plus largement et le dessin des ornementations à être moins détaillé.
3. M. Jolivet qui avait commencé ses premiers essais par des hachures, abandonna ce système, impropre à la peinture sur lave, d'après les conseils de M. Starck, et réussit alors complétement.
4. L'exécution, il est vrai, n'était ni dans la tradition byzantine ni dans la tradition gothique-allemande, qui, certes, sont les seuls styles propres à la peinture religieuse chrétienne ; mais c'était à la commission, à laquelle les cartons avaient été soumis, de juger si la tradition de la peinture italienne ou païenne convenait.
5. De la peinture religieuse, etc., par J. Jolivet. Paris, 1861.
6. M. Jolivet a exposé en 1863 une Madone entre saint Joseph et saint Simon, plus grande que nature, une Tête de saint Mathieu, étude d'après Ingres, et une Jeune Grecque surprise au bain, peintures sur lave de toute beauté, et qui ont fait sensation.

Guide de l'amateur de faïences et porcelaines, poteries, terres cuites, peintures sur lave, émaux, pierres précieuses artificielles, vitraux et verreries ; par M. Auguste Demmin.(1867)


Le Baptême du Christ. Peinture sur lave de Jules Jollivet. 11 cité Malesherbes, IXe ardt.
L'oeuvre originale se trouve dans l'Église Saint-Vincent-de-Paul.

De la peinture religieuse à l'extérieur des églises, à propos de l'enlèvement de la décoration extérieure du porche de Saint-Vincent-de-Paul, par M. J. Jollivet, peintre d'histoire, brochure in-8° de 121 pages. Paris, 1861, chez M. Vittersheim.
Par une inexplicable fatalité, la brochure de M. Jollivet et les faits qui ont motivé sa publication ont passé quelque peu inaperçus. Nous-même nous n'avons pu donner plus tôt notre appréciation de ces faits, arrivés il y a plusieurs mois, et nous regrettons à ce sujet, qu'au moment le plus vif du débat, M. Jollivet n'ait pas appelé notre attention sur ce qui se passait. Il n'y a point de doute que notre plume ne se fut hâtée de prendre la défense des principes artistiques que représentait M. Jollivet.
La peinture murale est une des splendeurs de l'art, malheureusement ses conditions d'exécution la rendent peu durable, soumise qu'elle est à des causes multiples de destruction, telle que l'humidité des murs, la friabilité des plâtres, etc. Ces causes de destruction, qui se reproduisent déjà à l'intérieur des monuments, deviennent plus nombreuses lorsqu'on tente de décorer de peintures l'extérieur des églises. Trouver un procédé de peinture inaltérable, qui répondit de la conservation des peintures faites, non-seulement à l'intérieur, mais encore à l'extérieur d'une construction, et qui assurât cette conservation en dépit de toutes les intempéries de l'air, c'était là un problème qu'il s'agissait de résoudre et que M. Jollivet semble avoir, en effet résolu par La Peinture En émail Sur Lave. Cette peinture est inaltérable ; désormais on en pourra décorer, non-seulement l'intérieur, mais encore l'extérieur des temples, des monuments, et la grande peinture qui semble agonisante va reprendre sans doute un nouvel éclat et trouver de quoi s'exercer dans la peinture murale, ce dernier champ laissé au XIXe siècle aux peintres d'histoire. On accorde à M. Jollivet les murs du porche de Saint-Vincent-de-Paul, afin qu'il y fasse des essais du genre de peinture dont il est l'inventeur ou le promoteur. Le peintre présente ses cartons à une commission de membres de l'École des Beaux-Arts, parmi lesquels siège un ecclésiastique. Les dessins sont jugés dignes par les juges ès-arts, conformes au dogme par le représentant de l'orthodoxie, aussitôt M. Jollivet exécute en peinture les sujets de ses cartons, et il les place sous le porche de Saint-Vinceut-de-Paul. La presse artistique n'en avait-elle pas reçu avis, nous ne savons, mais il se fit peu de bruit au sujet de cet intéressant essai. Tout-à-coup on crie à l'immodestie des sujets exposés : La Création d'Adam et d'Eve, la Faute originelle, le Baptême de N. S., on en réfère au préfet de la Seine, à la commission des Beaux-Arts. Ordre est donné d'enlever les peintures, sous prétexte que la vérité des formes, la splendeur du coloris blessent la décence. Ceci donne lieu à la brochure de M. Jollivet ; le peintre, forcé d'abandonner le pinceau, prend la plume pour défendre son procédé et ses essais. L'histoire et les Pères de l'Eglise en main, il prouve l'usage consacré de la peinture murale, il proteste contre la mesure dont il est la victime, et la légèreté avec laquelle on a agi à son égard. Toute cette question est des plus intéressantes pour l'art contemporain, et nous recommandons vivement aux artistes et aux amateurs la lecture de la brochure de M. Jollivet (1).


La Création d'Ève. Peinture sur lave de Jules Jollivet. 11 cité Malesherbes, IX ardt.

Quant à nous, voici notre opinion : L'église choisie pour les essais de M. Jollivet était impropre à une tentative de peinture murale extérieure. L'architecture de Saint-Vincent-de-Paul se refuse à un semblable genre de décoration. Nous reconnaissons que les peintures de M. Jollivet n'étaient pas entièrement dans les usages du christianisme qui n'a presque jamais admis le nu vivant, mais seulement le nu souffrant ou mort.
Les peintures exposées à Saint-Vincent-de-Paul étaient, ceci ne rabaisse en rien leur valeur, d'une réalité de forme et de couleur un peu trop païenne. En cela nous serons d'accord avec la sentence d'ostracisme prononcée contre lesdites peintures.
Mais c'eût été le fait d'une protection intelligente, ardente pour l'avancement des formes de l'art moderne, de donner un autre monument à M. Jollivet (Saint-Germain-l'Auxerrois, par exemple, dont les peintures extérieures se détruisent de jour en jour) de lui marquer des sujets qui ne blessassent point le rituel ecclésiastique et de tenter un nouvel essai. Telle était la mission de ceux qui prétendent à la sauvegarde de l'art. Il faut reconnaître que la grande peinture, décadente en ce moment, n'a de refuge que dans la peinture murale. Examiner soigneusement tous les moyens de favoriser cet important rameau de l'art, rouvrir ainsi peut-être à nos artistes une voie féconde en grandes inspirations et en belles œuvres, voilà ce qu'on devait tenter, voilà ce qu'on doit tenter. Pour nous, dont la mission ne va malheureusement pas jusque-là, nous nous contenterons de donner à M. Jollivet procès-verbal de ses tentatives et de sa brochure, qui doivent avoir leur date écrite dans l'histoire de l'art au XIX° siècle.
 
Les beaux arts : revue nouvelle, du 1er au 15 décembre 1861, Paris

Adam et Ève chassés du Paradis. Peinture sur lave de Jules Jollivet. 11 cité Malesherbes, IXe ardt.

Le but que se proposèrent MM. Mortelèque et Hachette fut donc d'étendre aux peintures historiques originales les bienfaits des ressources abondantes et variées de la palette du peintre en émail, et de leur assurer ainsi une durée qui jusqu'alors avait été réservée à des copies. Mais, pour réussir, il fallait d'abord faire disparaître les ennuis d'un travail lent et minutieux, les déceptions nombreuses que trop souvent le peintre sur émail éprouvait, et ensuite élargir les surfaces désormais destinées à recevoir de grandes compositions.
Ils surmontèrent heureusement les difficultés relatives à l'emploi des couleurs ; mais ils rencontrèrent des obstacles opiniâtres dans le retrait capricieux des terres, qui ne leur permettait pas d'obtenir une étendue suffisante et une planimétrie indispensable. Ils se résignèrent donc à découper, ainsi qu'on le fait pour les vitraux, de petites plaques de terre cuite, et ils obtinrent ainsi une surface qui pouvait se développer à l'infini, et dont les ondulations divisées disparaissaient en quelque sorte devant une planimétrie générale.
Ce moyen était incomplet, mais il était préférable à celui que Palissy avait employé pour ses émaux de grandes dimensions. L'émail de fond était plus beau, il recevait indistinctement toutes les couleurs qui s'employaient alors comme les couleurs à l'huile, et les joints de toutes les fractions dont se composait là surface, se trouvaient à peu près dissimulés par les contours des objets représentés. M. Mortelèque peignit une Sainte Famille en suivant cette méthode, et le résultat qu'il obtint annonça un progrès. Cependant c'est le seul tableau qu'il ait fait, car un heureux hazard fournit enfin à ces courageux chercheurs ce qu'ils désespéraient de rencontrer.
On commençait à cette époque à daller avec des tables épaisses de lave de Volvic les trottoirs des rues et des contre-allées des boulevarts. M. Mortelèque, dont l'esprit investigateur était sans cesse en éveil, fit scier ces laves en feuilles de 20 millimètres d'épaisseur, les couvrit d'un émail blanc approprié à la nature de cette substance vitreuse, et propre en même temps à conserver aux couleurs les avantages précédemment obtenus ; il soumit au feu de recuisson la lave ainsi préparée, et reconnut avec une grande joie qu'elle n'avait subi aucune déformation et que sa couleur obscure avait complètement disparu sous l'opacité de l'émail. Il exécuta ensuite, en peu de jours, une tête de vieillard de grandeur naturelle. Le succès fut complet, et désormais sa peinture historique originale n'avait plus rien à envier aux émaux et aux copies sur porcelaine.
M. Mortelèque fit encore deux ou trois autres ouvrages sur lave, et entraîné par son génie inventif vers d'autres recherches, il laissa à M. Hachette, devenu son gendre, le soin de perfectionner et de propager cette heureuse découverte.
Jusque là tout leur avait réussi ; ils avaient eu le bonheur de rencontrer, dans les premiers travaux qui suivirent, le concours de quelques artistes assez courageux pour s'écarter des voies ordinaires. M. Abel de Pujol, qui le premier avec M. Vinchon, avait tenté la réhabilitation de la fresque par ses belles peintures de la chapelle de Saint-Roch à Saint-Sulpice, le premier encore peignit en émail sur lave les trois têtes de la Foi, de l'Espérance et de la Charité, qui décorent un autel entièrement en lave commandé par M. de Chabrol pour l'église de Sainte-Elisabeth, à Paris ; MM. Perrin , Orsel et Etex, firent les quatre médaillons placés parles soins de M. Duban, dans la cour intérieure de l'école des beaux arts ; M. Perlet, jeune artiste de talent, que la mort a trop tôt enlevé, reproduisit un buste colossal du Christ, destiné à l'église de Saint-Leu. Enfin, en 1846, on plaça sous le porche de Saint-Vincent-de-Paule, à titre d'essai,une portion de la décoration qu'avait projetée M. Hittorf. Cet émail, exécuté sur quatre plaques réunies, de 2 mètres 41 centimètres de hauteur chacune, couvre, y compris les bordures, également en lave émaillée, une superficie de plus de 14 mètres. Il représente la Trinité accompagnée des Prophètes et des Evangélisles, de grandeur naturelle ; le sujet de la composition générale était « la concordance de l'Ancien et du Nouveau Testament, » développée dans une suite de dix-neuf tableaux d'égales dimensions, et dont la totalité aurait occupé un espace de plus de deux cents mètres superficiels.
En effet, on peut affirmer, sans que la contradiction soit possible, que cette peinture en émail a offert à l'artiste autant de facilité, de promptitude et de liberté d'exécution que la peinture à l'huile, et plus peut-être que la fresque ; qu'aucune oeuvre sur porcelaine dure ne présente à l'oeil une vitrification aussi homogène, un glacé aussi égal ; qu'elle est, par conséquent, complètement exempte de bouillons et de tous les petits accidents que l'on remarque ordinairement dans les émaux. Ce travail, composé de dix figures de grandeur naturelle, a été peint sur la lave dans l'espace de trois mois, et malgré la nécessité de soumettre à des cuissons différentes les fractions d'un même tableau, la coloration des objets coupés par les joints, vitrifiée séparément, est de la même valeur sur toute son étendue. Tous ceux qui ont quelque connaissance des arts de vitrification, reconnaîtront que c'était une audacieuse tentative que d'entreprendre l'émaillage de surfaces d'une pareille dimension, et les peintres, même sur porcelaine, auraient douté qu'un artiste étranger jusque là à ce genre de peintures, et dont les éludes préparatoires se seraient bornées à un seul essai, eût pu exécuter un aussi grand émail avec autant de rapidité. Il faut se hâter de le dire, ce n'est pas à une aptitude tout d'un coup révélée, ni à une adresse exceptionnelle de la main, mais à l'excellence du procédé et à la facilité de son emploi, qu'il faut attribuer la réussite. Le seul mérite de l'auteur est d'avoir eu confiance dans l'habileté de M. Hachette et dans les succès qu'il avait précédemment obtenus.
Outre l'extension des champs, le tableau de Saint-Vincent de-Paule a été l'occasion d'un progrès important dans la peinture sur lave. On se rappelle que M. Mortelèque avait élargi les surfaces en assemblant des morceaux de terre cuite découpés selon les contours de la composition. Le Christ de M. Porter fut exécuté d'après celte méthode appliquée aux tables de lave. Il n'en a pas été de même cette fois. Les plaques de laves ont été taillées carrément sans tenir compte des objets que traversaient les lignes droites des joints. Elles sont fixées aux parois du porche au moyen de vingt vis, logées dans des tampons de bronze scellés dans le massif delà construction. Cinq jours ont suffi pour établir les échaffauds et tailler le mur, afin que le tableau ne fit pas saillie, et poser les quatre plaques et les bordures.
Cette méthode très prompte et très simple, est de beaucoup préférable à la première, en ce qu'elle permet de déplacer en quelques heures l'émail de Saint-Vincent-de-Paule. L'on comprend combien il est précieux de pouvoir enlever aussi facilement une peinture murale, lorsque par un accident imprévu ou par l'action du temps, la restauration d'un monument décoré devient urgente. Il faut encore ajouter qu'il est facile de fixer ce genre de peinture de manière à la mettre à l'abri du tassement de l'édifice. Avant l'invention de la peinture sur lave, la décoration intérieure des édifices était exposée à de nombreuses chances d'altération, et la décoration extérieure était impossible. Il n'en est plus de même aujourd'hui, et pour compléter tous les renseignements, il convient peut-être d'ajouter que les dépenses qu'elle occasionne ne sont pas sensiblement plus élevées que celles des aulres genres de peintures. L'émail de Saint-Vincent-de-Paule a coûté 5,700 fr.
Malgré ces qualités qui recommandaient la peinture sur lave à l'attention des artistes, elle est aujourd'hui à peu près perdue pour les arts. Triomphante dans toutes ses épreuves, elle succombe sous le poids de la fatalité qui tant de fois en France rejeta dans l'oubli les découvertes les plus profitables. Peut-être cependant les yeux s'ouvriront-ils sur l'étendue des ressources qu'elle offre aux artistes ; peut-être aussi la persécution qui l'arrête dans sa marche progressive, s'apaisera-t-elle enfin, et dans ce cas, il y aurait imprudence à signaler les erreurs, le mauvais vouloir, ou les préventions irréfléchies des adversaires dont l'amour-propre blessé réveillerait l'ardeur. C'est pour cela que toute récrimination empreinte de personnalité sera écartée, pour faire place au simple récit de son agonie.



 M. Mortelèque, son premier inventeur, est mort en 1844, et M. Hachette, si courageux, s'est laissé vaincre par le chagrin. Il avait épuisé, sans s'en apercevoir, toutes ses ressources dans la poursuite d'un progrès que lui seul ne croyait pas impossible ; c'est seulement après l'avoir réalisé qu'il reconnut l'étendue de ses sacrifices et la stérilité de son succès. L'interruption des travaux de Saint Vincent-de-Paule, sur lesquels il comptait pour fertiliser sa découverte, en la propageant, détruisit toutes ses espérances, et bientôt les souffrances de son esprit lui occasionnèrent une cruelle maladie qui l'enleva à sa famille, à son pays et à ses amis, le 22 septembre 1847. On pouvait dès lors craindre que le fruit de ses travaux ne fût perdu pour les arts ; mais il avait écrit le secret de son procédé, et les épreuves faites depuis sa mort, rassurèrent complètement à ce sujet. Cependant les travaux manquaient à sa veuve ; les deux ou trois ouvriers inoccupés se dispersèrent, et l'établissement qu'il avait élevé à grands frais aurait disparu, si quelques écriteaux de rues, quelques cadrans d'horloge, n'avaient de temps en temps fait allumer les fourneaux.
L'art cette fois encore avait abandonné la place à l'industrie, mais ce ne fut pas sans résistance. Un portrait en pied du roi Louis-Philippe, de grandeur naturelle, et sur une seule plaque de lave, avait déjà subi un premier feu, il allait être soumis au second, en même temps qu'une autre peinture de la même dimension, lorsque le 24 février arriva. Dans le cours des événements qui suivirent, des hommes armés envahirent la demeure de madame Hachette, et en firent une citadelle qui dominait le clos Saint-Lazare. A peine furent-ils chassés de cette position, que madame Hachette, effrayée des dangers auxquels l'aurait exposée la présence du portrait royal, le brisa en morceaux, recouvrit les débris d'un émail vert, et les employa. La seconde plaque, qui représentait un épisode du Massacre des Innocents, fut heureusement épargnée, mais elle est restée inachevée. Vaincue dans ce dernier effort, la peinture sur lave demanda un asile à la manufacture de Sèvres.
Mais malgré la nouvelle source de succès qu'elle offrait à cet établissement, malgré l'importance des services que l'art aurait reçus de la science de tous ceux qui contribuent à sa gloire, malgré le désir hautement manifesté par d'éminents artistes, malgré le bienveillant accueil du conseil de perfectionnement des manufactures, malgré les bienfaits répandus sur. l'industrie mise ainsi en possession d'un secret précieux, malgré enfin la modestie des conditions acceptées par madame Hachette pour la communication de son procédé , les tentatives se brisèrent contre une force d'inertie muette et insaisissable. C'était sans doute encore la spécialité qui s'opposait au progrès. Sèvres était une manufacture de porcelaine : dans un moment d'oubli, elle avait ouvert ses portes aux émaux et aux vitraux, et cette atteinte à sa spécialité ne devait pas s'étendre plus loin.
Le rang que nous occupons parmi les artistes ne nous permettrait peut-être pas de contribuer par nos travaux à là gloire de notre époque ; mais nous avons espoir du moins ; en rappelant les souvenirs de nos confrères sur les oeuvres d'autrefois, d'accélérer le retour d'une renaissance complète, et nous nous estimerons heureux si nous obtenons, en faveur de nos bonnes intentions, l'indulgence des lecteurs de L'Art en Province pour l'inexpérience de notre langage.

Mai 1850. Jules Jollivet. L'art en province, Moulins, 1850


Maison et atelier de Jules Jollivet. 11 cité Malesherbes. IXe ardt.




MAISON D'UN PEINTRE A PARIS
Extérieurement décorée de terres cuites émaillées.

Mon cher Daly,

Vous voulez citer quelques exemples des maisons que certains parisiens se construisent pour leur propre usage, et vous me demandez les dessins et la description de celle où j'ai cherché un refuge contre les exigences, de plus en plus exagérées, des possesseurs de la grande ville. Transfuge d'un art auquel vous avez consacré si heureusement et votre intelligence et votre dévouement, je ne me permettrais pas, en cédant à votre désir amical, de présenter à vos savants abonnés ma petite maison comme un modèle à suivre, si sa destination spéciale, sa décoration pour ainsi dire exceptionnelle et l'habilité de mon jeune architecte, M. Anatole Jal, ne l'avaient faite moins indigne de leur attention. Je vous adresse donc les dessins que vous avez bien voulu me témoigner le désir de publier, et j'y joins en guise de description la copie du programme que j'ai remis à M. Jal, et qu'il a si heureusement et si habilement interprété. - Voici la lettre que je lui écrivis à ce sujet.

Mon cher ami,


Dans l'impossibilité de subvenir aux augmentations successives du loyer de mon habitation et des ateliers qui me sont indispensables pour l'exécution de mes travaux actuels, j'ai conçu le projet de me construire une retraite qui me permettra, je le crois, de joindre aux conditions les plus favorables à l'exercice de mon art, celles d'une existence agréable. J'ai d'abord saisi l'occasion qui se présentait d'acquérir un terrain dans la cité Malesherbes, dont les deux faces exposées au nord et au midi offrent une disposition favorable pour des ateliers de peinture.
(...)

Je veux d'abord, dans le fond du terrain, un atelier pour peindre des tableaux sur lave émaillée, l0 m. de longueur sur 6 de largeur et de hauteur suffiront à sa destination, et le faîte de la toiture, composée en partie d'un vitrage, fournira la lumière la plus convenable pour l'exécution de mon travail. Cet atelier, de construction légère, sera percé de deux petites portes pour l'accès ordinaire et de trois grandes, dont les vantaux mobiles pourront, dans la belle saison, me permettre de travailler pour ainsi dire en plein air. La maison d'habitation, placée sur le devant du terrain, occupera un carré de 10 m. 50 sur les faces et de 11 m. sur les côtés.
(…)

Plan de la Maison de Jules Jollivet. Revue générale de l'architecture et des travaux publics, 1858


Quant au style d'architecture des deux façades nord et midi, je ne veux vous en désigner aucun ; il résultera sans doute du principe qui veut que l'extérieur d'une construction soit conforme à sa destination, c'est-à-dire révèle, dans le cas présent, la demeure d'un peintre. Votre combinaison doit aussi me permettre de faire contribuer à la décoration des terres cuites émaillées et coloriées et des peintures en émail sur lave. La face du nord, exposée aux regards du public, et qui sera construite en pierre et en briques, sera seule décorée de cette manière ; quant à celle du sud, sur le jardin, elle sera en briques, moellons et plâtre, matériaux qui vous fourniront, j'en suis sur, de ces jolis motifs dont vous avez déjà heureusement usé. D'ailleurs, quelques arbustes, deux beaux arbres que j'ai trouvés sur le terrain, et que je voudrais conserver, et cinq ou six bouquets de fleurs qui pourront, en se serrant un peu, trouver place dans le jardinet, seront d'utiles auxiliaires pour donner à ce côté de la maison le charme d'un petit réduit semblable à ceux que l'on trouve à Pompéi.
(…)

Faut-il, mon cher Daly, pour justifier le parti que j'ai pris de couvrir les murs du vestibule et des escaliers de teintes plates, vous faire part de mon programme pour les remplir? Je puis le faire en peu de mots que d'ailleurs vous pouvez biffer. Je veux, lorsque l'hiver, avare de lumière, me la fera chercher dans l'atelier au sommet de la maison, rencontrer sur mon chemin la leçon profitable de l'origine et de la cause des progrès et des faiblesses de l'art. Je peindrai donc, sur ces panneaux, muets aujourd'hui, l'enfance des émaux en Égypte, de la couleur sur les temples de la Grèce et sur les vases de l'Etrurie; l'adolescence, l'âge mûr, la décadence et la résurrection de la peinture en Italie et en France.
(…)
Jules Jollivet, peintre

La Revue générale d'architecture et des travaux publics, Tome XVI, 1858





- Laves émaillées : un décor oublié du XIXe siècle
. Georges Brunel. Paris, 1998.
- Hittorff. Thomas von Joest, Claudine de Vaulchier. Paris, 1986.
- De la peinture religieuse à l'extérieur des églises, à propos de l'enlèvement de la décoration extérieure du porche de Saint-Vincent-de-Paul. Jules Jollivet. Paris, 1861
- Peinture en émail sur lave : sa raison d'être et sa défense contre les obstacles opposés à son adoption. Jules Jollivet. Paris, 1862.
- De la polychromie de l'architecture par l'emploi des émaux : description d'un exemple à Deauville (...). Paris, 1867.
- La villa Palissy à Deauville.
- Une table en lave émaillée d'Hittorff et Mortelèque.

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