samedi 12 février 2011

Vitraux de Guerre




Église Sainte Marguerite, 36 rue St Bernard, XIe ardt. Verrière "A eux l'immortalité"







Vous ne tarderez pas à comprendre que ces petites choses matérielles sales et basses ont beaucoup plus d'importance pour vous que tout l'esprit supérieur du combat. Brusquement au milieu d'une bataille qui semblait se dérouler pour des besoins spirituels légitimes, vous sentez qu'en réalité on vous a illégalement imposé un simple débat entre vous-même et la douleur, vous-même et la nécessité de vivre, vous-même et le désir de vivre, que tout est là ; que si, simplement vous mourez, il n'y a plus ni bataille, ni patrie, ni droit, ni raison, ni victoire, ni défaite et qu'ainsi on vous fait tout simplement vous efforcer douloureusement vers le néant. Il n'y a pas d'épopée si glorieuse soit-elle qui puisse faire passer le respect de sa gloire avant les nécessités d'un tube digestif. Celui qui a construit l'épopée avec la souffrance de son corps sait que dans ces moments dits de gloire, en vérité, la bassesse occupe le ciel.
Sous le fer de Verdun les soldats tiennent. Pour un endroit que je connais nous tenons parce que les gendarmes nous empêchent de partir. On en a placé des postes jusqu'en pleine bataille, dans les tranchées de soutien, au-dessus du tunnel de Tavannes. Si on veut sortir de là il faut un ticket de sortie. Idiot mais exact ; non pas idiot, terrible. Au début de la bataille, quand quelques corvées de soupe réussissent encore à passer entre le barrage d'artillerie, arrivées là, elles doivent se fouiller les cartouchières et montrer aux gendarmes le ticket signé du capitaine. L'héroïsme du communiqué officiel, il faut ici qu'on le contrôle soigneusement. Nous pouvons bien dire que si nous restons sur ce champ de bataille, c'est qu'on nous empêche soigneusement de nous en échapper. Enfin, nous y sommes, nous y restons ; alors nous nous battons ? Nous donnons l'impression de farouches attaquants ; en réalité nous fuyons de tous les côtés. Nous sommes entre la batterie de l'hôpital, petit fortin, et le fort de Vaux, qu'il nous faut reconquérir. Cela dure depuis dix jours. Tous les jours, à la batterie de l'hôpital, entre deux rangées de sacs à terre, on exécute sans jugement au revolver ceux qu'on appelle les déserteurs sur place. On ne peut pas sortir du champ de bataille, alors maintenant on s'y cache. On creuse un trou, on s'enterre, on reste là. Si on vous trouve on vous traîne à la batterie et, entre deux rangées de sacs à terre, on vous fait sauter la cervelle. Bientôt il va falloir faire accompagner chaque homme par un gendarme. Le général dit « ils tiennent ». A Paris est un historien qui s'apprête à conjuguer à tous les temps et à toutes les personnes (compris la sienne) le verbe « tenir à Verdun ». Ils tiennent, mais, moi général, je ne me hasarderais pas à supprimer les gendarmes ni à conseiller l'indulgence à ce colonel du 52ème d'infanterie qui est à la batterie de l'hôpital. Cela dure depuis quinze jours.






Steinlen, " Transport des blessés "





Depuis huit jours les corvées de soupe ne reviennent plus. Elles partent le soir à la nuit noire et c'est fini, elles se fondent comme du sucre dans du café. Pas un homme n'est retourné. Ils ont tous été tués, absolument tous, chaque fois, tous les jours sans aucune exception. On n'y va plus. On a faim. On a soif. On voit là-bas un mort couché par terre, pourri et plein de mouches mais encore ceinturé de bidons et des boules de pain passées dans un fil de fer. On attend. que le bombardement se calme. On rampe jusqu'à lui. On détache de son corps les boules de pain. On prend les bidons pleins. D'autres bidons ont été troués par les balles. Le pain est mou. Il faut seulement couper le morceau qui touchait le corps. Voilà ce qu'on fait tout le jour. Cela dure depuis vingt-cinq jours. Depuis longtemps il n'y a plus de ces cadavres garde-manger. On mange n'importe quoi. Je mâche une courroie de bidon. Vers le soir, un copain est arrivé avec un rat. Une fois écorché, la chair est blanche comme du papier. Mais, avec mon morceau à la main j'attends malgré tout la nuit noire avant de manger. On a une occasion pour demain : une mitrailleuse qui arrivait tout à l'heure en renfort a été écrabouillée avec ses quatre servants à vingt mètres en arrière de nous. Tout à l'heure on ira chercher les musettes de ces quatre hommes. Ils arrivaient de la batterie. Ils doivent avoir emporté à manger pour eux. Mais il ne faudrait pas que ceux qui sont à notre droite n'y aillent avant nous. Ils doivent guetter aussi de dedans leur trou. Nous guettons. L'important c'est que les quatre soient morts. Ils le sont. Tant mieux. Cela dure depuis trente jours.









Steinlen " Les échappés de l'enfer "





C'est la grande bataille de Verdun. Le monde entier a les yeux fixés sur nous. Nous avons de terribles soucis. Vaincre? résister? tenir? faire notre devoir? Non. Faire nos besoins. Dehors, c'est un déluge de fer. C'est très simple : il tombe un obus de chaque calibre par minute et par mètre carré. Nous sommes neuf survivants dans un trou. Ce n'est pas un abri, mais les quarante centimètres de terre et de rondins sur notre tête sont devant nos yeux une sorte de visière contre l'horreur. Plus rien au monde ne nous fera sortir de là. Mais ce que nous avons mangé, ce que nous mangeons se réveille plusieurs fois par jour dans notre ventre. Il faut que nous fassions nos besoins. Le premier de nous que ça a pris est sorti ; depuis deux jours il est là, à trois mètres devant nous, mort déculotté. Nous faisons dans du papier et nous le jetons là devant. Nous avons fait dans de vieilles lettres que nous gardions. Nous sommes neuf dans un espace où normalement on pourrait tenir à peine trois serrés. Nous sommes un peu plus serrés. Nos jambes et nos bras sont emmêlés. Quand on veut seulement plier son genou, nous sommes tous obligés de faire les gestes qui le lui permettront. La terre de notre abri tremble autour de nous sans cesse. Sans cesse les graviers, la poussière et les éclats soufflent dans ce côté qui est ouvert vers le dehors. Celui qui est près de cette sorte de porte a le visage et les mains écorchés de mille petites égratignures. Nous n'entendons plus à la longue les éclatements des obus ; nous n'entendons que le coup de masse d'arrivée. C'est un martèlement ininterrompu. Il y a cinq jours que nous sommes là-dedans sans bouger. Nous n'avons plus de papier ni les uns ni les autres. Nous faisons dans nos musettes et nous les jetons dehors. Il faut démêler ses bras des autres bras, et se déculotter, et faire dans une musette qui est appuyée sur le ventre d'un copain. Quand on a fini on passe la saleté à celui de devant, qui la passe à l'autre qui la jette dehors. Septième jour. La bataille de Verdun continue. De plus en plus héros. Nous ne sortons toujours pas de notre trou. Nous ne sommes plus que huit. Celui qui était devant la porte a été tué par un gros éclat qui est arrivé en plein dedans, lui a coupé la gorge et l'a saigné. Nous avons essayé de boucher la porte avec son corps. Nous avons bien fait. Une sorte de tir rasant qui s'est spécialisé depuis quelques heures sur ce morceau de secteur fait pleuvoir sur nous des éclats de recul. Nous les entendons frapper dans le corps qui bouche la porte. Malgré qu’il ait été saigné comme un porc avec la carotide ouverte, il saigne encore-à chacune des ces blessures qu’il reçoit après sa mort. J'ai oublié de dire que depuis plus de dix jours aucun de nous n'a de fusil, ni de cartouches, ni de couteau, ni de baïonnette. Mais nous avons de plus en plus ce terrible besoin qui ne cesse pas, qui nous déchire. Surtout depuis que nous avons essayé d’avaler de petites boulettes de terre pour calmer la faim, et aussi parce que cette nuit il a plu et, et comme nous n'avions pas bu depuis quatre jours, nous avons léché l'eau de la pluie qui ruisselait à travers les rondins et aussi celle qui venait de dehors et qui coulait chez nous par-dessous le cadavre qui bouche la porte. Nous faisons dans notre main. C’est une dysenterie qui coule entre nos doigts. On ne peut même pas arriver à jeter ça dehors. Ceux qui sont au fond essuient leurs mains dans la terre à côté d'eux. Les trois qui sont près de la porte s'essuient dans les vêtements du mort. C'est de cette façon que nous nous apercevons que nous faisons du sang. Du sang épais mais absolument vermeil. Beau. Celui-là a cru que c'était le mort sur lequel il s'essuyait qui saignait. Mais la beauté du sang l'a fait réfléchir.







Église St Michel des Batignolles, 12 bis rue St Jean, XVIIè ardt. Détail




Il y a maintenant quatre jours que ce cadavre bouche la porte et nous sommes le 9 août, et nous voyons bien qu'il se pourrit. Celui-là avait fait dans sa main droite ; il a passé sa main gauche à son derrière ; il l'a tirée pleine de ce sang frais. Dans le courant de ce jour-là nous nous apercevons tous à tour de rôle que nous faisons du sang. Alors, nous faisons carrément sur place, là, sous nous. J'ai dit que nous n'avons plus d'armes depuis longtemps ; mais, nous avons tous notre quart passé dans une courroie de notre équipement car nous sommes à tous moments dévorés par une soif de feu,et de temps en temps nous buvons notre urine. C'est l'admirable bataille de Verdun.







Steinlen " Les trois compagnons "




Deux ans plus tard, au Chemin des Dames, nous nous révolterons (à ce moment-là je survivais seul de ces huit derniers) pour de semblables ignominies. Pas du tout pour de grands motifs, pas du tout contre la guerre, pas du tout pour donner la paix à la terre, pas du tout pour de grands mots d'ordre, simplement parce que nous en avons assez de faire dans notre main et de boire notre urine. Simplement parce qu'au fond de l'armée, l'individu a touché l'immonde.

JEAN GIONO-Extrait de « Recherche de la pureté »








Église St Etienne, 5 place de l'Église, 92130 Issy-Les-Moulineaux.








Église St Etienne, 5 place de l'Église, 92130 Issy-Les-Moulineaux. Détail.








Aux Mères Douloureuses

Rien n'est plus merveilleux que la beauté des morts.
Si l'on vous dit jamais que la balle, en frappant,
Que l'obus, en fauchant, avaient meurtri leurs corps,
Assez pour qu'on n'y vît que la terreur du sang,

N'en croyez rien ! Ce n'est pas vrai. Graves, superbes,
Sculptés par le génie insensé de la mort,
Tous ces soldats raidis se sont couchés dans l'herbe,
Comme des rois, vêtus de fer, de pourpre et d'or.

On vous dira : « Hachés, mutilés, c'est à peine
» Si l'on voyait, de la couverture de laine,
» Emerger le point noir de leurs souliers à clous. »
Ou bien : « Ils étaient droits, au contraire, debout,

» Mais démantibulés ! Plus des hommes. Des choses!
» On aurait voulu les secouer pour qu'ils bougent,
» Et que, rectifiant la tenue, ils imposent
» La beauté du linceul à leur pantalon rouge.

» Car la mort est grotesque, abjecte. Elle profane ;
» Et du plus noble fait une caricature !... »
Ce n'est pas vrai ! C'est un blasphème, je le jure.
Fronts d'ivoire, profils sereins, chairs diaphanes,

Ils semblaient façonnés par quelque Praxitèle,
Avec des majestés augustes, sans souillure,
Ayant bien su tomber pour la pose éternelle...
J'en suis certain. J'ai soulevé la couverture.

Depuis plus de mille ans rien ne fut aussi beau !
Jamais plus de grandeur calculée ne donna
Semblable majesté aux choses du tombeau.
D'ordinaire, le sang, c'est de l'assassinat.

Ce fut une splendeur de gestes et de poses !
Il faut croire au hasard correct de la beauté,
Qui sait tout ordonner, et qui place à côté
De l'enfant gracieux le vieillard grandiose,

Qui fait tout comme il faut, couvre, atténue, efface,
Compose, simplifie et met tout à sa place...
Cette fois-ci, ce fut du sublime agrandi.
Ceux qui l'auront nié, comme Pierre, ont menti !








Église Ste Marthe des Quatre Chemins Aubervilliers, 3 rue Condorcet, 93500 Pantin. Verrière de Tournel, 1925






Mères ! Mères en deuil! Mères de mon pays !
Que l'indicible horreur de votre cœur s'arrache !
Ils étaient là très doux, très sages, très petits,
Avec leur joue en fleur, tous ces enfants sans tache,

Ce n'est pas vrai qu'ont ait abîmé leurs figures !
Mères, rassurez-vous. Ecartez vos deux mains
Du visage qui fuit la vision... Je jure
Qu'ils avaient, tous, la face empreinte du divin,

Pas un, entendez-vous, pas un qui ne fût tel !...
Il faut le croire. Il faut. J'en atteste le Ciel.
Mères, levez le front. J'en viens ! Je les ai vus !
Tous vos enfants étaient aussi beaux que Jésus.

Henri Bataille
Lyres Françaises. Un livre pour nos soldats. Œuvre de reconnaissance nationale.









Église Saint Pierre-Saint Paul, 5 place Ferrari, 92140 Clamart. Verrière de l'atelier Champigneulle, 1921









Nous aurons beau faire, nous aurons beau faire, ils iront toujours plus vite que nous, ils en feront toujours plus que nous, davantage que nous. Il ne faut qu’un briquet pour brûler une ferme. Il faut, il a fallu des années pour la bâtir. Ça n'est pas difficile; ça n'est pas malin. Il faut des mois et des mois, il a fallu du travail et du travail pour pousser une moisson. Et il ne faut qu’un briquet pour flamber une moisson. Il faut des années et des années pour faire pousser un homme, il a fallu du pain et du pain pour le nourrir, et du travail et du travail et des travaux et des travaux de toutes sortes. Et il suffît d’un coup pour tuer un homme. Un coup de sabre, et ça y est. Pour faire un bon chrétien il faut que la charrue ait travaillé vingt ans. Pour défaire un chrétien il faut que le sabre travaille une minute. C'est toujours comme ça. C'est dans le genre de la charrue de travailler vingt ans. C'est dans le genre du sabre de travailler une minute ; et d'en faire plus ; d'être le plus fort. D'en finir. Alors nous autres nous serons toujours les moins forts. Nous irons toujours moins vite, nous en ferons toujours moins. Nous sommes le parti de ceux qui construisent. Ils sont le parti de ceux qui démolissent. Nous sommes le parti de la charrue. Ils sont le parti du sabre. Nous serons toujours battus. Ils auront toujours le dessus dessus nous, par dessus nous.
Nous aurons beau dire.
Un silence.
Pour un blessé qui se traîne au long des routes, pour un homme que nous ramassons au long des routes, pour un enfant qui traîne au bord des routes, combien la guerre n'en fait-elle pas, des blessés, des malades, et des abandonnés, de malheureuses femmes, et des enfants abandonnés; et des morts, et tant de malheureux qui perdent leur âme. Ceux qui tuent perdent leur âme parce qu'ils tuent. Et ceux qui sont tués perdent leur âme parce qu'ils sont tués. Ceux qui sont les plus forts, ceux qui tuent perdent leur âme par le meurtre qu'ils font. Et ceux qui sont tués, celui qui est le plus faible, perdent leur âme par le meurtre qu'ils subissent, car se voyant faibles et se voyant meurtris, toujours les mêmes faibles, toujours les mêmes malheureux, toujours les mêmes battus, toujours les mêmes tués, alors les malheureux ils désespèrent de leur salut, car ils désespèrent de la bonté de Dieu. Et ainsi, de quelque côté qu'on se tourne, des deux côtés c'est un jeu où, comment qu'on joue, quoi qu’on joue, c’est toujours le salut qui perd, et c’est toujours la perdition qui gagne. Tout n'est qu'ingratitude, tout n’est que désespoir et que perdition.








Église Ste Marguerite, 36 rue St Bernard, XIe ardt. Verrière "A nous le souvenir"









Église Ste Marguerite, 36 rue St Bernard, XIe ardt. Verrière "A nous le souvenir". Détail










Église Ste Marguerite, 36 rue St Bernard, XIe ardt. Verrière "A nous le souvenir". Détail










Église Ste Marguerite, 36 rue St Bernard, XIe ardt. Verrière "A eux l'immortalité"








Labour suprême

C'est l'automne. On laboure, à l'arrière, à l'avant,
A l'arrière, un sol doux et léger que la pluie
Détrempe et qu'un regard du bon soleil essuie ;
Sur le Front, un sol dur, tragique, que défend
Le squelette du mort ou le poing du vivant.

Le laboureur du sol docile de l'arrière,
C'est notre ami Jacques Bonhomme, et quelquefois
Sa bru veuve, ou sa fille, ou d'autres faibles doigts
Plutôt faits pour l'aiguille ou les grains du rosaire
Que pour les mancherons de métal ou de bois.

Le maître-laboureur des terres reconquises,
C'est Foch, cœur chaud, poing ferme et clair regard d'acier
L'homme des plans savants et des brusques surprises,
Guide prudent et sûr du terrible levier
Qui du mur Hindenburg fait crouler les assises.

Et son équipe, c'est Pétain, Mangin, Humbert,
Gouraud et Debeney, Pershing, Haig et vingt autres
Laboureurs alliés et qui valent les nôtres,
Et qui, d'un même élan, auront avant l'hiver,
Achevé leur labour des Vosges à la mer.








Église Notre-Dame-de Clignancourt, 2 place Jules Joffrin, XVIIIe ardt.







Leur géante charrue a des socs d'Angleterre
Et d'Amérique, en pur acier souple et tranchant;
A cette heure la France hélas! fournit le champ;
On éventre, on meurtrit la vieille Terre-Mère ;
Demain fécond, le coutre est aujourd'hui méchant.

Et ce sont ses enfants encor qu'on couche en elle,
C'est de leur jeune sang qu'on arrose et pétrit
Le flanc qui les porta, le sein qui les nourrit ;
Pour la rendre à nouveau fertile et maternelle,
Fallait-il donc qu'en cimetière elle fleurît?

Bombarder, piétiner, souiller ce qu'on adore,
Le pré, Le clos, les champs, les côteaux mordorés,
Et puis les déchirer, les retourner encore,
S'arrêter à la nuit pour reprendre à l'aurore ;
S'acharner sur les bois qu'on avait massacrés ;

Enfouir où jadis on semait d'un beau geste
Le grain blond de froment qui donnait vingt pour un,
Une ignoble ferraille, un gaz qui sent la peste,
Et des morts sur des morts!... Et puis, raser le reste
De ce qu'en s'enfuyant aura laissé le Hun,

Voilà leur tâche, en Flandre, en Champagne, en Argonne
Et, de quelque pitié que nous soyons remplis
Pour les cités et pour les champs sur lesquels tonne
La foudre, dont il faut fouiller tous les replis
Où le Boche résiste encore et se cramponne,

Nous leur crions: «Hardi, suprêmes laboureurs!
Poussez vos socs ardents pointés sur la frontière ;
Tournez et retournez, même en broyant nos cœurs,
Ce sol sacré, s'il n'est demain qu'un cimetière,
Nos morts vous béniront, car vous serez vainqueurs!

Car si d'un tel labour, à la saison nouvelle,
Ne monte point le blé qu'attendent nos greniers,
Ni l'alouette aux alléluias printaniers,
La Paix en sortira que l'Univers appelle
Et dont la robe en fleurs cachera ces charniers!

Octobre 1918.

M.F. Fabié - Bulletin de l'Académie du Var.







Steinlen " La Gloire "









Église St Michel des Batignolles, 12 bis rue St Jean, XVIIe ardt.









Église St Michel des Batignolles, 12 bis rue St Jean, XVIIe ardt. Détail.












Église St Michel des Batignolles, 12 bis rue St Jean, XVIIe ardt. Détail.








La Cathédrale

Ils n'ont fait que la rendre un peu plus immortelle.
L'Œuvre ne périt pas, que mutile un gredin,
Demande à Phidias et demande à Rodin
Si, devant ses morceaux, on ne dit plus : « C'est Elle! »

La Forteresse meurt quand on la démantèle,
Mais le Temple, brisé, vit plus noble ; et soudain
Les yeux, se souvenant du toit avec dédain,
Préfèrent voir le ciel dans la pierre en dentelle.

Rendons grâce – attendu qu'il nous manquait encor
D'avoir ce qu'ont les Grecs sur la colline d'or :
Le Symbole du Beau consacré par l'insulte!–

Rendons grâce aux pointeurs du stupide canon,
Puisque de leur adresse allemande il résulte
Une Honte pour eux, pour nous un Parthénon!

EDMOND ROSTAND

Lyres Françaises. Un livre pour nos soldats. Œuvre de reconnaissance nationale.








La cathédrale de Reims en flamme, église St Etienne, 5 place de l'Église, 92130 Issy-Les-Moulineaux. Détail.









AYANT-PROPOS

« Si tous les monuments, tous les chefs-d'œuvre d'architecture allaient au diable, cela nous serait parfaitement égal... On nous traite de Barbares. Qu'importe ! nous en rions. Qu'on nous épargne ce bavardage oiseux, qu'on ne nous parle plus de la cathédrale de Reims, de toutes les églises, de tous les palais qui partageront son sort !... »
Général von DITHFURT.

(…)
Le corps gigantesque de la cathédrale, couvert de plaies, n'a pas cessé d'être le but préféré des batteries allemandes depuis l'incendie du 19 septembre 1914. Ceci suffisait à ruiner la thèse teutonne. Si même une fière et méprisante déclaration du maréchal Joffre n'avait réfuté l'allégation ennemie relative aux mitrailleuses prétendument juchées sur les tours, depuis trente mois que ces mitrailleuses, aussi invisibles que les avions français qui furent censés bombarder Nuremberg le 1er août 1914, auraient cessé de tirer, il ne fût subsisté nulle raison de canonner la basilique. Or, chaque fois que les Allemands ont enregistré un échec ailleurs, ou simplement par fantaisie, Reims et son sanctuaire ont reçu de nouveaux obus et en recevront sans doute jusqu'à ce que les lignes des adversaires aient été forcées.
Camille MAUCLAIR.

L'IDÉAL DE LEUR "KULTUR"
Au moment où la Gazette populaire de Cologne est autorisée à publier la lettre par laquelle le Pape « invite l'Allemagne à faire son possible pour que les cathédrales pussent être protégées contre les intempéries et que les dégâts qu'elles ont subis pussent être réparés» et la réponse du Kaiser déclarant à Benoît XV, qu'« il s'efforcera d'épargner les horreurs de la guerre aux lieux vénérables consacrés au culte religieux ainsi qu'aux monuments artistiques qu'il considère comme la propriété commune de toute l'humanité » (1), il est bon de mettre sous les yeux du monde civilisé quelques-uns des numéros de guerre publiés par L'Art et les Artistes, notamment La Cathédrale de Reims, les Vandales en France et L'Art assassiné, et de prouver, —combien petitement— par l'image, la tartuferie éhontée de l'autocrate prussien dont le respect « pour les lieux vénérables consacrés au culte religieux et les monuments artistiques» ne s'est traduit, jusqu'à ce jour, partout où ses hordes ont passé, qu'en blasphèmes de feu, en crachats de mitraille, en ruines, en décombres, en dévastations de toutes sortes. Oh ! toutes ces nefs éventrées, tous ces autels pulvérisés, tous ces monuments anéantis ! Il est bon aussi de rafraîchir les mémoires en rappelant ce que le professeur Théobald Ziegler écrivait au lendemain du sacrilège de Reims (2) :

« Il nous faut vaincre coûte que coûte. Le respect des œuvres d'art ne vient qu'en seconde ligne, et même disparaît totalement, quand notre victoire est en cause. Voilà dans quel sens nous sommes et voulons être des barbares. Pour nous, cela s'appelle être humain. »

A comparer ces paroles à la réponse du Kaiser.

C'est la même fourberie effrontée, la même outrecuidante hypocrisie qui a présidé à la fameuse proposition de paix faite par le gouvernement boche aux puissances alliées.
Lorsqu'on lit les principes sur lesquels le professeur A. Lasson a établi les lois de la Kultur et de son « idéal » on est saisi d'une stupeur profonde. Eh quoi! ceux-là mêmes qui ont écrit qu'« on ne doit demander à un État ni pitié ni bienveillance » et que « la contrainte seule pourra assurer l'exécution du droit » proposent aujourd'hui la paix et basent leur offre sur « leur amour du genre humain » ?
(1) Le Figaro, 18 janvier 1917.
(2) Paroles allemandes, Berger-Levrault, éditeur, Paris.










Cathédrale de Reims, église Ste Marguerite, 36 rue St Bernard, XIe ardt. Verrière "A nous le souvenir". Détail.





LA CATHÉDRALE DE REIMS

UNE LETTRE DU FRONT
Monsieur,
J'ai lu votre article sur la Cathédrale de Reims. Oui, c'est l'avis de nous tous officiers : il ne faut pas la réparer. Il faut la consolider, la recouvrir adroitement et la laisser comme un témoin de la barbarie teutonne. Il faut y transporter les ossements des soldats épars sur les champs de France. Il faut inscrire, en lettres d'or, sur des plaques de marbre noir, les noms des héros morts pour la Patrie. Il faut entourer cet ossuaire, des canons pris à l'ennemi, mis debout et reliés par des chaînes fondues dans du bronze allemand. Et que tous les ans, à la date de la signature de la paix, proclamant l'écrasement de l'Allemagne, la France aille s'agenouiller devant les morts; et que l'Armée envoie ce jour-là tous ses drapeaux, avec une délégation d'officiers et de soldats, saluer les héros
C T.

(…)

LETTRE DE RODIN

L'idée de défendre les ruines de la cathédrale de Reims contre toute restauration sacrilège et d'en faire le Panthéon des héros inconnus morts pour la Patrie, et dont les ossements sont aujourd'hui dispersés à travers tous les champs de bataille, est tout simplement sublime. J'y applaudis bien vivement comme aussi au projet de cette cérémonie annuelle où la France précédée par les drapeaux des régiments, irait s'agenouiller devant le glorieux ossuaire. Ce serait une sorte de sacre nouveau, et comme vous le dites, très justement, la vieille basilique mutilée, mais non défigurée par de profanes restaurations, verrait se renouer à travers l'histoire, les anneaux brisés de ses traditions nationales. Ce projet grandiose né dans l'âme d'un soldat et fait pour émouvoir l'âme de la France entière, doit aboutir.
Auguste RODIN.

(…)








Joseph Felix Bouchor,  la cathédrale de Reims, Septembre 1917







Mais si sur ce point assez délicat, j'en conviens, les consciences catholiques se montraient dogmatiquement irréductibles, ne pourrait-on pas, sans porter une atteinte profonde à la grandeur du projet initial, élever sur l'emplacement même où fut l'Archevêché, tout à côté de la cathédrale, solidement consolidée et riche de ses glorieuses blessures, le monument commémoratif aux héros inconnus morts pour la patrie, le Panthéon ossuaire, le tumulus honorarius sous lequel, dans de cryptes profondes,reposeraient pour l'éternité les ossements épars sur l'immensité du sol. J'entends bien l'objection de M. Henri Lapauze : « Les ossuaires seront constitués sur le champ de bataille. C'est bien le moins que les restes de nos glorieux soldats attestent leur héroïsme, là où il se manifesta. » Sans doute, mais je me demande, avec une certaine anxiété, ce que deviendront tous ces restes humains qui gisent aujourd'hui, deçà delà, des bords de l'Yser aux forêts des Vosges, sous des tertres hâtivement élevés, lorsque les socs impitoyables des plus formidables charrues et les dents des herses perfectionnées auront rétabli l'ordre dans le sol chaotique des batailles à travers les débris de fer et les ossements confondus :
« Ayez pitié des morts des sauvages assauts,
« Pêle-mêle enfouis sous terre par monceaux. »
Et, puis, en admettant même qu'à l'aide de réglementations municipales très sévères ces tertres mortuaires puissent être préservés contre toute injure involontaire, quel spectacle de désolations éternelles à travers nos campagnes de la Somme, de l'Aisne, de la Marne,de la Meuse... que celui de ces ondulations funèbres sur lesquelles le voile de l'oubli « double linceul des morts » s'étendrait d'année en année. Les restes identifiés seraient ramenés au pays natal et y reposeraient entourés des soins les plus pieux. Quand au Panthéon ossuaire de Reims, il ne renfermerait lui, dans ses cryptes profondes, véritables catacombes, dont l'hermétisme calmerait les appréhensions hygiéniques de M. Louis Bonnier, l'éminent architecte, que les restes des héros inconnus. Et, alors même que ces souterrains ne serviraient d'éternel refuge qu'aux pauvres restes dispersés seulement dans les plaines de la Champagne, leur suprême destination suffirait à justifier le pèlerinage dont parle l'auteur de la lettre anonyme citée plus haut et qui, suivant la belle expression de la comtesse de Noailles, deviendrait : « la fête de la douleur et de la gloire française ». Je vois déjà, vision poignante et sublime, se dérouler au milieu du frisson des drapeaux, au bruit des marches funèbres ou triomphales, le cortège immense des foules silencieuses, à l'ombre même de la cathédrale mutilée, mais toujours debout comme une éternelle protestation contre l'infamie des Barbares. Et cela dans la plus noble des cités, dans la ville martyre, qui fut, pendant l'interminable bataille, comme le cœur toujours saignant de la patrie envahie. Aujourd'hui, plus que jamais, s'affirme le devoir d'en faire le lieu sacré du pèlerinage annuel à la gloire des soldats du peuple, des héros morts pour la patrie.








Église Notre-Dame-de Clignancourt, 2 place Jules Joffrin, XVIIIe ardt. Détail. On aperçoit la cathédrale de Reims en feu à gauche.





Je n'ignore pas que le vénérable archevêque de Reims s'élève contre tout projet qui consisterait à s'opposer à la restauration de la cathédrale, " Nous réparerons la cathédrale, a-t-il déclaré — cela il le faut — nous avons les moulages de ses statues, les photographies en couleurs de ses verrières Puis le jour viendra où les portes se rouvriront pour l'exercice du culte, car je tiens, avant toute chose, que la cathédrale où fut baptisé le premier roi chrétien, reste la première église de France. " Que Son Éminence me permette de lui faire observer qu'aux yeux de l'humanité toute entière, la basilique de Reims est aujourd'hui même, avec ses glorieuses mutilations, non seulement la première église de France, mais encore la première église de la Chrétienté. N'est-ce pas elle, en effet, que visait le geste incendiaire de l'impérial iconoclaste lorsqu'il s'écriait dans un accès de piétisme hypocrite : « Les églises catholiques du romanisme papal dont on vous impose l'admiration excessive sont parfois des injures au Tout-Puissant. Dieu y est injurieusement oublié au profit de saints imaginaires, véritables idoles substituées à la divinité par la superstition latine. Des maîtres allemands dignes de notre race ne doivent pas décrire de telles églises sans s'élever avec indignation contre les superstitions du romanisme... »

L'Art et les artistes : revue mensuelle d'art ancien et moderne. 1918








Louis Orr Intérieur de la cathédrale de Reims en janvier 1918









Église Notre-Dame-du-Bon-Conseil, 140 rue de Clignancourt, XVIIIe ardt.Verrière de Mauméjean










Église Notre-Dame-du-Bon-Conseil, 140 rue de Clignancourt, XVIIIe ardt.Verrière de Mauméjean. Détail.











Église Notre-Dame-du-Bon-Conseil, 140 rue de Clignancourt, XVIIIe ardt.Verrière de Mauméjean. Détail.









Église Notre-Dame-du-Bon-Conseil, 140 rue de Clignancourt, XVIIIe ardt.Verrière de Mauméjean. Détail.












Steinlen " Chanson de Route "









Quand au bout d’huit jours, le repos terminé,
On va reprendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile.
Mais c’est bien fini, on en a assez,
Personn’ ne veut plus marcher,
Et le cœur bien gros, comm’ dans un sanglot
On dit adieu aux civelots.
Même sans tambour, même sans trompette,
On s’en va là haut en baissant la tête…


Refrain :

Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes.
C’est bien fini, c’est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C’est à Craonne, sur le plateau,
Qu’on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés,
C'est nous les sacrifiés !
Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,
Pourtant on a l’espérance
Que ce soir viendra la r'lève
Que nous attendons sans trêve.
Soudain, dans la nuit et dans le silence,
On voit quelqu’un qui s’avance,
C’est un officier de chasseurs à pied,
Qui vient pour nous remplacer.




Steinlen " Permissionnaires "





Doucement dans l’ombre, sous la pluie qui tombe,
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes… (au refrain)
C’est malheureux d’voir sur les grands boul’vards
Tous ces gros qui font leur foire ;
Si pour eux la vie est rose,
Pour nous c’est pas la mêm’ chose.
Au lieu de s’cacher, tous ces embusqués,
F’raient mieux d’monter aux tranchées
Pour défendr’ leurs biens, car nous n’avons rien,
Nous autr’s, les pauvr’s purotins.
Tous les camarades sont enterrés là,
Pour défendr’ les biens de ces messieurs-là. (au refrain)
Ceux qu’ont l’pognon, ceux-là r’viendront,
Car c’est pour eux qu’on crève.
Mais c’est fini, car les troufions
Vont tous se mettre en grève.
Ce s’ra votre tour, messieurs les gros,
De monter sur l’plateau,
Car si vous voulez faire la guerre,
Payez-la de votre peau !



Variante:
Quand on est au créneau
Ce n'est pas un fricot,
D’être à quatre mètre des Pruscos.
En ce moment la pluie fait rage,
Si l’on se montre c’est un carnage.
Tous nos officiers sont dans leurs abris
En train de faire des chichis,
Et ils s’en foutent pas mal si en avant d’eux
Il y a de pauvres malheureux.
Tous ces messieurs-là encaissent le pognon
Et nous pauvres troufions
Nous n’avons que cinq ronds.

Refrain :
Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes
C’est pas fini, c’est pour toujours
De cette guerre infâme
C’est à Verdun, au fort de Vaux
Qu’on a risqué sa peau
Nous étions tous condamnés
Nous étions sacrifiés

La Chanson de Craonne




Chapelle Ste Thérèse des Orphelins Apprentis d'Auteuil, 40 rue La Fontaine, XVIe ardt.Verrière de Mauméjean, 1927. Détail. Cette phrase est extraite d'un poème de Charles Péguy.










Chapelle Ste Thérèse des Orphelins Apprentis d'Auteuil, 40 rue La Fontaine, XVIe ardt.Verrière de Mauméjean, 1927. Détail.









Chapelle Sainte Thérèse des Orphelins Apprentis d'Auteuil, 40 rue La Fontaine, XVIe ardt.Verrière de Mauméjean, 1927.












Église Notre-Dame-de Clignancourt, 2 place Jules Joffrin, XVIIIe ardt.









Steinlen " Femme et blessé "















Voir ici L’œuvre de Guerre de Steinlen

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