Où l'on retrouve des vitraux qui témoignent de " la Grande Guerre " de 14-18, nous interrogeant sur les rapports qu'entretiennent le patriotisme et la religion.
Le Drapeau Français
SA SIGNIFICATION & SON HISTOIRE
Conférence religieuse et patriotique avec projections, pour le prochain départ de la classe
INTRODUCTION. — Le drapeau l'objet d'un culte ; on le retrouve partout ; il décore l'église et la caserne, le château et la chaumière, etc. ; partout il est respecté, aimé et servi, et quand il est fièrement déployé à la tête d'un régiment, sa vue fait battre tous les cœurs.
I. SA SIGNIFICATION.—L'enseignement des trois couleurs : Le blanc par sa couleur immaculée nous rappelle Dieu, la Sainteté, même, le Souverain Maître qu'il faut toujours servir, le Père infiniment bon qu'il faut toujours aimer.
Le bleu, couleur tendre et douce par excellence, représente la tendresse maternelle. - Ah ! la pensée d'une mère, quel puissant préservatif contre les entraînements du vice, quand on a le cœur bien placé et qu'on veut à tout prix demeurer digne de son affection !
Le rouge, couleur du feu et du sang, semble prêcher cette vaillance qui fait dire, au soldat agonisant sur le champ de bataille, baigné dans son sang. « Je meurs content, parce que je meurs pour l'honneur du drapeau et pour la défense de mon pays ! »
II. SON HISTOIRE. -Tous les peuples ont eu leurs drapeaux, qu'ils ont aimés et défendus. - Peuples anciens : Les Mèdes, les Perses, les Assyriens. - Les Romains : Constantin et son Labarum. - Les Francs : Clovis et sa bannière bleue à la bataille de Vouillé. L'oriflamme à diverses époques : Charlemagne, Philippe-Auguste, Saint Louis. - L'étendard de Jeanne-d'Arc. - Le drapeau tricolore de l'Assemblée nationale.—Les nouveaux drapeaux distribués par Napoléon Premier.-La gloire du drapeau français.
CONCLUSION. - Aimons le drapeau français tel qu'il est ; il est riche de gloire, il est la France. - Mais la France catholique, la France bénie de Dieu, c'est la France consacrée au Sacré-cœur. Le Christ, apparaissant à Marguerite-Marie, lui demandait que l'image de son Cœur fut peinte sur nos étendards. - Vienne le jour où nos trois couleurs seront rehaussées par ce signe sacré qui résume le souvenir des bontés du Christ qui aiment les Francs !
On verra alors se lever des jours de paix et de grandeur pour notre pays et nous pourrons redire une fois de plus la vieille parole inscrite sur nos étendards : Dieu protège la France !
L'Ange des projections lumineuses, 1902.
Aumôniers
SA SIGNIFICATION & SON HISTOIRE
Conférence religieuse et patriotique avec projections, pour le prochain départ de la classe
INTRODUCTION. — Le drapeau l'objet d'un culte ; on le retrouve partout ; il décore l'église et la caserne, le château et la chaumière, etc. ; partout il est respecté, aimé et servi, et quand il est fièrement déployé à la tête d'un régiment, sa vue fait battre tous les cœurs.
I. SA SIGNIFICATION.—L'enseignement des trois couleurs : Le blanc par sa couleur immaculée nous rappelle Dieu, la Sainteté, même, le Souverain Maître qu'il faut toujours servir, le Père infiniment bon qu'il faut toujours aimer.
Le bleu, couleur tendre et douce par excellence, représente la tendresse maternelle. - Ah ! la pensée d'une mère, quel puissant préservatif contre les entraînements du vice, quand on a le cœur bien placé et qu'on veut à tout prix demeurer digne de son affection !
Le rouge, couleur du feu et du sang, semble prêcher cette vaillance qui fait dire, au soldat agonisant sur le champ de bataille, baigné dans son sang. « Je meurs content, parce que je meurs pour l'honneur du drapeau et pour la défense de mon pays ! »
II. SON HISTOIRE. -Tous les peuples ont eu leurs drapeaux, qu'ils ont aimés et défendus. - Peuples anciens : Les Mèdes, les Perses, les Assyriens. - Les Romains : Constantin et son Labarum. - Les Francs : Clovis et sa bannière bleue à la bataille de Vouillé. L'oriflamme à diverses époques : Charlemagne, Philippe-Auguste, Saint Louis. - L'étendard de Jeanne-d'Arc. - Le drapeau tricolore de l'Assemblée nationale.—Les nouveaux drapeaux distribués par Napoléon Premier.-La gloire du drapeau français.
CONCLUSION. - Aimons le drapeau français tel qu'il est ; il est riche de gloire, il est la France. - Mais la France catholique, la France bénie de Dieu, c'est la France consacrée au Sacré-cœur. Le Christ, apparaissant à Marguerite-Marie, lui demandait que l'image de son Cœur fut peinte sur nos étendards. - Vienne le jour où nos trois couleurs seront rehaussées par ce signe sacré qui résume le souvenir des bontés du Christ qui aiment les Francs !
On verra alors se lever des jours de paix et de grandeur pour notre pays et nous pourrons redire une fois de plus la vieille parole inscrite sur nos étendards : Dieu protège la France !
L'Ange des projections lumineuses, 1902.
L'élégant capitaine B. ne manquait jamais, chaque dimanche, d'aller à la messe dans les bois ; et de W., mon jeune camarade, ne manquait jamais de se brosser à peu près et d'accompagner le capitaine ; ce qui ne me plaisait point. De W. ne croyait à rien, mais il avait été élevé selon la politesse. Or n'est-ce point croire à la politesse ? Où le croire commence et finit, il n'est pas facile de le savoir. Y a-t-il plus, dans la foi de la plupart, qu'un respect pour ceux qui semblent croire ? Ce problème m'a intéressé depuis, et j'y ai découvert des profondeurs. Mais, en cette tragédie où nous étions, je n'étais pas disposé à tenir compte des nuances. J'avais horreur de voir que la religion du Christ travaillait aussi avec zèle à pousser les hommes dans la guerre. Me voilà aux aumôniers militaires ; et la première fois que j'en vis un, avec le bonnet de police à trois galons, je courus à l'autre capitaine, le seul que je trouvai. Je lui dis que, dans les instructions sur les grades et les signes du respect, je n'avais jamais entendu parler d'aumôniers à trois galons. Devais-je le salut ? Ce capitaine, avec qui je devais avoir des rapports presque intimes, tantôt agréables, tantôt difficiles, était une sorte d'artiste, avec une humeur redoutable, de l'esprit, l'art de gouverner, et un courage suffisant ; il n'avait point trace de religion. Il me dit : « Je ne connais pas ce grade ; et faites comme vous voudrez. » Deux jours après je me donnai le plaisir d'être insolent. C'était déjà dans la seconde période de ma guerre ; j'avais plus de loisirs, et je vivais plus humainement dans les ruines de la maison d'en face, faisant société et table avec quelques sous-officiers jeunes et tout simples. Je présidais dans un fauteuil Voltaire, et on m'appelait Général. C'est dans cette assemblée que vint un homme hautain et froid, moitié prêtre et moitié capitaine, pour une question de tombes militaires. Il fit grande attention à ne parler qu'aux gradés : « Dites, Maréchal des logis » ; mais ces enfants, par un mouvement naturel, car les âges sont partout respectés, se tournaient vers moi, attendant la réponse du président de table. Je m'entends à la moquerie et je fus féroce ; encore aujourd'hui je m’en félicite. Et pourquoi ? Cela affligera les bonnes âmes. Mais ne savais-je pas bien que les tyrans de tout genre allaient reprendre espoir dans ces jours de malheur où l'obéissance passive était restaurée ? Pouvais-je hésiter devant cette monstrueuse alliance de l'esprit et de la force ? Cette double infatuation, si assurée de sa victoire, si bien dessinée sur un fond de misère commune, c'était plus que je n'en pouvais supporter. Là j'étais brave sans mélange aucun, et assurément indomptable. Mes jeunes amis furent ravis ; et l'autre, le Monsignore, se retira promptement et prudemment. En revanche quels égards pour un petit prêtre, téléphoniste crotté et fantassin, obligeant et résigné, sans aucune participation à la puissance visible ! Même un jour, à propos de cet homme de Dieu si crotté, j'essayai de ma raillerie contre le capitaine B. qui venait de recevoir avec hauteur un message de ce téléphoniste sans galons. Je dis au capitaine : « Savez-vous ce qu'est cet homme-là ? Non sans doute. » Il dit de son air grand seigneur : « Mais qu'est-il donc ? » – « C'est un prêtre », lui dis-je. « Ah oui, je sais », répondit-il ; et j'ajoutai : « Un vrai prêtre ; un homme qui a le pouvoir de faire descendre Dieu sur l'autel. » Mon projectile n'eut aucun effet. Je devais bien le prévoir.
Dieu est avec le commandement, et ces choses-là ne font pas question. Je ne puis même pas me vanter d'avoir été une sorte d'énigme pour le capitaine B. Du moment que je ne voulais pas comprendre le grand jeu, pourquoi m'aurait-il tendu la main ? L'ordre ne manque pas de serviteurs ; l'intelligence y a sa place, très belle et très honorée ; si elle refuse sa place, nul ne la remarque plus. Il faudra pourtant, si je ne me trompe, que les pouvoirs comptent de plus en plus avec ce mauvais esprit, qui ne veut pas pouvoir.
Alain, Souvenirs de guerre (1937)
Dieu est avec le commandement, et ces choses-là ne font pas question. Je ne puis même pas me vanter d'avoir été une sorte d'énigme pour le capitaine B. Du moment que je ne voulais pas comprendre le grand jeu, pourquoi m'aurait-il tendu la main ? L'ordre ne manque pas de serviteurs ; l'intelligence y a sa place, très belle et très honorée ; si elle refuse sa place, nul ne la remarque plus. Il faudra pourtant, si je ne me trompe, que les pouvoirs comptent de plus en plus avec ce mauvais esprit, qui ne veut pas pouvoir.
Alain, Souvenirs de guerre (1937)
Procession, vitrail, vers 1930, Église Saint Christophe de Javel, 28 rue de la Convention, XVe ardt.
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Bas relief commémorant le sacrifice des paroissiens victimes de la guerre 14 -18, ceux de 39 - 45 ayant été ajoutés ultérieurement, église Notre Dame du Travail, 59 rue Vercingétorix, XIVe ardt. |
Pergaud-le-Rustique
Si la guerre en surprit un, vous pouvez dire que ce fut celui-là. Le 2 août, il m’écrivait : « Demain lundi je pars pour Verdun et je viens vous dire au revoir. « Vous savez si je hais la guerre ; mais vraiment nous ne sommes pas les agresseurs et nous devons nous défendre. « C’est dans cet esprit que je rejoins mon corps. Paris a été digne et grave. Hier soir, je voyais des femmes et des gosses accompagnant le mari qui allait partir… et j’étais saisi de rage contre les misérables qui ont préparé et voulu l’immonde boucherie qui se prépare. « Tant pis pour eux si le sort nous est favorable ! « Je vous embrasse. « Louis Pergaud, « Sergent, 29e Compagnie du 166e d’Infanterie. Je courus chez Pergaud, rue Marguerin…
Monument aux Morts, Gentilly, Val de Marne, architecte Roger Vasseur, sculpteur Adolphe Rivet |
Il venait de partir. Je ne l’ai pas revu. Je ne l’ai pas revu, mais il me donnait souvent de ses nouvelles ; il m’en donnait encore lorsqu’il n’avait plus que quelques jours à vivre et qu’il se savait condamné… Il avait l’esprit de corps, ce mobilisé antimilitariste. Il m’écrivait, le 13 mars 1915 : « Notre 166e est un régiment des plus solides et des plus vaillants : ça été un des piliers de la défense de Verdun. On y trouve pas mal de Parisiens, des gens de la Meuse et de Meurthe-et-Moselle, et beaucoup de mineurs du Nord et du Pas-de-Calais. Ce sont de vrais poilus qui ont du mordant, de l’entrain et de l’esprit parfois, souvent même. Il me citait leurs mots, les plaisanteries grasses dont l’auteur de La Guerre des boutons s’amusait. Il avait un bon colonel, père d’un jeune confrère qui débutait dans la presse. D’autres chefs lui témoignaient leur estime, parmi lesquels M. de Moro-Giafferi.
Je lui avais demandé de me désigner les hommes de sa compagnie, la 2e, qui ne recevaient aucun colis. Il m’envoya les noms d’une quinzaine d’entre eux… et huit jours avant sa mort, au lendemain de deux attaques meurtrières, il me rassurait sur leur compte. C’était au mois de mars 1915 ; il venait d’être nommé sous-lieutenant… Et déjà quelques-unes de ses illusions s’étaient dissipées, mais sans amoindrir sensiblement, comme on va le voir, son bloc moral. « Vous savez avec quelle ardeur je suis parti, me disait-il dans une de ses lettres. Pacifiste et antimilitariste, je ne voulais pas plus de la botte du Kaiser que de n’importe quelle botte éperonnée pour mon pays ; je défendais ce vieil esprit pour lequel il me semble avoir déjà combattu par la plume. J’étais disposé à oublier tout, à passer sur tout, persuadé que dans le danger tout se fondrait… Je me battrai, certes, avec la même énergie qu’auparavant ; mais si j’ai le bonheur d’en revenir, ce sera, je crois, plus antimilitariste encore qu’avant mon départ. « C’est dans la souffrance, dans la promiscuité douloureuse, que l’on découvre bien les bas-fonds de l’âme humaine avec ses recoins de crasse et d’égoïsme, et j’ai pu jeter la sonde dans bien des cœurs. Mon Dieu, il y a du bon, évidemment, et rien n’est désespéré ; mais les hauts comme les bas ont leurs saletés ! Que doit être l’Allemagne militariste ? Quel gigantesque fumier, quelle pourriture morale !… Allons-y jusqu’au bout et jetons bas tout ça ! Je crois vraiment que c’est l’œuvre de 93 que nous continuons. Dommage qu’il ne suffise pas d’avoir du cœur au ventre pour triompher. Il écrivait cela au crayon, sur ses genoux, dans la cloaque des tranchées.
" Dans les boues de la Somme " par Gaston Broquet, 1920,Jardin de l'hôpital du Val-de-Grâce, Ve ardt. |
Et le crayon faisait ce qu’il pouvait pour grincer comme une plume, en traçant encore ceci : « Je voudrais que les salauds qui parlent du confort des tranchées et qui donnent aux patriotes en chambre des photos truquées de tranchées d’opéra-comique, fussent obligés de passer vingt-quatre heures devant Marchéville, dans les marais de la Woëvre que nous occupons. La tranchée est un ruisseau avec quelques îlots où l’on s’agrippe en naufragés. Ces îlots sont de la boue sur laquelle on pose des claies qui s’enfoncent peu à peu. Pour établir des abris, il faut exhausser le plancher, si j’ose dire, et l’on doit rester plié en deux là-dessous, trop heureux encore qu’il y ait de la place. Malgré cela, pas de graves maladies. Les hommes, dès qu’ils voient un quart de vin et quelques brins de paille sèche, reprennent courage et bonne humeur.
Vitrail " A la mémoire du Saint Cyrien Aimé Rivier, mort pour la France " par Jean Hébert-Stevens et André Rinuy, un peu avant 1925, église St André, 22 avenue de Verdun, Saint Maurice, Val de Marne. |
Nous rapprochons de la fin – pour Pergaud. La lettre suivante est datée du 22 mars 1915 : « Je viens de vivre quelques journées inoubliables. Le 19, on nous a lancés à l’assaut de tranchées boches formidablement retranchées sur lesquelles l’artillerie, malgré une « bouzillade » furieuse n’avait aucun effet. J’ai vu tomber à mes côtés quantité de braves dont le sacrifice héroïque méritait mieux que ça. Au demeurant, c’était une opération stupide à tous les points de vue… ; mais il fallait sans doute une troisième étoile au c… sinistre qui commande la division de marche et qui a nom B… de M… Je vous donne là l’opinion de tout le régiment qui, sans rien dire, a obéi comme il devait, se faisant hacher par les mitrailleuses et les marmites. Comment ai-je pu passer au travers ? Je l’ignore ; mais je n’oublierai jamais ce champ de bataille tragique, les morts, les blessés, les mares de sang, les fragments de cervelle, les plaintes, la nuit noire illuminée de fusées, et le 75 achevant nos blessés accrochés aux fils de fer qui nous séparent des lignes ennemies. Ça va recommencer demain… mais on ne passera que sur nos cadavres ; je suis aussi sûr de mes poilus que de moi-même.
Poilu, Vitrail en attente de restauration, protégé par une résille plastique, Notre Dame du Rosaire, Saint-Ouen, Seine- Saint-Denis |
Poilu, Détail, Vitrail en attente de restauration, protégé par une résille plastique, Notre Dame du Rosaire, Saint-Ouen, Seine- Saint-Denis |
À sa femme, Pergaud écrivait, à la même date, la même chose : « 19 Mars « Nous recherchons nos blessés. On est en admiration devant nous… N’empêche qu’il y a 111 morts, 15 blessés et autant de disparus. Et pourquoi ? Pour que le c… sinistre qui a nom B. de M., ait sa troisième étoile ! La prise de Marchéville ne signifie rien, rien. Il est idiot de songer à prendre un village et des tranchées aussi puissamment retranchés, avec des effectifs aussi réduits que les nôtres, nos poilus fussent-ils des lions. Ce soir, la première compagnie seule doit recommencer l’opération. C’est ridicule et odieux. Et le 75 nous tape dessus, achevant nos blessés. « 20 Mars « Nous mangeons un peu et nous nous couchons. On parle de la folie dangereuse de B. de M. et des camarades morts.
Vitrail Saint Maurice " A la mémoire de Maurice Chiquet... tombé au champ d'honneur à Bouchavesnes le 21 septembre 1916 à l'age de 22 ans ", église Saint André, 22 avenue de Verdun, Saint Maurice, Val de Marne. |
« 21 Mars. « Conversation avec les capitaines L… V… et P… Le soir, on se réunit pour chasser le cafard et on plaisante les crétins de la Division de marche, qui vous envoient à la mort et qui se terrent, eux, au moindre danger. Le drame est-il assez saisissant, dans la nuit lugubre, sous ce ciel d’encre que perce la troisième étoile ?… Que dites-vous de ce B. de M. qui doit absolument faire quelque chose pour appeler l’attention sur lui ? Qu’à cela ne tienne ! Il n’a pas, comme Napoléon, cent mille hommes de rente ; mais il jouit tout de même d’une certaine aisance, avec une compagnie à dépenser par jour. Pourquoi se gênerait-il, du moment que des illuminés comme Pergaud s’imaginent continuer 93 ?… La dernière lettre que je reçus de Pergaud est du 3 avril. « La vieille vie, disait-il, a repris jusqu’à… peut-être la semaine prochaine… Je devine autour de notre secteur une activité formidable et des mouvements de troupes rassurants. Mais quelles visions de notre dernier engagement ! Un de nos médecins auxiliaires, en plein jour et protégé par son seul brassard, est allé ramasser nos blessés jusque devant les tranchées ennemies, à six pas des Boches… Qui n’ont pas tiré. Vous dire notre émotion à nous… Que de fois n’ont-ils pas fusillé à bout portant nos majors et nos brancardiers… Aussi de la journée, plus une seule cartouche n’a été tirée, d’un côté comme de l’autre… C’était trop beau pour durer.
Vitrail Saint Pierre " Offert par Mr et Mme Mallet en mémoire de leur fils Pierre tombé glorieusement au champ d'honneur le 20 septembre 1914 à l'age de 22 ans " église Saint André, 22 avenue de Verdun, Saint Maurice, Val de Marne. |
Quatre jours après, le 7 avril, à 8 heures du soir, l’ordre arrivait de partir immédiatement pour Fresnes-en-Woëvre, par une pluie battante. À Fresnes, la compagnie rassemblée au pied de la statue du général Margueritte, recevait l’ordre d’attaquer la cote 233 à 2 heures du matin. Et l’on se remettait en marche, à travers des marais, avec de l’eau jusqu’aux genoux. À 2 heures exactement, Pergaud et les hommes de sa section, la première, sortaient de la tranchée de départ. La deuxième section était commandée par le sergent Louis Desprez, qui a raconté ainsi l’affaire : « Il faisait une nuit très noire. Quand les assaillants arrivèrent à proximité du réseau, la fusillade commença à crépiter. Sous les balles, nous entraînâmes nos hommes jusqu’aux fils de fer. Mais là, ils trouvèrent le réseau intact : impossible de passer. Trempés par la pluie, ils avaient perdu la direction et obliqué hors du secteur préparé par le génie. Les hommes et leurs chefs tentèrent de se frayer un chemin quand même à travers l’entre-croisement barbelé ; mais ils offraient une cible trop facile et ils finirent par prendre le parti de se coucher et d’attendre. Aux premières lueurs du jour, ils reçurent l’ordre de se replier. Le sergent Desprez fut frappé d’une balle au moment où il rassemblait ce qui lui restait de sa section. Les débris de celle de Pergaud rentrèrent seuls : notre brave ami avait disparu. On croit qu’il a voulu traverser le réseau et qu’il a été fait prisonnier dans la tranchée ennemie. Il se trouvait, au moment de l’attaque, à trente-cinq mètres du pont Saint-Pierre, à droite en allant de Marchéville à Saulx. Ces détails me sont confirmés par M. Raveton, l’avoué parisien, qui était au 166e, avec Pergaud depuis le début de la guerre et qui prit part à l’attaque du 8 avril. « Après avoir franchi deux rangs de fils de fer dans lesquels l’artillerie avait fait des brèches, nous nous sommes trouvés en face d’un troisième rang de fils que l’artillerie avait laissés intacts, à quelques mètres de la tranchée. L’alarme a été rapidement donnée chez les Boches… Aussitôt un feu d’artifice nous éclairait comme au 14 juillet et une fusillade nourrie nous démolissait. C’était fini ; il n’y avait plus moyen de rien faire. Ordre a été donné de se replier. Au petit jour, la fusillade ayant un peu diminué, l’ordre put être exécuté ; mais nous laissions beaucoup de monde sur le terrain, beaucoup de blessés notamment qui furent faits prisonniers. J’ai eu des nouvelles d’un de mes camarades qui est mort en captivité. Je n’en ai jamais eu de Pergaud. Il est tombé ; des hommes l’ont vu et pensaient qu’il était blessé au pied. Il commandait, à ce moment-là : En avant !… à sa section.
Cette attaque se passait sous la pluie, une pluie qui ne discontinuait pas depuis huit jours, et le terrain était un vrai marécage où l’on enfonçait jusqu’à la ceinture.
Lucien Descaves, préface aux Rustiques de Louis Pergaud, 1921.
3 rue Marguerin, XIVe ardt, où Louis Pergaud a composé sa "Guerre des boutons". |
Plaque 3 rue Marguerin, XIVe ardt, |
Vitrail Saint André " Offert par Mr et Mme Louis André Lemoine, en mémoire de leur fils Louis André, tombé glorieusement au champ d'honneur à Carency ( Pas de Calais ) le 18 décembre 1914 à l'age de 28 ans " église Saint André, 22 avenue de Verdun, Saint Maurice, Val de Marne. |
Un soldat parmi tant d'autres, Gilbert Antoine Prévioux, tué le 20 Août 1914 à Sarrebourg, archives familiales A Fantelin.
Le Joujou Patriotisme
antipatriotique, Remy de Gourmont perdit son emploi à la Bibliothèque Nationale...
Un de ces tomes cartonnés, niaisement abjects, que d'universitaires ou d'ecclésiastiques matassins produisent sans relâche pour la falsification des juvéniles cervelles ; on l'entrouvre et cette image surgit : un vieux militaire, le poitrail illustré de la devanture en toc d'une bijouterie de faubourg, gémit accablé dans son fauteuil, et un gamin, signalant d'un air entendu, avec le bâtonnet de son cerceau, les symboliques oreilles de tatou qui fleurissent la coiffe d'une nourrice alsacienne appendue au mur : "Pleure pas grand-père, nous la reprendrons !"
Immédiatement, on pense à cet enfant monté en graine, plus hautement pédonculé que ces choux de Jersey dont on fait des cannes, – à M. Paul Déroulède. Lui aussi fait rouler, mais avec fracas et en tapant dessus avec un vieux sabre ébréché, le cerceau avarié du patriotisme, et se penchant vers la France, qui n’est pas sourde, lui hurle dans le tympan : "Pleure pas, grand-mère, on te la rendra, ta symbolique nounou !" Moins gnan-gnan que le vétuste et lacrymatoire retraité, la matrone impatientée finit par répondre : "J’aimerais assez qu’on me confiât d’autres secrets." Nous aussi : le désir de renouer à la chaîne départementale les deux anneaux rouillés qu’un heurt un peu violent en a détaché ne nous hante pas jour et nuit. Nous avons d’autres pensées plus urgentes ; nous avons autre chose à faire. Personnellement, je ne donnerais pas, en échange de ces terres oubliées, ni le petit doigt de ma main droite : il me sert à soutenir ma main, quand j’écris ; ni le petit doigt de ma main gauche : il me sert à secouer la cendre de ma cigarette. Inutile, à ce propos, de me traiter de mauvais Français ou même de Prussien ; cela ne me toucherait pas : Kant était Prussien et Heine aussi ; puis je vous demanderais, par curiosité pure, ce que vous donneriez de vos précieuses peaux pour joindre à la France la Wallonie belge ou la vallée de Lausanne, – pays ce me semble, un peu plus français de langue et de race que les bords du Rhin ? Personne n’aboie contre les Anglais, qui détiennent les îles normandes et le lointain, mais clairement français Canada, province d’outre-mer, mais aussi nettement province de France que les Charentes ou la Picardie. Au fait, ces coins de terre d’au-delà les Vosges, sont-ils donc devenus si malheureux ? Les aurait-on, par hasard, fait changer de langue, de mœurs, de plaisirs ? Ont-ils subi un service militaire plus long ou plus dur, une administration plus pointilleuse, des fonctionnaires plus rogues, des maîtres d’école plus pédants ou plus fats, des embêtements de conscience plus notoires, des impôts plus lourds, un gouvernement moins digne, moins sympathique, moins probe ?
Il me paraît qu’elle a duré assez longtemps la plaisanterie des deux petites sœurs esclaves, agenouillées dans leurs crêpes au pied d’un poteau de frontière, pleurant comme des génisses, au lieu d’aller traire leurs vaches. Soyez sûrs qu’avant comme après, elles mangent leur rôtis à la gelée de groseilles, grignotent leurs bretzels salés et lampent leurs amples moss. N’en doutez point, elles font l’amour et elles font des enfants. Cette nouvelle captivité de Babylone me laisse froid. La question, du reste, est simple : l’Allemagne a enlevé deux provinces à la France, qui elle-même les avait antérieurement chipées : vous voulez les reprendre ? Bien. En ce cas, partons pour la frontière. Vous ne bougez pas ? Alors foutez-nous la paix. Jadis, en de permanentes guerres, avec de vraies armées, c’est-à-dire composées de soldats de métier et de carrière, on se trouvait vainqueur sans vanité, vaincu sans rancune. La défaite n’avait pas cette conséquence : une nation pleurnichant et hihihant pendant vingt ans, telle qu’une éternelle fillette ; oui, comme une fillette qui a laissé tomber sur le bon côté sa tartine de confiture. Jadis, le lendemain de la paix signée, les sujets des deux pays trafiquaient ensemble sans amertume, franchissaient indifférents les frontières modifiées, et les officiers des deux armées, la veille aux prises, buvaient à la même table, en gens d’esprit. Je verrais sans nul effarouchement des officiers français trinquer avec des officiers allemands : ne font-ils pas le même métier, et pourquoi, noble ici, ce métier deviendrait-il, là, infâme ? Ce désintéressement supérieur, la France l’éprouva, tant qu’elle fut une nation spirituelle et de haute allure. Les Français d’alors disaient, ayant perdu, délicats et sourieurs : " Messieurs, nous vous revaudrons ça ", – puis parlaient d’autre chose. Serions-nous devenus, à cette heure, des brutes rancunières, douées de cervelles éléphantines ? Dépurons-nous de ces humeurs ; prenons quelques pilules de dédain qui fassent issir par les voies naturelles ce virus nouveau, dénommé : patriotisme. Nouveau, oui, sous la forme épaisse qu’il assume depuis vingt ans, car son vrai nom est vanité : nous sommes la civilisation, les Allemands sont la barbarie… Oh ! On ne peut, il est vrai, nous dénier une littérature et un art supérieurs à la littérature et à l’art allemands ; mais cet art même et cette littérature, demeurés tout cénaculaires, sont inconnus à nos derviches hurleurs, et de ceux d’entre eux qui les soupçonnent, méprisés : ce qu’on en montre dans les journaux et dans les expositions devrait, au contraire, nous engager vers une certaine modestie. Quelle fierté les patriotes ont-ils jamais tirée des œuvres de, par exemple, Villiers de L’Isle-Adam ? Soupçonnaient-ils son existence, alors que le roi de Bavière l’accueillait et l’aimait ? Ont-ils subventionné Laforgue, qui ne trouva qu’à Berlin la nourriture nécessaire à la fabrication de ses chefs-d’œuvres d’ironie tendre ? Et pour ne citer qu’un seul nom d’artiste, est-ce par les patriotes que sont achetées les lithographies de Redon, dont les admirateurs sont presque tous scandinaves et germains ? Il y a un patriotisme à la portée de tous ceux qui possèdent trois francs cinquante, c’est d’acheter les livres des hommes de talent et de ne pas les laisser mourir de misère. Laissons donc l’art et la littérature, puisque les productions par lesquelles on nous clame supérieurs sont au contraire de celles qui nous humilieront à jamais dans l’histoire de l’esprit humain, – et parlons du reste. L’érudition, mais elle est allemande. Les Allemands ont inauguré, et détiennent encore la philologie romane, et s’il faut chercher des professeurs mieux l’ancien français que les maîtres de l’École des Chartes, c’est en Allemagne. Qui nous a fait connaître notre littérature dramatique d’avant Corneille ? Des Allemands, et les bonnes éditions de ces poètes sont allemandes. Qui a connu mieux que nul l’histoire de la Révolution française ? Des Allemands, les Sybel et les Schmidt. Qui a débrouillé l’histoire grecque et l’histoire romaine, sinon les Mommsen et les Curtius ? Je ne dis rien de la philosophie, rien de la musique : domaines allemands, – et je me borne à ces indications pour ne point répéter un ancien article de M. Barrès, dont le spirituel antipatriotisme jadis m’avait charmé. Le vrai, c’est que l’intellect germain et l’intellect français se complètent l’un par l’autre, sont créés, dirait-on, pour se pénétrer, se féconder mutuellement. Du cerveau de l’Europe, l’un des peuples est le lobe droit, l’autre est le lobe gauche, et rien, en ce cerveau, ne peut fonctionner normalement si l’entente n’est parfaite entre les deux inséparables hémisphères.
Peuples frères, il n’y en a guère qui le soient plus clairement, ni mieux faits pour une entière et profonde sympathie, malgré les différences évidentes dans les modalités de la pensée. Ils sont calmes et nous sommes de salpêtre ; ils sont patients et nous sommes nerveux ; ils sont lents et un peu lourds, nous sommes vifs et allègres ; ils sont muets et nous sommes braillards ; ils sont pacifiques et nous avons l’air belliqueux : dernier point où l’entente est extraordinairement facile, car il semble certain qu’il en ont, de même que nous, assez et, de même que nous, ne souhaitent rien, si ce n’est qu’on les laisse travailler en paix. Non, nous n’avons nulle haine contre ce peuple ; nous sommes trop bien élevés pour afficher une enfantine rancune, trop au-dessus de la sottise populaire pour même la ressentir : quant à moi, entre les assourdissants jappeurs ligués contre notre quiétude et les placides Allemands, je n’hésite pas, je préfère les Allemands. Les défiances s’assoupissaient, lorsque M. de Cassagnac s’est mis à trouver mauvais que l’impératrice, cette charmante femme, ait voulu voir Saint-Cloud et Versailles : ce sont cependant d’agréables promenades, et les choisir, une preuve de bon goût, car cette étrangère, n’aurait-elle pas aussi bien pu manifester le désir d’assister aux courses d’Auteuil ? Dire qu’il ne s’est pas trouvé en cette ville, qui se targue d’esprit et de bravoure, un peintre assez indépendant de l’opinion populaire, assez courageux contre la sottise journalistique pour oser obéir à cet instinct naturel qui domine aujourd’hui ce qu’on dénomme l’école française : l’intérêt de la vente ! Le patriotisme a été le plus fort, étant la sottise suprême, – pourquoi s’étonner ?
Ah ! si Henri Regnault n’avait pas été tué à Buzenval, si ce peintre patrouillait encore ses noirs savoyards, ses roses souillées, ses blancs de panaris, s’il se livrait encore, en de luxueux ateliers, à ce que Huysmans appelle "son vagabondage du dessin et son cabotinage édenté des couleurs" ! Mais les prussiens l’ont occis. Cela ne fait jamais qu’un artiste médiocre de moins, – et il y en a tant ! Puis, à chacun son métier : le sien était de faire de la peinture, même mauvaise, – comme le métier de Verlaine est à de divines poésies. Le jour, pourtant, viendra peut-être où l’on nous enverra à la frontière : nous irons, sans enthousiasme ; ce sera notre tour de nous faire tuer : nous nous ferons tuer avec un réel déplaisir. "Mourir pour la patrie" : nous chantons d’autres romances, nous cultivons un autre genre de poésie. Leur supprimer, à ces "s… b… de marchands de nuages", – il s’agit de nous, selon Baudelaire, – leur couper toute religion, tout idéal et croire qu’ils vont se jeter affamés sur le patriotisme ! Non, c’est trop bête et ils sont trop intelligents. S’il faut d’un mot dire nettement les choses, eh bien : – Nous ne sommes pas Patriotes.
Remy de Gourmont, 25 mars 1891, Publié dans le Mercure de France en avril 1891.
Sur remydeGourmont.org |
Tête et casque du soldat mort, détail du monument aux morts du Panthéon, par Henri Bouchard, Ve ardt.
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" Les Fantômes ", plâtre de Paul Landowsky, 1925, maquette pour le monument aux morts de la butte de Chalmont à Oulchy-le-Château ( Aisne ) , Musée Paul Landowsky, 14 rue Max Blondat, Boulogne Billancourt, Hauts de Seine |
Beau, très beau travail.... Les deux pages sur le thème des vitraux sont très intéressantes. Belle documentation, textes variés et parlants. Les premières pages du "Voyage " de Céline pourraient y figurer, en quelques lignes tout est dit sur les officiers, les soldats, les civils...
RépondreSupprimerBravo et merci
Merci de votre commentaire qui nous montre que nous n'avons pas complètement perdu notre temps à mettre en ligne le résultat de nos recherches sur ce sujet. Ça faisait assez longtemps que j'étais étonné de découvrir ce type de vitraux dans une église, lieu où l'on pourrait penser que cette guerre aurait été condamnée avec la dernière virulence comme l'un des pires péchés collectifs réalisés au XXe siècle. Il était donc nécessaire de retrouver l'esprit de l'époque, le contexte, avec ses divers courants, pour comprendre un peu mieux ce que ces images édifiantes faisaient là.
RépondreSupprimerPour Céline vous n'avez pas tort, un texte de lui ici n'aurait pas été déplacé. Mais de façon générale nous cherchons toujours à reproduire, quant cela se peut, si nous avons la chance d'en trouver, des textes peu ou pas très connus ; le "Voyage" étant au contraire une " vedette ", on peu penser que beaucoup de nos lecteurs y ont fait eux-même référence.
Je précise aussi que ce billet est le fruit d'une étroite collaboration avec mon collègue Musard, le résultat devant autant à l'un qu'à l'autre.
André Fantelin.