"La bataille de l'Ourcq". Vitrail de Marguerite Huré, carton de Maurice Denis. 1923. Église Notre-Dame, Le Raincy, Seine-Saint-Denis |
Où la lyre de nos poètes
Chante l'indéfectible union
Du Christ et de la baïonette
Et du sabre et du goupillon
La Passion de notre frère le Poilu
A tous mes camarades, les officiers, sous-officiers, caporaux et soldats des régiments territoriaux d'Anjou qui sont tombés pour le pays.
C'était un pauv' bougre d'poilu,
Qui s'en allait sous la mitraille…..
Vantié ben qu'î n'aurait voulu
Etre en aut' part qu'en la bataille ;
Mais, du moment qu'fallait qu'î n'y aille,
Ben, î n'y allait, tout simplement,
Sachant ben que, contr' sa misère,
Y a point à fair' de raisoun' ment,
Et qu'les gâs qui cultiv' la terre,
C'est leur devoir ed' la défendre,
(...)
V'là qu' tout à coup un deux cent dix
Eclate à pas vingt-cinq métr' d'eux…..
L' poilu crie : « J' sis touché, mon Guieu!….. »
Et sûs les g'noux le vlà qui glisse,
Et pis qui s'en va à l'envars,
Avec son pouv' coûté ouvart,
Et son sang qui coulait par terre…..
Au caporàl, î dit : « Gâs Pierre,
Faut qu' tu prévienn' ma femm' cheux nous :
Dis-i d'abord que j'sis malade
Pour qu'a n' sach' point ça tout d'un coup.
Dans mon port'-monnaie….. y a cent sous…...
Ça s'ra….. pour les copains….. d' l'escouade…..
Pis….. faut prend' mon sac….. de….. grenades.
Pis, ayant dit son testament,
I rendit son âm' tout douc'ment.
(...)
Le v'là dans eun' magnièr' d'église
Coume î n'avait ren vu d'pareil :
Ça n'était que d'or et varmeil…..
Enfin, en l' fond, le v'là qu'avise
L' bon Guieu. assis sûs n'un soleil,
Enter le Christ et la boun' Viarge,
Et d' chaqu' coûté, six boéssaux d' ciarges ;
Pis des tas d' saints, ein p'tit pûs bas…..
Y avait surtout des saints soldats,
Avec des casqu' et des cuirasses
Saint Georg', saint Hubert, saint Michel
Sûs son guiabl' qui fait la grimace,
Saint Léonard et saint Marcel,
Saint Charlemagne avec sa barbe,
Saint Martin, saint Sulpic', saint' Barbe,
Qui manœuvrait son p'tit canon,
Saint Maurice et ses compagnons,
Et Jeanne d'Arc avec sa bagniére…..
En voyant tous ces militaires,
L' poilu s' dit: « C'est l' Conseil de guerre !…..
Y a des chanc' que j' vas écoper!….. »
Mais y avait pas à s'échapper :
Tout d'suit', c'fut l'interrogatoire :
(...)
Et comm' le bon Guieu n'disait ren,
V'là que l' poilu montra d' la main
Le manteau bleu d'la Vierge-Mère,
La grand'barbe blanchie à Dieu l'Père,
Et la rob' rouge à Not' Seigneur,
Et dit : « Voilà les trais couleurs !
C'est les trois couleurs de la France,
Et c'est pour ell' toutes mes souffrances ;
C'est les couleurs de mon drapeau,
Les trois couleurs de ma patrie
Pour qui j'mai fait trouer la peau ;
C'est pour ell' qu' j'ai pardu la vie,
Et c'est pour elle que j' sés d'vant vous,
Père Eternel, sûs mes deux g'noux! »
……………………………………...
Et voilà que l' bon Guieu sourit,
Et qu' darriér lui le ciel s'ouvrit.
…………………………………...
Et l' poilu vit qu'parmi les ang'
I s'était produit du mélange :
Y avait assis au milieu d'eux
Des tas d'poilus, l'air bien heureux,
Avec des capot' bleu d'azure
Qu' avaient l'air d'êtr' fait' sur mesure, ,"
Et sûs la têt', des casq' en or ;
Chacun n'avait eun' grand' pair d'ailes
Pour aller partout sans effort
Sans pûs jamais mouiller ses s'melles,
Et pour pouvoèr fair' trent'six lieues
Sans pûs jamais avoèr d'ampoules.
……………………………………..
Et l' poilu s'assit dans la foule
En chantant d' tout cœur avec eux :
— Gloire à Dieu au plus haut des cieux !
Tandis qu' les ang', dans la lumière,
Leur répondaient de tous côtés :
— Et que la paix soit sur la terre
Pour les homm' de boun'voulanté !
MARC LECLERC.
[Echo de Paris, 12 mai 1916]
La Grande guerre du XXe siècle,1917, n° 4, Maison de la Bonne presse (Paris)
Verdun
A la mémoire des poilus tombés pour la défense de Verdun
Il avait préparé toute une mise en scène :
Un dîner d'un milliard, vins et discours compris,
Mais il a rencontré les taxis de l'Urbaine,
Il n'est pas entré dans Paris.
Alors il a voulu mettre à son diadème
L'artistique joyau du pauvre Leczinsky!
Mais il a rencontré les poilus du vingtième,
Il n'est pas entré dans Nancy.
Alors il a voulu la grève altière et rude
Où la Manche, l'hiver, hurle sur les galets :
Mais il a rencontré les poilus de Dixmude,
Il n'est pas entré dans Calais.
(…)
Un jour, au paradis, son âme vagabonde
Montera, pâle encor de l'horreur du trépas.
Mais quand il paraîtra dans la lumière blonde,
Des voix crieront: « On n'entre pas!
Tu ne passeras pas sous ces voûtes augustes ;
Ces remparts de soleil bravent tous tes assauts
C'est ici le Verdun des faibles et des justes
Que tu fis mourir par monceaux.
» Arrière! Pour fermer la Cité lumineuse,
Nous avons mieux qu'un fort, nous avons mieux qu'un mur :
Les âmes des poilus, des poilus de la Meuse
Montent la garde dans l'azur »
LUCIEN BOYER.
La Grande guerre du XXe siècle,1917, n° 2, Maison de la Bonne presse (Paris)
Saint-Michel apparaît à deux poilus, dont un mourant. Vitrail de L. Terrien, 1918. Église Saint-Joseph, Enghien-les-Bains, Val d'Oise. |
Le miracle de la Marne
(...)
Regardez la victoire de la Marne. Malgré toutes les explications stratégiques, il y reste une part de mystère, qui est la part de Dieu.
La civilisation mondiale était avec nous contre la barbarie teutonne ; mais la barbarie teutonne avait sur nous la supériorité du nombre, la supériorité du matériel, la supériorité du succès, la supériorité de la fourberie et de l'espionnage, et notre cause paraissait définitivement compromise. Tout à coup, au moment où Paris allait être pris, nous assistons à un renversement des prévisions universelles, à un redressement inespéré de notre fortune militaire.
Qu'est-il arrivé? Est-ce que Dieu a suppléé, supprimé ou modifié les causes secondes, les lois de la nature, la science des généraux et la bravoure des soldats? Non, pour intervenir dans les affaires humaines, Dieu n'a pas besoin d'annuler les causes secondes, d'interrompre les lois de la nature, de repousser la collaboration de l'homme, et il se contente ordinairement de maîtriser tous ces éléments, de les adapter à ses vues et de les faire servir à ses desseins. Nous nous agitons et Il nous mène. Il laisse les hommes agir librement et Il les conduit souverainement.
Il met des limites aux flots de l'invasion, comme des bornes à l'océan. Les grandes délivrances, quand Il lui plaît, arrivent tout à coup. Les hommes bataillent et Dieu donne la victoire, et plus d'une fois dans notre passé, comme hier sur les bords de la Marne, les heures désespérées furent les heures de Dieu.
« Cette reprise merveilleuse de la fortune, a écrit M. Hanotaux, tient du miracle : miracle de résolution et d'énergie de la part des chefs, miracle d'endurance et d'entrain de la part des soldats, au-dessus de tout, miracle dû à la force des âmes, miracle de la France qui ne voulait pas périr, miracle de la loi immanente des choses et de la volonté divine qui ne voulait pas que la France pérît. »
(...)
Discours de Mgr Gibier, évêque de Versailles, (cathédrale de Meaux, 5 septembre 1915)
La Grande guerre du XXe siècle,1915, n° 1, Maison de la Bonne presse (Paris)
"La bataille de la Marne", détail, 1923. Peinture de Maurice Denis. Église Saint-Germain de Gagny, Hauts-de-Seine. |
"La bataille de la Marne", détail, 1923. Peinture de Maurice Denis. Église de Gagny, Hauts-de-Seine. |
Si tu ne reviens pas
Voici ce qu'à son fils écrivait une mère :
« Tu m'as laissée en proie à la douleur amère ;
Le Christ Jésus me donne une part de son fiel;
Mais, va, mon cher enfant, fais ton devoir quand même,
Va, pars pour la bataille en songeant à qui t'aime.
Si tu ne reviens pas, nous nous verrons au ciel! »
« Je ne suis, griffonnait à son tour la sœurette,
Je ne suis, n'est-ce pas, qu'une simple fillette ;
Mais tu connais assez mon amour fraternel :
En te sachant au feu, ma tristesse est bien grande.
Fais, ami, malgré tout, ce que mère demande.
Si tu ne reviens pas, nous nous verrons au ciel! »
Le père, vieux soldat, en vétéran stoïque,
Compléta comme il suit ce langage héroïque :
« Ton cœur est tout entier au foyer paternel ;
Mais tu dois, avant tout, tes bras et ta vaillance,
Et, s'il le faut, ton sang à notre pauvre France!
Si tu ne reviens pas, nous nous verrons au ciel ! »
II
Cet enfant est tombé sur le champ de bataille ;
Il est mort en chrétien, criblé par la mitraille.
Or, avant de mourir, blessé par un shrapnell,
Il répondit ceci, dans son fiévreux délire :
«Je ne reviendrai pas, mais vous pouvez m'écrire
Au camp des bienheureux. poste restante., au ciel! »
Lors, la petite sœur ècrivit une lettre,
Qu'elle vint elle-même à l'église remettre,
Le soir à l'Angelus, au pied du maître autel.
Elle avait eu le soin d'écrire ainsi l'adresse :
« Urgente. à faire suivre, après la sainte Messe,
A mon frère, soldat, poste restante. au ciel! »
Au matin, le curé découvrit la missive,
Il la trouva sans doute enfantine et naïve,
Mais la mit volontiers au cœur de son missel,
Et, dans ses mementos, du plus profond de l'âme,
Il adressa souvent un pieux télégramme
Pour le jeune héros, à la poste du ciel!
Chanoine H. CALHIAT.
[Messager de Jeanne d'Arc (Cette).]
La Grande guerre du XXe siècle,1916, n° 10, Maison de la Bonne presse (Paris)
Prière d'un soldat aveugle
Je revis à vos pieds cette heure d'agonie,
Seigneur, l'heure où j'appris l'horrible vérité,
Où je connus enfin — oh ! l'angoisse infinie !
Mon incurable cécité.
« Dès qu'on m'enlèvera cette bande de toile,
Demandais-je en montrant mes yeux enténébrés,
Pourrai-je voir encor. ne fût-ce qu'une étoile?. »
On me répondait: « Espérez ! »
Et j'espérais toujours. Un matin, l'infirmière
M'enlevait le bandeau. « Ma Sœur, suis-je guéri ?
Dis-je, le cœur battant, vais-je voir la lumière. ? »
Puis ce fut cet horrible cri :
« La nuit !... la nuit encore !... » Et je repris, farouche :
« Aveugle !... est-ce possible ?... Ah ! Seigneur, il fallait... »
Et la sœur sanglotait en posant sur ma bouche
La croix de son grand chapelet.
(...)
Et surtout, moi le fils au cœur aimant et tendre,
Ne plus revoir ces yeux où j'ai lu tant d'amour —
Les doux yeux de ma mère — Elle qui doit m'attendre,
Impatiente du retour!
Et la Sœur, que navrait tant de désespérance,
Redisait, me faisant baiser son crucifix :
« Faites ce sacrifice; oui, pour Dieu, pour la France ! »
Qu'il me coûtait! — mais je le fis.
Et depuis, ô mon Dieu, je vis dans la nuit noire
Et l'ombre de mes yeux, les regrets de mon cœur ;
Je vous les offre encor pour qu'un soleil de gloire
Eclaire mon pays vainqueur !
Puis j'ai le ferme espoir qu'à mon heure dernière
Mes yeux morts sortiront de la nuit du tombeau
Et pour toujours — toujours ! - je verrai la lumière
D'un astre infiniment plus beau !
L'épreuve passe avec cette vie éphémère :
En un réveil d'extase et de ravissement,
Mon Dieu, j'irai vous voir, j'irai revoir ma mère.
— Voir, oh ! voir éternellement !
FRANCIS TROCHU
La Grande guerre du XXe siècle,1916, n° 6, Maison de la Bonne presse (Paris)
La prière de la sentinelle à Marie
Si je dois tomber là, blessé par la mitraille,
Aide-moi sans murmure à prier, à souffrir.
Baisant avec ardeur la petite médaille
Que m'a donné ma mère au moment de partir.
Si je meurs, et j'en fais certes le sacrifice,
Viens recueillir mon âme et l'emporter là-haut
Dans ton beau paradis, vers la sainte milice
Des cœurs vaillants et purs, dans le sein du Très-Haut.
Fais que, parmi les noms qu'à mon heure dernière
Ma lèvre exhalera comme un dernier adieu,
Ton nom vienne se joindre à celui de ma mère
Et le doux nom de France à celui de mon Dieu.
(…)
V. Rosanvallon
La Semaine religieuse de Tunis, 4 décembre 1915
La Grande guerre du XXe siècle, 1917, n° 5, Maison de la Bonne presse (Paris)
gallica.bnf.fr |
-Un patrimoine de lumières, 1830-2000 : verrières des Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne / sous la dir. du service de l'Inventaire général, direction régionale des affaires culturelles d'Ile-de-France, ministère de la culture et de la communication ; dir. par Laurence de Finance et Dominique Hervier. Paris. 2003.
Cet ouvrage comporte un chapitre consacré aux vitraux patriotiques de la Petite Couronne, vitraux que nous avions découverts au hasard de nos déambulations.
Voir aussi dans ce blog :
Il faut rendre à Musard ce qui est à Musard ! C'est Louis Musard l'auteur de cet article, malgré ce qui est porté ci-dessous, suite à une erreur de manipulation irrattrapable sur le blog.
Vitrail de fantaisie ? Le Poilu de la Marne n'avait pas de casque ni d'uniforme horizon, mais le pantalon rouge et le képi.
RépondreSupprimerMerci de votre lecture...
SupprimerVous faites allusion à la fresque de Maurice Denis, qui n'est donc pas un vitrail, vraisemblablement une toile marouflée (collée) sur le mur.
Si il s'agit de la Bataille de la Marne de septembre 1914, vous avez raison. Toutefois Maurice Denis (et ses commanditaires) a peut-être voulu représenter la seconde Bataille de la Marne, de juillet 1918. En ce cas il n'y a pas erreur sur les uniformes.
André Fantelin
Suite de ma réponse :
SupprimerPeut-être vous ai-je mal compris ? Vous faites allusion au vitrail de Notre Dame du Raincy en tête de ce post qui représente la bataille de l'Ourcq ?
Maunoury et Gallieni avaient leur PC à la mairie du Raincy. La Bataille de l'Ourcq est un épisode de la 1ère Bataille de la Marne. Et en effet Maurice Denis en réalisant le carton du vitrail semble n'avoir pas opté pour les pantalons rouges si voyants du début de la guerre. Mais en y regardant mieux on voit très peu les pantalons, et le soldat d'infanterie se trouvant au dessus de l'inscription " Souvenir " a un képi rouge. D'autre soldats qui sont placés plus loin derrière portent des képis bleus... On ne voit pas de casques...
Quand au bleu, en tant que couleur dominante du vitrail, il faut plus le voir comme un bleu marial (vitrail dédié à Marie) que comme le fameux bleu horizon.
Nous pensons donc que le peintre a respecté un minimum l'aspect documentaire réel de la bataille (képis) mais a évité au maximum le pantalon rouge, pour des raisons artistiques (dominante bleue), et surtout pour créer un poilu, non pas de fantaisie, mais un poilu idéal, sachant que la plus grosse partie de la guerre a été effectuée par des soldats dotés de l'uniforme bleu horizon, qui est apparu, sauf erreur de ma part, dès 1915.
André Fantelin & Louis Musard